Perdons-nous connaissance ?
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Perdons-nous connaissance ?

De la mythologie à la neurologie

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Perdons-nous connaissance ?

De la mythologie à la neurologie

À propos de ce livre

« Perdons-nous connaissance ? », c'est-à-dire perdons-nous le sens de ce qu'est la connaissance alors que nous nous autoproclamons « société de la connaissance » ?Aujourd'hui, la connaissance ne fait plus peur à personne, alors que depuis trois mille ans notre culture occidentale n'a cessé de la décrire comme vitale et dangereuse. Oui, dangereuse, qui s'en souvient encore ?Cette rupture avec notre héritage constitue-t-elle un progrès ou une régression, une chute ou une ascension ?La Mythologie et la Neurologie, sources de « connaissance de la connaissance », nous offriront de précieuses clés pour résoudre ce paradoxe inédit dans l'histoire de la pensée. Dans cet essai brillant qui explore les multiples dimensions de nos existences, nous comprenons pourquoi la connaissance ne doit pas être envisagée comme une question de « spécialistes », mais comme l'affaire de chacun. Lionel Naccache est neurologue à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris et chercheur en neurosciences cognitives au sein du Centre de recherche de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière. Il est l'auteur du Nouvel Inconscient.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2010
Imprimer l'ISBN
9782738123268
Troisième partie
Malaise contemporain
dans la connaissance
Chapitre premier
Bienvenue dans la « société
de la connaissance »
« Nous sommes la société de la connaissance »
En 2000, le Conseil européen de Lisbonne s’est fixé comme objectif stratégique pour 2010 de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale1 ». Jetons un bref coup d’œil sur la version française de cette devise sociétale. Jamais les citoyens français n’ont été aussi diplômés. Jamais une génération n’a pu porter au baccalauréat une proportion aussi grande de ses individus depuis sa création sous Napoléon, le 17 mars 1808. De 59 287 admis en 1960, nous sommes passés à plus de 520 000 depuis 2006. Jamais l’âge d’entrée sur le marché du travail n’a été si tardif, jamais le nombre d’années d’études n’a été si élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Nos partis politiques, qui jouent le jeu salutaire de la confrontation des programmes et des idées, entonnent ici à l’unisson la reconnaissance du rôle vital et majeur de la connaissance : depuis le texte de la convention UMP d’octobre 2006 intitulée « Société de la connaissance : la nouvelle frontière » au projet d’amendement à la déclaration de principe du Parti socialiste de mai 2008 qui défend l’idée d’une « société de la connaissance ouverte », sans oublier la « société de la connaissance partagée » du PCF… Nous sommes la société de la connaissance. Nous écrivons nous aussi notre encyclopédie multimédia, participative et ouverte, dans la fidèle tradition de Diderot et des encyclopédistes. Mieux, chacun d’entre nous est un Diderot en puissance, invité à déposer sa contribution dans cette œuvre collective version Web 2.0. De Wikipédia au site Gallica de la Bibliothèque nationale, d’innombrables sources de connaissances sont mises à la disposition de chacun d’entre nous. Non au cloisonnement, non à l’obscurantisme, non à la censure, aux censures de toutes sortes. L’explosion des supports et des formes de média, papier, TV, radio ou Web, participe là encore à la multiplicité des horizons et des modalités de transmission et d’échange d’informations offertes aux citoyens que nous sommes. Nous avons su organiser les temples modernes du savoir et célébrer leurs grands-messes, depuis les « Cités de la réussite » annuelles, jusqu’à l’« Université de tous les savoirs ». Nul ne nie bien entendu l’existence de profondes inégalités dans l’accès et la manipulation de ces outils de connaissance, inégalités entre pays, et inégalités au sein d’une même société. Mais le point ici pertinent est que personne ne semble faire mention de « menaces ou de risques » propres à la connaissance, bien au contraire. Un numéro récent de la revue Hermès (Collectif, 2005), intitulé « Fractures dans la société de la connaissance », développe les dimensions techniques, éducatives, sociales et économiques de cette « nouvelle » société qui laisse également apparaître de nouvelles inégalités. Mais là encore, nulle mention d’un risque qu’il y aurait dans le fait même de « connaître ».
Nous sommes la société de la connaissance, c’est une évidence. Mais, au fait, qu’entendons-nous précisément par là ? Quelles valeurs associons-nous à cette devise moderne ? Quand cette société de la connaissance a-t-elle réellement vu le jour ?
« Sous la société de la connaissance… la société de l’information »
En réalité, l’expression « société de la connaissance » n’est pas née ex nihilo, mais succède à celle de « société de l’information ». Vers le début des années 1970, le sociologue américain Daniel Bell introduit pour la première fois l’expression de « société de l’information » dans un ouvrage intitulé Vers la société postindustrielle (Bell, 1973). Ce qui est explicitement visé par ce qualificatif sociétal peut être synthétisé en deux idées complémentaires : valorisation de la maîtrise de l’information et des connaissances théoriques, et rejet des discours idéologiques qui deviendraient superflus. Nous sommes encore pendant la guerre froide et cette conception est originale. Ce ne sont ni les outils industriels ni les croyances idéologiques qui primeront dans la nouvelle économie, nous disait Bell, mais les services fondés sur la connaissance au sein d’une société dont l’information deviendrait l’une des valeurs suprêmes. La journaliste Sally Burch, qui a dressé un bref historique de ce vocable (Burch, 2005), note qu’il faut attendre les années 1990 pour que cette conception visionnaire trouve un écho important, du fait du développement d’Internet et des technologies de l’information et de la communication, mais aussi, me semble-t-il, en raison de la fin de la guerre froide et de l’effondrement du bloc soviétique et donc des vieux clivages idéologiques Est-Ouest. L’expression-concept de « société de l’information » est alors prête pour un succès planétaire. À l’ordre du jour du G7 puis du G8, elle intéresse au plus haut point la Communauté européenne, l’OCDE, l’Organisation des Nations unies. Des sommets mondiaux lui sont consacrés. Plusieurs variantes théoriques sont déclinées autour d’expressions voisines, dont la « société informationnelle » de Manuel Castells ou encore la « société de l’intelligence » proposée par André Gorz.
En parallèle avec la célébrité croissante de cette expression-concept, la « société de la connaissance » ou « société du savoir » (Knowledge Society) fait son apparition dans plusieurs milieux universitaires nord-américains. Ainsi, Abdul Waheed Khan, sous-directeur général de l’Unesco, adopte cette nouvelle expression et justifie ainsi la nuance : « La société de l’information est la pierre angulaire des sociétés du savoir. Alors que, pour moi, la notion de “société de l’information” est liée à l’idée d’innovation technologique, la notion de “sociétés du savoir” comporte une dimension de transformation sociale, culturelle, économique, politique et institutionnelle, ainsi qu’une perspective de développement plus diversifiée. À mon sens, la notion de “société du savoir” est préférable à celle de “société de l’information” car elle fait une place plus large à la complexité et au dynamisme des changements qui sont à l’œuvre. […] Le savoir en question est utile non seulement pour la croissance économique, mais aussi parce qu’il contribue à l’autonomie et au développement de la société dans son ensemble » (cité par Sally Burch).
Au-delà de ces nuances, nous retiendrons ce résultat capital : la « société de la connaissance » est une variante nominale de la « société d’information » qui est, elle, la véritable révolution sociétale. Sans la révolution technologique et la ruine idéologique qui ont donné naissance à la société de l’information, nulle société de connaissance n’aurait jamais été proclamée. Autrement dit, une partie importante des attributs que nous associons à la « société de la connaissance » dérive en droite ligne du concept d’information. Pourtant, ces deux termes sont loin d’être équivalents. À la question : « Qu’est-ce qui distingue une information d’une connaissance ? », nous avons déjà répondu : c’est la prise en compte du sujet. Car connaître, c’est toujours connaître quelque chose, ou quelqu’un, mais ce n’est pas seulement ce « quelque chose » ou ce « quelqu’un ». L’expérience de la connaissance, avons-nous appris, est la relation d’un sujet, avec son lot de croyances, son identité, son histoire propre et sa narration personnelle, avec un jeu de données, c’est-à-dire avec un jeu d’informations extérieures au contenu de sa conscience. Cette idée fondamentale n’est autre que celle qui a donné naissance à la phénoménologie husserlienne et à ses innombrables développements : la conscience est par nature intentionnelle, c’est-à-dire qu’elle n’est jamais isolable de l’objet qu’elle vise. Je ne suis pas conscient de manière intransitive, mais toujours conscient de quelque chose, d’un contenu auquel je n’accède précisément qu’à travers cette relation subjective avec l’objet. Cet objet extérieur au sujet existe bien, mais, d’une certaine manière, cet objet n’est pas directement pertinent puisque je n’y ai jamais accès autrement que par le truchement de ma subjectivité. Il serait ainsi illusoire d’exclure l’expérience subjective d’une définition de la connaissance qui se concentrerait exclusivement autour des objets de savoir, c’est-à-dire des informations qui vont être visées par le sujet. Une société de l’information ne peut ainsi être identifiée avec une société de la connaissance.
La mise au jour de la « société de l’information » sous le masque de la « société de la connaissance » permet de comprendre la place fondamentale occupée aujourd’hui par le concept de transparence. Une information est un matériau qui renferme intrinsèquement une certaine quantité de données objectives, et cela quel que soit son contenu précis : « le petit chat est mort » ; « Jacqueline est jalouse » ; « E = MC2 » ; « le PNB moyen au Brésil s’élève à 3 455 dollars » ; « les premiers mots de l’Iliade sont “Chante, déesse, la colère d’Achille” », etc. Toutes ces propositions ont une valeur informationnelle intrinsèque, qui ne dépend pas d’un sujet. Que j’accède ou non à ces informations n’affecte en rien leur contenu propre. De ce point de vue, il est parfaitement légitime et logique pour une société de l’information de se placer sous le principe de l’absolue transparence.
Le paradoxe de la transparence
Sauf que. Sauf qu’une société de l’information ainsi définie fait abstraction des sujets, de chacun des sujets que nous sommes, avec nos systèmes de fictions-interprétations-croyances respectifs. Nous sommes ainsi quotidiennement soumis à un « grand écart », parfois douloureux, entre, d’une part, les aspirations légitimes de notre société de l’information à la transparence la plus totale et, d’autre part, les motifs de résistance à cette transparence originaires de notre économie psychique qui est gouvernée par la stabilité de nos croyances subjectives. Cette tension entretenue est à l’origine de notre discours ambivalent et très paradoxal à l’égard de la transparence. La juxtaposition de notre apologie quasi illimitée de la transparence avec les brûlures qu’elle nous occasionne pourtant quotidiennement permet de faire apparaître avec force et évidence ce que nous avons qualifié de « malaise contemporain ».
Longtemps, l’absence de transparence dans nos vies affectives, sociales, politiques ou économiques a servi la protection d’intérêts corrompus, d’inégalités masquées ou de forfaitures indignes. L’opacité, fidèle partenaire de la censure. Mais, aujourd’hui, l’opacité est morte, vive la transparence ! Transparence dans la sphère publique, dans les opérations financières, dans les prises de décision politiques, localement tout comme au plus haut niveau national. Filmer les séances d’un conseil municipal, celles des deux chambres de l’Assemblée, voire celle d’un Conseil des ministres ne choquerait plus personne aujourd’hui, bien au contraire. Nous exigeons de pouvoir tout voir, sans censure d’aucune sorte. Transparence dans la sphère privée surtout. Transparence des salaires à tous les niveaux, transparence des biens des personnes publiques. Transparence des histoires de famille, celles des origines, des adoptions, des dons de sperme, des mères porteuses… Transparence de l’alcôve et du couple. Transparence médicale absolue, droit imprescriptible de savoir le diagnostic et le pronostic de nos maladies et de celles de nos proches. Transparence donc, à laquelle rien ne doit se montrer opaque. Voir ce qui se passe chez un avocat, chez un juge, dans un lit, sans mentionner les spectacles de voyeurisme télévisuel qui sont censés nous montrer la « vraie vie » de « vraies personnes ». Tout comme les innombrables caméras de surveillance qui enregistrent sans fin des images de chaque recoin de nos villes, sans spectateur attitré, nous voulons nous aussi avoir accès à toutes les caméras possibles, orientées vers les autres et vers nous-mêmes. Ce désir de transparence et de levée de tous les secrets est propre à notre société contemporaine. Il ne s’agit pas de le déplorer, encore moins de regretter le « bon vieux temps » de l’opacité, mais d’en comprendre l’émergence. Et cela ne va pas de soi. Nous n’avons pas développé et mis en pratique ce désir de transparence à l’issue d’une longue période de dictature, à l’instar d’autres États européens tels que l’Espagne, ou sud-américains par exemple, ni comme l’ex-URSS dont la première étape de l’échappée hors du régime totalitaire soviétique a été placée dès 1985 sous le signe de la glasnost, c’est-à-dire, littéralement, la « transparence » ! Pourtant, la transparence nous taraude comme elle ne l’avait jamais fait encore. Bien entendu, nous n’avions pas auparavant la même facilité technique à mettre en œuvre cette transparence. L’organe aurait-il contribué à créer la fonction ? Sans doute, mais pas à partir de rien. Cette obsession contemporaine est un indice de valeur.
Apologie sans faille de la transparence donc, à laquelle nous nous livrons et à laquelle nous attachons une grande importance, alors que, dans le même temps, nous vivons tous les jours les conséquences parfois brûlantes et douloureuses de la transparence. Je ne prône absolument pas une abolition de la transparence, mais je m’interroge sur le peu de cas que nous semblons faire des difficultés inhérentes à sa mise en œuvre2. Notre résistance à la transparence se joue quotidiennement dans les multiples sphères de nos existences, des plus immédiates et sensibles aux plus abstraites. Afin d’en éprouver la réalité, commençons donc par explorer la nature de ces « brûlures de la transparence ».
1- Objectif stratégique à 2010 fixé pour l’Europe au Conseil européen de Lisbonne, mars 2000.
2- On pourra lire l’essai de Pierre Lévy-Soussan, intitulé Éloge du secret, qui figure parmi les critiques du discours apologétique contemporain autour de la transparence.
Chapitre 2
Les brûlures
de la transparence
Nous venons de faire le constat que la société de la connaissance à laquelle nous nous identifions ressemblait en réalité davantage à une société de l’information. Selon notre modèle triptyque de la connaissance qui implique le sujet avant (X) et après (X’) son expérience de connaissance avec un jeu d’informations (objet Y), une société de l’information se préoccupe presque exclusivement d’assurer la libre circulation, la diffusion et l’échange des Y, sans considérations majeures pour les sujets X qui en sont les citoyens. Selon une telle logique, « Y oriented », il devient évident que la transparence, l’absolue transparence de l’information accessible à chacun des sujets, doit devenir un principe incontournable de la vie des sociétés de l’information, et que nulle menace ne puisse y être associée. Effectivement, les principales institutions qui règlent notre vie politique chantent d’ailleurs à l’unisson, ainsi que nous venons de le rappeler, l’absolue nécessité de ce principe de transparence. Cependant, selon notre conception, la connaissance ne se limite pas à cette circulation des informations, mais incorpore la manière dont le sujet est affecté dans son système de fictions-interprétations-croyances par les informations en question. Du point de vue qui est le nôtre, l’expérience de la connaissance demeure donc toujours susceptible de menacer, aujourd’hui comme hier, le sujet dans son identité. Il est possible de vérifier la pertinence de cette prédiction en partant à la recherche de situations qui nous révéleraient la manière dont les sujets peuvent parfois être mis à l’épreuve, et même être brûlés dans leur chair de sujets, par la transparence de l’information. Ces « situations limites » vont ici jouer un rôle assez comparable à celui des malades neurologiques de la partie précédente de cet essai. De même que les patients nous ont renseignés sur les principes qui sous-tendent chacune de nos expériences de sujet conscient, ces situations extrêmes pourtant issues de la vie quotidienne vont nous montrer comment nous sommes inévitablement affectés par les informations que nous recevons. Ce qui est ici pertinent n’est pas le fait que l’information puisse – parfois – nous brûler, mais tout simplement qu’elle nous affecte même lorsqu’elle ne nous brûle pas. Simplement, il est plus facile de s’en rendre compte quand ça brûle ! Évoquons-en brièvement certaines, à l’aide d’une approche géométrique qui partirait du centre constitué par notre identité propre, pour tracer les cercles concentriques centrifuges qui incluraient tout d’abord nos relations aux êtres qui nous sont les plus intimes, pour ensuite gagner de proche en proche nos liens avec les personnes qui nous sont plus éloignées, voire avec celles qui nous sont inconnues. Premier cercle, celui des brûlures de la transparence du sentiment amoureux qui embrasent et consument parfois notre existence individuelle pour n’en laisser qu’un tas de cendres vite dispersées aux vents du désespoir et du non-sens. Second cercle, celui des « secrets de famille » qui exposent le sujet au péril d’une énigme souvent dépourvue de solution : savoir ou ne pas savoir. Savoir quelque chose qui se trame entre la biographie factuelle « claire et tranchée », et le récit imaginaire qui en s’affranchissant de la « réalité », intègre et raconte une autre réalité, psychique cette fois, qui ne se superpose pas parfaitement à la précédente. Écheveau presque indémêlable au sein du récit familial qui tisse son histoire en utilisant indistinctement les fils de l’événement et du fantasme. Explosif écheveau, impitoyable pour celui qui, les confondant, saisit le fil du fantasme en criant à la mise au jour de l’événement caché. Erreur de fil. Boum ! Ou bien ne pas chercher à savoir quelque chose qui n’en finit parfois plus de soumettre le fonctionnement d’une cellule familiale à un lent mais inexorable processus de déflagration silencieuse. Troisième cercle, celui des secrets d’Esculape, les secrets du diagnostic et du pronostic médical. De l’annonce faite au mari de la femme souffrant d’une maladie d’Alzheimer, au pronostic annoncé aux parents d’un enfant atteint d’un cancer ou inconscient depuis un grave accident. Savoir, dénier, ne pas vouloir savoir, ne plus pouvoir savoir, demander à savoir du bout des lèvres tout en implorant de demeurer dans l’ignorance avec les yeux. Décoder, entendre, signifier, avec ces patients et leurs familles et leurs proches que nous recevons. Les souffrances de la transparence médicale commencent à être identifiées depuis quelques années, et leur prise en compte officielle s’inscrit jusque dans le programme officiel du concours de l’internat en médecine :
« Programme 2004 de l’Examen classant national (nouveau nom du concours de l’Internat), Module 1, Apprentissage de l’exercice médical, item 1 : La relation médecin-malade. L’annonce d’une maladie grave. La formation du patient atteint de maladie chronique. La personnalisation de la prise en charge médicale. »
L’annonce diagnostique ne va pas de soi, évidemment. Même dans la société de l’information – pardon, dans la société de la connaissance. Évidemment. Que le malade – ou dans certaines situations ses proches – puisse savoir est un droit fondamental qui relève d’une exigence éthique. Il est salutaire de ne pas tolérer un pur secret de soignants qui décideraient de façon souveraine et arbitraire à quel malade (et/ou à quelle famille ou quels proches) il conviendrait de dire ou de ne pas dire, sans devoir en rendre compte à qui que ce soit ni même à la loi. Le malade dispose effectivement de droits, dont celui de savoir, mais aussi celui de ne pas savoir, ce qui rend compte des qualités de sensibilité indispensables pour aborder décemment cette redoutable question. Un peu plus loin encore, les cercles qui nous font toucher les êtres que nous ne connaissions pas individuellement avant d’en avoir entendu parler. Cercles de l’information, diamètres centrifuges démesurément allongés par le truchement des médias. Nous croyons pouvoir savoir en toute transparence et en toute innocence ce qui se passe dans un fait divers, dans un conflit armé, ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Avant-propos
  6. Première partie - Une menace vieille comme le monde
  7. Deuxième partie - La connaissance, une histoire de neuroscience-fiction
  8. Troisième partie - Malaise contemporain dans la connaissance
  9. Quatrième partie - Néant der Tale, ou le récit du néant
  10. Bibliographie
  11. Remerciements
  12. Du même auteur chez Odile Jacob