Esprit d'enfance
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Esprit d'enfance

  1. 208 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Esprit d'enfance

À propos de ce livre

« L'esprit d'enfance n'a pas d'âge. Il est fait de silence et d'émerveillement, de déraison et de bon sens, de jeu et de gravité. Il conjugue rires et pleurs, cruauté et tendresse, innocence et ruses. Il nous transporte à chaque instant hors du temps, hors de nous-même. Par quel chemin peut-on s'en approcher ? Comment s'y orienter ? Mes réponses combinent des souvenirs, des exercices, des réflexions libres. Objectif : que chacun élabore son esprit d'enfance comme une ressource pour penser, agir et créer. » R.-P. D. Philosophe et écrivain, traduit en une trentaine de langues, Roger-Pol Droit a publié de nombreux livres à succès, notamment 101 expériences de philosophie quotidienne, Dernières nouvelles des choses, Si je n'avais plus qu'une heure à vivre. 

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Informations

1

Défricher



« Comment se fait-il que les petits enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient bêtes ? Cela doit tenir à l’éducation. »
Alexandre DUMAS fils.

Sulfure


Il y a, sur mon bureau, un presse-papiers en cristal.
Sphérique, ou presque.
Cet objet m’est depuis toujours familier.
Je ne connais rien parmi les choses usuelles qui soit pour moi si archaïque, premier, enraciné dans les tréfonds de la mémoire.
À l’intérieur du verre, une fleur à six pétales. Je ne saurais dire au juste si elle est bleu électrique, bleu marine, bleu roi. C’est une pensée, en tout cas, cette fleur qu’on appelle « pensée ».
J’ai appris, récemment, que pareille fleur figurait souvent dans ce genre d’objet, pour dire « je pense à toi ».
Qui pensait à qui ? Je l’ignore.
Ce sulfure appartenait à ma mère, mais je ne sais pas d’où elle l’avait reçu, qui le lui avait offert.
Je me souviens seulement qu’elle y tenait, que c’était pour elle une chose importante, précieuse.
Enfant, je trouvais cet objet lourd, ces centaines de grammes me semblaient peser des tonnes.
J’ai joué, des heures et des heures, des années, à faire tourner cette boule sur un plateau de métal.
Elle en a conservé des stries, une sorte de patine.
Le cristal, sur le dessus, est devenu terne. Une kyrielle de rayures, d’éclats minuscules, de brisures de surface s’y sont enchevêtrés.
On ne voit plus distinctement la fleur, la pensée bleue. On la discerne mieux sur le côté, mais cet angle déforme les contours.
Ce sulfure m’a accompagné, comme un rosebud, jamais perdu ni brisé.
Cette chose est exactement comme l’enfance : muette, et cependant parlante, à sa manière, érodée en apparence, mais inaltérable.
Avec une pensée dedans, venue on ne sait d’où ni de qui, traversant le temps et malgré tout hors du temps.
Un jeu ancien, sans paroles, qui fait parler.

Exercice de définition


Ça vous dit quoi, à vous, « enfance » ?
Si vous entendez ce mot, à quoi pensez-vous d’abord ?
À un souvenir en particulier, à une image de vous autrefois, à vos parents, aux personnes qui vous ont élevé(e) ? À un lieu, un objet, un goût, une odeur ? À une sensation unique, incomparable et secrète, quelque part enfouie dans ce qui vous est le plus intime et vous constitue, comme un élément qui perdure, fragile mais incorruptible ?
Je n’en sais rien, par définition. C’est à vous de chercher. Vraiment.
À vous de tenter de répondre, de trouver, de retrouver ou d’inventer.
Parce que j’aimerais bien ne pas être seul à écrire ce livre. J’aimerais que nous le construisions ensemble, pas à pas, page par page.
Je sais bien que vous vous contenterez sans doute de lire. J’imagine que vous n’allez pas griffonner dans les marges, intercaler vos textes entre mes paragraphes. Quoique…
En tout cas, chacun devrait mener ces exercices et méditations pour son propre compte, à sa façon, pratiquer ceux que je propose, peu à peu inventer les siens.
À chacun ses souvenirs, ses hantises, ses tendresses. À chacun ses réflexions, idées et associations.
Si j’expose les miens, du moins quelques-uns, ce n’est pas pour les exhiber, encore moins pour les imposer. Seulement pour dessiner un parcours, une sorte de marche d’approche vers cette énigme nommée « enfance ». Pas question de raconter mon enfance, ni d’y retomber, ni de m’y complaire.
Plutôt réfléchir. Parce qu’il se pourrait bien – c’est même l’hypothèse de départ, le déclic déclencheur de ce parcours – que nous ne sachions pas, ou si peu, ce que peut bien être l’« enfance ». Du coup, nous passons à côté de tout ce que nous pourrions en extraire.
Nous ratons l’esprit d’enfance parce que nous croyons savoir ce que sont et les enfants et l’enfance. Nous nous sentons alors assurés et rassurés, que ce soit par habitude, par paresse… ou les deux. C’est ce confort idiot qu’il faut commencer à secouer, à craqueler, à défaire. Mieux vaut commencer à chercher. Reprendre la question, et défricher.
Ce terme si courant, si banal, que nous employons tout le temps, « enfance », quel est pour vous son sens ? Quelle définition en donneriez-vous ?
Le vocabulaire courant fournit les premiers indices : les enfants, tous singuliers, tous différents, ont en commun « l’enfance ». Le mot peut désigner un ensemble d’enfants (l’enfance diabétique, orpheline, obèse, etc.). Plus couramment, c’est la période de la vie humaine allant de la naissance à la maturité.
L’enfance serait le temps de la simplicité (« un jeu d’enfant », « l’enfance de l’art »), le temps du caprice et de la candeur (« ne fais pas l’enfant », « un regard d’enfant »), le temps de l’infériorité (« sortir de l’enfance », « retomber en enfance »).
Ruminez ces éléments. Demandez-vous s’ils vous conviennent ou non, et pourquoi. Esquissez votre première définition.
La mienne suit.

Ce que j’appelle esprit d’enfance


Si vous avez commencé à lire ces lignes, si vous en comprenez le sens, si vous pouvez juger de leur pertinence, ou de leurs insuffisances, si vous êtes en mesure de formuler bientôt des objections, si vous pouvez argumenter, dire pourquoi vous êtes d’accord ou non, c’est que vous n’êtes plus enfant !
Car « enfant » signifie d’abord « qui ne parle pas », qui n’a pas encore accès au langage. « Enfant » signifie aussi, par conséquent, « qui ne sait pas juger », même quand il sait parler, car l’enfant n’a pas accès, dit-on, à la raison. Enfant, donc, un être humain qui ne comprend pas, ou qui comprend mal, et qui, bien sûr, ne sait pas lire.
Vous avez été enfants, vous ne l’êtes plus.
Est-ce si simple ? Nous savons tous que l’enfance perdure dans nos vies, nos faits et gestes, nos pensées, nos penchants. Mais nous ignorons comment. Nous parlons d’empreinte, d’influence, de milieu, d’inconscient, de déterminisme, de prédispositions, de traumatisme…
L’enfance n’est pas simplement un passé.
Elle ne se réduit pas à l’histoire vécue par chaque individu durant ses premières années. C’est une dimension permanente de l’existence. Dimension psychologique, pour une part, mais pas seulement, et de loin. Métaphysique, en fait. N’ayez pas peur de ce mot : il veut peut-être dire que je ne sais pas nommer cette dimension, ni dire en quoi elle consiste.
J’aimerais le chercher. Tracer un chemin, y faire au moins quelque pas. Entrevoir d’abord combien l’enfance dépasse les enfants, déborde les interrogations qu’ils suscitent.
Elle demeure toujours autre chose que ce que peuvent en dire pédiatres, historiens, sociologues, psychologues, ethnologues, anthropologues et autres savants qui sans doute n’affirment rien de faux, mais peut-être rien d’essentiel non plus. Car ils n’ont de l’enfance que des vues restreintes, parcellaires.
Je ne crois pas, pour ma part, que l’enfance soit délimitée. Je suis convaincu qu’il est indispensable de distinguer entre l’enfance – temporelle, circonscrite – et l’esprit d’enfance. On quitte l’enfance pour l’âge adulte. Même sans le savoir, on ne quitte jamais l’esprit d’enfance. Parce qu’il n’a de limites ni dans le temps ni dans l’espace.
Je subodore que cette absence de frontières et ce statut énigmatique réservent quelques surprises. L’esprit d’enfance risque d’interroger, peut-être de déplacer, ce que nous appelons « raison », « je », « temps », « âge », « innocence »… et quelques autres piliers de l’existence comme de la pensée.
Je sais seulement, comme première évidence, que l’enfance n’est pas l’enfant, et que l’esprit d’enfance ne concerne pas une seule période de la vie. J’ai été un enfant, il y a longtemps que je ne le suis plus. Au moment où j’écris ces lignes, je suis un vieil homme, pas encore un vieillard, mais presque. L’enfant que je fus a disparu, depuis bien des années. Pas l’enfance, évidemment. Mais qu’est-ce que ce terme signifie ?
La période initiale de ma vie ? Certes, mais pas seulement. De cette enfance-période, j’ai gardé, comme chacun, souvenirs, héritages, nostalgies, impulsions, répulsions… L’enfance que j’ai vécue, je continue, comme tout le monde, à la prolonger, quitte à la reconstruire ou à la déformer. Si c’est une période de la vie, elle n’est jamais close, ni tout à fait révolue.
Comme une page qu’on ne tourne jamais, qu’on réécrit, ou qu’on croit effacer. On peut l’oublier, plus ou moins fortement, pour un moment, plus ou moins long. On peut la recomposer, la reformuler, la transformer en surface comme en profondeur.
On ne peut en être quitte définitivement.
Rompre avec sa propre enfance – totalement, à jamais – est une impossibilité. Ce serait rompre avec soi-même, devenir un autre, changer radicalement d’existence, de subjectivité, de vie, de présence. Sans doute peut-on en rêver, parfois, certains jours… Je laisse en suspens de savoir s’il s’agit de bons ou de mauvais jours.
En tout cas, réussir pareille rupture est exclu. C’est aussi impossible que de devenir le premier passant qu’on croise. Sortir absolument de son enfance serait sortir de soi. Ceci ne correspond à aucune réalité.
Ne pas en conclure pour autant qu’on se trouve englué dans son enfance, pris à son piège comme une mouche dans de l’ambre, fixée et figée à jamais. Rien n’interdit de bouger, de travailler cette pâte, d’en transformer le sens. Jamais toutefois ce ne sera l’enfance d’un autre. Sans être véritablement rivé à son enfance, on ne peut la déposer – comme on se défait d’un bagage, d’un vêtement.
Pourtant, cette enfance-là n’est pas encore l’esprit d’enfance. Ce que je cherche est sans doute plus étrange et plus radical. Une réserve de vie, de création, que les enfants réels et les enfances vécues incarnent partiellement, mais qui demeure d’une autre nature. Les petits, et tout ce qui les concerne, fournissent des indications, indiquent des pistes à suivre pour composer l’esprit d’enfance. Mais rien de plus. Il reste à explorer, à découvrir. À élaborer aussi.
Car l’esprit d’enfance n’est pas une donnée brute. C’est un extrait, un distillat, une huile essentielle. On peut avoir eu une enfance difficile, malheureuse, voire une enfance de cauchemar, avoir tout fait pour s’en échapper, et cependant parvenir à trouver, dans l’esprit d’enfance, des ressources pour toute sa vie. Car il ne s’agit pas de dupliquer sa propre enfance, mais de discerner en elle – qu’elle ait été facile ou difficile, protectrice ou menaçante, harmonieuse ou chaotique – des éléments universels qui permettent d’élaborer l’esprit d’enfance.
Si c’est le cas, il faudra s’exercer modestement. Pratiquer peu à peu l’esprit d’enfance, comme on pratique une langue, un sport, une discipline, une ascèse… Toutefois, avant de faire un tour dans ces parages, il faut préciser en quoi ils consistent.
Autour de l’enfance gravitent étonnements, extases et découvertes. Or ils perdurent indépendamment du temps qui passe. Un esprit des débuts préside à tous les apprentissages d’une façon indéfiniment réitérée. Cet esprit d’enfance ne passe jamais, se réinvente sans cesse.
Ce n’est plus un temps de la vie, c’est la vie même du temps. Et l’incarnation de ses paradoxes.
L’esprit d’enfance a des traits communs avec ce que les bouddhistes japonais nomment « esprit du débutant » (shoshin), conjuguant désir d’apprendre, conscience d’ignorer, absence de certitudes. Aux antipodes de la suffisance et de la maîtrise, loin de l’arrogance des experts e...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant de commencer
  5. 1 - Défricher
  6. 2 - Ne pas savoir parler
  7. 3 - Parler sans savoir
  8. 4 - Déraisonner
  9. 5 - Jouer sans fin
  10. 6 - S’émouvoir sans cesse
  11. 7 - S’abêtir divinement
  12. 8 - Errer toujours
  13. 9 - Réinitialiser
  14. 10 - S’extraire du temps
  15. 11 - S’extraire de soi
  16. Épilogue
  17. Table
  18. Du même auteur chez odile jacob