
- 128 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
Une malheureuse grenouille mise Ă cuire dans une marmite tolĂšre une Ă©lĂ©vation rĂ©guliĂšre de la tempĂ©rature de l'eau, alors qu'un Ă©bouillantement brutal la ferait rĂ©agir aussitĂŽt. De mĂȘme, le rĂ©chauffement climatique est insidieux : il n'est perceptible qu'Ă l'Ă©chelle de la dĂ©cennie, voire du siĂšcle, n'implique aucune dĂ©cision urgente et, de fait, est rĂ©guliĂšrement repoussĂ© sur l'agenda des politiques dont l'horizon excĂšde rarement quelques annĂ©es. Or, dans le domaine de l'environnement, le dĂ©lai entre l'action et son impact est au minimum de cinquante ans. Seul un point de vue Ă©thique et anthropologique prenant en compte la survie de l'espĂšce humaine pourrait rĂ©soudre le dilemme, mais en tant qu'Homo Ćconomicus nous sommes des individus calculateurs agissant par intĂ©rĂȘt personnel, et pour lesquels l'environnement est une ressource infinie et gratuite. Dans le jeu Ă©conomique ordinaire, il n'y a pas de « taux d'intĂ©rĂȘt Ă©cologique », comme le montre l'inĂ©luctable disparition, sous l'effet des lois Ă©conomiques, des ressources halieutiques. C'est donc Ă une conception plus large de l'humanitĂ© et Ă un renouveau de l'Ă©thique que nous convie l'auteur, Ă dĂ©faut de voir l'espĂšce humaine, victime de la pensĂ©e Ă©conomique, partager le triste sort de la morue, du thon rouge... et de la grenouille. MathĂ©maticien et Ă©conomiste, Ivar Ekeland a participĂ© Ă la chaire Finance et dĂ©veloppement durable de l'universitĂ© Paris-Dauphine, qu'il a prĂ©sidĂ©e. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation.Â
Foire aux questions
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Informations
CHAPITRE 1
ArrĂȘtez le chauffage !
La Terre est habitable. Les deux planĂštes les plus voisines, Mars et VĂ©nus, ne le sont pas : lâune nâest pas assez chaude, lâautre lâest trop. Mars nâa pratiquement pas dâatmosphĂšre : le sol est exposĂ© sans protection au vide interplanĂ©taire et au rayonnement solaire. Les tempĂ©ratures y oscillent journellement entre â 90 et â 30 °C. VĂ©nus, au contraire, en a trop ! La pression atmosphĂ©rique au sol est quatre-vingt-dix fois celle de la Terre, et la tempĂ©rature y est trĂšs stable, autour de 465 °C.
Câest donc lâatmosphĂšre qui fait la diffĂ©rence : elle retient une partie (une partie seulement) du rayonnement solaire. Sur Mars, elle nâen retient pas assez, sur VĂ©nus elle en retient trop. Sur la Terre elle en retient juste ce quâil faut, comme dans lâhistoire de Boucle dâOr et des trois ours. VoilĂ ce quâon appelle lâeffet de serre.
La physique de lâeffet de serre nâest pas compliquĂ©e. Il ne sâagit pas ici de mĂ©canique quantique ! Certains gaz prĂ©sents dans lâatmosphĂšre (appelĂ©s justement gaz Ă effet de serre) ont la propriĂ©tĂ© dâabsorber le rayonnement infrarouge (celui dont lâĂ©nergie est la plus faible). Le rayonnement solaire, lui, a une Ă©nergie beaucoup plus Ă©levĂ©e : câest la lumiĂšre visible. Quand elle arrive sur la Terre, une partie (30 %) est rĂ©flĂ©chie dans lâespace par les nuages, les glaces et la neige (les calottes polaires jouent ici un rĂŽle important), une partie (20 %) est absorbĂ©e par la vapeur dâeau de lâatmosphĂšre, et le reste (50 %) est absorbĂ© Ă la surface, par les continents et les ocĂ©ans. Mais une partie de cette Ă©nergie absorbĂ©e au sol va ĂȘtre réémise, et cette fois dans lâinfrarouge. Câest lĂ quâinterviennent les gaz Ă effet de serre : ils interceptent une partie de ce rayonnement, et le renvoient vers la surface. Ils fonctionnent comme des radiateurs dâappoint, dont la chaleur vient sâajouter au rayonnement solaire.
Câest ce mĂ©canisme qui assure Ă la Terre une tempĂ©rature Ă©levĂ©e (mais pas trop) et stable. Il ne fonctionne pas sur Mars, oĂč les tempĂ©ratures sont trop basses et trop variables (60 °C entre le jour et la nuit), ni sur VĂ©nus, oĂč les tempĂ©ratures sont stables mais beaucoup trop Ă©levĂ©es. Il nây a que chez nous que les radiateurs sont bien rĂ©glĂ©s et câest Ă notre atmosphĂšre que nous le devons.
Il est important de comprendre que ce nâest pas lâatmosphĂšre terrestre qui a permis la vie, mais quâau contraire, câest la vie qui a créé lâatmosphĂšre terrestre. Pendant la premiĂšre moitiĂ© de son existence, lâatmosphĂšre terrestre nâa pas eu dâoxygĂšne : il nâest apparu quâil y a 2,3 milliards dâannĂ©es, comme un sous-produit de la photosynthĂšse, et il a dâailleurs Ă©tĂ© toxique pour la plupart des organismes vivants Ă lâĂ©poque. Il constitue aujourdâhui 21 % de lâatmosphĂšre terrestre. Le principal gaz Ă effet de serre, le gaz carbonique CO2, est Ă©galement un sous-produit de la photosynthĂšse. Sa concentration est trĂšs faible (actuellement 400 ppm, 400 molĂ©cules de CO2 dans 1 million de molĂ©cules dâair) mais son pouvoir absorbant est disproportionnĂ©. Câest dĂ» au fait que sa molĂ©cule se compose de trois atomes, alors que les deux gaz qui constituent 98 % de lâair, lâoxygĂšne O2 et lâazote N2, nâen ont que deux. La vapeur dâeau H2O et lâozone O3, dont la molĂ©cule a trois atomes comme le gaz carbonique, et surtout le mĂ©thane CH4, qui en a cinq, sont les autres gaz Ă effet de serre. Ce dernier est de loin le plus dangereux (on considĂšre quâil est trente fois plus calorifique que le gaz carbonique), mais, heureusement pour nous, il nâest prĂ©sent dans lâatmosphĂšre actuelle quâen quantitĂ© infinitĂ©simale (de lâordre de 2 ppm). Lâeffet global de tous ces autres gaz est de rajouter 10 % Ă lâeffet de serre dĂ» au CO2 seul.
Il ne faut donc pas considĂ©rer lâatmosphĂšre terrestre comme une donnĂ©e physique, au mĂȘme titre que les ocĂ©ans ou les continents. Cette mince couche protectrice, concentrĂ©e sur un milliĂšme du rayon terrestre, est produite et entretenue par la Terre, plus prĂ©cisĂ©ment par lâensemble des espĂšces vivantes qui la peuplent, un peu comme notre corps produit et entretient une peau pour se protĂ©ger du milieu extĂ©rieur. Les cellules de lâĂ©piderme naissent, se dĂ©veloppent et meurent, dâautres prennent leur place, mais lâĂ©piderme lui-mĂȘme donne une illusion de permanence. En un an, chacun de nous a changĂ© de peau, et personne ne sâen doute ! De mĂȘme, chacune des molĂ©cules qui composent lâatmosphĂšre a une histoire individuelle. Lâeau sâĂ©vapore, retombe en pluie, ruisselle, part dans une riviĂšre et se retrouve dans lâocĂ©an ou dans une nappe phrĂ©atique, en attendant de sâĂ©vaporer Ă nouveau et de reparaĂźtre dans lâatmosphĂšre sous forme de vapeur dâeau. Tous les jours les plantes retirent du carbone de lâatmosphĂšre et y injectent de lâoxygĂšne. Quand elles meurent, dans un feu de forĂȘt ou dans lâestomac dâun animal, elles se dĂ©composent, et le carbone quâelles sĂ©questrent retourne dans lâatmosphĂšre sous forme de CO2. La Terre est une gigantesque machine Ă recycler le carbone (et les autres composants de lâatmosphĂšre), et le rayonnement solaire est le carburant qui la fait tourner. Il est captĂ© par des organismes vivants (algues, plantes et arbres), qui sâen servent pour fabriquer des molĂ©cules organiques (câest-Ă -dire contenant du carbone liĂ© Ă lâhydrogĂšne) Ă partir des Ă©lĂ©ments simples prĂ©sents dans lâair, lâeau, ou le sol. Dâautres organismes vivants (bactĂ©ries, animaux) sâattaquent aux molĂ©cules complexes ainsi produites et les dĂ©composent Ă nouveau en Ă©lĂ©ments simples. Signalons en particulier le rĂŽle des vers de terre, auxquels Darwin a consacrĂ© son dernier livre1 : il y dĂ©montre que « toute la masse de lâhumus superficiel est passĂ©e Ă travers le corps des vers de terre, et y repassera encore2 ». Bref, le sol que nous foulons et que nous cultivons tout comme lâair que nous respirons, en dĂ©pit de leur permanence apparente, ne sont que des moments dâun cycle global. Ce cycle en action depuis 2,8 milliards dâannĂ©es, et lâespĂšce Homo sapiens, apparue trĂšs rĂ©cemment (aux derniĂšres nouvelles, voici deux cent cinquante mille ans environ) en fait partie intĂ©grante.
La teneur de lâatmosphĂšre en CO2 (ou en autres gaz Ă effet de serre) nâa donc rien de stable : câest un indicateur pour un processus en cours. On pourrait la comparer Ă la tempĂ©rature de lâhuile dâun moteur : tant que la voiture marche bien, lâaiguille reste immobile, confortablement installĂ©e dans la zone verte, mais dĂšs quâelle commence Ă bouger, et Ă se dĂ©placer lentement vers la zone rouge, il faut sâinquiĂ©ter. De fait cette teneur a beaucoup variĂ© au cours des temps gĂ©ologiques : on estime quâelle Ă©tait de plusieurs milliers de ppm il y a cinq cents millions dâannĂ©es, avant de tomber Ă 180 ppm voici deux millions dâannĂ©es. Câest quâĂ lâĂ©chelle des temps gĂ©ologiques, le cycle du carbone est diffĂ©rent : il faut tenir compte du volcanisme, par exemple, qui rejette du carbone dans lâatmosphĂšre, et de la sĂ©dimentation, qui en sĂ©questre sous forme de roches calcaires. Ă lâĂ©chelle historique, par contre, ces phĂ©nomĂšnes ne jouent pas : dans les quatre cent mille derniĂšres annĂ©es, par exemple, la teneur en CO2 de lâatmosphĂšre terrestre a Ă©tĂ© remarquablement stable, oscillant entre 180 ppm pendant les pĂ©riodes glaciaires et 280 ppm pendant les pĂ©riodes intermĂ©diaires. Ă lâaube de la rĂ©volution industrielle, voici deux siĂšcles, elle est encore de 280 ppm. Aujourdâhui elle est de 400 ppm, câest-Ă -dire quâelle a plus variĂ© en deux siĂšcles quâen quatre cents millĂ©naires. Un vrai dĂ©rapage.
Il nây a pas Ă sâen Ă©tonner : durant ce court laps de temps (Ă lâĂ©chelle des temps gĂ©ologiques), lâhumanitĂ© a injectĂ© directement dans lâatmosphĂšre des quantitĂ©s Ă©normes de carbone en brĂ»lant du combustible. Cela a dâabord Ă©tĂ© le bois, que lâon a brĂ»lĂ© pour se chauffer, pour cuire ou tout simplement pour dĂ©fricher les forĂȘts afin de les transformer en champs et en prĂ©s. Ensuite on a dĂ©couvert les combustibles fossiles, charbon, pĂ©trole et gaz, qui ont permis le dĂ©veloppement de lâindustrie. Les chiffres sont Ă©loquents. Entre 1751 et 2011, lâhumanitĂ© a injectĂ© 375 gigatonnes3 de carbone dans lâatmosphĂšre en brĂ»lant des combustibles fossiles et en produisant du ciment, et 180 gigatonnes supplĂ©mentaires en dĂ©boisant. Sur ces 555 gigatonnes introduites en deux siĂšcles et demi, 240, soit prĂšs de la moitiĂ©, y sont encore aujourdâhui : le carbone sâaccumule au lieu de se dissiper. Ă titre de comparaison, on estime que la quantitĂ© totale de carbone capturĂ©e par la vĂ©gĂ©tation terrestre est de lâordre de 800 gigatonnes ! Et le processus, loin de ralentir, sâaccĂ©lĂšre. Pendant la derniĂšre dĂ©cennie, la moyenne des Ă©missions Ă©tait de 8,3 gigatonnes par an, avec un taux de croissance de 3,2 % par an, alors que dans les annĂ©es 1900 elle nâĂ©tait que de 1 % par an. Une grande partie de ces Ă©missions reste dans lâatmosphĂšre dont la teneur en CO2 augmentait de 0,5 ppm par an entre 1930 et 1950, de 1 ppm par an entre 1950 et 1970, et de plus de 2 ppm par an aujourdâhui.
On estime quâĂ lâheure actuelle, lâhumanitĂ© ajoute environ 3 % aux Ă©missions naturelles de carbone. Est-ce important ? Est-ce suffisant pour perturber le cycle ? Le problĂšme, câest que visiblement les mĂ©canismes naturels de capture du carbone par les ocĂ©ans et par le sol ne suivent pas : on estime que seule la moitiĂ© du carbone supplĂ©mentaire Ă©mis est retirĂ© de lâatmosphĂšre par des moyens naturels. Le reste sâaccumule, annĂ©e aprĂšs annĂ©e. Câest ce que montrent les chiffres prĂ©cĂ©dents, extraits du dernier rapport du GIEC (Groupe dâexperts intergouvernemental sur lâĂ©volution du climat), paru en 2014, et les enregistrements menĂ©s depuis 1958 au sommet du Mauna Loa, un volcan de Hawaii, au milieu du Pacifique, Ă 3 400 mĂštres dâaltitude. On y voit la teneur de lâair en CO2 augmenter inexorablement, passant de 315 ppm en 1958 Ă 400 en 2014. On observe de petites fluctuations saisonniĂšres, mais la croissance est parfaitement rĂ©guliĂšre, et lâon discerne mĂȘme une accĂ©lĂ©ration : elle augmente de plus en plus vite. ParallĂšlement, est-il besoin de le dire, les tempĂ©ratures moyennes augmentent partout dans le monde. Les trois derniĂšres dĂ©cennies ont Ă©tĂ© les plus chaudes jamais enregistrĂ©es, chacune surpassant la prĂ©cĂ©dente, et quatorze des quinze annĂ©es Ă©coulĂ©es depuis le dĂ©but du siĂšcle ont battu le mĂȘme record ! Les Ă©tĂ©s caniculaires deviennent la norme. Outre le rĂ©chauffement, tout ce carbone supplĂ©mentaire laisse une signature tout aussi pernicieuse, lâacidification des ocĂ©ans. Ceux-ci fonctionnent comme un puits de carbone, mais une partie du CO2 quâils absorbent se transforme en acide carbonique, H2CO3, qui attaque et dissout le calcaire. Tous les organismes marins qui lâutilisent pour se construire des carapaces ou des coquilles, comme les crustacĂ©s ou les mollusques, ou des habitats, comme les coraux, en sont les victimes. Les eaux de mer et de ruissellement sont aujourdâhui 30 % plus acides quâĂ lâaube de lâĂšre industrielle.
Que va-t-il se passer si cela continue ? Si on extrapole cette courbe, purement et simplement, on trouve une teneur en CO2 de lâordre de 450 Ă 470 ppm vers 2050, et de 520 Ă 560 ppm Ă la fin du siĂšcle. Quelle serait alors la tempĂ©rature au sol ? Voici plus dâun siĂšcle, le chimiste suĂ©dois Svante Arrhenius (1859-1927) sâĂ©tait dĂ©jĂ posĂ© la question. Ă cette Ă©poque, la teneur de lâair en CO2 Ă©tait de lâordre de 280 ppm. En se basant sur ce quâon savait dĂ©jĂ de lâeffet de serre, Arrhenius avait calculĂ© quâun doublement de celle-ci conduirait une Ă©lĂ©vation des tempĂ©ratures moyennes de lâordre de 5 °C. Les calculs quâil avait faits Ă la main ont Ă©tĂ© faits et refaits depuis avec des ordinateurs de plus en plus puissants, sâappuyant sur des modĂšles de plus en plus sophistiquĂ©s (tenant compte, par exemple, de lâimpact des autres gaz Ă effet de serre), et on est aujourdâhui un peu moins pessimiste : aux derniĂšres nouvelles, il est plus probable que passer de 280 Ă 560 ppm augmenterait la tempĂ©rature moyenne au sol de 3 °C. Lâordre de grandeur nâa pas changĂ©, ce qui signifie que le phĂ©nomĂšne physique est bien compris. Notons que cela dĂ©passe dĂ©jĂ le seuil des 2 °C qui a Ă©tĂ© officiellement fixĂ© depuis lâaccord de CancĂșn en 2010 comme limite Ă ne pas dĂ©passer. Malheureusement, ce scĂ©nario est bien trop optimiste. Dans un rapport rĂ©cent (2014) au titre Ă©vocateur4, la Banque mondiale annonce que si les tendances actuelles Ă lâaugmentation des Ă©missions se poursuivent, on va vers une augmentation des tempĂ©ratures moyennes qui se situe dans une fourchette de 3,5 Ă 6 °C Ă la fin du siĂšcle, la valeur la plus probable Ă©tant 5 °C. En outre, en raison de lâinertie du systĂšme climatique, et des quantitĂ©s de gaz Ă effet de serre dĂ©jĂ prĂ©sentes dans lâatmosphĂšre, quelles que soient les mesures prises dâici Ă 2100, le rĂ©chauffement ne sera pas infĂ©rieur Ă 1,5 °C.
Quelles en seront les consĂ©quences ? Pour fixer les idĂ©es, et donner un ordre de grandeur des transformations en cours, notons quâentre le climat actuel et celui qui rĂ©gnait lors de la derniĂšre pĂ©riode glaciaire, lorsque le nord de lâEurope et les Ăźles Britanniques Ă©taient sous les glaces et que le niveau des mers Ă©tait 120 mĂštres plus bas quâaujourdâhui, la diffĂ©rence nâest que de 5 °C. Il ne sâagit que de valeurs moyennes : elles recouvrent de grandes variabilitĂ©s, dans le temps (suivant les saisons) et dans lâespace (suivant les rĂ©gions). Quand on allume le feu sous une casserole, elle ne se rĂ©chauffe pas rĂ©guliĂšrement et uniformĂ©ment : on voit lâeau commencer Ă frĂ©mir, des tourbillons Ă©clore Ă la surface, le liquide sâagiter de maniĂšre de plus en plus violente et dĂ©sordonnĂ©e. Ă lâĂ©chelle des temps gĂ©ologiques, rĂ©chauffer lâatmosphĂšre de quelques degrĂ©s en un siĂšcle revient Ă allumer le feu sous la casserole, et la variabilitĂ© augmente rapidement avec la tempĂ©rature. La mĂ©tĂ©o deviendra de plus en plus instable, avec des extrĂȘmes de plus en plus marquĂ©s, des vagues de froid succĂ©dant aux canicules, qui deviendront plus frĂ©quentes et plus longues. Certains mĂ©canismes rĂ©gulateurs, comme le Gulf Stream, qui rĂ©chauffe lâEurope avec lâeau des Antilles, risquent de se dĂ©rĂ©gler, ce qui rend les prĂ©visions difficiles, mais il est dâores et dĂ©jĂ acquis que lâArctique se rĂ©chauffera davantage que le reste de la planĂšte. La banquise disparaĂźtra en Ă©tĂ© dĂšs le milieu du siĂšcle. De mĂȘme, les glaciers de montagne vont reculer (ils le font dĂ©jĂ ) et les immenses Ă©tendues du Grand Nord, au Canada et en SibĂ©rie, dĂ©gĂšleront en profondeur, libĂ©rant le mĂ©thane quâelles sĂ©questrent depuis des millĂ©naires. On enclenchera ainsi des mĂ©canismes multiplicateurs, qui vont accĂ©lĂ©rer le rĂ©chauffement : les calottes glaciaires ne seront plus lĂ pour rĂ©flĂ©chir le rayonnement solaire, et le mĂ©thane viendra prĂȘter main-forte au CO2 pour le retenir. Avec les tempĂ©ratures, câest le rĂ©gime des prĂ©cipitations qui va changer, et dans le mauvais sens : plus abondantes sur les rĂ©gions de lâĂ©quateur et aux pĂŽles, elles vont se rarĂ©fier sur la rĂ©gion sĂšche intermĂ©diaire. Tout cela sâaccompagnera bien entendu dâune Ă©lĂ©vation du niveau des mers, entre 40 centimĂštres et 1 mĂštre, qui modifiera la topographie en menaçant les cĂŽtes basses, les deltas comme les Pays-Bas, le Bangladesh ou la Floride, les Ăźles coralliennes du Pacifique, ou tout simplement les plages europĂ©ennes ou amĂ©ricaines. LĂ encore, il ne sâagit pas dâune Ă©lĂ©vation continue et rĂ©guliĂšre du niveau de lâeau, mais dâune accentuation des extrĂȘmes : les hautes mers seront plus hautes, les prĂ©cipitations plus torrentielles, et pour peu que les deux arrivent ensemble, quâun cyclone par exemple frappe la cĂŽte un jour de grande marĂ©e, on imagine la dĂ©vastation.
Les rapports du GIEC et de la Banque mondiale font des prĂ©visions dĂ©taillĂ©es, rĂ©gion par rĂ©gion, et sous diffĂ©rentes hypothĂšses de rĂ©chauffement, 2 °C et 4 °C. Ils ont des rĂ©sumĂ©s en français fort bien faits, des prĂ©sentations qui ne le sont pas moins, et ceux qui veulent se rendre compte de lâampleur de la menace peuvent les consulter. Donnons juste quelques ordres de grandeur. Avec un rĂ©chauffement de 2 °C on aura des Ă©tĂ©s caniculaires, mais si on passe Ă 4 °C, on observera des tempĂ©ratures sans prĂ©cĂ©dent (au sens oĂč, historiquement, elles nâont jamais Ă©tĂ© observĂ©es) sur plus de la moitiĂ© des terres Ă©mergĂ©es. La SibĂ©rie, lâouest des Ătats-Unis, le pourtour de la MĂ©diterranĂ©e et lâAfrique occidentale sont des « points chauds », oĂč les tempĂ©ratures estivales moyennes augmenteront de 10 °C si le rĂ©chauffement global est de 4 °C. Toujours autour de la MĂ©diterranĂ©e, les prĂ©cipitations diminueront de 20 Ă 40 % si le rĂ©chauffement est limitĂ© Ă 2 °C, mais de 60 % sâil atteint 4 °C, et la production agricole sera diminuĂ©e en proportion, avec toutes les consĂ©quences humaines que lâon peut imaginer pour ces rĂ©gions, oĂč la croissance dĂ©mographique est Ă©levĂ©e. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, de par le monde, et quel que soit le scĂ©nario, les rĂ©gions humides seront davantage arrosĂ©es, et les rĂ©gions sĂšches deviendront plus arides encore.
Point nâest besoin dâailleurs de consulter des rapports : cela se passe en ce moment sous nos yeux. Qui ne se souvient des inondations catastrophiques du Bangladesh en 1998, ou du cyclone Katrina, qui a dĂ©truit La Nouvelle-OrlĂ©ans en 2005, faisant la dĂ©monstration que le pays le plus puissant du monde nâest plus Ă lâabri des alĂ©as climatiques. Ă lâheure oĂč jâĂ©cris, la Californie en est Ă sa quatriĂšme annĂ©e consĂ©cutive de sĂ©cheresse, et le gouvernement prend des mesures sans prĂ©cĂ©dent pour Ă©conomiser le peu dâeau qui reste. De lâautre cĂŽtĂ© du globe, en Russie ou en Australie, ce sont les feux de forĂȘt qui inquiĂštent. En Russie, en 2010 et 2012, les tempĂ©ratures estivales Ă©taient de 7 °C plus Ă©levĂ©es que les moyennes saisonniĂšres, le ciel de Moscou Ă©tait illuminĂ© par la lueur des incendies, et sur lâensemble du territoire les morts dus Ă la pollution et Ă la canicule se comptaient par dizaines de milliers. En ce moment mĂȘme, Ă lâĂ©tĂ© 2015, dâimmenses feux ravagent le bush australien et la taĂŻga sibĂ©rienne, contraignant Ă lâĂ©vacuation des agglomĂ©rations trop exposĂ©es. Tout cela sâaccompagne bien entendu dâune rĂ©duction drastique de la production agricole : en 2010 et 2012, la rĂ©colte de blĂ© en Russie a Ă©tĂ© infĂ©rieure dâun tiers Ă la moyenne, et les exportations ont Ă©tĂ© interdites.
Nous sommes comme la grenouille, plongĂ©e dans le bain, qui perçoit les premiers frĂ©missements de lâeau : elle ne sâinquiĂšte p...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- INTRODUCTION - Une fable
- CHAPITRE 1 - ArrĂȘtez le chauffage !
- CHAPITRE 2 - Lâhomme monodimensionnel
- CHAPITRE 3 - Le marché nous sauvera
- CHAPITRE 4 - Les paradoxes de lâaction collective
- CONCLUSION - Le XXIe siÚcle
- Pour en savoir plus
- Remerciements
- Table