Un enfant du Bronx
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Un enfant du Bronx

  1. 544 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Un enfant du Bronx

À propos de ce livre

Colin Powell est l'incarnation du rĂȘve amĂ©ricain. NĂ© de parents jamaĂŻcains, il a connu la jungle des rues avant d'entamer une brillante carriĂšre dans l'armĂ©e puis Ă  Washington. Le reste appartient Ă  l'histoire. L'homme qui a Ă©tĂ© Ă  la tĂȘte des armĂ©es des États-Unis, aujourd'hui l'une des figures qui comptent dans la vie politique amĂ©ricaine, raconte son parcours : du bourbier vietnamien aux garnisons de CorĂ©e, du Sud profond aux couloirs du Pentagone et aux antichambres de la Maison-Blanche, sous Reagan et Bush, Ă  l'Ă©poque de la Guerre des Étoiles, comme au moment de l'Irangate ou de la guerre du Golfe.

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Informations

QuatriĂšme partie
Le chef d’état-major


Chapitre XV
Dernier commandement

Chaque fois que je m’asseyais dans la salle de confĂ©rence du FORSCOM Ă  Fort McPherson en GĂ©orgie, je me retrouvais nez Ă  nez avec un pacifiste lĂ©gendaire. DĂšs que j’avais pris le commandement en chef, j’avais installĂ© une affiche de Martin Luther King, qui m’avait Ă©tĂ© offerte par son Ă©pouse, et sur laquelle Ă©taient notĂ©es ces paroles de son mari : « La libertĂ© a toujours coĂ»tĂ© cher. » Je voulais que cette affiche me rappelle, ainsi qu’à tous ceux qui Ă©taient dans la piĂšce, le rĂŽle capital qu’avait jouĂ© l’armĂ©e dans la dĂ©fense des libertĂ©s et dans les progrĂšs en matiĂšre de justice raciale. L’un des derniers soirs que j’ai passĂ©s Ă  la Maison Blanche, pour une rĂ©ception, un portier noir est venu me dire : « Mon GĂ©nĂ©ral, j’étais simple soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, quand il y avait encore de la sĂ©grĂ©gation dans l’armĂ©e. Je n’aurais jamais cru que je verrais un jour un gĂ©nĂ©ral noir ici. Je voulais juste vous dire que nous sommes fiers de vous. – Je vous remercie, mais vous vous trompez. C’est moi qui suis fier de ce que vous tous avez fait pour nous mĂącher le travail. »
J’ai citĂ© un jour les paroles de Martin Luther King Ă  l’association des journalistes noirs pour exprimer l’idĂ©e que la libertĂ© coĂ»tait cher et qu’on devait la dĂ©fendre. Je me suis fait mal recevoir, et mĂȘme critiquer dans la presse. J’étais sans doute allĂ© trop loin en essayant de rattacher le hĂ©raut de la non-violence Ă  la carriĂšre militaire, et je n’ai plus jamais citĂ© ce passage.
Comme j’avais servi Ă  la Maison Blanche pendant les Ă©lections prĂ©sidentielles de 1988, les gens d’Atlanta et d’ailleurs me demandaient parfois ce que je pensais de l’usage que l’on avait fait de l’affaire Willie Horton Ă  la tĂ©lĂ©vision afin de discrĂ©diter le candidat dĂ©mocrate Michael Dukakis. Horton, un Noir dĂ©tenu dans une prison du Massachusetts Ă  l’époque oĂč Dukakis Ă©tait gouverneur, avait violĂ© une femme et poignardĂ© un homme pendant un week-end de permission. Le fait d’en parler Ă©tait-il raciste ? Bien sĂ»r. Est-ce que ça me dĂ©rangeait ? Certainement. Les stratĂšges rĂ©publicains avaient fait un calcul politique cynique. Comme il n’y avait aucun moyen de gagner Ă  la cause rĂ©publicaine les Ă©lecteurs dĂ©mocrates noirs, ce n’était pas la peine de se fatiguer. Certains Ă©taient allĂ©s plus loin : si la carte raciste pouvait jouer en leur faveur, il n’y avait pas de raison de s’en priver. C’était le but recherchĂ© par toute cette publicitĂ© Ă  propos de Horton. C’était un coup bas politique. J’ai essayĂ© de ramener malgrĂ© tout les choses Ă  leur juste mesure. On m’avait confiĂ© des responsabilitĂ©s au plus haut niveau du gouvernement. Les conseillers du PrĂ©sident en matiĂšre de sĂ©curitĂ© nationale ne sont pas lĂ  pour faire joli. C’est vraiment un travail exigeant et difficile. Les deux annĂ©es oĂč j’ai travaillĂ© avec Ronald Reagan et George Bush, je n’ai jamais relevĂ© la moindre trace de prĂ©jugĂ©s racistes dans leur attitude. Mais ils Ă©taient Ă  la tĂȘte d’un parti qui n’adressait qu’un seul message aux Noirs amĂ©ricains : « Aide-toi, le ciel t’aidera. » Encore faut-il ĂȘtre en mesure de s’aider
 Je regrette que Reagan et Bush n’aient pas fait preuve de plus de sensibilitĂ© en la matiĂšre. Je me console cependant Ă  l’idĂ©e que la confiance qu’ils m’ont faite reprĂ©sente leur foi dans l’idĂ©al amĂ©ricain de promotion au mĂ©rite.
Feu Whitney Young, lorsqu’il Ă©tait directeur de la National Urban League, faisait le trajet de sa banlieue jusqu’à son bureau Ă  Manhattan. Lorsque le train approchait de la gare de la Cent vingt-cinquiĂšme Rue Ă  Harlem, Young se demandait parfois s’il ne ferait pas mieux de descendre se joindre aux manifestants plutĂŽt que de continuer vers le quartier des bureaux. Young avait bien conscience du rĂŽle important que jouaient les agitateurs au sein du mouvement. Mais il restait dans son train, en se disant que ce qu’il faisait depuis son bureau pour aider les Noirs Ă  trouver du travail dans les grandes sociĂ©tĂ©s amĂ©ricaines Ă©tait la meilleure façon d’utiliser ses talents. La croisade pour l’égalitĂ© exige une diversification des rĂŽles, de mĂȘme que l’armĂ©e a besoin de secrĂ©taires et de cuisiniers tout comme de pilotes de chasse. En prenant le commandement du FORSCOM, j’ai atteint le plus haut rang militaire du pays, celui de gĂ©nĂ©ral quatre Ă©toiles. J’avais Ă©tĂ© conseiller du PrĂ©sident. Il fallait que ma carriĂšre serve de modĂšle aux autres Noirs, qu’ils soient ou non dans l’armĂ©e, pour tĂ©moigner des dĂ©bouchĂ©s qu’offre la vie en AmĂ©rique. De mĂȘme, j’espĂ©rais, et j’espĂšre encore, que mon ascension pourra aider des Blancs racistes Ă  remettre en cause leurs idĂ©es racistes et contribuer Ă  extirper le poison du racisme, pour que les Afro-AmĂ©ricains qui viendront aprĂšs moi soient jugĂ©s exclusivement d’aprĂšs leurs mĂ©rites.
J’ai Ă©galement conscience que, au fil des annĂ©es, mon statut a pu servir de couverture Ă  certains racistes : « Je ne suis pas raciste. La preuve : j’ai Ă©tĂ© sous les ordres de Colin Powell. » Je me suis toujours retenu face aux provocations racistes : j’étais dĂ©cidĂ© Ă  rĂ©ussir en me montrant au-dessus de ça. J’ai de l’admiration pour ceux qui ont fait des manifestations, mais j’admire aussi ceux qui ont continuĂ© au-delĂ  et sont allĂ©s crĂ©er des emplois. J’admire encore plus ceux qui servent en menant une vie exemplaire. Et je salue les milliers d’Afro-AmĂ©ricains ordinaires qui, jour aprĂšs jour, vont au travail, font vivre leur famille, et qui sont, avec les AmĂ©ricains de toutes les races, le nerf de ce pays.


En tant que commandant du FORSCOM, j’avais dĂ©sormais Ă  mes ordres deux cent cinquante mille troupes actives, deux cent cinquante mille rĂ©servistes, et je prĂ©sidais Ă  l’entraĂźnement de cinq cent mille gardes nationaux. J’étais constamment sur la route, pour aller inspecter ces troupes de la Floride Ă  l’Alaska. J’ai liĂ© connaissance avec les gĂ©nĂ©raux qui commandent toutes les divisions. Ce que j’ai dĂ©couvert dĂ©passait de loin nos estimations les plus optimistes aprĂšs le travail accompli par Reagan et Weinberger. Nous avions une armĂ©e bien entraĂźnĂ©e et bien Ă©quipĂ©e, prĂȘte Ă  se battre. Mais se battre oĂč et contre qui ? Alors que la guerre froide Ă©tait en plein dĂ©gel, je me rendais compte que nos gĂ©nĂ©raux ne dĂ©mordaient pas de l’idĂ©e d’un affrontement avec l’Union soviĂ©tique. J’avais Ă©tĂ© bien placĂ© pour constater les fissures du monolithe soviĂ©tique. J’avais Ă©tĂ© Ă  la mĂȘme table que MikhaĂŻl Gorbatchev Ă  Moscou, Ă  Washington et sur Governor’s Island, et je l’avais entendu s’avouer vaincu dans la guerre froide. J’avais vu Gorbatchev rĂ©duire unilatĂ©ralement les troupes soviĂ©tiques de cinq cent mille hommes. J’avais vu notre vieil ennemi coopĂ©rer avec nous pour arriver Ă  des solutions pacifiques en Angola, en Namibie et dans la guerre Iran-Irak.
Certains de mes collĂšgues officiers prĂ©voyaient qu’un changement de cap s’imposait. Mais pour la majeure partie de l’institution militaire, tout se passait comme si, alors que notre ennemi principal avait fait demi-tour et Ă©tait rentrĂ© chez lui, nous nous tenions encore prĂȘts Ă  essuyer une collision frontale. J’ai dĂ©cidĂ© d’utiliser la chaire que m’offrait le FORSCOM pour ramener les gens Ă  la rĂ©alitĂ©. Une excellente occasion s’est trouvĂ©e lorsque le gĂ©nĂ©ral Jack Merritt, mon ancien patron Ă  Fort Leavenworth, m’a invitĂ© Ă  faire un discours lors d’un sĂ©minaire. Ce que j’allais dire risquait de ne pas ĂȘtre au goĂ»t de tout le monde dans l’armĂ©e ou parmi les fabricants d’armes qui seraient prĂ©sents.


Le 16 mai, dans un hĂŽtel de Carlisle, en Pennsylvanie, je me suis retrouvĂ© face Ă  un nombre de gĂ©nĂ©raux trois et quatre Ă©toiles suffisant pour constituer une galaxie, et un nombre d’industriels suffisant pour armer la moitiĂ© de la planĂšte. J’ai fait un discours intitulĂ© « L’avenir n’est plus ce qu’il Ă©tait ». J’ai fait remarquer que malgrĂ© des bouleversements gros comme des montagnes, il y en avait toujours pour considĂ©rer Gorbatchev comme un calculateur machiavĂ©lique qui essayait d’endormir notre mĂ©fiance. Non, ai-je dĂ©clarĂ©, la seule explication de son attitude est « l’impuissance et l’échec, Ă  l’extĂ©rieur comme Ă  l’intĂ©rieur, de l’Union soviĂ©tique. Le systĂšme soviĂ©tique est en faillite, et c’est Gorbatchev qui liquide ». J’ai dĂ©crit les zones dans lesquelles Gorbatchev avait contribuĂ© Ă  promouvoir la paix. L’ours Ă©tait devenu inoffensif. Je voulais que ce discours rĂ©veille les foules, et personne ne dormait ; je sentais la tension dans la piĂšce.
J’avais deux autres idĂ©es dans mon texte prĂ©parĂ© que j’avais biffĂ©es, réécrites et rebiffĂ©es. Aucun journaliste n’étant prĂ©sent ce jour-lĂ , c’était le moment d’exprimer le fond de ma pensĂ©e. Nous n’étions qu’en 1989, mais j’ai prĂ©dit la chose suivante : « Si demain nous ouvrions les portes de l’OTAN Ă  de nouveaux membres, nous aurions des demandes en moins d’une semaine : la Pologne, la Hongrie, la TchĂ©coslovaquie, la Yougoslavie, peut-ĂȘtre l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie voire l’Ukraine. En fait, les membres des partis d’opposition aujourd’hui publics en GĂ©orgie soviĂ©tique se posaient la question la semaine derniĂšre de savoir si l’avenir de la rĂ©gion allait passer par le non-alignement ou par l’adhĂ©sion Ă  l’OTAN. » Mes remarques ont autant frappĂ© le public que si j’avais prĂ©dit que des militants anti-avortement allaient devenir membres du Planning familial. « La machine militaire soviĂ©tique est toujours aussi massive, malfaisante et dangereuse qu’autrefois. De ce cĂŽtĂ©-lĂ , rien n’a changĂ©. Mais je crois que ça va changer. » Quelles Ă©taient les consĂ©quences pour l’armĂ©e ? Le peuple amĂ©ricain allait continuer Ă  ĂȘtre en faveur d’une dĂ©fense forte. Mais « l’ùre de croissance du dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt est rĂ©volue. Croyez-moi ». Il fallait nous poser nous-mĂȘmes une question difficile, avant qu’on nous la pose de l’extĂ©rieur : « Avons-nous besoin de tel ou tel engin ? » Et lorsque la rĂ©ponse Ă©tait nĂ©gative, il fallait savoir dire non. Le plus dur Ă©tait d’accepter que nous devions faire des coupes, tout en continuant Ă  entretenir « la meilleure foutue armĂ©e au monde ».


En temps de paix, lorsqu’un corps, une division ou un bataillon est bien dirigĂ©, l’officier de commandement n’a, Ă  vrai dire, qu’à se tourner les pouces par rapport aux pressions que l’on subit du matin au soir quand on est au FORSCOM. Au FORSCOM, j’avais des collaborateurs fiables. Je m’étais tracĂ© une philosophie de commandement bien claire. Une fois de plus, je pouvais me dĂ©tendre un peu : rentrer Ă  la maison Ă  seize heures trente, faire une partie de racquetball avec mon ancien chauffeur du 5e corps d’armĂ©e, Otis Pearson, que j’avais fait transfĂ©rer Ă  Atlanta ; loger dans une belle demeure victorienne, et avoir le temps avec Alma de cultiver un peu l’art d’ĂȘtre grands-parents. Jeffrey Michael Powell Ă©tait nĂ© juste avant notre dĂ©mĂ©nagement Ă  Atlanta.
Le CongrĂšs n’avait pas prĂ©vu que j’aie un chauffeur pour me conduire de chez moi Ă  mon nouveau travail. Tout en Ă©tant Ă  la tĂȘte d’un million de personnes, j’étais obligĂ© de me rendre au travail avec mon vieux break Chrysler gourmand et Ă  bout de souffle, qui faisait des taches d’huile devant le QG tout neuf du FORSCOM, qui avait coĂ»tĂ© quarante millions de dollars. Mais, une fois que j’étais rendu au bureau, je pouvais me faire conduire Ă  mes rendez-vous officiels par Otis dans une Mercury rutilante fournie par l’État.
La Chrysler Ă©tait mon cheval de labour de tous les jours pour transporter des outils, des piĂšces dĂ©tachĂ©es, et dĂ©poser les enfants Ă  la fac. Mais j’étais en pleine histoire d’amour avec les vieilles Volvo. Il y avait entre autres une 122 de 1967 avec un gros moteur Ă  double carburateur. Lorsqu’il y avait une panne que je n’arrivais pas Ă  rĂ©soudre tout de suite, j’allais m’isoler et je sortais le manuel. J’étalais devant moi les plans du circuit Ă©lectrique et du moteur, et par Ă©limination, j’identifiais la source du problĂšme. Lorsque j’avais Ă©liminĂ© toutes les explications possibles sauf une, je repartais au garage. On n’a pas idĂ©e de la satisfaction que cela me procurait d’analyser et de rĂ©soudre un problĂšme mĂ©canique grĂące Ă  un livre. J’y trouvais autant de plaisir que d’autres Ă  jouer au golf ou au bowling. Rien ne me fait autant plaisir que de dĂ©monter tous les fils, les tubes, les tuyaux et les boulons d’un moteur, de dĂ©tacher l’arbre de transmission, de passer une chaĂźne autour du moteur, de l’arrimer au plafond et de hisser, couvert de cambouis et de gloire, le moteur hors du capot. Je prĂ©fĂšre travailler seul. Je n’aime pas avoir des copains qui viennent tailler le bout de gras. C’est ainsi que je passais une bonne partie de mes loisirs Ă  Atlanta.
Un jour au dĂ©but de l’étĂ©, on m’a fait dire que Dick Cheney, le nouveau secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense, voulait me voir. J’avais travaillĂ© en collaboration Ă©troite avec lui, mais il n’était encore jamais venu au FORSCOM. Je suis allĂ© le chercher Ă  l’aĂ©roport minuscule d’Atlanta et je l’ai ramenĂ© Ă  mon QG oĂč mon personnel lui a fait un rapport sur l’état des rĂ©serves nationales stratĂ©giques au sol, dont j’étais commandant. Puis nous sommes allĂ©s dĂ©jeuner.
C’était bien le Cheney que j’avais connu au 5e corps d’armĂ©e et avec qui j’avais travaillĂ© au Capitole, aigu, intelligent, pas bavard, qui ne laissait jamais transparaĂźtre plus qu’il ne fallait. Et dur Ă  cuire. Cet homme qui n’avait pas passĂ© un seul jour sous les drapeaux, qui, pendant la guerre du ViĂȘt-nam, avait eu droit Ă  un dĂ©lai pour terminer ses Ă©tudes puis pour Ă©lever ses enfants, Ă©tait passĂ© Ă  la tĂȘte du Pentagone du jour au lendemain. Ses amis Ă  la Chambre des ReprĂ©sentants l’avaient apparemment averti que s’il ne s’imposait pas tout de suite, les gĂ©nĂ©raux et les amiraux allaient le manger tout cru. Mais il ne s’en laissait pas compter.
J’étais quasiment sĂ»r que Cheney n’avait pas fait halte Ă  Atlanta juste pour avoir un rapport sur l’entraĂźnement du FORSCOM. Mais, au cours de notre conversation, cet homme discret n’a rien laissĂ© transparaĂźtre des autres raisons pour lesquelles il serait venu. Je lui ai fait comprendre que j’étais satisfait de ce que j’avais.


Ce mois de juin, j’ai eu un appel d’un journaliste. « Mon GĂ©nĂ©ral, votre vie est une histoire Ă  l’amĂ©ricaine extraordinaire : le pauvre fils d’immigrĂ©s du Bronx qui arrive aux plus hautes responsabilitĂ©s de l’État et conquiert ses quatre Ă©toiles. » On voulait faire un article sur moi. Le journaliste est venu Ă  Atlanta, avec Eddie Adams, le photographe qui avait reçu le prix Pulitzer pour la photo inoubliable du chef de police sud-vietnamien qui exĂ©cute un officier viĂȘt-cong dans la rue pendant l’offensive du TĂȘt.
Mais l’article ne sortait pas. Entre-temps, j’ai commencĂ© Ă  entrevoir le but de la visite de Dick Cheney. Le second mandat de l’amiral Bill Crowe Ă  la tĂȘte de l’état-major des forces armĂ©es allait toucher Ă  sa fin en septembre. On lui avait proposĂ© un nouveau mandat de deux ans, qu’il avait refusĂ©. La presse avait citĂ© une demi-douzaine de noms, dont le mien. À l’époque, j’envisageais seulement de rester au FORSCOM. Ensuite, on verrait bien. Peut-ĂȘtre mĂȘme partirais-je en retraite. Ou dans le privĂ©.
Le dimanche 6 aoĂ»t, j’ai pris l’avion pour Baltimore oĂč les plus hauts chefs de l’armĂ©e devaient se rĂ©unir sous la prĂ©sidence de Carl Vuono. C’était une rencontre tout Ă  fait informelle, qui cette annĂ©e se tenait Ă  Belmont House, une ancienne propriĂ©tĂ© transformĂ©e en centre de confĂ©rences, en dehors de la ville. Il me tardait de passer ces trois jours. J’allais me retrouver parmi des gens que je connaissais bien, Carl, Butch Saint, un ami et concurrent, qui commandait nos forces armĂ©es en Europe, Norm Schwarzkopf, en charge de nos forces pour le Moyen-Orient, et une dizaine d’autres personnes auprĂšs de qui j’avais gagnĂ© mes galons dans l’armĂ©e. Nous allions dĂ©cider de l’orientation Ă  donner Ă  l’armĂ©e, ce qui Ă©tait ma question prĂ©fĂ©rĂ©e. Ce matin-lĂ , dans l’avion, j’avais lu un article intitulĂ© « Course Ă  la succession Ă  la tĂȘte de l’état-major ».
Nous Ă©tions arrivĂ©s au dernier jour de la confĂ©rence, lorsque vers deux heures de l’aprĂšs-midi, je reçois un mot. Cheney voulait que je l’appelle. Je suis sorti discrĂštement de la piĂšce, en essayant de ne pas me faire remarquer, avec tous les yeux fixĂ©s sur moi. Cheney avait dĂ©jĂ  quittĂ© son bureau, mais un quart d’heure plus tard, Ă  la fin de la confĂ©rence, j’ai reçu un autre message. Il fallait que je me rende immĂ©diatement au Pentagone. Vuono m’a fait un clin d’Ɠil lourd de sous-entendus et dit : « Je vais te trouver un hĂ©lico. »
Je suis passĂ© chercher Alma et nous sommes partis. À l’hĂ©liport du Pentagone, un chauffeur est venu nous prendre en fourgonnette. Cheney m’a accueilli avec le sourire, sans faire plus attention Ă  ma tenue de week-end. Il est comme ça : ce n’est pas le genre Ă  perdre du temps pour des broutilles. « Vous savez que je cherche un chef d’état-major. Vous ĂȘtes mon candidat idĂ©al. » Puis il a passĂ© en revue la liste de mes qualifications Ă  ses yeux. Je connaissais bien le fonctionnement du Pentagone et de la Maison Blanche. J’étais passĂ© par les postes de commandement requis. Je connaissais bien la question du dĂ©sarmement, qui Ă©tait l’une des prioritĂ©s de Bush. Et il estimait que nous Ă©tions faits pour nous entendre. Il m’a demandĂ© ce que je pensais du poste. « Je suis flattĂ©, bien sĂ»r. Évidemment, si le PrĂ©sident et vous-mĂȘme me voulez Ă  ce poste, je l’accepterai et je ferai de mon mieux. Mais vous savez que je me plais Ă  Atlanta et que je n’ai pas envie de dĂ©mĂ©nager. » Je ne parlais pas de mon premier souci. Ça allait ĂȘtre une sacrĂ©e responsabilitĂ©. J’étais le plus jeune des quinze gĂ©nĂ©raux quatre Ă©toiles qui Ă©taient lĂ©galement Ă©ligibles. Je n’avais ma quatriĂšme Ă©toile que depuis Ă  peine quatre mois, et plusieurs des candidats les plus ĂągĂ©s avaient des qualifications militaires bien plus impressionnantes que les miennes.
George Bush avait manifestement des rĂ©serves du mĂȘme type, car Cheney dit ensuite : « Le PrĂ©sident se demande si votre nomination poserait un problĂšme aux autres gĂ©nĂ©raux et amiraux supĂ©rieurs. » Je savais que je pouvais compter sur le soutien de Vuono, et j’étais en bons termes avec les autres chefs de service. « Je ne me fais pas de souci pour ça. » Ne jamais montrer ses doutes. « Parfait. Je vais vous recommander. Mais, comme vous le savez, c’est le PrĂ©sident qui a le dernier mot. »
Je n’ai rien dit Ă  Alma jusqu’à ce que nous soyons dans l’avion qui nous ramenait Ă  Atlanta. « C’est reparti pour un tour », s’est-elle exclamĂ©e.
Le lendemain, le mercredi 9 aoĂ»t, Cheney m’a appelĂ© pour me dire que le PrĂ©sident avait approuvĂ© sa recommandation et que c’était bien moi qui allais succĂ©der Ă  Bill Crowe. Bush voulait que je revienne Ă  Washington le lendemain pour faire une dĂ©claration dans la roseraie de la Maison Blanche. J’ai pris l’avion pour Washington le soir mĂȘme. A...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Sommaire
  5. Avant-propos
  6. PremiÚre partie - Les années de jeunesse
  7. DeuxiĂšme partie - Le soldat
  8. TroisiÚme partie - Les années à Washington
  9. QuatriĂšme partie - Le chef d’état-major
  10. Épilogue
  11. Les rÚgles de Colin Powell
  12. Remerciements