
- 368 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
Vous n'en avez peut-ĂȘtre pas conscience, mais toute votre perception du monde, votre rapport Ă ce qui vous entoure, aux autres et Ă vous-mĂȘme sont dĂ©terminĂ©s par un petit quelque chose qui vaut de l'or : votre attention â sans cesse convoitĂ©e et courtisĂ©e, toujours menacĂ©e. Cet ouvrage vous propose prĂ©cisĂ©ment de « faire attention Ă votre attention » dans votre vie quotidienne, pour en tirer un meilleur parti. Pourquoi l'attention Ă©chappe-t-elle si souvent au contrĂŽle volontaire ? Pourquoi est-il si difficile de rester concentrĂ© ? Que faire pour ne pas se laisser dĂ©river ou pour Ă©viter de papillonner ? C'est dans le cerveau qu'il faut chercher ces secrets, que les neurosciences modernes commencent Ă pĂ©nĂ©trer. Jean-Philippe Lachaux est directeur de recherche Ă l'Inserm, au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Il anime un groupe dĂ©diĂ© Ă la comprĂ©hension des mĂ©canismes cĂ©rĂ©braux des grandes fonctions cognitives humaines.
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Informations
Chapitre 1
Tout le monde sait-il
ce quâest lâattention ?
ce quâest lâattention ?
Ă chaque souffle du vent
Il change de place
Le papillon sur le saule.
BASHO1.
Alexis a 9 ans et sa maĂźtresse vient de lui demander de faire attention Ă ce quâelle dit. Bien quâil sache parfaitement ce que sa maĂźtresse attend de lui, il ignore sans doute que des scientifiques travaillent chaque jour depuis plus dâun siĂšcle pour comprendre ce que lui demande vraiment son institutrice et comment y parvenir. « Madame, quâappelez-vous lâattention ? Et comment fait-on attention ? » Si Alexis se hasardait Ă poser ces questions, sa maĂźtresse serait sans doute embarrassĂ©e pour lui rĂ©pondre. Peut-ĂȘtre suggĂ©rerait-elle Ă son Ă©lĂšve de commencer par la regarder et lâĂ©couter. Mais quelle est la diffĂ©rence entre regarder et voir, entre Ă©couter et entendre ? Les questions en apparence les plus simples se rĂ©vĂšlent souvent les plus compliquĂ©es. Celles que pourrait poser Alexis, et les autres enfants de son Ăąge, sont maintenant le sujet dâĂ©tude dâun large programme de recherche multidisciplinaire produisant chaque annĂ©e plusieurs milliers de publications scientifiques. Chaque jour, des psychologues, des mĂ©decins, des neurobiologistes, des informaticiens, des Ă©ducateurs, des ergonomes et mĂȘme des philosophes consacrent leurs plus belles heures Ă percer les mystĂšres de lâattention, afin de comprendre ses prouesses et ses dĂ©faillances.
Cette science de lâattention est une science expĂ©rimentale, faite dâobservations, dâhypothĂšses et de thĂ©ories ; et comme dans toutes les sciences expĂ©rimentales, le jeu consiste Ă observer comment lâobjet dâĂ©tude rĂ©agit aux contraintes quâon lui fait subir â « Que se passe-t-il si je fais ceci, ou cela, ou encore cela ? » Certaines rĂ©actions semblent se rĂ©pĂ©ter, et on en dĂ©duit des modĂšles et des lois, qui prĂ©disent comment cet objet devrait rĂ©agir dans telle ou telle autre circonstance. On teste ensuite ces prĂ©dictions en faisant de nouvelles expĂ©riences et on sâarrĂȘte quand on pense avoir compris, jusquâĂ ce quâune nouvelle expĂ©rience montre que ce nâĂ©tait pas le cas.
Lâattention semble obĂ©ir Ă des lois. Par exemple, il est difficile de faire attention Ă plusieurs choses compliquĂ©es Ă la fois : câest un exemple de loi vraie pour tout le monde. Lâattention semble donc obĂ©ir Ă un ensemble de contraintes et cette constatation constitue le point de dĂ©part de lâĂ©tude scientifique de lâattention.
Qui dit point de dĂ©part, dit aussi point dâarrivĂ©e. Pour les neurosciences cognitives, ce point dâarrivĂ©e sera atteint lorsque lâattention aura Ă©tĂ© ramenĂ©e Ă un phĂ©nomĂšne biophysique. Les sciences « dures », celles qui expliquent et qui prĂ©disent, sont plus Ă lâaise avec les lois de la physique, de la chimie et de la biologie quâavec celles de lâesprit. Si lâattention obĂ©it Ă des lois, câest parce quâelle est le reflet de lâactivitĂ© du cerveau, elle-mĂȘme soumise aux contraintes de la biophysique. Les neurosciences cognitives visent donc une description de lâattention en termes de processus biologiques, rĂ©gis par des interactions chimiques et Ă©lectriques entre les neurones.
En attendant, lâattention est avant tout un phĂ©nomĂšne mental, et câest lĂ que le bĂąt blesse. Comment Ă©tudier un phĂ©nomĂšne mental ? Et pour commencer, comment en produire une dĂ©finition objective ? Tous les grands objets dâĂ©tude scientifique ont leur dĂ©finition objective et incontestable â la force de gravitĂ©, le climat, etc. â mais quâest-ce que lâattention, objectivement ? Il faut bien admettre quâil nâexiste toujours pas Ă lâheure actuelle de consensus au sein de la communautĂ© scientifique concernant la dĂ©finition de lâattention. Tous les experts ont bien sĂ»r leur avis personnel et leur propre dĂ©finition, mais aucune ne fait vraiment lâunanimitĂ©. Pour cette raison, ces experts prĂ©fĂšrent souvent sâen remettre Ă la phrase cĂ©lĂšbre de William James, qui Ă©crivit en 1890 : « Tout le monde sait ce quâest lâattention. » VoilĂ une façon de mettre tout le monde dâaccord !
Heureusement, cette phrase a une suite plus explicite2 : « Lâattention est la prise de possession par lâesprit, sous une forme claire et vive, dâun objet ou dâune suite de pensĂ©es parmi plusieurs qui semblent possibles. La focalisation, la concentration et la conscience en sont lâessence. Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres, et elle sâoppose Ă lâĂ©tat dâesprit dispersĂ© et confus que lâon nomme en français âdistractionâ et en allemand Zerstreutheit. »
La dĂ©finition est longue, mais belle â William James Ă©tait issu dâune famille littĂ©raire et son petit frĂšre, Henry, est une figure majeure de la littĂ©rature du XIXe siĂšcle. Mais elle est aussi inutilisable dâun point de vue scientifique, car elle nâest pas objective. MalgrĂ© cela, James y exprime dâemblĂ©e le caractĂšre mental et subjectif de lâattention. Il annonce lâun des grands dĂ©fis des neurosciences cognitives des siĂšcles Ă venir, qui devront donner des dĂ©finitions prĂ©cises Ă des concepts qui ont dĂ©jĂ un sens pour tout un chacun. Comment dĂ©finir ce que tout le monde connaĂźt dĂ©jĂ ?
Les autres sciences sont moins souvent confrontĂ©es Ă cette difficultĂ©. Quand un mathĂ©maticien dĂ©finit ce quâest une variĂ©tĂ© diffĂ©renciable ou un espace de Banach, il se soucie peu de ce quâen pense lâhomme de la rue : câest comme ça et câest tout. Il y a peu de risque que le voisin dĂ©boule chez lui en hurlant que ses dĂ©finitions dĂ©fient le sens commun, sauf si celui-ci est aussi mathĂ©maticien. Mais si les chercheurs en neurosciences cognitives, mal inspirĂ©s, avaient appelĂ© « attention » la capacitĂ© Ă additionner mentalement deux chiffres, on aurait criĂ© au scandale. Les neurosciences ont donc un devoir de cohĂ©rence : il doit exister une certaine proximitĂ© entre la dĂ©finition scientifique de lâattention et lâidĂ©e que chacun peut sâen faire. Le chercheur est donc forcĂ© de sâintĂ©resser Ă ce quâest intuitivement, pour son voisin, lâattention, mĂȘme si cela lui complique la vie.
Une preuve dâattention
Si nous savons tous, semble-t-il, ce quâest lâattention, câest peut-ĂȘtre parce que nos parents, nos enseignants et nos proches nâont eu de cesse de nous la rĂ©clamer depuis notre tendre enfance : « Attention, les enfants ! » « Fais attention oĂč tu mets les pieds ! », etc. TrĂšs vite, lâenfant apprend cette diffĂ©rence fine entre entendre et Ă©couter, et entre voir et regarder, sous peine dâune rĂ©primande ou dâune bosse. Petit Ă petit, et parfois sans sâen rendre compte, lâenfant dĂ©couvre que « faire attention », câest arrĂȘter de passer sans cesse dâun centre dâintĂ©rĂȘt Ă un autre pour se stabiliser un peu, pour sâarrĂȘter quelques instants sur certains aspects du monde qui lâentoure. Si cette pĂ©riode de stabilitĂ© mentale se prolonge, il dĂ©couvre quâil est « concentrĂ© » et que la rupture involontaire de cet Ă©tat sâappelle « se laisser distraire ».
Lâenfant apprend Ă©galement Ă associer lâattention Ă une attitude. LâĂ©lĂšve attentif a souvent une posture calme, immobile et silencieuse, le regard tournĂ© vers lâenseignant ou ce quâil montre. Cette association frĂ©quente de lâattention avec certaines attitudes caractĂ©ristiques du corps va permettre Ă lâenfant de deviner si son voisin, ou son chat, est attentif ou non au premier coup dâĆil et sans presque jamais se tromper. Lâenfant apprend progressivement Ă deviner lâĂ©tat mental de lâautre en observant son comportement, ce qui va constituer le fondement de sa vie sociale.
Ainsi, il existe une autre façon de dĂ©finir lâattention, inspirĂ©e non plus de lâintrospection, mais de lâobservation directe du comportement. Justement, le dĂ©but du XXe siĂšcle vit la fin dâun premier courant de recherche en psychologie, initiĂ© entre autres par James, qui faisait principalement appel Ă lâintrospection pour Ă©tudier les lois de la vie mentale, et appelĂ© lâintrospectionnisme. Lâintrospectionnisme fit place Ă un courant radicalement opposĂ©, le behaviorisme â de lâanglais behaviour, le « comportement » â promu notamment par lâAmĂ©ricain John Watson. Watson et ses pairs souhaitaient faire de la psychologie une discipline purement objective des sciences naturelles, appuyĂ©e par des mesures objectives et chiffrables du comportement, et, surtout, rejetant tout recours Ă lâintrospection3. Dans la foulĂ©e, les psychologues intĂ©ressĂ©s par lâĂ©tude de lâattention cessĂšrent de se satisfaire de la dĂ©finition intuitive de James, uniquement fondĂ©e sur « ce que cela fait de faire attention ».
Il ne sâagissait pas simplement dâobserver le comportement comme on pourrait observer celui dâun Ă©lĂšve en classe. Les apparences sont souvent trompeuses. Tout le monde peut avoir lâair attentif. Non, cette nouvelle psychologie scientifique sâappuyait sur des mesures quantitatives de performance, comme le taux dâerreurs rĂ©alisĂ©es lors dâun exercice complexe ou le nombre de millisecondes mis pour appuyer sur un bouton aprĂšs un signal sonore, selon les techniques de la psychologie expĂ©rimentale inventĂ©e au siĂšcle prĂ©cĂ©dent par lâAllemand Wilhelm Wundt Ă Leipzig4. Un coureur de sprint peut avoir lâimpression dâaller vite, mais le chronomĂštre est le seul juge de sa performance.
En rĂ©action face Ă lâintrospectionnisme, le behaviorisme adopte une attitude rĂ©solument sceptique, avec comme principe de base de ne jamais faire confiance au ressenti de lâindividu. Tout ce que le sujet peut dire de ce quâil ressent est automatiquement mis en doute et doit ĂȘtre confirmĂ© par des mesures objectives. Cela peut paraĂźtre un peu ridicule et exagĂ©rĂ©. AprĂšs tout, quand vous allez chez le mĂ©decin et que vous lui dites que vous avez mal au pied, il vous croit et cherche spontanĂ©ment Ă soigner cette douleur. Mais imaginez quâil examine votre pied et ne voit rien dâanormal, et quâil demande ensuite une sĂ©rie dâexamens complĂ©mentaires et que tous indiquent que votre pied va bien. Il pourrait commencer Ă sâinterroger sur la vĂ©racitĂ© de votre douleur, jusquâĂ suspecter Ă©ventuellement un trouble psychiatrique ou un dĂ©sir un peu extrĂȘme de ne pas aller travailler. VoilĂ pourquoi le chercheur en neurosciences cognitives, dont lâobjectif est de parvenir Ă des conclusions gĂ©nĂ©rales sur le cerveau humain, exige des preuves objectives Ă lâĂ©preuve des balles.

Figure 1.1 Les apparences sont parfois trompeuses.
Sous des dehors apparemment identiques, lâĂ©lĂšve de gauche Ă©coute attentivement ce que lui dit sa maĂźtresse, tandis que lâĂ©lĂšve de droite nâa quâune idĂ©e en tĂȘte : sortir et aller faire du vĂ©lo dans la campagne.
Cette approche est finalement assez naturelle. AprĂšs tout, on nâobserve jamais directement lâattention, mais seulement ses consĂ©quences sur le comportement. Lâenseignant qui a des doutes sur lâattention que lui accorde un Ă©lĂšve lui demande de rĂ©pĂ©ter ce quâil vient de dire. Si lâĂ©lĂšve hĂ©site, câest quâil nâa pas Ă©coutĂ© et donc quâil nâa pas fait attention. Ăvidemment, lâenseignant pourrait directement demander Ă son Ă©lĂšve sâil faisait attention, mais il sâen remettrait alors Ă la bonne foi de ce dernier. Donc finalement, la mĂ©thode scientifique pour Ă©tudier lâattention est pleine de bon sens : on ne peut pas mesurer, et encore moins dĂ©finir, lâattention en questionnant simplement les gens sur leurs impressions. Ce changement dâapproche a donnĂ© lieu progressivement Ă une redĂ©finition de lâattention exprimĂ©e en fonction de ses consĂ©quences sur le comportement. Abandonnant la question : « Que ressent-on quand on fait attention ? », Ă laquelle rĂ©pondait James dans sa dĂ©finition, la psychologie a essayĂ© de dĂ©terminer de façon objective ce que lâon fait mieux, ou diffĂ©remment, quand on fait attention.
Lâattention devient lâexplication dâun changement de la performance. Si, Ă certains moments dâun exercice, une personne rĂ©agit moins vite ou se trompe plus souvent, et que cette baisse de performance ne peut pas ĂȘtre expliquĂ©e par un changement dans lâexercice lui-mĂȘme, ni par la fatigue physique, ni par aucun autre facteur connu, câest que cette personne fait moins attention. Lâattention est presque dĂ©finie par exclusion ; Ă dĂ©faut de savoir ce quâest lâattention, on sait ce quâelle nâest pas. Pour Ă©tudier lâattention, les chercheurs dĂ©veloppent donc de petits exercices simples, destinĂ©s Ă faire varier le niveau dâattention accordĂ©e Ă telle ou telle source dâinformations sensorielles pour en observer des consĂ©quences mesurables. En voici un exemple parmi les plus populaires, imaginĂ© par Michael Posner Ă lâUniversitĂ© dâOregon, Ă la fin des annĂ©es 19705. Il existe plusieurs variantes du test de Posner, mais le principe reste toujours sensiblement le mĂȘme : le participant est assis face Ă un Ă©cran et doit fixer son regard sur une petite croix centrale. De part et dâautre de cette croix apparaissent des formes colorĂ©es, des ronds rouges et verts par exemple. Ces formes apparaissent les unes aprĂšs les autres et le but du jeu est simplement dâappuyer le plus vite possible sur un bouton dĂšs quâun rond vert apparaĂźt. Câest un peu comme si vous Ă©tiez arrĂȘtĂ© Ă un feu et que vous deviez rĂ©agir dĂšs que le feu passe au vert. La seule diffĂ©rence, câest que le signal « feu vert » peut apparaĂźtre soit Ă gauche, soit Ă droite.
Lâexercice mesure la vitesse de rĂ©action du joueur dans trois conditions : une premiĂšre condition dans laquelle le joueur est prĂ©venu quâen moyenne, les ronds verts apparaissent plus souvent Ă gauche, une deuxiĂšme condition dans laquelle les ronds verts apparaissent plus souvent Ă droite, et une troisiĂšme condition oĂč les ronds verts apparaissent aussi souvent Ă gauche quâĂ droite. Avec un peu dâentraĂźnement, la plupart des joueurs mettent environ un tiers de seconde pour rĂ©agir. Mais surtout, leur rĂ©action est un peu plus rapide dans les deux premiĂšres conditions que dans la derniĂšre, Ă condition que le feu vert apparaisse du cĂŽtĂ© oĂč le joueur lâattend. Lorsque le feu apparaĂźt du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă celui qui Ă©tait prĂ©vu, le temps de rĂ©ponse est au contraire plus lent. Lâeffet nâest pas Ă©norme, de lâordre de quelques dizaines de millisecondes, mais il est significatif et reproductible. Les joueurs rĂ©agissent donc plus rapidement si on les prĂ©vient Ă lâavance du cĂŽtĂ© oĂč va apparaĂźtre le feu vert, mĂȘme si leur regard reste fixĂ© sur le centre. Vous vous attendiez peut-ĂȘtre Ă ce rĂ©sultat, la psychologie expĂ©rimentale le confirme. Sâagit-il dâun simple effet de prĂ©paration motrice ? Non, car le joueur nâa quâun seul bouton pour rĂ©pondre ; il est donc dans le mĂȘme Ă©tat de prĂ©paration, le doigt sur la gĂąchette, avant chaque feu vert. Sâagit-il dâun effet de la fatigue ? Non plus, car les feux verts nâapparaissent pas plus du mauvais cĂŽtĂ© Ă la fin de lâexercice quâau dĂ©but. Il ne sâagit pas non plus dâun effet de surprise, car la proportion de feux apparaissant du mauvais cĂŽtĂ© est gĂ©nĂ©ralement de lâordre dâun sur cinq, trop Ă©levĂ©e pour vraiment surprendre le joueur. Il faut donc se rendre Ă lâĂ©vidence et admettre quâil existe un systĂšme capable de rendre le cerveau plus rĂ©actif aux images prĂ©sentĂ©es dâun cĂŽtĂ© de son champ visuel, au dĂ©triment de celles prĂ©sentĂ©es du cĂŽtĂ© opposĂ©. Comme les histoires drĂŽles, les expĂ©riences les plus simples sont souvent les meilleures et lâexpĂ©rience imaginĂ©e par Posner est devenue un grand classique des neurosciences cognitives.
Le cerveau est donc capable de traiter de façon privilĂ©giĂ©e une partie de son champ visuel et de changer sa prĂ©fĂ©rence Ă volontĂ© en fonction des besoins. Cela peut paraĂźtre un dĂ©tail, mais pour le joueur de tennis professionnel qui a moins dâune demi-seconde pour retourner un service, câest important. Câest pourquoi les meilleurs retourneurs dĂ©veloppent des stratĂ©gies pour identifier dans lâattitude du serveur le moindre signe leur permettant de prĂ©dire de quel cĂŽtĂ© va partir la balle, comme dans lâexpĂ©rience de Posner. AndrĂ© Agassi avait par exemple remarquĂ© que la position de la langue de Boris Becker au moment de servir trahissait la direction de son service. Il faut tout de mĂȘme avoir une bonne vue6.
Pour Agassi comme pour les sujets de lâexpĂ©rience de Posner, la clĂ© du succĂšs consiste simplement Ă dĂ©placer son attention vers la gauche ou vers la droite. Mais ce nâest quâune impression subjective. Lâobservateur externe, lui, ne peut que constater que le joueur a mis en action un systĂšme de sĂ©lection privilĂ©giant une partie de son champ visuel. Pour concilier les deux points de vue, celui, objectif, de lâexpĂ©rimentateur et celui, subjectif, du joueur, Posner dĂ©cida naturellement de parler dâattention pour dĂ©signer cette capacitĂ© de sĂ©lection. Lâattention peut donc ĂȘtre dĂ©finie de façon objective. Elle mĂ©rite par consĂ©quent son statut dâobjet scientifique. Mais il ne faut pas oublier que cette dĂ©finition sâapplique ici Ă un cas trĂšs particulier et, pour bien le rappeler, les spĂ©cialistes qualifient la forme dâattention mise en jeu par Posner dâattention sĂ©lective visuelle spatiale. Une fois celle-ci dĂ©finie, il devient possible de la livrer Ă la dĂ©marche expĂ©rimentale. Avec toujours la mĂȘme question en tĂȘte â « Que se passe-t-il si je change ceci ou cela Ă lâexpĂ©rience ? » â, de nombreuses Ă©quipes de recherche se sont emparĂ©es du protocole de Posner pour poser toutes sortes de questions sur lâattention sĂ©lective visuelle spatiale : que se passe-t-il si on dessine de plus grands ronds ? Que se ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Avant-propos
- Chapitre 1 - Tout le monde sait-il ce quâest lâattention ?
- Chapitre 2 - Lâhomme qui valait cent milliards
- Chapitre 3 - Ă quoi sert lâattention ?
- Chapitre 4 - Les mĂ©canismes de lâattention
- Chapitre 5 - Au voleur ! la capture de lâattention
- Chapitre 6 - La belle captive
- Chapitre 7 - Le piano qui jouait tout seul
- Chapitre 8 - La rĂ©sistance sâorganise
- Chapitre 9 - Le retour du roi
- Chapitre 10 - Le grand stratÚge
- Chapitre 11 - Apprendre à mieux se concentrer
- Chapitre 12 - La maĂźtrise de lâattention : tout un art
- Chapitre 13 - En pratique
- Ăpilogue - Lâattention sous influence
- Remerciements