
- 208 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
14-18, un sujet de savant ? Bien au contraire !Depuis une dizaine d'années, nombre de romans ont été publiés avec pour toile de fond la Grande Guerre, Un long dimanche de fiançailles a attiré plus de quatre millions de spectateurs, et même la chanson et la musique s'y mettent. D'innombrables associations animent aussi la zone de l'ancien front. Bref, 14-18 donne lieu à des pratiques sociales et culturelles d'envergure. Quant aux hommes politiques, ils ne sont pas en reste et s'emparent des hauts lieux de la guerre pour parler du présent. D'où vient cet intérêt ? Que nous révèle-t-il quant à la mémoire de cette guerre, à notre rapport au passé et au rôle que joue l'histoire dans notre société ?Auteur notamment des Fusillés de la Grande Guerre et du Chemin des Dames, Nicolas Offenstadt est maître de conférences à l'université Paris-I.
Foire aux questions
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Informations
Chapitre 1
14-18 « Une histoire à soi21 »
Il y a tant de souvenirs à s’approprier avec la Grande Guerre : les lettres ou objets des millions de mobilisés, les quelque 800 kilomètres de zone de front, les armes et souvenirs patriotiques… Chacun ou presque peut bâtir son « histoire à soi », selon ses goûts et sa « passion ordinaire22 ». Internet favorise la circulation des informations, des savoirs, des expertises – et même des objets – sans avoir à passer par de lourdes recherches23. Ainsi, le Web aidant, depuis des années, s’est bâtie une véritable « communauté 14-1824 » qui articule ou mélange généalogie, histoire locale, activités patrimoniales, collections, bibliophilie, projets pédagogiques et multiplie les échanges en ligne25… Chacun s’y investit plus ou moins, peut ainsi monter un site ou un blog, qui pour transmettre le souvenir d’un ancêtre, qui pour faire partager sa passion des casques de 14-18 – la version collectionneur – ou des monuments aux morts, qui encore pour rappeler les combats d’un régiment, ou des soldats d’une région. Souvent, l’idée d’une guerre (ou d’épisodes) « occultée26 », de pans entiers de cette histoire passés sous silence, à redécouvrir, soutient les discours et légitime les engagements. L’immense succès de Paroles de poilus, recueil de lettres de soldats publié en 1998, à la suite d’une collecte lancée par Radio France, témoigne aussi de la volonté d’une forme d’accès brut, direct au conflit par le biais de ceux qui l’ont vécu. Avec plus de 300 000 exemplaires pour l’édition Librio seulement, et des dizaines de milliers d’exemplaires encore vendus régulièrement27, c’est la réussite publique d’une démarche qui se veut « humaniste et littéraire28 ». L’édition est en effet composée sans souci d’analyse critique, d’ordonnancement historien mais selon les saisons. Depuis la formule ne cesse d’être déclinée en des manières variées, audiovisuelles, livresques, etc., avec, par exemple, les Paroles de Verdun, en 2006…
Sans chercher l’exhaustivité, c’est à la fois cette « communauté » et les formes d’engagement plus individuel que ce chapitre voudrait décrire. Chacune de ces activités, chacun des groupes engagés dans le souvenir de la guerre pourrait justifier une étude en soi, d’ordre sociologique ou anthropologique. Notre livre n’est qu’une première approche de ce milieu et entend simplement montrer comment les usages de la Grande Guerre recouvrent tout un ensemble de mouvements contemporains d’usage du passé sur lesquels nous reviendrons. Nous avons utilisé, pour cette étude, notamment la presse locale, des entretiens et de nombreuses visites sur les sites de mémoire, mais il nous faut ajouter que, depuis quinze ans, dans le cadre de nos travaux, nous croisons beaucoup des acteurs de cette « communauté » et sans doute notre analyse est-elle en partie déterminée aussi par cette longue fréquentation, par une forme d’ethnographie vagabonde.
Récits généalogiques
Parmi les formes les plus courantes d’investissement dans l’histoire du conflit figure la quête généalogique29. Cette dimension généalogique sert même d’argument de vente pour un roman (Le Dossier bleu, 2003) bâti sur l’alternance entre lettres du temps et redécouverte par la famille de cette histoire : « Un vrai roman populaire – dit le prière d’insérer – dans lequel chacun pourra retrouver des échos de sa propre histoire familiale. » Il existe désormais un guide très complet, qui vient d’être réédité, conçu spécialement pour les recherches généalogiques concernant 14-18, Votre ancêtre dans la Grande Guerre30. D’emblée l’auteur met en scène le partage d’une quête généalogique, en une socioanthropologie intuitive bien pesée : « Un livre dont votre aïeul est le héros » : « Comme tous les Français, vous avez au moins un ancêtre, un aïeul qui a participé à la Grande Guerre. Vous ne savez rien de lui, mais vous l’avez rencontré par hasard sur un livret de famille, sur un acte d’état civil. Vous l’avez peut-être même connu mais vous étiez trop jeune pour oser lui poser des questions importantes et puis, vous ne saviez pas quoi lui demander. À présent, il est mort et voilà que vous vous intéressez à lui. » Après les premières recherches, « vous partirez sur le champ de bataille pour finir de mieux comprendre la réalité de la Grande Guerre, la Der des ders qui, grâce à vous, ne tombera pas dans l’oubli. Enfin devant tous les renseignements glanés ici et là, vous prendrez la décision d’écrire, pour vous et votre famille, l’histoire de votre aïeul en 1914-1918… l’histoire dont il est le héros31 ».
Témoin de cet intérêt généalogique encore, le rapport La Meuse face au défi du centenaire de la Grande Guerre, rédigé par Serge Barcellini, un des acteurs et des observateurs les plus attentifs des mémoires de guerre, propose la création à Verdun d’un centre de recherche généalogique, dans le monument de la Victoire, où les visiteurs pourront accomplir un certain nombre de recherches personnelles. Cette attention du pouvoir au goût pour la généalogie conduit à la politique de mise en ligne documentaire sous l’égide des ministères concernés : « Partant du principe que les Français se prenaient de passion pour la généalogie, nous nous sommes dit qu’il fallait mettre nos archives à disposition des citoyens », note ainsi (2009) un conseiller en charge de la communication et de la presse au secrétariat d’État aux Anciens Combattants32 : en 2003, ce sont les fiches des morts pour la France, en 2008 les journaux des marches et opérations des unités.
Depuis quelques décennies, la généalogie comme pratique sociale ne cesse en effet de s’étendre : les associations de généalogistes ont progressivement constitué un véritable maillage territorial. Dès la fin des années 1960, une Fédération française de généalogie rassemble les plus actifs33. À vrai dire, aujourd’hui, les activités généalogiques dépassent le simple établissement de la lignée. Souvent les généalogistes deviennent historiens de leur ville, village, quartier ou communauté. Autrement dit, la recherche des ancêtres est une activité désormais élargie, participant d’une sociabilité historique amateur. Elle touche aussi aux activités patrimoniales. Dans toute recherche généalogique, chacun tombe forcément sur un ancêtre ayant participé à la Grande Guerre, ce qui oriente parfois l’envie de creuser ce sillon-là en particulier. Parfois encore, la quête généalogique s’oriente d’emblée sur le souvenir de 14-18. Cette quête de l’ancêtre prend de multiples formes, érudite, intime et réparatrice34.
La version intime ou familiale consiste à rassembler pour les proches les documents laissés par un soldat, carnets, lettres, à les recopier ou les dupliquer en plusieurs exemplaires pour les héritiers35. Parfois c’est une première étape, les lettres de l’officier corse Gistucci sont éditées treize ans après la transcription : « Ce travail de copie a été fait avec grand plaisir, grande piété et grande admiration par la nièce de Sampiero, la fille de son jeune frère chéri, Valère, entre le 28 août et le 11 septembre 197636. » Le livre date de 1989. La version érudite, étape supplémentaire, tient en effet dans l’édition des souvenirs de guerre de l’ancêtre, d’un fonds de photos, soit sous une forme livresque soit sur Internet, par exemple sur un blog. Cet investissement prend une extension très variable, de la simple édition limitée à compte d’auteur ou presque jusqu’à la publication commerciale37. Il peut aussi s’inscrire dans la tradition d’érudition généalogique des familles nobles, comme lorsque le professeur de médecine Pierre de Vernejoul édite les carnets de route de son père, Robert, également médecin, et académicien, non sans rappeler l’inscription familiale dans une histoire remontant au cœur du Moyen Âge38. C’est aussi, le cas pour le livre d’Alain Fauveau sur son grand-père, Charles de Menditte, commandant de régiment pendant le conflit. L’édition des souvenirs encadrée par le commentaire historique du petit-fils, lui-même général, est soutenue par l’Association familiale Biltzar de Berterèche de Menditte et par la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres dont l’auteur est membre39.
Si la quête généalogique motive la quête documentaire, l’histoire familiale, les deuils, les héritages ou les déménagements amènent aussi à la découverte de documents, qui peut être première, comme l’explique Michel Mauny en avant-propos au livre consacré à la correspondance de ses grands-parents en 14-18 : « Une profonde émotion m’envahit lorsque parvint entre mes mains en juillet 2002 un carton poussiéreux contenant près de 1 250 correspondances et documents divers […]. Ce carton avait été conservé par ma mère au fond du bric-à-brac d’un grenier rarement visité40. » Marie-Gracieuse Gistucci dit dans la préface de l’édition des lettres de son oncle qu’elle s’est longtemps désintéressée de ces documents largement connus et commentés dans la famille, à la fois parce que plongée dans ses propres luttes, mais également parce que critique des valeurs que pouvait porter le patriotisme de 14-18, les anciens combattants « fossilisés » : « Mais, confusément, ce que nous refusions dans les anciens, c’était la menaçante image de notre avenir41. » La cinquantaine venant et le « désœuvrement d’un été pluvieux » poussent à la redécouverte et à l’édition des lettres. La dimension généalogique n’est pas moins marquée : « Je crois qu’il aurait aimé savoir que son témoignage pouvait éclairer la route de ceux qui viendraient après lui. » Même mise à distance et même forte inscription généalogique autour des carnets de Marcel Riégel : son petit-fils, Jean-Marie, redécouvre les carnets de son grand-père après des dizaines d’années de désintérêt ou d’oubli, un objet qui doit se transmettre à chaque fils aîné42.
Dans un récit croisé du destin de son père et de sa mère en 14-18, à partir de nombreux documents originaux, Margueritte-Marie Decroocq-Blanckaert noue un dialogue posthume avec son père, évoquant leurs relations et les tensions qui ont pu exister : « À l’aide de documents, j’ai fouillé ta vie, ta jeunesse, la guerre43. » Outre le volume, la fille fait apposer, en 2008, à Dommiers dans l’Aisne, une plaque dédiée à la mémoire du père sur le lieu même où il a été blessé en 191844. Dans l’ossuaire de Navarin (Marne) comme dans la chapelle de Cerny (au milieu du Chemin des Dames), on constate que des plaques du souvenir continuent d’être fabriquées et apposées dans les dernières décennies, bien au-delà des premières années du deuil.

Plaque datée de 1975 à l’intérieur de l’ossuaire de Navarin (cliché N. O.).
L’édition du texte, qui prend parfois de longues années, transforme la quête généalogique en travail d’érudition, de familiarisation avec le conflit, son vocabulaire, les secteurs du front afin, notamment, de rédiger des notes d’accompagnement45. Nicolas Cassagnau en présentant les carnets de son grand-père évoque la prégnance de la guerre dans sa région des Vosges, même si le grand-père n’en a rien dit, et aussi les découvertes : « Étranges aussi, et fascinants, bien plus que les chapeaux invraisemblables garnis de fleurs et de voilettes sous lesquels il les croyait bien cachés, c’étaient ces lourds fusils qui ne servaient pas à la chasse, ce gros revolver graisseux, ces sabres étincelants et cette boîte en fer remplie de médailles multicolores, tout ça au grenier, ce grenier magique des enfants. » Les textes mêmes sont aussi des objets, saisis dans leur matérialité, comme le note Jean-Marie Riégel lorsqu’il reprend les carnets de son grand-père : « La première impression est celle d’un bel objet. » Les objets servent ici de médiation et sont réappropriés dans de nouveaux contextes46. On le reverra aussi pour les écrivains.
La version réparatrice de cette quête amène le descendant à vouloir redonner une place à un ancêtre considéré comme oublié ou mal traité par le souvenir familial, administratif ou officiel. ...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- Chapitre 1 - 14-18 « Une histoire à soi »
- Chapitre 2 - 14-18 dans la création contemporaine
- Intermède - Les historiens et la présence du conflit
- Chapitre 3 - La Grande Guerre, figure politique
- Chapitre 4 - Les derniers poilus, icônes contemporaines
- Conclusion
- Notes
- Bibliographie
- Remerciements
- Du même auteur chez Odile Jacob