Le Cerveau attentif
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Le Cerveau attentif

ContrĂŽle, maĂźtrise et lĂącher-prise

  1. 368 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Cerveau attentif

ContrĂŽle, maĂźtrise et lĂącher-prise

À propos de ce livre

Vous n'en avez peut-ĂȘtre pas conscience, mais toute votre perception du monde, votre rapport Ă  ce qui vous entoure, aux autres et Ă  vous-mĂȘme sont dĂ©terminĂ©s par un petit quelque chose qui vaut de l'or : votre attention – sans cesse convoitĂ©e et courtisĂ©e, toujours menacĂ©e. Cet ouvrage vous propose prĂ©cisĂ©ment de « faire attention Ă  votre attention » dans votre vie quotidienne, pour en tirer un meilleur parti. Pourquoi l'attention Ă©chappe-t-elle si souvent au contrĂŽle volontaire ? Pourquoi est-il si difficile de rester concentrĂ© ? Que faire pour ne pas se laisser dĂ©river ou pour Ă©viter de papillonner ? C'est dans le cerveau qu'il faut chercher ces secrets, que les neurosciences modernes commencent Ă  pĂ©nĂ©trer. Jean-Philippe Lachaux est directeur de recherche Ă  l'Inserm, au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Il anime un groupe dĂ©diĂ© Ă  la comprĂ©hension des mĂ©canismes cĂ©rĂ©braux des grandes fonctions cognitives humaines.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2011
Imprimer l'ISBN
9782738126047
Chapitre 1
Tout le monde sait-il
ce qu’est l’attention ?
À chaque souffle du vent
Il change de place
Le papillon sur le saule.
BASHO1.
Alexis a 9 ans et sa maĂźtresse vient de lui demander de faire attention Ă  ce qu’elle dit. Bien qu’il sache parfaitement ce que sa maĂźtresse attend de lui, il ignore sans doute que des scientifiques travaillent chaque jour depuis plus d’un siĂšcle pour comprendre ce que lui demande vraiment son institutrice et comment y parvenir. « Madame, qu’appelez-vous l’attention ? Et comment fait-on attention ? » Si Alexis se hasardait Ă  poser ces questions, sa maĂźtresse serait sans doute embarrassĂ©e pour lui rĂ©pondre. Peut-ĂȘtre suggĂ©rerait-elle Ă  son Ă©lĂšve de commencer par la regarder et l’écouter. Mais quelle est la diffĂ©rence entre regarder et voir, entre Ă©couter et entendre ? Les questions en apparence les plus simples se rĂ©vĂšlent souvent les plus compliquĂ©es. Celles que pourrait poser Alexis, et les autres enfants de son Ăąge, sont maintenant le sujet d’étude d’un large programme de recherche multidisciplinaire produisant chaque annĂ©e plusieurs milliers de publications scientifiques. Chaque jour, des psychologues, des mĂ©decins, des neurobiologistes, des informaticiens, des Ă©ducateurs, des ergonomes et mĂȘme des philosophes consacrent leurs plus belles heures Ă  percer les mystĂšres de l’attention, afin de comprendre ses prouesses et ses dĂ©faillances.
Cette science de l’attention est une science expĂ©rimentale, faite d’observations, d’hypothĂšses et de thĂ©ories ; et comme dans toutes les sciences expĂ©rimentales, le jeu consiste Ă  observer comment l’objet d’étude rĂ©agit aux contraintes qu’on lui fait subir – « Que se passe-t-il si je fais ceci, ou cela, ou encore cela ? » Certaines rĂ©actions semblent se rĂ©pĂ©ter, et on en dĂ©duit des modĂšles et des lois, qui prĂ©disent comment cet objet devrait rĂ©agir dans telle ou telle autre circonstance. On teste ensuite ces prĂ©dictions en faisant de nouvelles expĂ©riences et on s’arrĂȘte quand on pense avoir compris, jusqu’à ce qu’une nouvelle expĂ©rience montre que ce n’était pas le cas.
L’attention semble obĂ©ir Ă  des lois. Par exemple, il est difficile de faire attention Ă  plusieurs choses compliquĂ©es Ă  la fois : c’est un exemple de loi vraie pour tout le monde. L’attention semble donc obĂ©ir Ă  un ensemble de contraintes et cette constatation constitue le point de dĂ©part de l’étude scientifique de l’attention.
Qui dit point de dĂ©part, dit aussi point d’arrivĂ©e. Pour les neurosciences cognitives, ce point d’arrivĂ©e sera atteint lorsque l’attention aura Ă©tĂ© ramenĂ©e Ă  un phĂ©nomĂšne biophysique. Les sciences « dures », celles qui expliquent et qui prĂ©disent, sont plus Ă  l’aise avec les lois de la physique, de la chimie et de la biologie qu’avec celles de l’esprit. Si l’attention obĂ©it Ă  des lois, c’est parce qu’elle est le reflet de l’activitĂ© du cerveau, elle-mĂȘme soumise aux contraintes de la biophysique. Les neurosciences cognitives visent donc une description de l’attention en termes de processus biologiques, rĂ©gis par des interactions chimiques et Ă©lectriques entre les neurones.
En attendant, l’attention est avant tout un phĂ©nomĂšne mental, et c’est lĂ  que le bĂąt blesse. Comment Ă©tudier un phĂ©nomĂšne mental ? Et pour commencer, comment en produire une dĂ©finition objective ? Tous les grands objets d’étude scientifique ont leur dĂ©finition objective et incontestable – la force de gravitĂ©, le climat, etc. – mais qu’est-ce que l’attention, objectivement ? Il faut bien admettre qu’il n’existe toujours pas Ă  l’heure actuelle de consensus au sein de la communautĂ© scientifique concernant la dĂ©finition de l’attention. Tous les experts ont bien sĂ»r leur avis personnel et leur propre dĂ©finition, mais aucune ne fait vraiment l’unanimitĂ©. Pour cette raison, ces experts prĂ©fĂšrent souvent s’en remettre Ă  la phrase cĂ©lĂšbre de William James, qui Ă©crivit en 1890 : « Tout le monde sait ce qu’est l’attention. » VoilĂ  une façon de mettre tout le monde d’accord !
Heureusement, cette phrase a une suite plus explicite2 : « L’attention est la prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensĂ©es parmi plusieurs qui semblent possibles. La focalisation, la concentration et la conscience en sont l’essence. Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres, et elle s’oppose Ă  l’état d’esprit dispersĂ© et confus que l’on nomme en français “distraction” et en allemand Zerstreutheit. »
La dĂ©finition est longue, mais belle – William James Ă©tait issu d’une famille littĂ©raire et son petit frĂšre, Henry, est une figure majeure de la littĂ©rature du XIXe siĂšcle. Mais elle est aussi inutilisable d’un point de vue scientifique, car elle n’est pas objective. MalgrĂ© cela, James y exprime d’emblĂ©e le caractĂšre mental et subjectif de l’attention. Il annonce l’un des grands dĂ©fis des neurosciences cognitives des siĂšcles Ă  venir, qui devront donner des dĂ©finitions prĂ©cises Ă  des concepts qui ont dĂ©jĂ  un sens pour tout un chacun. Comment dĂ©finir ce que tout le monde connaĂźt dĂ©jĂ  ?
Les autres sciences sont moins souvent confrontĂ©es Ă  cette difficultĂ©. Quand un mathĂ©maticien dĂ©finit ce qu’est une variĂ©tĂ© diffĂ©renciable ou un espace de Banach, il se soucie peu de ce qu’en pense l’homme de la rue : c’est comme ça et c’est tout. Il y a peu de risque que le voisin dĂ©boule chez lui en hurlant que ses dĂ©finitions dĂ©fient le sens commun, sauf si celui-ci est aussi mathĂ©maticien. Mais si les chercheurs en neurosciences cognitives, mal inspirĂ©s, avaient appelĂ© « attention » la capacitĂ© Ă  additionner mentalement deux chiffres, on aurait criĂ© au scandale. Les neurosciences ont donc un devoir de cohĂ©rence : il doit exister une certaine proximitĂ© entre la dĂ©finition scientifique de l’attention et l’idĂ©e que chacun peut s’en faire. Le chercheur est donc forcĂ© de s’intĂ©resser Ă  ce qu’est intuitivement, pour son voisin, l’attention, mĂȘme si cela lui complique la vie.
Une preuve d’attention
Si nous savons tous, semble-t-il, ce qu’est l’attention, c’est peut-ĂȘtre parce que nos parents, nos enseignants et nos proches n’ont eu de cesse de nous la rĂ©clamer depuis notre tendre enfance : « Attention, les enfants ! » « Fais attention oĂč tu mets les pieds ! », etc. TrĂšs vite, l’enfant apprend cette diffĂ©rence fine entre entendre et Ă©couter, et entre voir et regarder, sous peine d’une rĂ©primande ou d’une bosse. Petit Ă  petit, et parfois sans s’en rendre compte, l’enfant dĂ©couvre que « faire attention », c’est arrĂȘter de passer sans cesse d’un centre d’intĂ©rĂȘt Ă  un autre pour se stabiliser un peu, pour s’arrĂȘter quelques instants sur certains aspects du monde qui l’entoure. Si cette pĂ©riode de stabilitĂ© mentale se prolonge, il dĂ©couvre qu’il est « concentrĂ© » et que la rupture involontaire de cet Ă©tat s’appelle « se laisser distraire ».
L’enfant apprend Ă©galement Ă  associer l’attention Ă  une attitude. L’élĂšve attentif a souvent une posture calme, immobile et silencieuse, le regard tournĂ© vers l’enseignant ou ce qu’il montre. Cette association frĂ©quente de l’attention avec certaines attitudes caractĂ©ristiques du corps va permettre Ă  l’enfant de deviner si son voisin, ou son chat, est attentif ou non au premier coup d’Ɠil et sans presque jamais se tromper. L’enfant apprend progressivement Ă  deviner l’état mental de l’autre en observant son comportement, ce qui va constituer le fondement de sa vie sociale.
Ainsi, il existe une autre façon de dĂ©finir l’attention, inspirĂ©e non plus de l’introspection, mais de l’observation directe du comportement. Justement, le dĂ©but du XXe siĂšcle vit la fin d’un premier courant de recherche en psychologie, initiĂ© entre autres par James, qui faisait principalement appel Ă  l’introspection pour Ă©tudier les lois de la vie mentale, et appelĂ© l’introspectionnisme. L’introspectionnisme fit place Ă  un courant radicalement opposĂ©, le behaviorisme – de l’anglais behaviour, le « comportement » – promu notamment par l’AmĂ©ricain John Watson. Watson et ses pairs souhaitaient faire de la psychologie une discipline purement objective des sciences naturelles, appuyĂ©e par des mesures objectives et chiffrables du comportement, et, surtout, rejetant tout recours Ă  l’introspection3. Dans la foulĂ©e, les psychologues intĂ©ressĂ©s par l’étude de l’attention cessĂšrent de se satisfaire de la dĂ©finition intuitive de James, uniquement fondĂ©e sur « ce que cela fait de faire attention ».
Il ne s’agissait pas simplement d’observer le comportement comme on pourrait observer celui d’un Ă©lĂšve en classe. Les apparences sont souvent trompeuses. Tout le monde peut avoir l’air attentif. Non, cette nouvelle psychologie scientifique s’appuyait sur des mesures quantitatives de performance, comme le taux d’erreurs rĂ©alisĂ©es lors d’un exercice complexe ou le nombre de millisecondes mis pour appuyer sur un bouton aprĂšs un signal sonore, selon les techniques de la psychologie expĂ©rimentale inventĂ©e au siĂšcle prĂ©cĂ©dent par l’Allemand Wilhelm Wundt Ă  Leipzig4. Un coureur de sprint peut avoir l’impression d’aller vite, mais le chronomĂštre est le seul juge de sa performance.
En rĂ©action face Ă  l’introspectionnisme, le behaviorisme adopte une attitude rĂ©solument sceptique, avec comme principe de base de ne jamais faire confiance au ressenti de l’individu. Tout ce que le sujet peut dire de ce qu’il ressent est automatiquement mis en doute et doit ĂȘtre confirmĂ© par des mesures objectives. Cela peut paraĂźtre un peu ridicule et exagĂ©rĂ©. AprĂšs tout, quand vous allez chez le mĂ©decin et que vous lui dites que vous avez mal au pied, il vous croit et cherche spontanĂ©ment Ă  soigner cette douleur. Mais imaginez qu’il examine votre pied et ne voit rien d’anormal, et qu’il demande ensuite une sĂ©rie d’examens complĂ©mentaires et que tous indiquent que votre pied va bien. Il pourrait commencer Ă  s’interroger sur la vĂ©racitĂ© de votre douleur, jusqu’à suspecter Ă©ventuellement un trouble psychiatrique ou un dĂ©sir un peu extrĂȘme de ne pas aller travailler. VoilĂ  pourquoi le chercheur en neurosciences cognitives, dont l’objectif est de parvenir Ă  des conclusions gĂ©nĂ©rales sur le cerveau humain, exige des preuves objectives Ă  l’épreuve des balles.
images
Figure 1.1 Les apparences sont parfois trompeuses.
Sous des dehors apparemment identiques, l’élĂšve de gauche Ă©coute attentivement ce que lui dit sa maĂźtresse, tandis que l’élĂšve de droite n’a qu’une idĂ©e en tĂȘte : sortir et aller faire du vĂ©lo dans la campagne.
Cette approche est finalement assez naturelle. AprĂšs tout, on n’observe jamais directement l’attention, mais seulement ses consĂ©quences sur le comportement. L’enseignant qui a des doutes sur l’attention que lui accorde un Ă©lĂšve lui demande de rĂ©pĂ©ter ce qu’il vient de dire. Si l’élĂšve hĂ©site, c’est qu’il n’a pas Ă©coutĂ© et donc qu’il n’a pas fait attention. Évidemment, l’enseignant pourrait directement demander Ă  son Ă©lĂšve s’il faisait attention, mais il s’en remettrait alors Ă  la bonne foi de ce dernier. Donc finalement, la mĂ©thode scientifique pour Ă©tudier l’attention est pleine de bon sens : on ne peut pas mesurer, et encore moins dĂ©finir, l’attention en questionnant simplement les gens sur leurs impressions. Ce changement d’approche a donnĂ© lieu progressivement Ă  une redĂ©finition de l’attention exprimĂ©e en fonction de ses consĂ©quences sur le comportement. Abandonnant la question : « Que ressent-on quand on fait attention ? », Ă  laquelle rĂ©pondait James dans sa dĂ©finition, la psychologie a essayĂ© de dĂ©terminer de façon objective ce que l’on fait mieux, ou diffĂ©remment, quand on fait attention.
L’attention devient l’explication d’un changement de la performance. Si, Ă  certains moments d’un exercice, une personne rĂ©agit moins vite ou se trompe plus souvent, et que cette baisse de performance ne peut pas ĂȘtre expliquĂ©e par un changement dans l’exercice lui-mĂȘme, ni par la fatigue physique, ni par aucun autre facteur connu, c’est que cette personne fait moins attention. L’attention est presque dĂ©finie par exclusion ; Ă  dĂ©faut de savoir ce qu’est l’attention, on sait ce qu’elle n’est pas. Pour Ă©tudier l’attention, les chercheurs dĂ©veloppent donc de petits exercices simples, destinĂ©s Ă  faire varier le niveau d’attention accordĂ©e Ă  telle ou telle source d’informations sensorielles pour en observer des consĂ©quences mesurables. En voici un exemple parmi les plus populaires, imaginĂ© par Michael Posner Ă  l’UniversitĂ© d’Oregon, Ă  la fin des annĂ©es 19705. Il existe plusieurs variantes du test de Posner, mais le principe reste toujours sensiblement le mĂȘme : le participant est assis face Ă  un Ă©cran et doit fixer son regard sur une petite croix centrale. De part et d’autre de cette croix apparaissent des formes colorĂ©es, des ronds rouges et verts par exemple. Ces formes apparaissent les unes aprĂšs les autres et le but du jeu est simplement d’appuyer le plus vite possible sur un bouton dĂšs qu’un rond vert apparaĂźt. C’est un peu comme si vous Ă©tiez arrĂȘtĂ© Ă  un feu et que vous deviez rĂ©agir dĂšs que le feu passe au vert. La seule diffĂ©rence, c’est que le signal « feu vert » peut apparaĂźtre soit Ă  gauche, soit Ă  droite.
L’exercice mesure la vitesse de rĂ©action du joueur dans trois conditions : une premiĂšre condition dans laquelle le joueur est prĂ©venu qu’en moyenne, les ronds verts apparaissent plus souvent Ă  gauche, une deuxiĂšme condition dans laquelle les ronds verts apparaissent plus souvent Ă  droite, et une troisiĂšme condition oĂč les ronds verts apparaissent aussi souvent Ă  gauche qu’à droite. Avec un peu d’entraĂźnement, la plupart des joueurs mettent environ un tiers de seconde pour rĂ©agir. Mais surtout, leur rĂ©action est un peu plus rapide dans les deux premiĂšres conditions que dans la derniĂšre, Ă  condition que le feu vert apparaisse du cĂŽtĂ© oĂč le joueur l’attend. Lorsque le feu apparaĂźt du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă  celui qui Ă©tait prĂ©vu, le temps de rĂ©ponse est au contraire plus lent. L’effet n’est pas Ă©norme, de l’ordre de quelques dizaines de millisecondes, mais il est significatif et reproductible. Les joueurs rĂ©agissent donc plus rapidement si on les prĂ©vient Ă  l’avance du cĂŽtĂ© oĂč va apparaĂźtre le feu vert, mĂȘme si leur regard reste fixĂ© sur le centre. Vous vous attendiez peut-ĂȘtre Ă  ce rĂ©sultat, la psychologie expĂ©rimentale le confirme. S’agit-il d’un simple effet de prĂ©paration motrice ? Non, car le joueur n’a qu’un seul bouton pour rĂ©pondre ; il est donc dans le mĂȘme Ă©tat de prĂ©paration, le doigt sur la gĂąchette, avant chaque feu vert. S’agit-il d’un effet de la fatigue ? Non plus, car les feux verts n’apparaissent pas plus du mauvais cĂŽtĂ© Ă  la fin de l’exercice qu’au dĂ©but. Il ne s’agit pas non plus d’un effet de surprise, car la proportion de feux apparaissant du mauvais cĂŽtĂ© est gĂ©nĂ©ralement de l’ordre d’un sur cinq, trop Ă©levĂ©e pour vraiment surprendre le joueur. Il faut donc se rendre Ă  l’évidence et admettre qu’il existe un systĂšme capable de rendre le cerveau plus rĂ©actif aux images prĂ©sentĂ©es d’un cĂŽtĂ© de son champ visuel, au dĂ©triment de celles prĂ©sentĂ©es du cĂŽtĂ© opposĂ©. Comme les histoires drĂŽles, les expĂ©riences les plus simples sont souvent les meilleures et l’expĂ©rience imaginĂ©e par Posner est devenue un grand classique des neurosciences cognitives.
Le cerveau est donc capable de traiter de façon privilĂ©giĂ©e une partie de son champ visuel et de changer sa prĂ©fĂ©rence Ă  volontĂ© en fonction des besoins. Cela peut paraĂźtre un dĂ©tail, mais pour le joueur de tennis professionnel qui a moins d’une demi-seconde pour retourner un service, c’est important. C’est pourquoi les meilleurs retourneurs dĂ©veloppent des stratĂ©gies pour identifier dans l’attitude du serveur le moindre signe leur permettant de prĂ©dire de quel cĂŽtĂ© va partir la balle, comme dans l’expĂ©rience de Posner. AndrĂ© Agassi avait par exemple remarquĂ© que la position de la langue de Boris Becker au moment de servir trahissait la direction de son service. Il faut tout de mĂȘme avoir une bonne vue6.
Pour Agassi comme pour les sujets de l’expĂ©rience de Posner, la clĂ© du succĂšs consiste simplement Ă  dĂ©placer son attention vers la gauche ou vers la droite. Mais ce n’est qu’une impression subjective. L’observateur externe, lui, ne peut que constater que le joueur a mis en action un systĂšme de sĂ©lection privilĂ©giant une partie de son champ visuel. Pour concilier les deux points de vue, celui, objectif, de l’expĂ©rimentateur et celui, subjectif, du joueur, Posner dĂ©cida naturellement de parler d’attention pour dĂ©signer cette capacitĂ© de sĂ©lection. L’attention peut donc ĂȘtre dĂ©finie de façon objective. Elle mĂ©rite par consĂ©quent son statut d’objet scientifique. Mais il ne faut pas oublier que cette dĂ©finition s’applique ici Ă  un cas trĂšs particulier et, pour bien le rappeler, les spĂ©cialistes qualifient la forme d’attention mise en jeu par Posner d’attention sĂ©lective visuelle spatiale. Une fois celle-ci dĂ©finie, il devient possible de la livrer Ă  la dĂ©marche expĂ©rimentale. Avec toujours la mĂȘme question en tĂȘte – « Que se passe-t-il si je change ceci ou cela Ă  l’expĂ©rience ? » –, de nombreuses Ă©quipes de recherche se sont emparĂ©es du protocole de Posner pour poser toutes sortes de questions sur l’attention sĂ©lective visuelle spatiale : que se passe-t-il si on dessine de plus grands ronds ? Que se ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Avant-propos
  6. Chapitre 1 - Tout le monde sait-il ce qu’est l’attention ?
  7. Chapitre 2 - L’homme qui valait cent milliards
  8. Chapitre 3 - À quoi sert l’attention ?
  9. Chapitre 4 - Les mĂ©canismes de l’attention
  10. Chapitre 5 - Au voleur ! la capture de l’attention
  11. Chapitre 6 - La belle captive
  12. Chapitre 7 - Le piano qui jouait tout seul
  13. Chapitre 8 - La rĂ©sistance s’organise
  14. Chapitre 9 - Le retour du roi
  15. Chapitre 10 - Le grand stratÚge
  16. Chapitre 11 - Apprendre à mieux se concentrer
  17. Chapitre 12 - La maütrise de l’attention : tout un art
  18. Chapitre 13 - En pratique
  19. Épilogue - L’attention sous influence
  20. Remerciements