
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Un chimiste au passé simple
À propos de ce livre
Qu'est-ce qu'un chimiste, à la fin d'un énième repas d'anniversaire, peut bien raconter à ses amis et aux amis de sa fille qui, eux, ne sont pas du métier ? La fabrication des grenades artisanales pendant la libération de Paris ? Les mystères des molécules qui programment les amours et les métamorphoses des papillons ? Un procès du permanganate à la Guadeloupe ? L'histoire d'une pilule du lendemain avortée ? Bref, des aventures scientifiques avec des précautions de langage qui s'imposent pour ne pas gâcher la soirée ? Jean Jacques, à l'âge où « la carrière d'un savant » ne réserve plus de surprises, s'abandonne à son goût de l'écriture, de l'anecdote et de la parenthèse Jean Jacques est chimiste et directeur de recherches émérite au CNRS. Il est notamment l'auteur de L'Imprévu ou la science des objets trouvés et des Confessions d'un chimiste ordinaire, qui ont eu beaucoup de succès.
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Informations
ISBN de l'eBook
9782738137760VII
L’affaire Jasor
I
Le professeur épinglé
En mars 1986, à la Guadeloupe, la campagne électorale des législatives et des régionales s’était déroulée sur fond de fragiles barrages illuminés par des pneus brûlés et de mobilisation de CRS. Les « indépendantistes » avaient donné comme consigne le boycott de ces élections et les partis de droite, divisés, ne s’épargnaient guère entre eux. Le 2 mars, au cours d’un meeting à Petit-Canal, Lucette Michaux-Chevry, candidate RPR à la députation et future secrétaire d’État à la Francophonie dans le ministère Chirac, avait été violemment prise à partie. Deux cocktails Molotov avaient été jetés contre le local où devait se tenir sa réunion et ses supporters avaient été reçus à coup de pierres et de billes d’acier. Plus grave, le 8 mars, au cours d’une autre réunion à Capesterre Belle-Eau qui rassemblait plusieurs centaines de personnes, quatre engins incendiaires avaient été lancés contre la tribune. Une personnalité, Gérard Penchard, qui soutenait la candidature de Lucette Michaux-Chevry avait été gravement atteinte. Les « indépendantistes » étaient désignés comme les responsables de ces violences et les fabricants de cocktails Molotov étaient fébrilement traqués.
Yves Jasor est un très grand Guadeloupéen à peine coloré, aux gestes lents et minutieux, apparemment doux comme un agneau, un peu trop maigre pour son âge (il a 42 ans au moment des faits). Dans les années 1970, il a fait partie du groupe de recherches dont j’étais responsable, au laboratoire de chimie organique des hormones du Collège de France. Il a commencé à y préparer une thèse de doctorat, sous la direction d’une de mes plus brillantes anciennes collaboratrices, Andrée Marquet. Après un stage post-doctoral dans les laboratoires de l’Institut de chimie des substances naturelles de Gif-sur-Yvette, il est revenu en 1976 dans son île natale avec le titre de maître-assistant à la faculté des sciences de Fouillole, à Pointe-à-Pitre.
Le vendredi 14 mars, dans la nuit, vers dix heures moins dix, Yves Jasor avait donc été arrêté ainsi que deux autres Guadeloupéens, MM. Harry Diakok, comptable diplômé, et Pierre Boc, enseignant en mathématiques à Marie-Galante, à quelques dizaines de mètres d’une « barricade » en construction sur la route qui mène au campus universitaire et aux laboratoires de Fouillole. Ils étaient accusés d’« avoir, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, placé sur une voie publique des objets faisant obstacle au passage des véhicules ; volontairement détruit ou détérioré des objets mobiliers appartenant à autrui par l’effet d’une substance incendiaire ou d’un incendie ou par tout autre moyen de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». Le cas de Jasor comportait une précision supplémentaire et aggravante : il était suspecté « dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, hors de son domicile, de s’être trouvé porteur ou d’avoir effectué sans motif légitime le transport d’objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique, arme de la 6e catégorie ». Sur ce dernier point, pour qui n’a jamais été l’objet d’une accusation semblable, il convient de préciser qu’une arme de 6e catégorie est une arme dite par destination. Elle peut être de nature on ne peut plus variée : acide sulfurique destiné à vitrioler sa victime, batte de base-ball pour l’assommer, couteau de cuisine pour l’étriper, etc.
Sur le siège avant de sa voiture, la police avait en effet découvert des produits chimiques immédiatement suspects. Il s’agissait de deux petits flacons contenant l’un des cristaux violets, l’autre des espèces de pastilles blanches. À ces objets qui intriguaient les forces de l’ordre s’ajoutaient une dizaine de petits sachets transparents, renfermant les uns un liquide dégageant une odeur ammoniaquée, les autres un liquide incolore. Par ailleurs, dans le coffre arrière de sa Toyota, on avait également saisi un volumineux paquet de notes manuscrites, dont avaient été extraites trois pages (de l’écriture de Jasor) où il était, en particulier, question d’explosifs. Pour l’inspecteur de la SRPJ qui avait fait arrêter Jasor, il était clair que la présence dans sa voiture de produits chimiques, donc dangereux, devait avoir une relation avec l’agression dont avait été victime Gérard Penchard quelques jours plus tôt.
Les produits et les papiers suspects, triés et reconditionnés pour la commodité du transport, avaient été confiés à un inspecteur de la SRPJ qui, la sacoche pleine en bandoulière, avait immédiatement pris l’avion pour Paris.
La réponse du laboratoire central de l’informatique de la préfecture de Police ne s’était pas fait attendre : signée par Henri Viellard, le directeur et par un ingénieur en chef, elle était accusatrice.
Les essais auxquels nous avons procédé ce jour au laboratoire confirment qu’il est possible d’obtenir des réactions violentes avec les produits contenus dans les flacons par deux voies au moins :
1 – action de l’acide chlorhydrique sur le permanganate de potassium ;
2 – action de l’acide chlorhydrique sur le permanganate de potassium en présence de potasse : cette réaction produit du chlorate de potassium, l’un des constituants du cocktail Molotov.
Pour les policiers, les soupçons devenaient certitudes : n’avaient-ils pas, au cours de la fouille du véhicule de Jasor, découvert des tracts indépendantistes ?
« Il est à noter, ajoutait immédiatement l’inspecteur principal Saint-Ygnan dans un rapport à son directeur, que Monsieur Jasor est connu de notre documentation en qualité de membre actif de l’UPLG. Il a été interpellé par notre service le 11 septembre 1984 dans le cadre de l’enquête faisant suite aux décès accidentels de quatre militants indépendantistes et le 7 avril 1985 à la suite d’affichage nocturne de l’UPLG.
[…] Il est donc indéniable que le dénommé Jasor détenait d’une manière non justifiable des produits entrant dans la fabrication d’engins incendiaires et plus précisément de cocktails Molotov. »
Au reçu de ces données et devant des présomptions aussi évidentes, en pleine nuit du dimanche 16, Jasor, qui était gardé à vue depuis 48 heures, comparaissait devant le juge Tchalian. Il était inculpé et immédiatement incarcéré.
À la même heure, la radio et la télévision égrenaient les résultats des élections régionales et législatives qui devaient aboutir à la première cohabitation au sommet de la République. Ces élections, à la Guadeloupe, s’étaient finalement déroulées dans un calme relatif. Dans la nuit du samedi au dimanche, quelques incendies n’avaient détruit que quelques urnes et quelques milliers de bulletins de vote. Les « indépendantistes » avaient érigé une vingtaine de barrages en différents points de l’île, mais dans la matinée du dimanche, la circulation était redevenue normale.
Pour le département, on comptait un peu moins de 50 % de suffrages exprimés. Il y avait deux élus RPR, dont Madame Michaux-Chevry, un socialiste et un communiste.
Jugé apparemment moins dangereux que le professeur de chimie, M. Boc avait été relâché après 48 heures de garde à vue ; M. Diakok, le jeune comptable qui, sur un banc, attendait une fille à qui il avait donné rendez-vous, retrouvera la liberté le 19 mars. Jasor, lui, restera en prison.
Était-ce dans l’attente de faire confirmer la validité des accusations dont les inspecteurs de la SRPJ et leurs collègues parisiens avaient pris l’initiative ? Ou simplement pour assurer ses connaissances en matière de chimie des explosifs ? Le juge Tchalian avait très rapidement essayé de se renseigner auprès de certains scientifiques locaux. Quels furent la nature et les résultats de ces premiers contacts ? Difficile de le savoir : aucune pièce concernant cette partie de l’enquête ne figura aux procès-verbaux accessibles à la défense. C’est ainsi par exemple qu’un ingénieur de recherche à la station zootechnique que l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) possède à Petit-Bourg est « désigné » comme expert. Il disparaîtra du dossier sans laisser de traces. Il semble qu’il se soit déclaré incompétent devant les questions qui lui étaient posées.
« Quelques jours après mon arrestation, raconte Jasor, je suis extrait de ma cellule pour être présenté au juge en présence d’un certain François Geoffroy, lui aussi ingénieur à l’INRA. Il s’agit d’un métropolitain fort sympathique, connaissant bien le pays où il est installé depuis plusieurs années. J’avais déjà eu l’occasion de le fréquenter en 1976-1977, alors que j’étais chercheur détaché par le CNRS.
J’arrive au palais de justice très en avance sur l’horaire prévu. On me fait attendre sur un banc, menottes aux mains, sous bonne garde. Mes avocats, qui ignorent que je suis déjà là, patientent dans leur cabinet ; j’aperçois de loin Geoffroy qui attend de son côté.
Plus tard, le juge me fait appeler. Je proteste d’être obligé de le rencontrer seul, puisque mes avocats ne sont toujours pas là. Le juge Tchalian a l’air furieux ; il m’an-nonce que la présentation est reportée. Qu’il a décidé de faire appel à des experts extérieurs et que, tant qu’il n’aura pas leurs résultats, il s’opposera à ma mise en liberté. Geoffroy, qui a sans doute eu le temps de prendre connaissance du dossier, quitte le bureau sans rien dire, pour ce que j’ai cru d’abord n’être qu’une pause.
La confrontation prévue s’en tiendra là : ordre est donné de me reconduire à la maison d’arrêt. Dans l’escalier je croise mes avocats qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Ils crient leur indignation en apprenant le déroulement de l’incident. En dehors du palais, la foule qui m’avait accueilli à mon arrivée a grossi. Huées, jets de pierres vers les policiers. J’ai le temps de saluer quelques amis. Notre chauffeur traverse adroitement la foule sans incident et me ramène à la prison. Nouvel attroupement et nouvelle manifestation devant les portes de la maison d’arrêt. Dois-je avouer que c’est presque avec soulagement que je regagne ma cellule… ?
Que s’est-il passé au cours de cette réunion tron-quée ? Est-ce que les réponses de Geoffroy aux questions que Tchalian lui posait n’étaient pas celles que l’accusation attendait ? On m’a dit que Geoffroy avait refusé d’être expert en faisant état des bonnes relations professionnelles que nous avions eues. En fait je ne devais plus jamais le revoir. Quelque temps après mon procès, il est mort d’un cancer du poumon. »
Dès le 18 mars, le juge Tchalian, officiellement cette fois, charge donc Henri Viellard de confirmer, en qualité d’expert unique, ses premières conclusions.
Cependant, dès le lundi 17 mars, le lendemain même de l’inculpation de notre ami, le professeur responsable du département de chimie dont dépendait Jasor avertissait sa hiérarchie qu’en l’absence de celui-ci, ses services seraient assurés par un de ses collègues et par lui-même. Était-ce admettre a priori que Jasor pouvait être coupable, sans qu’on sache encore exactement de quoi ? Était-ce parce qu’on faisait foi aux rumeurs les plus extravagantes qui circulaient déjà sur ce dont un chimiste, indépendantiste de surcroît, pouvait être capable ? C’était surtout prévoir (mais sur la base de quelles informations ?) que la mise en liberté immédiate de Jasor était bel et bien exclue.
Simple coïncidence ? Ce même lundi 17, le directeur de l’UER des sciences exactes et naturelles accusait réception d’une lettre qui lui signalait « la disparition de certains produits chimiques notamment des acides minéraux, aussi bien des laboratoires de travaux pratiques que des laboratoires de recherches en chimie ».
L’affaire Jasor ne faisait que commencer, mais d’ores et déjà on pouvait deviner que la chimie allait y jouer un rôle décisif. Le procès qui se préparait était parti pour reposer sur un problème scientifique précis : pouvait-on, avec les quatre produits saisis dans la voiture de Jasor, espérer fabriquer des engins explosifs ou incendiaires ? Conformément aux intuitions des policiers de la SRPJ, l’expertise-éclair du laboratoire parisien avait déjà répondu par l’affirmative.
On imagine facilement que, dans ce petit monde provincial, l’arrestation d’un enseignant à la faculté, fils du propriétaire de la plus importante librairie de la ville, connu pour ses idées patriotiques (entendez par là militant indépendantiste) ne pouvait pas ne pas soulever quelques vagues. Une demande de mise en liberté provisoire déposée par les avocats d’Yves Jasor avait été rejetée le lundi 24 mars. Dès le lendemain un tract signé de l’UPLG (Union pour la libération de la Guadeloupe) était distribué dans Pointe-à-Pitre appelant à la mobilisation « contre la répression coloniale ».
LAGE YVES JASOR…
…Yves Jasor est un universitaire guadeloupéen issu d’une famille connue et respectable et dont la compétence et la probité sont connues de tous.
C’est donc une volonté délibérée des autorités coloniales de s’en prendre à sa personne et à travers lui à toutes celles et à tous ceux qui se battent pour le respect de la dignité de l’homme guadeloupéen.
NOU PE PA PWAN SA
Les Guadeloupéens n’aiment pas l’injustice.
L’opinion publique réalise aujourd’hui que ces mêmes juges si empressés d’emprisonner Yves Jasor ont fait preuve de sollicitude et de bienveillance lorsqu’il fallait poursuivre des voleurs connus…
Une pétition pour la libération de notre doux terroriste allait rassembler rapidement près de 3 000 signatures. Le 27 mars, l’après-midi où Jasor devait être entendu au palais de justice, un « immense concours de forces policières » faisait face à une foule tout aussi considérable...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Avertissement
- I - Il y avait un tramway…
- II - Figurant au théâtre des opérations
- III - Mes libérations
- IV - Mission très spéciale à Tübingen
- V - César
- VI - Gregory Pincus et notre pilule
- VII - L’affaire Jasor
- VIII - Un tour du Luxembourg à pas comptés
- Table
- Du même auteur