
- 656 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
Ce livre lĂšve le voile sur le rĂŽle dĂ©cisif â et totalement mĂ©connu â qu'a jouĂ© l'Asie dĂšs 1900 sur la scĂšne du monde. Sait-on ainsi que la victoire du Japon face Ă la Russie en 1905 a Ă©tĂ© dĂ©terminante pour le jeu des alliances qui entraĂźna la PremiĂšre Guerre mondiale ? Ou encore que c'est en Mandchourie, dĂšs les annĂ©es 1920, que s'est mise en marche la Seconde Guerre mondiale ? Que la guerre froide est nĂ©e en Asie en 1945, et que c'est Ă©galement lĂ que s'est recomposĂ© l'ordre international, Ă la fin des annĂ©es 1970 ? S'appuyant notamment sur les travaux d'historiens chinois, japonais ou corĂ©ens, Pierre Grosser montre que le Royaume-Uni, la Russie et les Ătats-Unis Ă©taient â et sont encore â des puissances asiatiques. Un livre qui renouvelle notre lecture gĂ©opolitique du XXe siĂšcle et nous fait comprendre pourquoi l'Asie est si importante aujourd'hui. Pierre Grosser Pierre Grosser est historien, spĂ©cialiste des relations internationales qu'il enseigne Ă Sciences Po-Paris. Il a Ă©tĂ© directeur des Ă©tudes de l'Institut diplomatique du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres Ă sa crĂ©ation (2001-2009). Il est l'auteur de Traiter avec le diable ? (prix de la Revue des Deux Mondes, 2014).
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Informations
CHAPITRE 1
Les origines asiatiques de la PremiĂšre Guerre mondiale
En 2014, lors du centenaire du dĂ©clenchement de la PremiĂšre Guerre mondiale, la crise de lâĂ©tĂ© 1914 a Ă©tĂ© lâobjet de toutes les attentions. DĂ©sormais, tous les dirigeants europĂ©ens de lâĂ©poque semblent responsables du saut dans lâabĂźme. En effet, depuis quelques annĂ©es, une sorte de consensus Ă©merge pour considĂ©rer que la PremiĂšre Guerre mondiale nâĂ©tait pas inĂ©vitable, et quâil ne faut pas donner a posteriori trop de poids aux « forces profondes » dĂ©terminant les choix des hommes au pouvoir, quâil sâagisse du militarisme, des alliances, de lâimpĂ©rialisme ou du nationalisme127.
NĂ©anmoins, ces dirigeants Ă©taient bien confrontĂ©s Ă une configuration internationale particuliĂšre des rapports de force. Le théùtre asiatique, gĂ©nĂ©ralement oubliĂ© dans lâhistoire de la marche Ă la guerre, a contribuĂ© Ă Ă©laborer cette configuration. Ce qui sâest passĂ© en Asie pendant la douzaine dâannĂ©es qui ont prĂ©cĂ©dĂ© la guerre a pesĂ© lourd. Non que la guerre en Europe rĂ©sulte directement dâune compĂ©tition entre impĂ©rialismes dans le reste du monde, comme lâa rĂ©pĂ©tĂ© la vulgate marxiste-lĂ©niniste. Mais cette compĂ©tition, en Asie, a eu des rĂ©percussions diplomatiques en Europe. En effet, la polarisation entre deux camps rĂ©sulte de transformations dans les empires pĂ©riphĂ©riques, et surtout de la dĂ©faite de la Russie face au Japon en 1905. Il est difficile de continuer Ă estimer que le monde nâa pas Ă©tĂ© bouleversĂ© par cette guerre lointaine, alors quâelle a eu des impacts globaux ; certains historiens en font mĂȘme lâĂ©quivalent dâune « Guerre mondiale zĂ©ro128 ».
Pendant les annĂ©es qui suivent, le théùtre asiatique a Ă©tĂ© « neutralisĂ© », tandis que lâAllemagne sây est retrouvĂ©e isolĂ©e. La remontĂ©e en puissance de la Russie Ă partir de 1911-1912 a fait imploser le concert europĂ©en. Le facteur russe pĂšse lourd dans tous les calculs de la crise de lâĂ©tĂ© 1914. Pour les Britanniques, ce facteur russe est aussi « asiatique », puisque la Russie reste un concurrent en Asie, et une menace potentielle pour lâEmpire.
Et pourtant, la guerre commence en Europe, alors que la situation recommence Ă se tendre en Asie, avec les discordes et la rivalitĂ© amĂ©ricano-japonaises, le retour des tensions impĂ©riales anglo-russes, et les frictions de lâalliance anglo-japonaise. Si la guerre nây a pas Ă©clatĂ© en 1914, ces situations conflictuelles auraient pu dĂ©gĂ©nĂ©rer en guerres. Il nâĂ©tait donc pas Ă©vident, Ă la veille de 1914, que Britanniques, Russes, Japonais et AmĂ©ricains se retrouvent dans le mĂȘme camp contre lâAllemagne, tandis quâil Ă©tait imaginable que le Japon profite de la guerre en Europe pour sâen prendre aux intĂ©rĂȘts russes et britanniques en ExtrĂȘme-Orient.
La défaite russe face au Japon en 1905 bouleverse les équilibres européens
Lâalliance anglo-japonaise de 1902
Il faut retourner un peu en arriĂšre pour bien comprendre les enjeux. Les annĂ©es 1880-1890 ont Ă©tĂ© celles de la « course Ă lâAfrique ». Puis, dans les derniĂšres annĂ©es du XIXe siĂšcle, les puissances europĂ©ennes cherchent toutes Ă obtenir un morceau du gĂąteau chinois, Ă un moment oĂč lâEmpire des Qing semble en plein dĂ©clin. Celui-ci est contraint de sâendetter, afin de payer la lourde indemnitĂ© quâil doit verser au Japon aprĂšs sa dĂ©faite de 1895.
La Russie, qui nâa pas participĂ© Ă la curĂ©e africaine, donne la prioritĂ© Ă lâAsie. Elle a lancĂ© en 1891 la construction du TranssibĂ©rien, qui permet de transporter des troupes vers la frontiĂšre chinoise, en cas de besoin, puis celle de la voie Orenbourg-Tachkent qui plonge en Asie centrale. Lâalliance avec la France lui permet dâĂȘtre tranquille en Europe, face Ă lâAllemagne, tandis que ses accords de 1897 et 1903 avec lâAutriche-Hongrie assurent la stabilitĂ© dans les Balkans. La France soutient la Russie en Asie, espĂ©rant un soutien russe sur lâĂgypte face aux Britanniques, qui risquent de contrĂŽler totalement la route vers lâExtrĂȘme-Orient passant par le canal de Suez.
Le systĂšme diplomatique qui sâest mis en place dans les annĂ©es 1890 a permis la paix en Europe : il existe alors deux alliances qui fonctionnent de maniĂšre dĂ©fensive et stabilisatrice, la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et lâalliance franco-russe. Le Royaume-Uni agit pour sa part comme un Ă©lectron libre. Les guerres qui semblent alors possibles sont des guerres entre empires coloniaux, britannique et français, ou bien britannique et russe. La politique de Bismarck avait encouragĂ© les hostilitĂ©s Ă la pĂ©riphĂ©rie, franco-britanniques en Afrique et anglo-russes en Asie, afin de limiter les risques de guerre aux frontiĂšres de lâEmpire allemand, et de maintenir en Europe une paix qui lui est favorable depuis 1871129.
Le Japon prĂ©tend dĂ©sormais se mĂȘler au jeu des impĂ©rialismes, puisquâil sâest modernisĂ© sur le modĂšle occidental. Il remporte une victoire surprenante sur la Chine durant la guerre de 1894-1895, et nĂ©gocie une paix avantageuse. Allemands, Français et Russes font toutefois pression pour quâil nâabuse pas de sa victoire. Or, en 1897, lâAllemagne sâempare de territoires quâelle a forcĂ© le Japon Ă rĂ©trocĂ©der Ă la Chine (en particulier Qingdao dans le Shandong), ce qui provoque une course aux concessions. Câest donc lâAllemagne qui a lancĂ© la curĂ©e en Chine du Nord. Guillaume II est en effet obsĂ©dĂ© par lâidĂ©e dâavoir une vraie base navale dans la rĂ©gion pour sa politique mondiale, et Qingdao doit devenir la vitrine des capacitĂ©s allemandes Ă coloniser130. Les Allemands ont créé la formule du « territoire Ă bail », qui laisse carte blanche notamment pour installer des forces militaires, mĂȘme si la Chine conserve la souverainetĂ© « ultime » ; les AmĂ©ricains sâinspirent de cette formule en 1903 pour obtenir GuantĂĄnamo du gouvernement cubain131. Les Allemands profitent Ă©galement de la dĂ©faite des Espagnols face aux AmĂ©ricains en 1898 pour obtenir les Ăźles Carolines et Mariannes (sauf Guam que Washington place sous la juridiction de lâUS Navy). En effet, une sorte de « partage du Pacifique » se dĂ©roule au mĂȘme moment, en 1898-1899, fixant une carte politique qui restera inchangĂ©e jusquâen 1914.
La pĂ©nĂ©tration russe au nord de la Chine avait dâabord Ă©tĂ© Ă©conomique, et nĂ©gociĂ©e avec les autoritĂ©s chinoises. Ainsi, les Russes obtiennent-ils en 1896 un contrat pour construire le Chemin de fer de lâEst chinois ; la main-dâĆuvre est principalement chinoise, mais la compagnie qui lâexploite crĂ©e un vĂ©ritable empire en Mandchourie. Ensuite, la progression est davantage coercitive, notamment pour obtenir Ă bail, en 1898, Port-Arthur (LĂŒshun en chinois) et Dalniy (Dalian en chinois, Dairen en japonais), que la Triple Intention avait Ă©galement poussĂ© Tokyo Ă rĂ©trocĂ©der. La Russie possĂšde dĂ©sormais un port libre de glace toute lâannĂ©e pour sa flotte de guerre et un port marchand trĂšs actif, par lequel entre la moitiĂ© du thĂ© importĂ© en Russie. En 1900, dans le cadre de lâintervention lors de la rĂ©volte des Boxeurs, les affrontements sur place (notamment le massacre de Blagoveshchensk commis par des cosaques expulsant des colons chinois) mĂšnent Ă la premiĂšre guerre entre Russes et Chinois, avant celles de 1929 et de 1969. Les troupes tsaristes progressent sans beaucoup de difficultĂ©s et occupent une partie importante de la Mandchourie. Leurs violences suscitent un sentiment antirusse dans la rĂ©gion, tandis que les Anglais, les AmĂ©ricains et surtout les Japonais sâinquiĂštent de cette occupation Ă laquelle ils nâarrivent pas Ă mettre fin132.
En rĂ©alitĂ©, les rivalitĂ©s entre puissances sont tempĂ©rĂ©es par des collaborations interimpĂ©rialistes, notamment dans les affaires, bancaires et ferroviaires. Des modus vivendi sont Ă©galement nĂ©gociĂ©s bilatĂ©ralement afin dâĂ©viter empiĂ©tements et tensions excessives, et pour ne pas permettre Ă PĂ©kin de trop jouer de la compĂ©tition entre puissances et entre crĂ©diteurs. La plupart des prĂȘts sont gagĂ©s sur les revenus douaniers de la Chine, administrĂ©s en grande partie par des Britanniques (en rĂ©alitĂ©, surtout des Irlandais), et adossĂ©s sur la force militaire des puissances qui Ă©vitera tout dĂ©faut de paiement chinois. Surtout, lors de la rĂ©volte des Boxeurs, les armĂ©es de huit puissances interviennent de concert en 1900-1901 pour « donner une leçon » Ă lâimpĂ©ratrice de Chine qui leur a dĂ©clarĂ© la guerre en juin 1900. Des « expĂ©ditions punitives supranationales » sont menĂ©es par les troupes de plusieurs puissances. Autre forme de coopĂ©ration : dix puissances administrent ensemble Tianjin, tandis que lâadministration de Shanghai est clairement « transnationale », mĂȘme si les Britanniques la dominent133.
NĂ©anmoins, plus la Chine se dĂ©sintĂšgre, plus la Russie et le Japon se retrouvent face Ă face, et plus les Britanniques sâinquiĂštent des ambitions de leurs concurrents. Puissance la plus anciennement installĂ©e en Chine, le Royaume-Uni sâaperçoit en effet que ses rivaux, anciens (la France et la Russie) et nouveaux (Japon, Allemagne, et bientĂŽt Ătats-Unis), sont vraiment entreprenants. Certes, Salisbury, son Premier ministre, avait affirmĂ© quâen Asie, « il y a de la place pour nous tous ». Mais il est pris par surprise par lâopĂ©ration allemande de 1897, et sâinquiĂšte dâune compĂ©tition anarchique pour des bases navales et des concessions de chemin de fer, qui ne peut mener quâĂ la constitution de sphĂšres dâinfluence exclusives, et donc Ă la dĂ©sintĂ©gration de lâEmpire chinois. Cela nâempĂȘche pas les Britanniques dâobtenir, en 1898, un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans pour 900 km2 de « nouveaux territoires » qui Ă©tendent leur possession de Hong Kong, centre du commerce et de lâinfluence britannique en ExtrĂȘme-Orient.
Si lâAllemagne est une nouvelle venue ambitieuse en Asie, les Britanniques se mĂ©fient surtout, comme dâhabitude, des ambitions russes. En fait, les dĂ©fis pesant sur lâEmpire britannique sâaccumulent, quâil sâagisse de la rivalitĂ© traditionnelle avec la Russie dans toute lâAsie, des tensions avec les Ătats-Unis en AmĂ©rique latine et avec les Français et les Allemands en Afrique, et de la guerre des Boers en Afrique du Sud Ă partir de 1899. Une guerre globale menĂ©e par les Russes et les Français contre lâEmpire britannique est possible, ou mĂȘme une ligue continentale franco-germano-russe isolant le Royaume-Uni. Traditionnellement, la Royal Navy pouvait se contenter, pour dĂ©fendre lâEmpire britannique en Asie, dâempĂȘcher la sortie des flottes de ses concurrents europĂ©ens de leurs ports : la dĂ©fense de lâAsie se faisait en Europe. DĂ©sormais, face Ă la flotte russe du Pacifique, et face Ă la montĂ©e en puissance des marines japonaise et amĂ©ricaine, les Britanniques risquent de devoir envoyer durablement des bĂątiments en Asie, et de multiplier les bases, alors mĂȘme que lâAllemagne devient une puissance navale qui peut menacer les Ăźles Britanniques134. Face Ă la Russie, il leur faudrait envoyer plus de 200 000 hommes en renfort aux Indes et une flotte importante en ExtrĂȘme-Orient, alors quâil faut tenir la Manche, la mer du Nord et la MĂ©diterranĂ©e. De toute maniĂšre, la marine serait de peu dâutilitĂ© Ă partir du moment oĂč les Russes peuvent dĂ©sormais envoyer par train des renforts en ExtrĂȘme-Orient.
Seule la diplomatie peut rĂ©soudre les dilemmes stratĂ©giques auxquels les Britanniques sont confrontĂ©s. DĂšs lors, Londres joue la carte du rapprochement avec les Ătats-Unis, quâils accueillent Ă bras ouverts en Asie lorsquâils sâemparent des Philippines entre 1898 et 1902135. Mais surtout, Londres choisit, pour la premiĂšre fois, dâamender quelque peu son « splendide isolement » traditionnel, en signant un traitĂ© dâalliance avec le Japon.
Ce nâĂ©tait pas le premier choix. Ă Londres, certains veulent trouver des arrangements directs avec le rival russe en Asie orientale. Mais Saint-PĂ©tersbourg fait la sourde oreille. Des ouvertures sont Ă©galement dirigĂ©es vers lâAllemagne, afin de faire face Ă lâalliance franco-russe, la plus menaçante pour les intĂ©rĂȘts britanniques. Mais les Allemands ne veulent pas ĂȘtre confrontĂ©s Ă la Russie en Europe simplement pour permettre aux Britanniques de se libĂ©rer en Asie de la pression russe. En sens inverse, ils ne peuvent obtenir de Londres, en Ă©change de leur soutien en Asie face Ă lâexpansionnisme russe, la garantie dâune neutralitĂ© britannique dans les affaires europĂ©ennes, en cas de guerre menĂ©e par lâAllemagne contre la France et la Russie. Surtout, les Allemands se prennent alors pour les « arbitres du monde ». Ils misent, Ă tort, sur lâirrĂ©ductibilitĂ© des antagonismes anglo-russe et russo-japonais.
Les Britanniques mettent donc du temps Ă choisir le Japon, dâautant quâils ne croient pas quâil puisse rĂ©sister au gĂ©ant russe en cas de guerre. Il existe pourtant un vrai lien financier entre les deux pays. Le Japon avait ouvert un compte Ă la Banque dâAngleterre pour gĂ©rer lâindemnitĂ© considĂ©rable que doit lui payer la Chine aprĂšs sa dĂ©faite de 1895, payĂ©e de surcroĂźt grĂące Ă de lâargent levĂ© sur les places europĂ©ennes. Dans les derniĂšres annĂ©es du XIXe siĂšcle, ce compte reprĂ©sentait prĂšs de la moitiĂ© des rĂ©serves dâor de la Banque dâAngleterre ; mais Tokyo a fini de rapatrier ces fonds en 1900. Au Japon, le choix de lâalliance avec le Royaume-Uni nâest pas une Ă©vidence non plus. Certains sont favorables Ă un accord avec la Russie, en lui laissant les mains libres en Mandchourie contre un quasi-monopole japonais en CorĂ©e. Se rapprocher du Royaume-Uni, monarchie constitutionnelle libĂ©rale, constitue aussi un risque pour le Japon impĂ©rial.
Ce jeu fluide se termine pourtant par la signature du traitĂ© dâalliance anglo-japonais, le 30 janvier 1902, pour une durĂ©e de cinq ans. DĂ©sormais, grĂące au Japon, les Britanniques endiguent la Russie Ă lâextrĂ©mitĂ© du continent eurasiatique, sans plus avoir Ă courtiser lâAllemagne pour quâelle remplisse ce rĂŽle, et empĂȘchent une dangereuse Triplice franco-russo-japonaise. Toutefois, Londres nâa choisi quâune entente au niveau rĂ©gional, et en limitant ses engagements, afin de nâĂȘtre pas entraĂźnĂ©e dans une guerre russo-japonaise pour la CorĂ©e, voire dans une guerre contre la Russie et son alliĂ© français (le degrĂ© de garantie française pour lâExtrĂȘme-Orient dans lâalliance franco-russe est alors un sujet de spĂ©culations).
Une vĂ©ritable alliance existe pourtant pour la premiĂšre fois entre une grande puissance europĂ©enne et une puissance non blanche, mais qui sont toutes deux des monarchies136. Pour le Japon, elle permet dâespĂ©rer une neutralitĂ© française en cas de guerre russo-japonaise, la France ne prenant pas le risque dâaffronter la Grande-Bretagne. La rĂ©action de la France est modĂ©rĂ©e : elle sâinquiĂšte pourtant dâune guerre en Asie qui pourrait lâengager trĂšs loin de lâEurope, ce dont Berlin ne pourrait que se rĂ©jouir, mais aussi dâune collusion anglo-japonaise qui menacerait, en cas de guerre russo-japonaise, une Indochine assez mal dĂ©fendue. Il est de plus en plus question, dans la presse, dâun « pĂ©ril jaune » menaçant la prĂ©sence française en Indochine.
Lâalliance anglo-japonaise donne Ă lâalliance franco-russe une tonalitĂ© plus antibritannique quâantiallemande. NĂ©anmoins, Ă Paris, le ministre des Affaires Ă©trangĂšres DelcassĂ© est pourtant prĂȘt Ă sacrifier les ambitions dâexpansion depuis lâIndochine contre un rapprochement avec les Britanniques en Chine et au Siam, et leur soutien au Maroc : bref, Ă lĂącher lâAsie pour lâAfrique. LâAsie du Sud-Est nâest plus, bientĂŽt, un terrain de rivalitĂ© franco-britannique, et les banques britanniques et françaises commencent Ă travailler ensemble en Chine. Tout rapprochement avec lâAllemagne semblant impossible, car son prix serait un abandon dĂ©finitif de lâAlsace-Lorraine, lâobjectif de Paris devient dâapaiser le Royaume-Uni plus que de sâopposer partout Ă lâEmpire britannique. Pour les Britanniques, un rapprochement avec la France, alliĂ© de la Russie, permettrait de parvenir Ă un accord interimpĂ©rial avec la Russie. Mais ces rapprochements ne sont quâune Ă©bauche.
La guerre russo-japonaise aurait pu devenir une guerre mondiale
Car, en ce dĂ©but de siĂšcle, lâExtrĂȘme-Orient est le lieu oĂč les puissances europĂ©ennes peuvent se retrouver dans une « guerre universelle137 », Ă cause de leurs appĂ©tits et de leurs rivalitĂ©s. Lâempereur dâAllemagne agite le « pĂ©ril jaune » auprĂšs de son cousin, le tsar Nicolas II, quâil appelle lâ« Amiral du Pacifique ». Il veut ainsi dĂ©tourner la Russie vers lâExtrĂȘme-Orient, et empĂȘcher tout rapprochement anglo-russe qui aurait isolĂ© lâAllemagne en Europe. En mĂȘme temps, lâempereur incite le Japon Ă rĂ©sister Ă lâimpĂ©rialisme russe en Mandchourie et en CorĂ©e. Enfin, il tire la sonnette dâalarme auprĂšs des AmĂ©ricains sur les ambitions russes de dĂ©peçage de la Chine, avant de sonner celle du « pĂ©ril jaune », afin quâils ne regardent pas trop du cĂŽtĂ© de lâEurope. Bref, si dix ans auparavant, Londres Ă©tait au centre du jeu, sans ĂȘtre liĂ© Ă aucune des deux alliances, Berlin peut dĂ©sormais ĂȘtre lâarbitre ultime entre deux alliances, franco-russe et anglo-japonaise.
La guerre russo-japonaise dĂ©coule de la rivalitĂ© entre les deux empires en Mandchourie et en CorĂ©e. La Russie ne veut pas de guerre, et pense que le petit Japon nâosera pas se frotter Ă elle. Elle est aussi intransigeante dans ses positions diplomatiques...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Quelques cartes
- Introduction
- CHAPITRE 1 - Les origines asiatiques de la PremiÚre Guerre mondiale
- CHAPITRE 2 - Les dimensions asiatiques de lâaprĂšs-guerre (1918-1930)
- CHAPITRE 3 - La poudriÚre mandchourienne mÚne à  la Seconde Guerre mondiale (1927-1939)
- CHAPITRE 4 - La mondialisation de la guerre par lâAsie (1939-1941)
- CHAPITRE 5 - LâAsie-Pacifique, théùtre essentiel de la guerre
- CHAPITRE 6 - La guerre froide et la décolonisation commencent en Asie
- CHAPITRE 7 - LâAsie fixe la gĂ©ographie de la guerre froide
- CHAPITRE 8 - LâAsie au cĆur de lâhistoire de lâarme nuclĂ©aire
- CHAPITRE 9 - La vague rĂ©volutionnaire qui vient dâAsie (annĂ©es 1960)
- CHAPITRE 10 - Les Ătats-Unis et lâAsie, entre Vietnam et Chine (annĂ©es 1970)
- CHAPITRE 11 - Le grand tournant de 1978-1979
- CHAPITRE 12 - La fin de la guerre froide est aussi asiatique
- Bibliographie
- Remerciements
- Table