Journal de guerre d’un obstiné
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Journal de guerre d’un obstiné

  1. 224 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Journal de guerre d’un obstiné

À propos de ce livre

C'est en partant combattre le nazisme qu'Henri Danon-Boileau se sera construit. Au moment de la capitulation de juin 1940, il n'a qu'une idée fixe : gagner l'Angleterre et se battre. Il finira par rejoindre Leclerc et faire la guerre au sein de la 2è DB, de la Normandie à l'Alsace, en passant par Paris. Mais pour y parvenir, que d'efforts, que d'aventures, que de tentatives qui chacune semblera l'éloigner un peu plus de son but : la prison à Marseille, les geôles espagnoles, l'affectation dans un commando d'entraînement à Saint-Pierre-et-Miquelon, le passage par New York où il rencontrera celle qui deviendra son épouse. L'obstination aura fini par payer. Henri Danon-Boileau est officier de la Légion d'honneur à titre militaire, médaille militaire, Croix de guerre, médaille de la Résistance. Psychiatre et psychanalyste, il a centré sa réflexion sur ces moments particuliers que sont l'adolescence et la vieillesse. On lui doit notamment Une certaine forme d'obstination. Vivre le très grand âge. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2015
Imprimer l'ISBN
9782738131386
ISBN de l'eBook
9782738165961
Sujet
History

CHAPITRE 1

L’enfance


Je suis né en 1918 à Buenos Aires. Berthe Weinberg, ma mère que j’appelais Mame (pour moi abréviation de Mamélé, « petite maman » en yiddish), était née dans le Marais, à Paris, en 1890. Partie à 22 ans en Amérique du Sud, c’est vers la fin de la Première Guerre qu’elle y a rencontré mon père, Élie Danon, né quant à lui en Roumanie. Il était venu s’installer dans la capitale argentine pour y travailler comme journaliste.
Je ne possède presque aucun document le concernant, aucune photo de lui, et je n’en ai d’ailleurs jamais vu. J’ignore tout de ce qu’était sa famille, je ne sais pas s’il avait des frères et sœurs, de quel milieu il était issu, quelles études il avait suivi. Le peu que je connais, je l’ai appris par bribes. Il était, paraît-il, assez porté sur les femmes, fort intelligent et très doué pour les mathématiques.
Je n’ai jamais parlé de mon père avec ma mère. Sauf une fois, très peu de temps avant sa mort. Elle avait alors plus de 80 ans et moi pas loin de 60. Alors que nous étions seuls, je me rappelle lui avoir demandé : « Mame, je sais que ça va t’ennuyer, mais j’aimerais que tu me dises quelques mots au sujet de mon père. » Elle m’a simplement répondu : « Oui, effectivement, ça m’ennuie, et je n’ai pas grand-chose à t’en dire. » Rien de plus à ajouter sur ce tabou, sinon que j’ai dû être pour partie complice du silence partagé entre ma mère et moi.
Mes parents se sont en effet séparés peu après ma naissance. Fermement décidée à divorcer, ma mère a prétexté qu’elle voulait retourner voir sa famille en France. Elle est y revenue seule avec moi. J’ai donc quitté Buenos Aires à l’âge de 3 ans. Je n’y suis jamais retourné, mais j’en ai conservé quelques images. C’est de ce voyage sans doute que je garde un goût très vif pour les grands départs et les destinations lointaines. Le souvenir de la passerelle du bateau, avec ma mère pour moi seul et mon père laissé en bas sur le quai, n’est sans doute pas pour rien dans cette prédilection. En partant, j’abandonnais sans le savoir des proches que j’aimais, un cadre de vie et tout un entourage hispanophone qui était pour moi comme un cocon.
De l’arrivée en France, je n’ai conservé aucun souvenir. Ma mémoire saute à notre appartement situé rue Commines, près du boulevard des Filles-du-Calvaire, où j’ai vécu quatre ou cinq ans seul avec ma mère.
Elle a dû travailler tout d’abord comme « arpette », comme on disait alors pour désigner une apprentie, puis comme vendeuse. À l’époque, c’était une jeune femme mince, vive, pleine de gaieté et de drôlerie, comme beaucoup de Parisiennes charmantes et un peu délurées qui gravitaient dans le milieu de la mode.
Aux beaux jours, elle m’envoyait passer régulièrement plusieurs mois chez une lointaine cousine, qu’on appelait « tante Al » et qui prenait de temps en temps un ou deux enfants en pension contre une petite rémunération. Je restais ainsi une bonne partie de l’année à Magonty, près de Bordeaux, où je me retrouvais très seul. Livré à moi-même, je passais l’essentiel de mon temps à grimper aux arbres qui bornaient une prairie. J’adorais me tenir le plus près possible du sommet, dans les branches doucement balancées par le vent. Et là, je me racontais des histoires de vigie, de marin. Sans doute m’en avait-on lu.
Je me souviens qu’un été Mame est venue me voir. Lorsqu’elle m’a aperçu grimper, elle a pris peur de mes « prouesses ». Bien qu’elle fût myope et plutôt maladroite, elle-même adorait se hisser dans les arbres. Je la revois, plus tard, après son second mariage, dans sa belle tenue « chinoise », cueillant des pêches, qu’elle aimait croquer vertes. Au pied du pêcher, mon beau-père, scandalisé, essayait en vain de la faire redescendre.
Il y avait un fossé entre les séjours chez tante Al et mes retours à Paris. Chez tante Al, assurément, j’étais très seul et plutôt malheureux. À Paris, j’étais gâté comme un petit roi, très chouchouté par ma mère et par beaucoup de personnes de son entourage.
Son frère le plus proche était l’« oncle Bernard ». Il était grand pour l’époque, très costaud, avec des yeux bleu clair et un charme à la Jean Gabin. Lui qui n’avait pas d’enfant m’aimait beaucoup et je le lui rendais bien. Je l’admirais. Il était gentil, affectueux, très généreux, et ce n’est pas seulement l’admiration du petit garçon que j’étais alors qui me pousse à l’évoquer ainsi. Fin 1913, il était parti faire de la représentation d’outillages ou de Dieu sait quoi en Amérique du Sud et, en 1914, la guerre avait éclaté tandis qu’il était toujours en Argentine. Il n’avait pas hésité une seconde à prendre aussitôt le bateau et à rentrer pour venir se battre, alors qu’il aurait très bien pu rester tranquillement là-bas. C’est vrai qu’on n’avait pas idée de ce à quoi allait ressembler cette guerre que les nationalistes et les « patriotards » annonçaient rapide et joyeuse.
Mes cinq oncles, Manuel, Léon, Benoît, Isaac – appelé Titi – et Bernard, ont tous été mobilisés, deux d’entre eux dans la Légion étrangère car ils étaient fils d’émigrés juifs polonais, et certains n’avaient pas la nationalité française. De tous, c’est Bernard qui a fait la guerre la plus brillante. Agent de liaison, il a reçu notamment la Croix de guerre et la médaille des blessés. Il a été grièvement blessé à Vauquois, colline de Verdun, et il commentait toujours : « C’est dommage, parce que je m’étais dégoté une planque formidable. Je devais aller dans les corps francs. Tu comprends, il y avait un coup dur de temps en temps, et puis après, tu retournais à l’arrière, tu étais tranquille. Tu passais un minimum de temps à t’ennuyer dans les tranchées. »
Mon oncle Titi a lui aussi fait une « belle guerre » dans l’infanterie. En 1945, parlant avec lui de mon itinéraire, je me suis aperçu que nous nous étions battus dans les mêmes villages : Herbéviller, Rambervillers. Nous en conservions un souvenir semblable, boueux et triste.
Dans ma mémoire, aux premiers temps de ma venue en France, les images signent une existence où Mame et moi étions libres et spontanés. Et puis tout a brutalement changé. Je me suis retrouvé plongé dans un univers pesant et étouffant. J’y suis resté confiné sinon jusqu’à la guerre, du moins jusqu’à ma sortie du lycée.
Un soir, ma mère m’a annoncé qu’elle allait se remarier. « C’est quelqu’un que tu n’as jamais vu », a-t-elle ajouté. Un genre de nouveau papa. Il est venu dîner avec nous le soir même rue Commines. Je me souviens encore qu’au départ de ce gros monsieur à lunettes, sous prétexte de dire au revoir, je l’ai surveillé avec inquiétude tandis qu’il descendait l’escalier. Il m’a fallu de longues années d’analyse pour comprendre ce que pouvait signifier cette curieuse sollicitude pour celui qui allait me « voler » ma mère. Quand il est parti, Mame m’a demandé mon avis. J’ai l’impression d’avoir feint d’être d’accord pour ce mariage, comme si j’en étais content. Et peut-être après tout l’étais-je puisque j’étais un petit garçon sans père.
Le docteur Georges Boileau était né à Limoges en 1875 et s’était installé comme radiologue rue de Rennes à Paris après la Grande Guerre. Il était veuf et sans enfants, mais très désireux d’en avoir, surtout un fils. À cette époque, qui marquait les débuts de sa spécialité, le personnel médical se protégeait peu des effets nocifs des rayons X, c’est sans doute cela qui l’avait rendu stérile. Pour ma mère, seule et divorcée avec un petit garçon, même avec vingt ans de plus qu’elle, il représentait certainement un « beau parti ».
De petite taille, presque obèse, particulièrement cultivé, c’était un homme de gauche aux idées généreuses, absolument pas raciste, foncièrement et profondément exempt de tout antisémitisme. Cependant, il n’avait pas du tout l’habitude des enfants et il était doté d’un caractère des plus difficiles dont son entourage immédiat, essentiellement ma mère et moi, faisions chaque jour les frais. Il se montrait cassant, autoritaire comme on ne l’imagine plus aujourd’hui et pouvait faire preuve d’une grande violence. Ce côté très colérique masquait un caractère assez faible. Il m’a souvent giflé très fort et m’a énormément battu. Je le redoutais beaucoup. Si je déteste mon enfance, c’est à cause de lui. Et pourtant, sans lui, je n’aurais pas continué mes études ni eu le même destin.
En matière d’art ou de littérature, il avait des jugements sans nuance. Il était toujours convaincu d’avoir raison et ceux qui ne partageaient pas son avis étaient pour lui des imbéciles. Si ma mère ou moi émettions un avis différent du sien, il répliquait aussitôt : « Tu n’y connais rien » ou « Tu n’y comprends rien ». Cela débouchait facilement sur des colères. Rapidement, j’ai pris l’habitude de me taire ou pis, d’acquiescer. En revanche, il vouait une admiration enfantine à quelques personnes, au premier rang desquelles trônait sa mère, qu’il adorait.
L’été, j’étais toujours expédié à Magonty. Un jour, tante Al m’a appelé pour me lire une lettre de Mame. Elle annonçait ma première rentrée à l’école et me détaillait tout ce qu’elle m’avait acheté. Son enthousiasme ponctué d’exclamations n’a pas réussi à susciter le mien.
Je me souviens de ma découverte de l’école dans la cour plantée d’arbres. Je m’y sentais perdu. L’institutrice me faisait peur, j’avais l’impression de ne pas bien comprendre ce qui se passait ni ce qui se disait. Peut-être était-ce là l’effet de l’arrachement à Buenos Aires et de ma transplantation à Paris. Et puis, je maîtrisais sans doute moins bien le français qu’il n’y paraissait. L’année suivante, mon instituteur me terrorisait. C’était un grand blessé de guerre avec une jambe de bois. D’ordinaire, j’étais dans la lune. Souvent, quand je levais le doigt pour répondre, c’était un peu à côté, comme pour manifester que je ne comprenais pas.
Au dernier trimestre de 1927, Mame a emménagé avec son nouveau mari, au 54 de la rue de Rennes. Quand je suis revenu de Magonty, c’est là que j’ai été directement rapatrié. J’étais désormais inscrit à l’école des garçons de la rue Saint-Benoît, à Saint-Germain-des-Prés. Pour dormir et faire mes devoirs, je devais m’installer dans la salle à manger de notre nouvel appartement. Je travaillais là jusqu’à l’heure du dîner ; puis, je remballais mes affaires, que je rangeais dans le chauffe-plats aménagé dans la cheminée. La plupart du temps, quand je rentrais du lycée, j’expédiais mon goûter et, cahiers et livres ouverts, je restais à rêvasser des heures, confronté à la quasi-impossibilité d’apprendre, sauf l’histoire et les récitations, la « partie forte des ânes », commentaient certains professeurs. Je devais suer sang et eau pour tout travail scolaire. Plus tard, quand je suis devenu psychanalyste, la question des inhibitions scolaires m’a évidemment passionné1.
Je ne jouais pas. Où donc aurais-je d’ailleurs pu étaler mes jeux ? Je me suis quand même un peu essayé au Meccano, mais j’ai très vite abandonné, car il fallait tout remiser dans un coin de placard quand on mettait le couvert. J’aurais adoré soldats, canons, avions, mais tous les jeux militaires étaient formellement proscrits. Pacifiste à tous crins, mon beau-père les avait déclarés stupides et dangereux car ils encourageaient à la guerre. La lecture représentait donc pratiquement ma seule distraction. La punition majeure était de m’en priver. Il me fallait alors me rabattre sur les livres de classe. C’est ce qui m’a valu de lire Corneille, Racine, Molière et quelques autres classiques.
Mon beau-père (qui se fit rapidement appeler « Papa ») avait des idées assez particulières sur l’éducation. Il convenait, disait-il, de cultiver sa mémoire. Il n’avait pas tort, mais, pour ce faire, il me faisait apprendre tous les jours des vers pour les recopier ensuite. C’est ainsi que j’ai dû savoir par cœur les quinze strophes des « Djinns » de Victor Hugo pour les recopier ligne à ligne sur un gros cahier de moleskine. Mon père me faisait réciter, vérifiait le cahier, scrutait les virgules et ponctuait ce rituel de gifles et de cris incessants. Bien souvent, au fil des jours de mon enfance, j’ai attendu, terrorisé, que sa colère éclate. Brusquement, sans rime ni raison.
Ses colères étaient abominables. Il lui arrivait de se fâcher violemment avec ma mère pour des broutilles. Il criait, tandis qu’elle, elle ne répondait rien. Très tôt, j’ai senti que pour se mettre dans de pareils états sans raison, il devait être atteint de folie. C’est sans doute pour le soigner que je suis devenu psychiatre. Il s’est agi d’être plus fort que lui, mais, contrairement à lui, de se montrer « bon » pour lui2. Les gifles et les coups pleuvaient. À l’époque, les châtiments corporels étaient d’ailleurs passablement banals, mais, chez nous, c’était quand même particulier. Si je tentais de lever le coude pour me protéger des gifles, mon père hurlait encore davantage. Les coups tombaient très souvent sans que je sache pourquoi. C’est un grief que je n’ai osé me formuler « totalement » qu’au cours de ma seconde analyse. Peut-être parce que j’avais inconsciemment peur de trop en vouloir à ma mère : elle ne s’est jamais élevée contre ces violences, même injustes. Elle ne s’est jamais interposée quand il me giflait de toutes ses forces. Elle devait juger cela nécessaire à mon éducation et, de toute façon, il fallait extirper les « mauvais instincts » que je tenais probablement de mon vrai père.
Bien entendu, je n’avais pas le droit de parler à table. Je devais attendre qu’on me pose une question pour prendre la parole, mais quand mon père était fâché contre moi, il ne s’adressait plus à moi. En réalité, j’étais assez content parce qu’alors j’avais la paix. Le plus souvent, les repas se déroulaient sur la corde raide. Je ne savais pas où porter mes yeux : si je le regardais, j’étais insolent ; si je ne le regardais pas, j’étais « faux-jeton ». Et ça se terminait encore par une gifle.
Malgré ces tiraillements et les souvenirs un peu flous que je garde de cette époque, je me souviens qu’un jour, comme je regardais par la fenêtre, le ciel était d’un très beau bleu. Pour la première fois, j’ai pris clairement conscience de moi. Je me suis dit que j’étais moi, que j’existais.
Au matin de la rentrée 1928, alors que la bonne m’attend sur le palier pour m’accompagner à l’école, ma mère me dit au revoir dans l’entrée. Et elle ajoute : « À propos, tu sais, Riquet, maintenant, tu t’appelles Boileau, tu ne t’appelles plus Danon. » Je me rappelle n’avoir pas posé de questions, probablement parce que prendre le nom de mon beau-père me paraissait aller de soi puisque je l’appelais Papa. De leur côté, ni explication ni commentaire. J’ai conservé ce nom de Boileau jusqu’à mon bac. Là, le jour de l’inscription, on m’a expliqué que je devais figurer sous le nom de Danon-Boileau, ce qui m’a beaucoup gêné car j’avais complètement gommé le nom de Danon.
Revenons à mon année rue Saint-Benoît. Très vite, mes résultats ont été tels que mon père, qui était un homme du XIXe siècle, imbu des idées éducatives de ce temps bien qu’il se crût très moderne, a décidé de m’en retirer et de me faire donner des cours particuliers par M. Espinouse, le directeur de l’école. Je me souviens encore de ce dernier me menaçant devant mes parents, à la maison, et disant que, si je ne faisais rien, je serais un raté, un « primaire », et que j’irais casser des cailloux. Je vous épargne les recommandations, hurlements, cris et gifles de mon père, les lamentations de ma mère à propos de mes mauvais résultats et de ma paresse. J’avais l’esprit bloqué, fermé.
Par ailleurs, j’étais complètement isolé. Je ne voyais pas d’enfants. Mon père exigeait que tous les jours, quel que fût le temps, j’aille au Luxembourg de 13 h 30 à 15 h 30 pour « prendre l’air », mais je me retrouvais encore seul. La plupart du temps, les autres enfants étaient en classe. Je m’ennuyais, errant dans le Luxembourg sans but ni distraction. Un jour qu’il pleuvait très fort, je suis même allé me réfugier tout près d’un garde à l’intérieur d’une guérite, dans l’allée qui va du m...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Chapitre 1 - L’enfance
  5. Chapitre 2 - Grandir avant-guerre (1928-1936)
  6. Chapitre 3 - La montée des périls (1936-1939)
  7. Chapitre 4 - La guerre
  8. Chapitre 5 - Journal de guerre
  9. Chapitre 6 - La vie d’après
  10. Table
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