Que deviendront nos bébés ?
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Que deviendront nos bébés ?

  1. 320 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Que deviendront nos bébés ?

À propos de ce livre

Que deviendront nos bébés ? Que peut-on prévoir ? Comment seront-ils ? Voici l'histoire de Gwen, petite fille qui voulait devenir androgyne ; voici l'histoire de Jimmy, qui voulait toujours dormir avec ses parents ; voici l'histoire de Maria, fillette dépourvue d'identité ; voici l'histoire de Marielle, aux dons extraordinaires pour écouter et comprendre les autres. Des destins d'enfants suivis depuis la toute petite enfance par l'un des grands pédopsychiatres d'aujourd'hui. Pour que les enfants vivent le mieux possible ; pour que les parents vivent le plus harmonieusement possible avec leurs enfants.  Bertrand Cramer est professeur de pédopsychiatrie à l'Université de Genève et médecin-chef à la clinique de psychiatrie infantile de Genève. Il a notamment publié Profession bébé, Les Premiers Liens et Secrets de femmes : de mère à fille.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1999
Imprimer l'ISBN
9782738107206
ISBN de l'eBook
9782738163639

CHAPITRE 7

MARIELLE OU UNE PSYCHOLOGUE EN HERBE


Peut-on prédire le passé ?

Nous allons pratiquer maintenant l’exercice opposé à celui qui a inspiré les histoires précédentes d’enfants. Dans le récit qui suit, nous écouterons une jeune fille de onze ans et demi et nous essaierons d’imaginer quel a bien pu être son parcours de petite fille. Peut-on, à partir d’un entretien avec elle, puis avec sa mère, prédire son développement de la naissance jusqu’à présent ? On verra que selon la position de l’observateur – dans le déroulement d’une vie – il emploiera d’autres critères pour échafauder ses diagnostics, ses prédictions et l’enchaînement des causes et des effets. On se posera donc la question s’il est plus facile de prédire le passé que le futur.

Une discussion avec une fille de onze ans et demi

Marielle et sa mère ont été convoquées à un entretien. Cela fait partie de notre recherche sur le devenir de bébés vus avant l’âge de trente mois. Il y a donc bien longtemps que nous avions déjà vu Marielle. Et voici comment elle se présente maintenant : elle est habillée tout en bleu, une couleur qu’elle dit aimer particulièrement. Elle porte un appareil dentaire, son nez est pointu et ses cheveux sont un peu en bataille. Mais ce qui attire l’œil, c’est son visage très mobile, un sourire contagieux et l’animation qui se dégage de cette petite personne. On est très vite entraîné par la vivacité de ses propos, la drôlerie de ses tournures de phrases et on est tout simplement conquis par ce qu’on peut appeler son « charme ». C’est donc un rythme, une intensité, une proximité qui impressionnent l’interlocuteur et orientent son évaluation diagnostique (le clinicien réagit à une rencontre comme tout un chacun, mais il emploie sa sensibilité pour organiser son évaluation d’un diagnostic, notant les caractéristiques les plus positives et les plus négatives, cherchant toujours à faire le bilan des forces de santé et de pathologie dans une personnalité).
Ce que le clinicien évalue dans un entretien, ce n’est pas seulement le contenu des verbalisations, ni la nature des inquiétudes ou des symptômes. Il doit se construire une représentation de toute la personne, c’est-à-dire, ce que dit cette personne doit être pondéré par comment elle le dit. Le style de communication, l’agencement des attitudes posturales, des gestes et des mimiques vont étoffer l’image que l’on se fait d’une personne. Elle pourrait dire des choses banales, mais sur un mode qui, lui, est original. Une même phrase peut être dite de cent façons différentes – comme l’avait bien illustré Queneau1 – prenant à chaque fois un autre sens.
Marielle dit des choses qui font assez typiquement partie du répertoire des préadolescentes. Mais son style est original, marqué par l’enthousiasme de communiquer, une joie de vivre, un humour. Ces éléments formels sont assez difficiles à objectiver : ils ajoutent pourtant une dimension essentielle à l’évaluation du fonctionnement d’une personnalité.
Je vais essayer de rendre compte du mode particulier d’être de cette jeune fille en relatant quelques extraits mot à mot de l’enregistrement vidéo de notre discussion.
Dans un entretien qui doit servir à évaluer une personne et à étayer un diagnostic, on passe en revue une série de sujets qui sont le mieux à même de révéler les forces et les faiblesses, les inquiétudes comme les protections dont dispose cette personne. Avec une fille de onze ans et demi, on parlera d’école, de copines, éventuellement de copains. On évoquera la relation aux parents, puis on arbordera une série de sujets qui pourraient révéler des angoisses, des émotions dépressives, des symptômes, afin d’établir une classification dans un catalogue de diagnostics allant de « variations de la norme » aux formes les plus graves de la pathologie, en passant par une série de catégories diverses.
Nous commençons par l’école. Assez vite, Marielle me raconte qu’elle mange à la cantine maintenant tandis qu’avant, elle mangeait à la maison. Puisque c’est elle qui a initié le sujet, et que je suis intéressé à savoir comment elle négocie ce moment d’absence du foyer familial, je l’encourage à m’en dire plus. Rien de plus facile ; elle parle couramment, établit facilement des liens et révèle sans ambages ses sentiments.
MOI – Tu es contente de rester à déjeuner à la cantine ?
MARIELLE – Moi, je trouve c’est marrant.
MOI – La nourriture est bonne ?
MARIELLE – Bon, le vendredi, c’est dégueulasse. Oui, c’est bon, mais c’est pas tout le temps bon. Une fois, j’ai mangé du poisson qui était tellement dégueulasse que j’ai presque mangé juste une glace. Parfois c’est bon, parfois c’est mauvais. Voilà.
On note l’accès facile aux jugements forts (dégueulasse) et, simultanément, une approche nuancée (parfois c’est bon, parfois c’est mauvais). Elle est capable de jugements vifs, soutenus par des sentiments forts, mais cela ne l’empêche pas de relativiser. On retrouve ce mélange de jugements négatifs et de nuances un peu plus loin. Elle parle de son père :
MARIELLE – Parfois, il rentre vers dix-neuf heures trente. Mais il est souvent de mauvaise humeur.
MOI – Pourquoi ?
MARIELLE – Je ne sais pas. Il nous engueule souvent. Il ne nous engueule pas, mais il dit qu’on parle trop fort, qu’on crie.
[On voit dans cette phrase le passage d’un jugement cru – « il nous engueule » – suivi immédiatement par un correctif qui nuance le jugement.]
MARIELLE – Oui, parfois je crie, parce que Béatrice et moi, ma sœur et moi, on s’engueule souvent. On ne s’entend pas très bien ensemble, ma sœur et moi.
MOI – Et pourquoi pas ?
MARIELLE – Ben… ben, en fait, là, c’est bête, on s’engueule pour rien du tout.
[On note à nouveau le côté tempéré de son jugement. Elle parle des engueulades pour ensuite les relativiser en montrant leur caractère dérisoire (c’est bête).]
Cette capacité d’émettre des jugements musclés – dénotant l’intensité des émotions qu’elle ressent et qui colorent son jugement, et d’arriver assez vite à tempérer ce premier jet – doit être mise en relief, car elle dénote une liberté d’expression, ainsi qu’une maturité d’évaluation caractéristiques à la fois d’une intensité saine, sans marque d’inhibition, et d’une capacité de la tempérer par l’exercice d’une connaissance de la nature humaine que l’on pourrait considérer comme une forme de sagesse. Dans ces exemples, Marielle allie deux dimensions souvent mutuellement exclusives : l’intensité de l’affect et la finesse du jugement.
Notre conversation restera centrée sur le conflit entre les sœurs. Marielle fait preuve d’une réelle tentative d’en cerner les raisons. Dans son développement, elle se considère cause des altercations aussi souvent que sa sœur, mais à un moment, elle invoque le fait qu’elle est bien meilleure que sa sœur à l’école : « C’est que j’ai tout le temps des bonnes notes, tandis qu’elle, elle pense qu’elle est moins forte que moi, alors elle est jalouse, je pense. Je ne sais pas si elle est jalouse, mais… j’ai l’impression. » On note l’intérêt de Marielle pour une explication du comportement qu’elle situe au niveau du sentiment de jalousie qu’elle évoque, plutôt qu’elle ne l’affirme : à nouveau, le goût de la nuance.
Cette référence aux sentiments et aux motivations de l’autre est particulièrement intéressante à l’heure où les psychologues se penchent avec tellement d’enthousiasme sur la « théorie de l’esprit », cette dimension particulière du fonctionnement mental permettant de se représenter le fonctionnement de l’autre. Or les enfants diffèrent beaucoup dans cette capacité (en raison de leur âge d’abord, puis de leur profil personnel). On est frappé de constater combien souvent Marielle fera référence à cette capacité d’empathie et de représentation du fonctionnement d’autrui. Simultanément, et comme dans une compétence en miroir de cette empathie, elle a des capacités d’autocritique étonnantes pour son âge.
Marielle décrit ses résultats scolaires : « En troisième année, je n’avais pas souvent de mauvaises notes, mais je suis moyenne, régulière, normale. J’avais souvent des bonnes notes, par exemple entre 7,5 et 8,5. Les moins bonnes étaient 6,5. Quand ça s’est mal passé, c’étaient des 3,5, par là. Mais maintenant, j’ai pratiquement que des satisfaisants ; je n’ai eu que deux insuffisants depuis le début. » On remarque l’effort d’objectivité de Marielle. Elle se décrit comme bonne à l’école, en donne la preuve chiffrée, tout en relativisant et en reconnaissant des échecs.
Cette façon de se juger elle-même, de se prendre comme objet d’évaluation présuppose une capacité de distance par rapport à soi-même, peu commune pour son âge. Elle peut analyser sa sœur et arriver à la conclusion qu’elle est jalouse. Mais elle peut aussi s’inspecter elle-même et déclarer : « Je suis moyenne… »
Cette capacité d’autoscopie sert souvent aux psy à déceler un bon fonctionnement psychique. Quand on arrive à s’analyser soi-même, à identifier des caractéristiques psychiques typiques, ou des problèmes, on a déjà gagné une bataille. On a reconnu la nature interne du problème (à l’encontre de ceux qui pensent que ce sont les autres qui causent les problèmes) et on a identifié soit un conflit répétitif, soit une tendance, soit une angoisse. Reconnaître cette adversité, c’est déjà l’avoir un peu vaincue.
Continuons à voir comment Marielle identifie un de ses problèmes. Après avoir décrit sa facilité pour l’apprentissage scolaire, je lui demande ce qui arrive quand elle ne comprend pas quelque chose :
MARIELLE – Ben, à côté de moi, il y a ma meilleure amie, donc on s’entraide toutes les deux. C’est ce qu’on doit faire dans ce système [elle fait allusion ici au système d’apprentissage prévalant dans son école], on doit s’aider. Et puis, quand je… mais à l’école, je ne suis jamais très sûre de moi, euh… je demande tout le temps des trucs à la maîtresse et puis, elle me dit, « qu’est-ce que tu penses ? », et puis en fait, j’ai la réponse devant moi, mais je ne suis jamais très sûre.
Le problème que Marielle identifie, c’est qu’elle n’est jamais très sûre d’elle. Elle le sait, le reconnaît et démontre comment elle fait face à ce handicap : « On doit s’aider. » La solution trouvée est, en soi, la résultante d’une série de démarches psychologiques réussies : elle a dû d’abord reconnaître ses faiblesses et son manque de confiance en soi. Puis, elle a dû s’étayer sur une confiance de l’autre pour imaginer le partage d’informations et de travail. Enfin, elle a dû trouver un mode de négociation de la réciprocité que sous-entend l’entraide.
Ce processus semble banal. Chacune de ces étapes est cependant une réelle victoire sur des forces adverses telles que la méfiance, le retrait social, la crainte du partage, l’angoisse d’exposer ses faiblesses et de perdre l’illusion de toute-puissance. Ces forces adverses, nous les voyons tous les jours triompher dans les cas où on nous consulte, que ce soit pour des troubles scolaires ou sociaux, des angoisses ou pour d’autres symptômes.
C’est donc par surprise de ne pas trouver ces peurs, ces blocages, ces aveuglements sur soi-même, que j’ai éprouvé une admiration croissante pour cette petite fille qui m’annonce avec enthousiasme qu’elle n’est pas sûre d’elle, qu’elle aime se faire aider, tout en m’assurant qu’elle est suffisamment bonne à l’école pour rendre sa sœur jalouse. En fait, Marielle m’a procuré un sentiment d’enchantement, un répit par rapport aux situations où triomphent l’échec, la déprime et l’angoisse. Elle a surtout cette capacité, qui manque tellement chez les enfants à problèmes, d’évoquer tout et son contraire, d’être bonne en classe tout en doutant d’elle-même, d’être multiple, peu prévisible, et de donner un sentiment de liberté, comme si elle échappait aux contraintes rigides de la névrose, arrivant ainsi à surprendre. Nous, les psy, sommes tellement enfoncés dans le caractère inéluctable des répétitions que toute surprise nous paraît comme l’intervention lumineuse de l’esprit.
Une des dimensions fondamentales que les psy cherchent à évaluer, c’est la modalité relationnelle, la façon dont un individu organise ses relations sociales, comment il se les représente, en tire du plaisir ou de l’angoisse. Les relations les plus révélatrices sont toujours celles qui lient l’individu à ses proches. Pour l’enfant, il s’agit de ses parents. On essaie d’identifier la qualité de l’attachement, la proportion entre l’amour et le ressentiment (parfois la haine), la distribution différentielle d’amour envers le père et la mère, l’intensité des sentiments reliés aux parents, aux déceptions et aux peurs des séparations, etc. Généralement, les préadolescents sont relativement peu diserts sur les questions de sentiments et plutôt pudiques quand il s’agit de dévoiler ce qu’ils pensent vraiment de leurs parents. Là encore, Marielle nous réserve des surprises : elle apporte beaucoup de qualificatifs et de nuances pour illustrer ses représentations de ses parents. Voyons comment se poursuit ce curieux interrogatoire au sujet de l’amour et des parents :
MOI – Tu trouves que tu as une bonne maman ?
MARIELLE – Oui. Elle s’occupe bien de moi. Elle m’achète des jolies choses, des habits. Oui.
MOI – Est-ce qu’elle t’a beaucoup dorlotée, t’a beaucoup câlinée ?
MARIELLE – Non ; c’est pas une maman qui aime faire des bisous. Euh… je veux d...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. PRÉFACE
  5. Chapitre premier - COMMENT DEVENIR UN HIPPOCAMPE ? OU UN IDÉAL POUR DEUX
  6. Chapitre 2 - LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ
  7. Chapitre 3 - « POT DE COLLE » OU L’ENFANT QUI VOULAIT DORMIR AVEC SES PARENTS
  8. Chapitre 4 - MARIA OU L’ABSENCE DE SOI
  9. Chapitre 5 - LES EFFETS DE LA DÉPRESSION MATERNELLE SUR L’ENFANT
  10. Chapitre 6 - MONICA OU LE SAUT D’UNE GÉNÉRATION
  11. Chapitre 7 - MARIELLE OU UNE PSYCHOLOGUE EN HERBE
  12. Chapitre 8 - CEUX QUI S’EN SORTENT
  13. Chapitre 9 - LES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ET LA PART DES GÈNES
  14. Chapitre 10 - LE FUTUR DE NOS BÉBÉS (EN GUISE DE CONCLUSION)
  15. Table