De la démocratie en France
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De la démocratie en France

République, nation, laïcité

  1. 352 pages
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De la démocratie en France

République, nation, laïcité

À propos de ce livre

« Démocratie providentielle », « démocratie extrême », les notions forgées par Dominique Schnapper, une des grandes voix de la pensée politique française, sont passées dans le langage courant. Elle revient dans ce livre sur les thèmes qui sont aujourd'hui au cœur du débat public : le malaise des populations immigrées, le chômage, la place de l'islam, le rapport à la République et à la nation. Comment penser la démocratie en France ? Comment fonder des liens entre les individus et les groupes, afin qu'un avenir commun puisse être envisagé ? Loin des idéologues de l'identité comme des défenseurs du multiculturalisme, Dominique Schnapper analyse patiemment ce qui permet la relation à l'autre et donne du sens à la citoyenneté. Racisme, laïcité, remise en cause des institutions, intégration, judaïsme, individualisme et communauté, droits des minorités, aucune question n'est éludée et toutes sont abordées avec la même rigueur scientifique et morale. Dominique Schnapper, fille de Raymond Aron, est directrice d'étude à l'EHESS, membre honoraire du Conseil constitutionnel, auteur de nombreux ouvrages sur la citoyenneté et la démocratie, dont notamment Diasporas et nations (avec Chantal Bordes-Benayoun) et Travailler et aimer. 

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Informations

SECONDE PARTIE

Citoyenneté et pluralismes

13

Juifs et musulmans maghrébins

L’islam et le judaïsme ont en commun de constituer une référence religieuse gouvernant la vie quotidienne des individus et les rapports qu’ils entretiennent avec la puissance publique. Le judaïsme comporte une dimension religieuse, mais c’est aussi l’histoire du peuple juif. L’islam est tout ensemble une religion et un système politique.
Le contenu de la foi, les pratiques, les relations entre la foi et son expression publique, l’histoire des peuples, ou les relations qui se sont établies entre ces peuples et la modernité distinguent les juifs et les musulmans. Mais, dans les deux cas, la double référence religieuse et historique est contradictoire avec les exigences de l’État français qui, dans son principe, renvoie le religieux dans l’ordre du privé et ne considère que des citoyens, définis par un ensemble de droits et de devoirs, indépendamment de toute appartenance historique (religions, régions, clans ou « nations » de l’Ancien Régime). Étant donné le lien entre le politique et le religieux dans le judaïsme et l’islam, la naissance de l’État moderne occidental a constitué pour les juifs observants du début du XXe siècle une épreuve du même type que pour les pratiquants musulmans d’aujourd’hui en France. De ce point de vue, mais de ce point de vue seulement, on peut comparer les attitudes des uns et des autres. Il importe toutefois de souligner combien les conditions historiques ont donné un sens différent à la confrontation entre les exigences de l’État moderne laïc et des traditions particulières qui unissaient l’ordre religieux et l’ordre politique.

Histoire

Toutes les populations, en particulier celles qui s’interrogent sur leur identité et leur place dans la société, ressentent une réticence devant l’entreprise des sciences humaines qui, par décision de méthode, les traitent comme d’autres populations, ce qui n’implique évidemment pas qu’elles soient comme les autres. De plus, toute comparaison conduit inévitablement à simplifier et à schématiser plus rigoureusement encore la réalité sociale. Enfin, la comparaison n’implique, par définition, ni l’identité ni même la proximité des populations, mais seulement l’effort de préciser les traits communs et les dissemblances. Sans entretenir l’espoir d’être vraiment entendus, nous tenons à rappeler notre sympathie pour l’une et l’autre population, notre volonté de reconnaître la spécificité de l’une et de l’autre et notre seule ambition d’éclairer les attitudes de l’une et de l’autre par une comparaison aussi rigoureuse que le permet la connaissance de groupes sociaux variés par leurs origines, leurs appartenances, leurs histoires et leurs attitudes.
L’inégale longueur des analyses qui leur sont consacrées est dictée non par une quelconque préférence, manifeste ou cachée, mais par les caractères mêmes de la réalité sociale et la connaissance que nous en avons. Le fait que la typologie des manières d’être juifs en France ait déjà été élaborée et présentée par ailleurs1 a conduit à résumer leurs attitudes en quelques phrases, alors qu’on s’est attaché à analyser plus longuement les attitudes moins connues des musulmans.
Les attitudes des juifs, pratiquants ou non, qu’on peut analyser aujourd’hui sont l’effet d’une évolution qui s’est déroulée sur plusieurs générations pendant près de deux siècles. Il est vrai que la majorité des juifs français est aujourd’hui originaire du Maghreb. Mais, à leur arrivée en France, ils se sont trouvés immédiatement insérés dans des structures dont les origines remontaient, pour certaines d’entre elles (les consistoires), à l’époque napoléonienne. Ils ont ainsi bénéficié d’un long travail d’insertion dans la société française. De plus, les juifs algériens avaient tiré avantage de la politique coloniale. Si le décret Crémieux, conférant, en 1871, la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, n’a pas suffi à constituer en une communauté unique juifs et « Français » ni même à assurer dans les faits l’égalité des droits accordés par la loi aux uns et aux autres, il a favorisé leur accès au système éducatif français et permis leur entrée progressive dans la petite et moyenne fonction publique. Dans l’ensemble, comparés aux migrants maghrébins juifs, les migrants musulmans sont décalés, dans leur rapport à la France, d’au moins une génération.
La différence de génération n’est pas seule en cause. La période historique donne un sens différent au contact entre une tradition religieuse-nationale et les exigences de neutralité religieuse de l’État2. Le rapport des juifs de la première moitié du XXe siècle avec la société globale était marqué par un passé de persécutions, mais, pour ceux qui se voulaient les plus modernes, l’Émancipation avait transfiguré le passé et fait attribuer les persécutions à l’Ancien Régime. La confiance de l’ensemble des Français dans les valeurs universelles héritées des Lumières, l’élan égalitaire et l’expression du patriotisme tout au long du XXe siècle et jusqu’à 1940 ont facilité leur entrée dans la société française, malgré les obstacles et les préjugés hostiles. Les musulmans arrivent aujourd’hui dans un pays moins confiant dans les valeurs de la modernité, où la valeur suprême accordée à l’« assimilation » est remise en cause.
Si l’on accepte de résumer brutalement l’histoire complexe de l’intégration des juifs français, on admettra que la majorité d’entre eux accepta de cesser d’être juifs à l’extérieur, selon la formule que Moïse Mendelssohn avait mise à la mode à Berlin ; autrement dit, accepta de participer, ou, mieux, s’efforça de participer activement à la vie nationale en abandonnant toute forme de judaïsme perceptible dans la vie sociale. À l’image des catholiques, la majorité des juifs intériorisa une définition chrétienne du judaïsme comme religion, en excluant toute référence à une terre et à un peuple dépassant le cadre des frontières et de la population nationales.
Si le rapport entre les juifs et la politique est le fruit d’une longue histoire nationale, le contact avec la modernité française, pour les musulmans, s’est fait dans et par la société coloniale, où l’islam conservait son organisation de communauté majoritaire, avec son droit privé, familial et successoral, et sans expression politique souveraine. L’héritage colonial de l’islam maghrébin est ambigu3. L’islam a constitué un des thèmes mobilisateurs de la lutte pour l’indépendance, mais cette lutte se fondait aussi sur l’idée de nation algérienne et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, empruntée à la tradition européenne. La lutte pour l’indépendance a donc légitimé des valeurs étrangères au système de références de l’islam classique, plus attaché à la communauté des croyants qu’à la nation. Pour la majorité des Maghrébins, l’expérience coloniale s’est soldée par le refus de l’intégration à la France. Toutefois, cela n’a pas empêché les musulmans d’emprunter une part du patrimoine culturel et institutionnel du colonisateur. Mais ce sont justement les groupes sociaux exclus du processus de modernisation interne au Maghreb que l’on trouve dans l’immigration. Le plus grand nombre des immigrés est issu des régions rurales, où l’islam est majoritaire.
Tout émigré pauvre quittant son pays pauvre, pour travailler dans un pays riche, est susceptible de se sentir traître aux siens. Ce sentiment est renforcé, dans le cas des musulmans, par la référence religieuse qui fonde ou justifie la revendication identitaire, entretenu pour les enfants issus de l’émigration algérienne par les souvenirs de la guerre. Marqués par le passé, leurs parents verraient dans la naturalisation française de leurs enfants l’expression d’une trahison. Ce ne sont pas les persécutions, comme dans le cas des juifs, ni seulement le souvenir de la situation coloniale, mais la guerre, restée présente à la conscience des Algériens, qui réactive un des schémas de la culture islamique selon lequel, nationalité et communauté étant étroitement liées, la naturalisation des enfants prendrait le sens d’un reniement.
Leur importance numérique oppose également juifs et musulmans en France. D’après le recensement consistorial de 1808, on comptait quarante-six mille juifs en France, soit 0,61 % de la population globale ; la proportion des juifs n’a jamais dépassé 0,5 % de la population jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ils en forment autour de 1 % aujourd’hui. Les musulmans représenteraient dans les années 1980 – sans que les chiffres puissent être rigoureux – environ 6 % de la population résidant en France.
L’expérience historique a conduit les juifs à développer une culture de groupe minoritaire soucieux de préserver son identité, même si les juifs se sont progressivement intégrés à la société française grâce à leur adhésion aux valeurs issues des Lumières et incarnées par la Révolution française. Le génocide, la création de l’État d’Israël et l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord au lendemain de l’indépendance du Maghreb ont donné une dimension historique à la judéité de la majorité d’entre eux, mais ils n’ont pas remis en cause leur participation de citoyens à la vie politique. L’islam n’a pas la même expérience. Dans les pays où les populations musulmanes constituent une minorité, en Inde, en Yougoslavie, en Allemagne, en France, on constate la coexistence de l’héritage islamique avec des accommodements individuels de type laïc4. Mais, dans tous les cas, la pensée musulmane n’a pas remis en question le fondement même de l’islam, indissolublement religieux et politique.
Alors que les juifs disposent depuis longtemps d’une élite intellectuelle et sociale favorisant l’interaction avec la société globale, ce n’est pas le cas pour les musulmans. Tout laisse à penser que, comme les Chicanos en Californie, les beurs, nés et surtout scolarisés en France, produiront dans l’avenir une élite. Mais, à la différence des juifs, ils commencent seulement à envisager de participer à la vie politique. Cette réticence est probablement provisoire, car elle s’accompagne d’une réelle fascination pour la politique. S’explique-t-elle par l’hostilité qu’ils rencontrent ou par la crainte inconsciente de devoir abandonner l’Umma de l’islam majoritaire ?
Dans le cas des juifs aujourd’hui, on avait pu élaborer une typologie en trois termes fondée sur l’existence du double pôle religieux et historique : les pratiquants, les militants, les israélites5. Pour les juifs pratiquants, le pôle religieux – ou, pour être plus fidèle à la tradition juive, le pôle à la fois métaphysique et pratique – continue à être vécu dans ses dimensions essentielles, en particulier à travers les pratiques quotidiennes (prières, respect des règles alimentaires) et hebdomadaires (célébration du shabbat). Cette pratique est aujourd’hui compatible avec la participation politique (vote, action syndicale, militantisme syndical ou partisan), l’expression sociale ou politique propre au judaïsme se traduisant par la participation à la vie des organisations culturelles, cultuelles ou politiques juives. Pour les militants, le pôle historique est devenu primordial et les pratiques spécifiques sont réduites aux manifestations symboliques : rites de passage et célébration des grandes fêtes, Kippur et seder de Pessah. Mais ce militantisme, qui se traduit massivement par l’action en faveur de l’État d’Israël, est d’autant plus étroitement lié à la participation politique en France que l’activité, dite « sioniste », c’est-à-dire en faveur de l’État d’Israël, n’implique aucun projet concret de départ : c’est seulement parmi les pratiquants qu’existe parfois le projet. Enfin, pour les israélites, les pôles religieux et politique du judaïsme sont également affaiblis mais, pleinement acculturés à la France, ils n’en gardent pas moins, par dignité, par fidélité à soi-même et à un passé familial et collectif, le sentiment d’une identité spécifique, fondé sur le respect de la tradition juive dont ils reconnaissent la valeur, malgré leur non-pratique et souvent leur ignorance.
Quel que soit le type de leur judéité, la référence du judaïsme n’entraîne chez les juifs d’aujourd’hui aucune réserve pour participer à la vie politique. Mieux, il semble que leur participation électorale (comparée à celle des non-juifs des mêmes milieux sociaux) soit particulièrement élevée et qu’ils appartiennent à la catégorie des « mobiles » dans les votes, dont la mobilité serait fondée sur une conscience historique et politique forte, un degré de « politisation » élevé6.
Dans la mesure où la typologie des manières d’être juifs était fondée sur l’ambiguïté du judaïsme selon les normes françaises, c’est-à-dire sur la double dimension religieuse et historique, peut-on tenter de l’appliquer – avec les nuances et les précautions qu’imposent la différence des générations, des appartenances sociales, des passés historiques et le contenu des deux traditions – aux populations musulmanes, afin d’éclairer les homologies d’attitudes et les différences dans les manières dont ces attitudes s’actualisent7 ?

Musulmans en France et musulmans de France

L’enquête a montré que la comparaison entre juifs et musulmans n’avait de sens que pour les populations musulmanes stabilisées en France. Il importe en effet de distinguer entre les musulmans en France et les musulmans de France8. Pour les premiers, le séjour est vécu comme une étape provisoire, élément d’une trajectoire dont le sens est donné par les normes et les valeurs du pays d’origine et par le projet de retour. Les seconds, en revanche, installés dans la société française, adaptent leur conduite aux normes et aux valeurs d’une société devenue la leur et plus encore celle de leurs enfants.
Cette distinction reste d’ordre idéal-typique. Dans la réalité, la coupure d’avec la société française des musulmans en France n’est pas absolue, les discours de rupture servent souvent de compensation à l’épreuve de l’émigration et aux compromis auxquels l’émigré finit par consentir. Au cours de sa vie, le même individu peut connaître successivement des expériences vécues conformes à des types différents, passer, par exemple, des attitudes et des comportements conformes au type qualifié de pratiquant de passage à ceux du pratiquant installé. Dans la mesure où la masse des juifs fran...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Présentation
  6. Première partie - Le lien démocratique
  7. Seconde partie - Citoyenneté et pluralismes
  8. Notes et références bibliographiques
  9. Références des articles
  10. Du même auteur
  11. Table
  12. Quatrième de couverture