L' Autre moi-mĂȘme
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L' Autre moi-mĂȘme

Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des Ă©motions

Antonio R. Damasio

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Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des Ă©motions

Antonio R. Damasio

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À propos de ce livre

« Mon Ăąme est un orchestre cachĂ©, Ă©crivait le poĂšte Fernando Pessoa. Je ne me connais que comme symphonie. » D'oĂč vient donc cette musique si particuliĂšre qui se joue en nous et nous accompagne Ă  chaque moment? D'oĂč vient que nous soyons des ĂȘtres conscients, Ă©prouvant toujours, dĂšs que nous ouvrons les yeux et quoi que nous fassions, le sentiment inĂ©branlable d'ĂȘtre toujours les mĂȘmes? Et quels sont, au trĂ©fonds de nos cellules, les mĂ©canismes qui permettent l'Ă©mergence de ce qu'il y a de plus humain en nous, nos sentiments, nos pensĂ©es, nos crĂ©ations?Antonio Damasio, l'un des spĂ©cialistes des neurosciences les plus importants et les plus originaux, lĂšve ici le voile sur la fabrique de la conscience. Au sein du cerveau, bien sĂ»r, et qui plus est dans ses parties les plus profondes, si intimement liĂ©es au corps et Ă  la rĂ©gulation de la vie biologique. Non, la conscience et le soi ne sont pas une « chose », une « substance », une « entitĂ© » en nous, comme on l'a longtemps postulĂ©. Bien au contraire, ils forment un ensemble dynamique de processus nĂ©s petit Ă  petit au fil de l'Ă©volution biologique. Pour autant, les « naturaliser » ainsi, est-ce rabaisser l'homme? SĂ»rement pas, pour Antonio Damasio, tant on peut s'Ă©merveiller de la mĂ©canique rendant possible la symphonie dont, Ă  chaque instant de notre vie, nous sommes le chef d'orchestre. Une approche trĂšs originale, qui renouvelle en profondeur la science de la conscience. Antonio Damasio est professeur de neurosciences, de neurologie et de psychologie. Il dirige l'Institut du cerveau et de la crĂ©ativitĂ© Ă  l'UniversitĂ© de Californie du Sud et est professeur adjoint au Salk Institute de La Jolla. Ses ouvrages ont Ă©tĂ© traduits dans une trentaine de langues; il est notamment l'auteur de L'Erreur de Descartes et de Spinoza avait raison, qui ont connu un immense succĂšs.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2010
ISBN
9782738198464
TroisiĂšme partie
Être conscient
Chapitre 7
La conscience observée
Comment définir la conscience ?
Si vous ouvrez un dictionnaire classique en quĂȘte d’une dĂ©finition de la conscience, vous aurez des chances de trouver une variante de ceci : « La conscience (consciousness) est l’état d’ĂȘtre au fait (awareness) de nous-mĂȘmes et de ce qui nous entoure. » Remplacez « ĂȘtre au fait » (awareness) par « connaissance » et « nous-mĂȘmes » par « notre existence », et vous obtiendrez un Ă©noncĂ© qui rĂ©sume certains aspects essentiels de la conscience : c’est un Ă©tat de l’esprit dans lequel intervient une connaissance de notre existence et de celle de ce qui nous entoure. La conscience est un Ă©tat de l’esprit – donc, s’il n’y a pas d’esprit, il n’y a pas non plus de conscience. C’est un Ă©tat particulier de l’esprit, enrichi par le sentiment (sense) de l’organisme en particulier dans lequel l’esprit est Ă  l’Ɠuvre. Cet Ă©tat de l’esprit comprend Ă©galement une connaissance du fait que ladite existence est situĂ©e, que des objets et des Ă©vĂ©nements l’entourent. La conscience est un Ă©tat de l’esprit auquel s’ajoute un processus du soi.
L’état conscient de l’esprit est vĂ©cu exclusivement Ă  la premiĂšre personne pour chacun de nos organismes ; il n’est jamais observable par quelqu’un d’autre. Cette expĂ©rience appartient en propre Ă  chacun de nos organismes et non Ă  d’autres. Mais le fait qu’elle soit exclusivement privĂ©e n’implique pas que nous ne puissions adopter un point de vue relativement « objectif » sur elle. Par exemple, c’est celui que je prends quand je tente de discerner les bases neurales du soi-objet, du moi matĂ©riel. Un moi matĂ©riel riche peut aussi procurer des connaissances Ă  l’esprit. En d’autres termes, le soi-objet peut aussi ĂȘtre en position de propriĂ©taire.
Nous pouvons Ă©tendre la dĂ©finition prĂ©sentĂ©e ci-dessus en disant que les Ă©tats conscients de l’esprit ont toujours un contenu (ils portent sur quelque chose) et que certains d’entre eux tendent Ă  ĂȘtre perçus comme des collections intĂ©grĂ©es de parties (ce qui est le cas, par exemple, quand nous voyons et entendons Ă  la fois une personne nous parler et s’approcher de nous) ; en disant que les Ă©tats conscients de l’esprit ont des propriĂ©tĂ©s qualitatives distinctes qui sont relatives aux diffĂ©rents contenus qu’on connaĂźt (il est qualitativement diffĂ©rent de voir ou d’écouter, de toucher ou de goĂ»ter) ; et en disant que les Ă©tats conscients de l’esprit contiennent obligatoirement un aspect liĂ© au sentiment : on les sent. Enfin, notre dĂ©finition provisoire doit prĂ©ciser que les Ă©tats conscients de l’esprit ne sont possibles que lorsque nous sommes Ă©veillĂ©s, mĂȘme si une exception partielle Ă  cette dĂ©finition vaut pour la forme paradoxale de conscience qui apparaĂźt quand nous dormons : Ă  savoir dans le rĂȘve. En conclusion, sous sa forme classique, la conscience est un Ă©tat de l’esprit qui survient lorsque nous sommes Ă©veillĂ©s et dans lequel se manifeste une connaissance privĂ©e et personnelle de notre existence, situĂ©e relativement Ă  ce qui l’entoure et Ă  un moment donnĂ©. NĂ©cessairement, les Ă©tats conscients de l’esprit manipulent des connaissances fondĂ©es sur diffĂ©rents matĂ©riaux sensoriels – corporels, visuels, auditifs, etc. – et manifestent des propriĂ©tĂ©s qualitatives diverses pour les diffĂ©rentes voies sensorielles. Les Ă©tats conscients de l’esprit sont sentis.
Quand je parle de la conscience, je ne me rĂ©fĂšre pas seulement Ă  la veille, confusion courante qui vient du fait qu’en son absence, il n’y a plus de conscience (j’aborderai ce point plus loin). La dĂ©finition prĂ©cise aussi que le terme conscience ne se rĂ©fĂšre pas Ă  un simple processus mental, sans soi. Malheureusement, confondre conscience et simple processus mental est une autre confusion courante. On se rĂ©fĂšre souvent Ă  « quelque chose qu’on a sur la conscience » pour dire qu’on a quelque chose « Ă  l’esprit » ou que quelque chose domine les contenus mentaux, par exemple que « la question du rĂ©chauffement global a fini par pĂ©nĂ©trer la conscience des nations occidentales ». Un nombre significatif de recherches en la matiĂšre traite la conscience comme l’esprit. Conscience (consciousness), tel que j’utilise ce terme dans ce livre, ne veut pas dire « conscience de soi » (self-consciousness), comme dans « Jean a pris de plus en plus conscience de lui-mĂȘme Ă  mesure qu’il rĂ©flĂ©chissait sur lui », non plus que « conscience morale » (conscience), en tant que fonction complexe qui exige une conscience mais va bien au-delĂ  et implique la responsabilitĂ© morale. Enfin, la dĂ©finition ne renvoie pas Ă  la conscience au sens ordinaire qu’elle prend dans l’expression de James « courant de conscience ». Cette formule est souvent censĂ©e dĂ©signer les simples contenus de l’esprit qui dĂ©filent dans le temps, comme l’eau dans le lit d’une riviĂšre, plutĂŽt que le fait que ces contenus incorporent des aspects subtils ou non de la subjectivitĂ©. Les rĂ©fĂ©rences Ă  la conscience dans le contexte des monologues de Shakespeare ou de Joyce utilisent souvent cette vision plus simple. Il est Ă©vident cependant que les auteurs originaux exploraient ce phĂ©nomĂšne dans son sens plein, dans la perspective du soi d’un personnage, au point que Harold Bloom a suggĂ©rĂ© que c’était Shakespeare qui avait introduit le phĂ©nomĂšne de la conscience en littĂ©rature. (Cependant, James Wood a soutenu de façon tout aussi plausible qu’elle a pĂ©nĂ©trĂ© la littĂ©rature par le monologue, mais bien plus tĂŽt, dans la priĂšre, par exemple, et dans la tragĂ©die grecque90.)
La conscience isolée
Conscience et veille ne sont pas la mĂȘme chose. Pour ĂȘtre conscient, il faut d’abord ĂȘtre Ă©veillĂ©. Qu’on s’endorme naturellement ou bien qu’on y soit forcĂ© sous l’effet d’une anesthĂ©sie, la conscience disparaĂźt sous sa forme normale, Ă  la seule exception partielle de l’état conscient particulier qui accompagne les rĂȘves et qui ne contredit nullement cette condition nĂ©cessaire de la veille, car la conscience du rĂȘve n’est pas une conscience normale.
Nous avons tendance Ă  voir dans la veille un phĂ©nomĂšne binaire : zĂ©ro pour le sommeil, un pour l’état de veille. C’est juste dans une certaine mesure, mais cette approche tranchĂ©e cache des gradations que nous connaissons tous bien. Le fait d’avoir sommeil et de somnoler rĂ©duit certainement la conscience, mais ne l’annule pas abruptement. Le fait d’éteindre la lumiĂšre n’est pas une bonne analogie ; baisser trĂšs lentement un variateur serait plus proche du compte.
Que nous rĂ©vĂšlent les lumiĂšres quand on les allume, soudain ou graduellement ? Le plus souvent, elles nous dĂ©voilent quelque chose que nous dĂ©crivons couramment comme un « esprit » ou des « contenus mentaux ». Et de quoi cet esprit est-il fait ? De structures cartographiĂ©es dans l’idiome de tous les sens possibles – visuel, auditif, tactile, musculaire, viscĂ©ral –, selon des merveilles de nuances, de tons, de variations et de combinaisons, qui s’écoulent en ordre ou de façon embrouillĂ©e, bref d’images. J’ai prĂ©sentĂ© plus haut ma vision de l’origine des images (chapitre 3) et il suffit ici de nous rappeler qu’elles sont la monnaie de base de notre esprit et que ce terme se rĂ©fĂšre Ă  des structures relevant de toutes les modalitĂ©s sensorielles, pas seulement visuelles, ainsi qu’à des structures abstraites aussi bien que concrĂštes.
Le simple acte physiologique d’allumer la lumiĂšre – de rĂ©veiller quelqu’un de sa sieste – se traduit-il nĂ©cessairement par un Ă©tat de conscience ? Ce n’est pas le cas. Pas besoin d’aller trĂšs loin pour en trouver la preuve. Tout le monde s’est dĂ©jĂ  rĂ©veillĂ© Ă©puisĂ© et dĂ©calĂ©, au-delĂ  des mers et dans un pays lointain. Il faut alors deux ou trois secondes, pour comprendre exactement oĂč on se trouve. Pendant ce court intervalle, l’esprit est bien lĂ , mais pas encore organisĂ© avec toutes les propriĂ©tĂ©s de la conscience. Et cela semble long, mĂȘme si cela ne dure guĂšre. Quand on perd conscience aprĂšs avoir reçu un coup Ă  la tĂȘte, il s’écoule aussi un dĂ©lai dieu merci bref, mais tout de mĂȘme mesurable, avant qu’on ne « revienne Ă  soi ». C’est en fait un raccourci pour dire « revenir Ă  la conscience », retrouver un esprit orientĂ© sur soi. L’expression n’est pas trĂšs Ă©lĂ©gante, mais elle rend justice Ă  la sagesse populaire. Dans le jargon neurologique, reprendre conscience aprĂšs un traumatisme crĂąnien peut prendre un bon moment, pendant lequel la victime n’est pas pleinement orientĂ©e, relativement Ă  l’espace, au temps et Ă  sa personne.
Ce qui se passe dans ces situations nous montre que les fonctions mentales complexes ne sont pas monolithiques et ne peuvent se morceler. Oui, la lumiĂšre est allumĂ©e et vous ĂȘtes rĂ©veillĂ© (un point pour la conscience). Oui, l’esprit est lĂ , des images se forment de ce qui se trouve devant vous, et des images revenant du passĂ© s’intercalent entre elles (un demi-point pour la conscience). Mais non, rien ou presque n’indique qui est le propriĂ©taire de cet esprit chancelant ; il n’y a pas de soi pour le revendiquer (pas de point pour la conscience). Au total, la conscience n’a pas gagnĂ©. Morale de l’histoire : pour qu’elle l’emporte, il est indispensable 1) d’ĂȘtre Ă©veillĂ©, 2) d’avoir un esprit qui fonctionne et 3) d’avoir dans cet esprit un sentiment automatique, spontanĂ© et immĂ©diat de soi, en tant que protagoniste de l’expĂ©rience qu’on vit, quelle que soit la subtilitĂ© de ce sentiment de soi-mĂȘme. Étant donnĂ© la prĂ©sence de la veille et de l’esprit – tous deux nĂ©cessaires pour ĂȘtre conscient –, on pourrait dire, non sans lyrisme, que le trait distinctif de la conscience, c’est la pensĂ©e de soi-mĂȘme. Sauf que, pour ĂȘtre plus prĂ©cis, il faudrait dire « la pensĂ©e sentie de soi-mĂȘme ».
Le fait que veille et conscience ne soient pas la mĂȘme chose est Ă©vident lorsqu’on considĂšre une maladie neurologique qu’on appelle Ă©tat vĂ©gĂ©tatif. Les patients ne montrent aucun signe de conscience. Comme dans la situation plus grave du coma, Ă  laquelle il ressemble, les patients vĂ©gĂ©tatifs ne parviennent Ă  rĂ©pondre Ă  aucun message de la part de ceux qui les examinent et ne manifestent aucun signe spontanĂ© de conscience d’eux-mĂȘmes ni de ce qui les entoure. Pourtant, leur Ă©lectroencĂ©phalogramme ou EEG (structures d’ondes Ă©lectriques produites continuellement par un cerveau vivant) rĂ©vĂšle une alternance de structures caractĂ©ristiques du sommeil ou de la veille. Quand, Ă  l’EEG, ils ont une structure de veille, les patients ont souvent les yeux ouverts, mĂȘme s’ils regardent dans le vide, sans diriger leur regard vers un objet en particulier. On ne note aucune structure Ă©lectrique chez ceux qui sont dans le coma, situation dans laquelle tous les phĂ©nomĂšnes associĂ©s Ă  la conscience (veille, esprit et soi) semblent absents91.
Cette troublante maladie qu’est l’état vĂ©gĂ©tatif fournit aussi des informations de valeur sur un autre aspect des distinctions auxquelles je suis en train de procĂ©der. Dans une Ă©tude qui a beaucoup attirĂ© l’attention, Ă  juste titre, Adrian Owen a rĂ©ussi Ă  dĂ©terminer, grĂące Ă  l’IRMf, que le cerveau d’une femme en Ă©tat vĂ©gĂ©tatif avait des structures d’activitĂ© congruentes avec les questions que celui qui l’examinait lui posait et avec les requĂȘtes qu’il lui adressait. Inutile de prĂ©ciser qu’outre le diagnostic formel d’état vĂ©gĂ©tatif, la patiente avait Ă©tĂ© diagnostiquĂ©e inconsciente. Elle ne rĂ©pondait pas aux questions ou aux directions proposĂ©es, et elle ne manifestait pas spontanĂ©ment de signe d’activitĂ© mentale. Et pourtant, l’étude Ă  l’IRMf montrait que les rĂ©gions auditives de ses cortex cĂ©rĂ©braux devenaient actives lorsqu’on lui posait des questions. Leur structure d’activation ressemblait Ă  ce qu’on peut voir chez un sujet conscient normal rĂ©pondant Ă  une question comparable. Plus impressionnant encore Ă©tait le fait que, lorsqu’on demandait Ă  la patiente d’imaginer qu’elle visitait sa maison, les cortex cĂ©rĂ©braux de la rĂ©gion pariĂ©tale droite de son cerveau manifestaient une structure d’activitĂ© du type de ce qu’on peut trouver chez des sujets conscients normaux effectuant la mĂȘme tĂąche. Si elle n’a pas fait preuve de la mĂȘme structure, en d’autres occasions, un petit nombre d’autres patients ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s depuis, et on a observĂ© une structure comparable, quoique pas Ă  tous les coups92. L’un de ces patients, en particulier, Ă©tait capable de susciter des rĂ©ponses associĂ©es au « oui » ou au « non » aprĂšs un entraĂźnement rĂ©pĂ©tĂ©93.
Cette Ă©tude indique que, mĂȘme en l’absence complĂšte de signes comportementaux de conscience, on en trouve du type d’activitĂ© cĂ©rĂ©brale couramment corrĂ©lĂ©e avec les processus mentaux. En d’autres termes, l’observation directe du cerveau fournit des donnĂ©es compatibles avec une certaine prĂ©servation de la veille et de l’esprit, alors que les observations comportementales ne rĂ©vĂšlent pas que la conscience, au sens dĂ©crit plus haut, accompagne de telles observations. Ces importants rĂ©sultats peuvent s’interprĂ©ter avec parcimonie dans le contexte des nombreuses preuves selon lesquelles les processus mentaux opĂšrent de façon non consciente (comme on le montre au chapitre 11 et dans celui-ci). Ces dĂ©couvertes sont certainement compatibles avec la prĂ©sence d’un processus mental et mĂȘme d’un processus minimal du soi. Quelle que soit leur importance, scientifiquement et en termes de soins mĂ©dicaux, je ne considĂšre pas toutefois qu’elles prouvent une communication consciente et qu’elles justifient d’abandonner la dĂ©finition de la conscience prĂ©sentĂ©e plus haut.
Plus de soi, mais toujours un esprit
Les preuves peut-ĂȘtre les plus convaincantes en faveur de la dissociation entre la veille et l’esprit, d’un cĂŽtĂ©, et le soi, de l’autre, viennent d’une autre affection neurologique, la paralysie Ă©pileptique, qui peut faire suite Ă  certaines crises d’épilepsie. Dans ce cas, le comportement du patient est interrompu soudainement pendant un bref laps de temps durant lequel l’action se fige complĂštement. Vient ensuite une pĂ©riode, en gĂ©nĂ©ral tout aussi brĂšve, pendant laquelle il reprend un comportement actif, mais ne donne pas de signe d’un Ă©tat de conscience normal. Il peut se dĂ©placer en silence, mais ses actions, comme de dire au revoir ou de quitter une piĂšce, semblent dĂ©pourvues de but. Elles peuvent cependant recĂ©ler un « mini-objectif », comme de prendre un verre d’eau et de le boire, mais il ne paraĂźt pas s’intĂ©grer Ă  un contexte plus vaste. Aucune tentative n’est effectuĂ©e pour communiquer avec l’observateur et aucune rĂ©ponse n’est donnĂ©e Ă  celles de ce dernier.
Si vous vous rendez dans le bureau d’un mĂ©decin, votre comportement s’inscrit dans un contexte gĂ©nĂ©ral qui a Ă  voir avec les buts spĂ©cifiques de cette visite, le plan global que vous avez pour la journĂ©e, le lieu de cette visite, ainsi que les intentions et les plans plus larges que vous nourrissez dans votre vie, Ă  diverses Ă©chelles de temps, relativement auxquels votre visite peut avoir ou non une signification. Tout ce que vous faites durant cette « scĂšne » dans le bureau est informĂ© par ces multiples niveaux de connaissance, mĂȘme s’il n’est pas indispensable que vous ayez en tĂȘte tous ces contenus explicites pour vous comporter de façon cohĂ©rente. De mĂȘme pour le mĂ©decin, eu Ă©gard Ă  son rĂŽle dans la scĂšne. En Ă©tat de conscience attĂ©nuĂ©e, tout cet arriĂšre-fond qui vous influence normalement se trouve rĂ©duit Ă  presque rien. Le comportement est dĂ©sormais contrĂŽlĂ© par des signaux immĂ©diats, qui ne sont pas insĂ©rĂ©s dans le contexte plus large. Par exemple, prendre un verre et le boire a du sens si vous avez soif, mais il n’est pas nĂ©cessaire que cette action soit liĂ©e au contexte plus gĂ©nĂ©ral.
Je me rappelle le tout premier patient dans cet Ă©tat que j’ai pu observer parce que son comportement Ă©tait nouveau, inattendu et gĂȘnant pour moi. Au milieu de notre conversation, il a cessĂ© de parler et a suspendu tout mouvement. Son visage a perdu son expression et ses yeux se sont mis Ă  regarder Ă  travers moi le mur derriĂšre. Il est restĂ© immobile pendant plusieurs secondes. Il n’est pas tombĂ© de sa chaise, ne s’est pas endormi, n’a pas Ă©tĂ© pris de convulsions ni de tics. Quand j’ai prononcĂ© son nom, il n’a pas rĂ©pondu. Quand il a recommencĂ© Ă  bouger, un petit peu, ses lĂšvres se sont dĂ©collĂ©es. Son regard a glissĂ© pour se concentrer momentanĂ©ment sur une tasse de cafĂ© qui se trouvait posĂ©e sur la table, entre nous. Elle Ă©tait vide, mais il l’a tout de mĂȘme attrapĂ©e et a tentĂ© de la boire. Je me suis adressĂ© Ă  lui, encore et encore, mais il n’a pas rĂ©pondu. Je lui ai demandĂ© ce qui se passait : pas de rĂ©ponse. Son visage Ă©tait toujours inexpressif et il ne me regardait pas. Je l’ai appelĂ© par son nom : pas de rĂ©ponse non plus. Finalement, il s’est dressĂ© sur ses pieds, s’est tournĂ© et s’est mis Ă  lentement marcher vers la porte. Quand je l’ai appelĂ©, il s’est arrĂȘtĂ© et m’a regardĂ©, d’un air perplexe. Je l’ai appelĂ© Ă  nouveau et, cette fois, il a dit : « Quoi ? »
Ce patient avait souffert d’une absence (l’un des divers types de crises d’épilepsie), suivie d’une pĂ©riode de paralysie. Il Ă©tait lĂ  et pas lĂ , Ă©veillĂ© et en action, en partie attentif, prĂ©sent par le corps, mais ce n’était plus une personne. Des annĂ©es plus tard, j’ai Ă©crit qu’il Ă©tait « absent mais toujours lĂ  », et cette description est toujours valable94.
Cet homme Ă©tait sans nul doute Ă©veillĂ© au sens plein du terme. Ses yeux Ă©taient ouverts et son tonus musculaire lui permettait de se dĂ©placer. Il pouvait assurĂ©ment reproduire des actions, mais sans qu’elles possĂšdent un plan organisĂ©. Il n’y avait pas d’objectif global, pas de prise en compte des conditions propres Ă  la situation, pas de pertinence. Ses actes n’étaient cohĂ©rents qu’à un niveau minimal. Sans nul doute aussi son cerveau formait-il des images mentales, quoiqu’on ne parierait pas sur leur abondance ni sur leur cohĂ©rence. Afin qu’il atteigne la tasse, la saisisse, la porte Ă  ses lĂšvres et la replace sur la table, son cerveau a dĂ» former des images, et mĂȘme beaucoup, du moins visuelles, kinest...

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