Le Syndrome de la grenouille
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Le Syndrome de la grenouille

L’économie et le climat

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Syndrome de la grenouille

L’économie et le climat

À propos de ce livre

Une malheureuse grenouille mise Ă  cuire dans une marmite tolĂšre une Ă©lĂ©vation rĂ©guliĂšre de la tempĂ©rature de l'eau, alors qu'un Ă©bouillantement brutal la ferait rĂ©agir aussitĂŽt. De mĂȘme, le rĂ©chauffement climatique est insidieux : il n'est perceptible qu'Ă  l'Ă©chelle de la dĂ©cennie, voire du siĂšcle, n'implique aucune dĂ©cision urgente et, de fait, est rĂ©guliĂšrement repoussĂ© sur l'agenda des politiques dont l'horizon excĂšde rarement quelques annĂ©es. Or, dans le domaine de l'environnement, le dĂ©lai entre l'action et son impact est au minimum de cinquante ans. Seul un point de vue Ă©thique et anthropologique prenant en compte la survie de l'espĂšce humaine pourrait rĂ©soudre le dilemme, mais en tant qu'Homo Ɠconomicus nous sommes des individus calculateurs agissant par intĂ©rĂȘt personnel, et pour lesquels l'environnement est une ressource infinie et gratuite. Dans le jeu Ă©conomique ordinaire, il n'y a pas de « taux d'intĂ©rĂȘt Ă©cologique », comme le montre l'inĂ©luctable disparition, sous l'effet des lois Ă©conomiques, des ressources halieutiques. C'est donc Ă  une conception plus large de l'humanitĂ© et Ă  un renouveau de l'Ă©thique que nous convie l'auteur, Ă  dĂ©faut de voir l'espĂšce humaine, victime de la pensĂ©e Ă©conomique, partager le triste sort de la morue, du thon rouge... et de la grenouille. MathĂ©maticien et Ă©conomiste, Ivar Ekeland a participĂ© Ă  la chaire Finance et dĂ©veloppement durable de l'universitĂ© Paris-Dauphine, qu'il a prĂ©sidĂ©e. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation. 

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2015
Imprimer l'ISBN
9782738133328

CHAPITRE 1

ArrĂȘtez le chauffage !


La Terre est habitable. Les deux planĂštes les plus voisines, Mars et VĂ©nus, ne le sont pas : l’une n’est pas assez chaude, l’autre l’est trop. Mars n’a pratiquement pas d’atmosphĂšre : le sol est exposĂ© sans protection au vide interplanĂ©taire et au rayonnement solaire. Les tempĂ©ratures y oscillent journellement entre – 90 et – 30 °C. VĂ©nus, au contraire, en a trop ! La pression atmosphĂ©rique au sol est quatre-vingt-dix fois celle de la Terre, et la tempĂ©rature y est trĂšs stable, autour de 465 °C.
C’est donc l’atmosphĂšre qui fait la diffĂ©rence : elle retient une partie (une partie seulement) du rayonnement solaire. Sur Mars, elle n’en retient pas assez, sur VĂ©nus elle en retient trop. Sur la Terre elle en retient juste ce qu’il faut, comme dans l’histoire de Boucle d’Or et des trois ours. VoilĂ  ce qu’on appelle l’effet de serre.
La physique de l’effet de serre n’est pas compliquĂ©e. Il ne s’agit pas ici de mĂ©canique quantique ! Certains gaz prĂ©sents dans l’atmosphĂšre (appelĂ©s justement gaz Ă  effet de serre) ont la propriĂ©tĂ© d’absorber le rayonnement infrarouge (celui dont l’énergie est la plus faible). Le rayonnement solaire, lui, a une Ă©nergie beaucoup plus Ă©levĂ©e : c’est la lumiĂšre visible. Quand elle arrive sur la Terre, une partie (30 %) est rĂ©flĂ©chie dans l’espace par les nuages, les glaces et la neige (les calottes polaires jouent ici un rĂŽle important), une partie (20 %) est absorbĂ©e par la vapeur d’eau de l’atmosphĂšre, et le reste (50 %) est absorbĂ© Ă  la surface, par les continents et les ocĂ©ans. Mais une partie de cette Ă©nergie absorbĂ©e au sol va ĂȘtre réémise, et cette fois dans l’infrarouge. C’est lĂ  qu’interviennent les gaz Ă  effet de serre : ils interceptent une partie de ce rayonnement, et le renvoient vers la surface. Ils fonctionnent comme des radiateurs d’appoint, dont la chaleur vient s’ajouter au rayonnement solaire.
C’est ce mĂ©canisme qui assure Ă  la Terre une tempĂ©rature Ă©levĂ©e (mais pas trop) et stable. Il ne fonctionne pas sur Mars, oĂč les tempĂ©ratures sont trop basses et trop variables (60 °C entre le jour et la nuit), ni sur VĂ©nus, oĂč les tempĂ©ratures sont stables mais beaucoup trop Ă©levĂ©es. Il n’y a que chez nous que les radiateurs sont bien rĂ©glĂ©s et c’est Ă  notre atmosphĂšre que nous le devons.
Il est important de comprendre que ce n’est pas l’atmosphĂšre terrestre qui a permis la vie, mais qu’au contraire, c’est la vie qui a créé l’atmosphĂšre terrestre. Pendant la premiĂšre moitiĂ© de son existence, l’atmosphĂšre terrestre n’a pas eu d’oxygĂšne : il n’est apparu qu’il y a 2,3 milliards d’annĂ©es, comme un sous-produit de la photosynthĂšse, et il a d’ailleurs Ă©tĂ© toxique pour la plupart des organismes vivants Ă  l’époque. Il constitue aujourd’hui 21 % de l’atmosphĂšre terrestre. Le principal gaz Ă  effet de serre, le gaz carbonique CO2, est Ă©galement un sous-produit de la photosynthĂšse. Sa concentration est trĂšs faible (actuellement 400 ppm, 400 molĂ©cules de CO2 dans 1 million de molĂ©cules d’air) mais son pouvoir absorbant est disproportionnĂ©. C’est dĂ» au fait que sa molĂ©cule se compose de trois atomes, alors que les deux gaz qui constituent 98 % de l’air, l’oxygĂšne O2 et l’azote N2, n’en ont que deux. La vapeur d’eau H2O et l’ozone O3, dont la molĂ©cule a trois atomes comme le gaz carbonique, et surtout le mĂ©thane CH4, qui en a cinq, sont les autres gaz Ă  effet de serre. Ce dernier est de loin le plus dangereux (on considĂšre qu’il est trente fois plus calorifique que le gaz carbonique), mais, heureusement pour nous, il n’est prĂ©sent dans l’atmosphĂšre actuelle qu’en quantitĂ© infinitĂ©simale (de l’ordre de 2 ppm). L’effet global de tous ces autres gaz est de rajouter 10 % Ă  l’effet de serre dĂ» au CO2 seul.
Il ne faut donc pas considĂ©rer l’atmosphĂšre terrestre comme une donnĂ©e physique, au mĂȘme titre que les ocĂ©ans ou les continents. Cette mince couche protectrice, concentrĂ©e sur un milliĂšme du rayon terrestre, est produite et entretenue par la Terre, plus prĂ©cisĂ©ment par l’ensemble des espĂšces vivantes qui la peuplent, un peu comme notre corps produit et entretient une peau pour se protĂ©ger du milieu extĂ©rieur. Les cellules de l’épiderme naissent, se dĂ©veloppent et meurent, d’autres prennent leur place, mais l’épiderme lui-mĂȘme donne une illusion de permanence. En un an, chacun de nous a changĂ© de peau, et personne ne s’en doute ! De mĂȘme, chacune des molĂ©cules qui composent l’atmosphĂšre a une histoire individuelle. L’eau s’évapore, retombe en pluie, ruisselle, part dans une riviĂšre et se retrouve dans l’ocĂ©an ou dans une nappe phrĂ©atique, en attendant de s’évaporer Ă  nouveau et de reparaĂźtre dans l’atmosphĂšre sous forme de vapeur d’eau. Tous les jours les plantes retirent du carbone de l’atmosphĂšre et y injectent de l’oxygĂšne. Quand elles meurent, dans un feu de forĂȘt ou dans l’estomac d’un animal, elles se dĂ©composent, et le carbone qu’elles sĂ©questrent retourne dans l’atmosphĂšre sous forme de CO2. La Terre est une gigantesque machine Ă  recycler le carbone (et les autres composants de l’atmosphĂšre), et le rayonnement solaire est le carburant qui la fait tourner. Il est captĂ© par des organismes vivants (algues, plantes et arbres), qui s’en servent pour fabriquer des molĂ©cules organiques (c’est-Ă -dire contenant du carbone liĂ© Ă  l’hydrogĂšne) Ă  partir des Ă©lĂ©ments simples prĂ©sents dans l’air, l’eau, ou le sol. D’autres organismes vivants (bactĂ©ries, animaux) s’attaquent aux molĂ©cules complexes ainsi produites et les dĂ©composent Ă  nouveau en Ă©lĂ©ments simples. Signalons en particulier le rĂŽle des vers de terre, auxquels Darwin a consacrĂ© son dernier livre1 : il y dĂ©montre que « toute la masse de l’humus superficiel est passĂ©e Ă  travers le corps des vers de terre, et y repassera encore2 ». Bref, le sol que nous foulons et que nous cultivons tout comme l’air que nous respirons, en dĂ©pit de leur permanence apparente, ne sont que des moments d’un cycle global. Ce cycle en action depuis 2,8 milliards d’annĂ©es, et l’espĂšce Homo sapiens, apparue trĂšs rĂ©cemment (aux derniĂšres nouvelles, voici deux cent cinquante mille ans environ) en fait partie intĂ©grante.
La teneur de l’atmosphĂšre en CO2 (ou en autres gaz Ă  effet de serre) n’a donc rien de stable : c’est un indicateur pour un processus en cours. On pourrait la comparer Ă  la tempĂ©rature de l’huile d’un moteur : tant que la voiture marche bien, l’aiguille reste immobile, confortablement installĂ©e dans la zone verte, mais dĂšs qu’elle commence Ă  bouger, et Ă  se dĂ©placer lentement vers la zone rouge, il faut s’inquiĂ©ter. De fait cette teneur a beaucoup variĂ© au cours des temps gĂ©ologiques : on estime qu’elle Ă©tait de plusieurs milliers de ppm il y a cinq cents millions d’annĂ©es, avant de tomber Ă  180 ppm voici deux millions d’annĂ©es. C’est qu’à l’échelle des temps gĂ©ologiques, le cycle du carbone est diffĂ©rent : il faut tenir compte du volcanisme, par exemple, qui rejette du carbone dans l’atmosphĂšre, et de la sĂ©dimentation, qui en sĂ©questre sous forme de roches calcaires. À l’échelle historique, par contre, ces phĂ©nomĂšnes ne jouent pas : dans les quatre cent mille derniĂšres annĂ©es, par exemple, la teneur en CO2 de l’atmosphĂšre terrestre a Ă©tĂ© remarquablement stable, oscillant entre 180 ppm pendant les pĂ©riodes glaciaires et 280 ppm pendant les pĂ©riodes intermĂ©diaires. À l’aube de la rĂ©volution industrielle, voici deux siĂšcles, elle est encore de 280 ppm. Aujourd’hui elle est de 400 ppm, c’est-Ă -dire qu’elle a plus variĂ© en deux siĂšcles qu’en quatre cents millĂ©naires. Un vrai dĂ©rapage.
Il n’y a pas Ă  s’en Ă©tonner : durant ce court laps de temps (Ă  l’échelle des temps gĂ©ologiques), l’humanitĂ© a injectĂ© directement dans l’atmosphĂšre des quantitĂ©s Ă©normes de carbone en brĂ»lant du combustible. Cela a d’abord Ă©tĂ© le bois, que l’on a brĂ»lĂ© pour se chauffer, pour cuire ou tout simplement pour dĂ©fricher les forĂȘts afin de les transformer en champs et en prĂ©s. Ensuite on a dĂ©couvert les combustibles fossiles, charbon, pĂ©trole et gaz, qui ont permis le dĂ©veloppement de l’industrie. Les chiffres sont Ă©loquents. Entre 1751 et 2011, l’humanitĂ© a injectĂ© 375 gigatonnes3 de carbone dans l’atmosphĂšre en brĂ»lant des combustibles fossiles et en produisant du ciment, et 180 gigatonnes supplĂ©mentaires en dĂ©boisant. Sur ces 555 gigatonnes introduites en deux siĂšcles et demi, 240, soit prĂšs de la moitiĂ©, y sont encore aujourd’hui : le carbone s’accumule au lieu de se dissiper. À titre de comparaison, on estime que la quantitĂ© totale de carbone capturĂ©e par la vĂ©gĂ©tation terrestre est de l’ordre de 800 gigatonnes ! Et le processus, loin de ralentir, s’accĂ©lĂšre. Pendant la derniĂšre dĂ©cennie, la moyenne des Ă©missions Ă©tait de 8,3 gigatonnes par an, avec un taux de croissance de 3,2 % par an, alors que dans les annĂ©es 1900 elle n’était que de 1 % par an. Une grande partie de ces Ă©missions reste dans l’atmosphĂšre dont la teneur en CO2 augmentait de 0,5 ppm par an entre 1930 et 1950, de 1 ppm par an entre 1950 et 1970, et de plus de 2 ppm par an aujourd’hui.
On estime qu’à l’heure actuelle, l’humanitĂ© ajoute environ 3 % aux Ă©missions naturelles de carbone. Est-ce important ? Est-ce suffisant pour perturber le cycle ? Le problĂšme, c’est que visiblement les mĂ©canismes naturels de capture du carbone par les ocĂ©ans et par le sol ne suivent pas : on estime que seule la moitiĂ© du carbone supplĂ©mentaire Ă©mis est retirĂ© de l’atmosphĂšre par des moyens naturels. Le reste s’accumule, annĂ©e aprĂšs annĂ©e. C’est ce que montrent les chiffres prĂ©cĂ©dents, extraits du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), paru en 2014, et les enregistrements menĂ©s depuis 1958 au sommet du Mauna Loa, un volcan de Hawaii, au milieu du Pacifique, Ă  3 400 mĂštres d’altitude. On y voit la teneur de l’air en CO2 augmenter inexorablement, passant de 315 ppm en 1958 Ă  400 en 2014. On observe de petites fluctuations saisonniĂšres, mais la croissance est parfaitement rĂ©guliĂšre, et l’on discerne mĂȘme une accĂ©lĂ©ration : elle augmente de plus en plus vite. ParallĂšlement, est-il besoin de le dire, les tempĂ©ratures moyennes augmentent partout dans le monde. Les trois derniĂšres dĂ©cennies ont Ă©tĂ© les plus chaudes jamais enregistrĂ©es, chacune surpassant la prĂ©cĂ©dente, et quatorze des quinze annĂ©es Ă©coulĂ©es depuis le dĂ©but du siĂšcle ont battu le mĂȘme record ! Les Ă©tĂ©s caniculaires deviennent la norme. Outre le rĂ©chauffement, tout ce carbone supplĂ©mentaire laisse une signature tout aussi pernicieuse, l’acidification des ocĂ©ans. Ceux-ci fonctionnent comme un puits de carbone, mais une partie du CO2 qu’ils absorbent se transforme en acide carbonique, H2CO3, qui attaque et dissout le calcaire. Tous les organismes marins qui l’utilisent pour se construire des carapaces ou des coquilles, comme les crustacĂ©s ou les mollusques, ou des habitats, comme les coraux, en sont les victimes. Les eaux de mer et de ruissellement sont aujourd’hui 30 % plus acides qu’à l’aube de l’ùre industrielle.
Que va-t-il se passer si cela continue ? Si on extrapole cette courbe, purement et simplement, on trouve une teneur en CO2 de l’ordre de 450 Ă  470 ppm vers 2050, et de 520 Ă  560 ppm Ă  la fin du siĂšcle. Quelle serait alors la tempĂ©rature au sol ? Voici plus d’un siĂšcle, le chimiste suĂ©dois Svante Arrhenius (1859-1927) s’était dĂ©jĂ  posĂ© la question. À cette Ă©poque, la teneur de l’air en CO2 Ă©tait de l’ordre de 280 ppm. En se basant sur ce qu’on savait dĂ©jĂ  de l’effet de serre, Arrhenius avait calculĂ© qu’un doublement de celle-ci conduirait une Ă©lĂ©vation des tempĂ©ratures moyennes de l’ordre de 5 °C. Les calculs qu’il avait faits Ă  la main ont Ă©tĂ© faits et refaits depuis avec des ordinateurs de plus en plus puissants, s’appuyant sur des modĂšles de plus en plus sophistiquĂ©s (tenant compte, par exemple, de l’impact des autres gaz Ă  effet de serre), et on est aujourd’hui un peu moins pessimiste : aux derniĂšres nouvelles, il est plus probable que passer de 280 Ă  560 ppm augmenterait la tempĂ©rature moyenne au sol de 3 °C. L’ordre de grandeur n’a pas changĂ©, ce qui signifie que le phĂ©nomĂšne physique est bien compris. Notons que cela dĂ©passe dĂ©jĂ  le seuil des 2 °C qui a Ă©tĂ© officiellement fixĂ© depuis l’accord de CancĂșn en 2010 comme limite Ă  ne pas dĂ©passer. Malheureusement, ce scĂ©nario est bien trop optimiste. Dans un rapport rĂ©cent (2014) au titre Ă©vocateur4, la Banque mondiale annonce que si les tendances actuelles Ă  l’augmentation des Ă©missions se poursuivent, on va vers une augmentation des tempĂ©ratures moyennes qui se situe dans une fourchette de 3,5 Ă  6 °C Ă  la fin du siĂšcle, la valeur la plus probable Ă©tant 5 °C. En outre, en raison de l’inertie du systĂšme climatique, et des quantitĂ©s de gaz Ă  effet de serre dĂ©jĂ  prĂ©sentes dans l’atmosphĂšre, quelles que soient les mesures prises d’ici Ă  2100, le rĂ©chauffement ne sera pas infĂ©rieur Ă  1,5 °C.
Quelles en seront les consĂ©quences ? Pour fixer les idĂ©es, et donner un ordre de grandeur des transformations en cours, notons qu’entre le climat actuel et celui qui rĂ©gnait lors de la derniĂšre pĂ©riode glaciaire, lorsque le nord de l’Europe et les Ăźles Britanniques Ă©taient sous les glaces et que le niveau des mers Ă©tait 120 mĂštres plus bas qu’aujourd’hui, la diffĂ©rence n’est que de 5 °C. Il ne s’agit que de valeurs moyennes : elles recouvrent de grandes variabilitĂ©s, dans le temps (suivant les saisons) et dans l’espace (suivant les rĂ©gions). Quand on allume le feu sous une casserole, elle ne se rĂ©chauffe pas rĂ©guliĂšrement et uniformĂ©ment : on voit l’eau commencer Ă  frĂ©mir, des tourbillons Ă©clore Ă  la surface, le liquide s’agiter de maniĂšre de plus en plus violente et dĂ©sordonnĂ©e. À l’échelle des temps gĂ©ologiques, rĂ©chauffer l’atmosphĂšre de quelques degrĂ©s en un siĂšcle revient Ă  allumer le feu sous la casserole, et la variabilitĂ© augmente rapidement avec la tempĂ©rature. La mĂ©tĂ©o deviendra de plus en plus instable, avec des extrĂȘmes de plus en plus marquĂ©s, des vagues de froid succĂ©dant aux canicules, qui deviendront plus frĂ©quentes et plus longues. Certains mĂ©canismes rĂ©gulateurs, comme le Gulf Stream, qui rĂ©chauffe l’Europe avec l’eau des Antilles, risquent de se dĂ©rĂ©gler, ce qui rend les prĂ©visions difficiles, mais il est d’ores et dĂ©jĂ  acquis que l’Arctique se rĂ©chauffera davantage que le reste de la planĂšte. La banquise disparaĂźtra en Ă©tĂ© dĂšs le milieu du siĂšcle. De mĂȘme, les glaciers de montagne vont reculer (ils le font dĂ©jĂ ) et les immenses Ă©tendues du Grand Nord, au Canada et en SibĂ©rie, dĂ©gĂšleront en profondeur, libĂ©rant le mĂ©thane qu’elles sĂ©questrent depuis des millĂ©naires. On enclenchera ainsi des mĂ©canismes multiplicateurs, qui vont accĂ©lĂ©rer le rĂ©chauffement : les calottes glaciaires ne seront plus lĂ  pour rĂ©flĂ©chir le rayonnement solaire, et le mĂ©thane viendra prĂȘter main-forte au CO2 pour le retenir. Avec les tempĂ©ratures, c’est le rĂ©gime des prĂ©cipitations qui va changer, et dans le mauvais sens : plus abondantes sur les rĂ©gions de l’équateur et aux pĂŽles, elles vont se rarĂ©fier sur la rĂ©gion sĂšche intermĂ©diaire. Tout cela s’accompagnera bien entendu d’une Ă©lĂ©vation du niveau des mers, entre 40 centimĂštres et 1 mĂštre, qui modifiera la topographie en menaçant les cĂŽtes basses, les deltas comme les Pays-Bas, le Bangladesh ou la Floride, les Ăźles coralliennes du Pacifique, ou tout simplement les plages europĂ©ennes ou amĂ©ricaines. LĂ  encore, il ne s’agit pas d’une Ă©lĂ©vation continue et rĂ©guliĂšre du niveau de l’eau, mais d’une accentuation des extrĂȘmes : les hautes mers seront plus hautes, les prĂ©cipitations plus torrentielles, et pour peu que les deux arrivent ensemble, qu’un cyclone par exemple frappe la cĂŽte un jour de grande marĂ©e, on imagine la dĂ©vastation.
Les rapports du GIEC et de la Banque mondiale font des prĂ©visions dĂ©taillĂ©es, rĂ©gion par rĂ©gion, et sous diffĂ©rentes hypothĂšses de rĂ©chauffement, 2 °C et 4 °C. Ils ont des rĂ©sumĂ©s en français fort bien faits, des prĂ©sentations qui ne le sont pas moins, et ceux qui veulent se rendre compte de l’ampleur de la menace peuvent les consulter. Donnons juste quelques ordres de grandeur. Avec un rĂ©chauffement de 2 °C on aura des Ă©tĂ©s caniculaires, mais si on passe Ă  4 °C, on observera des tempĂ©ratures sans prĂ©cĂ©dent (au sens oĂč, historiquement, elles n’ont jamais Ă©tĂ© observĂ©es) sur plus de la moitiĂ© des terres Ă©mergĂ©es. La SibĂ©rie, l’ouest des États-Unis, le pourtour de la MĂ©diterranĂ©e et l’Afrique occidentale sont des « points chauds », oĂč les tempĂ©ratures estivales moyennes augmenteront de 10 °C si le rĂ©chauffement global est de 4 °C. Toujours autour de la MĂ©diterranĂ©e, les prĂ©cipitations diminueront de 20 Ă  40 % si le rĂ©chauffement est limitĂ© Ă  2 °C, mais de 60 % s’il atteint 4 °C, et la production agricole sera diminuĂ©e en proportion, avec toutes les consĂ©quences humaines que l’on peut imaginer pour ces rĂ©gions, oĂč la croissance dĂ©mographique est Ă©levĂ©e. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, de par le monde, et quel que soit le scĂ©nario, les rĂ©gions humides seront davantage arrosĂ©es, et les rĂ©gions sĂšches deviendront plus arides encore.
Point n’est besoin d’ailleurs de consulter des rapports : cela se passe en ce moment sous nos yeux. Qui ne se souvient des inondations catastrophiques du Bangladesh en 1998, ou du cyclone Katrina, qui a dĂ©truit La Nouvelle-OrlĂ©ans en 2005, faisant la dĂ©monstration que le pays le plus puissant du monde n’est plus Ă  l’abri des alĂ©as climatiques. À l’heure oĂč j’écris, la Californie en est Ă  sa quatriĂšme annĂ©e consĂ©cutive de sĂ©cheresse, et le gouvernement prend des mesures sans prĂ©cĂ©dent pour Ă©conomiser le peu d’eau qui reste. De l’autre cĂŽtĂ© du globe, en Russie ou en Australie, ce sont les feux de forĂȘt qui inquiĂštent. En Russie, en 2010 et 2012, les tempĂ©ratures estivales Ă©taient de 7 °C plus Ă©levĂ©es que les moyennes saisonniĂšres, le ciel de Moscou Ă©tait illuminĂ© par la lueur des incendies, et sur l’ensemble du territoire les morts dus Ă  la pollution et Ă  la canicule se comptaient par dizaines de milliers. En ce moment mĂȘme, Ă  l’étĂ© 2015, d’immenses feux ravagent le bush australien et la taĂŻga sibĂ©rienne, contraignant Ă  l’évacuation des agglomĂ©rations trop exposĂ©es. Tout cela s’accompagne bien entendu d’une rĂ©duction drastique de la production agricole : en 2010 et 2012, la rĂ©colte de blĂ© en Russie a Ă©tĂ© infĂ©rieure d’un tiers Ă  la moyenne, et les exportations ont Ă©tĂ© interdites.
Nous sommes comme la grenouille, plongĂ©e dans le bain, qui perçoit les premiers frĂ©missements de l’eau : elle ne s’inquiĂšte p...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. INTRODUCTION - Une fable
  5. CHAPITRE 1 - ArrĂȘtez le chauffage !
  6. CHAPITRE 2 - L’homme monodimensionnel
  7. CHAPITRE 3 - Le marché nous sauvera
  8. CHAPITRE 4 - Les paradoxes de l’action collective
  9. CONCLUSION - Le XXIe siÚcle
  10. Pour en savoir plus
  11. Remerciements
  12. Table