Sauvons l’agriculture !
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Sauvons l’agriculture !

  1. 272 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Sauvons l’agriculture !

À propos de ce livre

Notre modèle agricole va dans le mur. Saturés de produits chimiques, vidés de leur diversité biologique, les sols s'épuisent plus vite qu'ils ne se reconstituent. La productivité des terres stagne, les récoltes annuelles de blé et de maïs chutent. Alors que 20 % des terres arables sont irriguées, elles ne donnent qu'un tiers de la nourriture mondiale, bien loin des trois quarts prétendus. Quant au réchauffement climatique, il vient exacerber la pénurie annoncée d'eau douce, tandis que les biocarburants renforcent l'insécurité alimentaire. Déjà une personne sur sept est en souffrance de nourriture. Et si les malnutris d'aujourd'hui préfiguraient l'humanité de demain ? Retraçant les grandes étapes de l'histoire agricole, dénonçant les choix qui ont été faits au XXe siècle – monocultures, productivisme, etc. – , Daniel Nahon défend une autre agriculture, à la fois plus scientifique et plus écologique, une agriculture respectueuse des sols arables, économe en eau, avare en pesticides. Car, si nous voulons que la planète puisse nourrir tous ses habitants en 2050 et au-delà, telle est la solution. Et il n'y en a pas d'autre. Daniel Nahon est professeur émérite de l'université Paul-Cézanne d'Aix-en-Provence et professeur honoraire de l'Institut universitaire de France. Reconnu comme l'un de nos meilleurs spécialistes des sols des pays chauds, il a présidé le CIRAD (Centre de coopération internationale pour le développement) de 1999 à 2003. Il est l'auteur de Science de la Terre, science de l'Univers et de L'Épuisement de la Terre.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
Imprimer l'ISBN
9782738127389
Chapitre VI
Une terre vivante si convoitée
Conte de terre
Un dernier baiser à sa maman marquait d’ordinaire le début de sa nuit, annoncée par quelques bâillements successifs, rappelant une journée bien remplie tout au long de laquelle il avait mêlé les personnages de chevaliers courageux à sa vie d’enfant.
Mais, pendant les vacances, on lui permettait de se coucher un peu plus tard, et il avait droit à deux ultimes histoires. L’une que lui lisait sa grand-mère, l’autre qu’il m’était permis de lui raconter, avec consigne de ne pas la faire durer trop longtemps. Ce rituel était impatiemment attendu autant par moi que par mon petit-fils. Y manquer m’aurait empêché de dormir, ce qui dut arriver une fois ou deux, à cause d’une désobéissance quelconque. Et, lorsque la sentence parentale tombait, une infinie tristesse me serrait le cœur en voyant le visage déconfit du petit garçon.
Nous avions passé une matinée radieuse à courir dans le jardin, à grimper aux branches des arbres et même à planter des graines de capucines, en dérangeant quelques vers de terre qui après avoir été surpris et s’être rétractés, s’effilaient pour regagner l’intérieur de leur galerie. Et ce soir-là j’eus l’idée de lui raconter une histoire de ver de terre.
« C’est l’histoire d’un ver de terre dénommé Albert, si petit et avec si peu d’anneaux qu’il ne pouvait pas s’étirer et se contracter suffisamment pour circuler rapidement dans ses galeries, au point que d’autres vers, plus costauds, occupaient les trous qu’il creusait. Il en était réduit à vagabonder sans s’arrêter d’affouiller. Il y avait un monde fou sous terre, d’abord une foule d’autres vers, mais aussi des fourmis, des petits cafards, des mulots, et surtout des taupes. D’affreuses et méchantes taupes qui se régalaient de tous les vers de terre qu’elles rencontraient en creusant leurs galeries. La vie était impossible dans le sol surpeuplé et en plus dangereux, très dangereux. La plupart des amis d’Albert avaient terminé leur vie dans le ventre d’une taupe. C’est pourquoi Albert avait décidé de vivre en surface.
Ce jour-là, alors qu’il rampait péniblement à travers les feuilles et les tiges qui jonchaient la litière, Albert eu la peur de sa vie. Une mésange installée sur la branche du marronnier lui demanda brutalement : « Que fais-tu là petit ver ? Sais-tu que je pourrais te gober d’un seul coup de bec et que n’importe quel autre oiseau que moi l’aurait déjà fait ? Le petit Albert fondit en larmes et à travers ses sanglots réussit à expliquer à la mésange qu’il ne pouvait plus vivre sous terre tant il avait peur de finir dans le ventre d’une taupe. L’oiseau lui dit qu’il avait bien de la chance d’être si petit car il n’aurait pas pu assouvir sa faim et, touché par les pleurs du ver, il lui donna un conseil : “Regarde tous ces marrons tombés par terre, il y en a bien un ou deux qui sont troués. Tu devrais y trouver refuge et en faire ta maison. De la sorte, tu seras tout à la fois hors de portée des taupes et à l’abri des oiseaux qui ne pourront te picorer.” Le ver trouva cette idée astucieuse et salvatrice. Il s’installa aussitôt dans le marron non sans remercier la mésange. Celle-ci se prit d’amitié pour Albert et ils ne se quittèrent plus. »
Mon petit-fils me pressa de mille questions sur le ver, sur la mésange, sur leur amitié naissante. Je lui promis la suite des aventures pour le lendemain soir, mais aussi d’aller au matin examiner avec lui la terre et tous ses habitants.
Cette histoire du ver de terre fut suivie de bien d’autres, me permettant, au fil des ans, d’initier mon petit-fils à la terre vivante et féconde. C’est cette terre foisonnante de vie que je me propose d’aborder. Elle est si complexe dans son organisation qu’on ne peut l’aborder qu’à travers quelques points saillants, au risque sinon de se perdre dans cette foultitude d’espèces et de variétés vivantes. Car la terre est vivante, et c’est cette diversité biologique qui la rend fertile et productive lorsqu’on l’exploite pour nos besoins. Nous examinerons deux exemples significatifs : celui des vers de terre et celui des bactéries. Le premier est observable à l’œil nu, le second est invisible, il agit dans l’ombre. Ces espèces vivantes cumulées à l’échelle de l’étendue des terres émergées sont considérables.
Cette vie souterraine est si active dans ses fonctions de nutrition, de décomposition de la matière organique végétale, qu’elle joue un rôle dans les cycles du carbone et notamment du CO2, et de l’azote. Ce rôle a été minimisé et pourtant nous verrons dans les pages qui suivent, qu’il est prépondérant. Il règle en grande partie la respiration de la surface des continents, et joue sur le taux de gaz carbonique de l’atmosphère, c’est-à-dire sur le réchauffement de la température moyenne du globe.
Sans fertilité des terres point de salut
Un sol est fertile s’il contient suffisamment de nutriments pour alimenter les végétaux qui y poussent, et si ce véritable garde-manger est régulièrement et naturellement renouvelé. Pour cela, deux éléments sont primordiaux, à la source de tous les autres paramètres qui font qu’un sol est dit « productif ». Ce sont respectivement les argiles et la matière organique.
Rappelons que les argiles sont ces minuscules minéraux de quelques milliardièmes de mètre disposés en feuillets (silicates en feuillets) empilés plus ou moins régulièrement et qui retiennent sur et entre leurs feuillets des atomes ou des petites molécules d’éléments dont les plantes ont besoin pour vivre et se développer : calcium, magnésium, potassium, fer, aluminium, oligoéléments, phosphore, composés carbonés et azotés… tous entourés de molécules d’eau et solidement arrimés à l’argile. Avec ces nutriments accrochés de toutes parts, l’argile ressemble à ces « cars rapides » qui sillonnent les routes et les pistes de terre rouge d’Afrique, débordant de passagers et de colis.
La formation d’un sol argileux de quelques mètres d’épaisseur nécessite quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’années. L’argile est donc très précieuse à la fertilité d’une terre. À l’échelle humaine, une fois en place, l’argile est irremplaçable. Elle constitue un capital à épargner coûte que coûte. Sa richesse en nutriments dépend tout d’abord de la composition des roches qui l’ont enfantée, et aussi du climat ; car une pluie trop abondante aura tendance à entraîner dans son écoulement bien des éléments chimiques vers les rivières. Cela de moins à récupérer entre les feuillets de l’argile.
La matière organique du sol est constituée à la fois par tous les organismes et micro-organismes vivants animaux et végétaux et par leurs cadavres et leurs débris qui s’accumulent à leur mort. Eux-mêmes sont décomposés par des bactéries et des champignons qui s’en nourrissent, tout en libérant le carbone, l’azote, le phosphore, le soufre et tous les autres éléments qu’ils contenaient. Une partie de ces éléments chimiques peut s’ancrer sur et dans les argiles. Une autre partie s’organise en molécules directement assimilables par les racines des plantes.
La matière organique est plus labile que l’argile, sa décomposition est de l’ordre de quelques saisons. À l’origine de la litière sont les végétaux qui, au fil des jours et des années, livrent d’énormes quantités de débris, feuilles, branches, tiges. Eux-mêmes, comme tout organisme vivant, viennent à mourir sur place. Et tout ce petit monde s’amoncelle par terre, y pourrit doucement pour disparaître de notre vue assez rapidement et constituer l’humus noir du sol. Et à la saison suivante, tout recommence.
Qu’est-ce qui fait pourrir ces débris de plantes et comment sont-ils incorporés au sol ? La diversité de ces créatures vivantes est pour l’essentiel responsable de la fragmentation, de l’incorporation et de la dégradation de la matière organique. En quelque sorte, c’est un recyclage naturel et continu, indispensable pour que la vie elle-même, animale et végétale, se perpétue. On estime que le poids des organismes vivant dans le sol serait de l’ordre de 6 à 8 tonnes par hectare. Quelques exemples nous montrent combien ce recyclage est nécessaire à la qualité des terres.
Darwin et le ver de terre
Les vers de terre ont toujours étonné les savants qui observaient leur travail patient et ininterrompu. Un des plus célèbres est Charles Darwin. Dès ses premiers écrits(27), alors qu’il n’est âgé que de vingt-huit ans, il décrit avec une extrême minutie le travail insignifiant que réalise chaque ver de terre commun. Lorsqu’on multiplie la multitude de vers présents, qui œuvrent simultanément, par la longueur du temps qu’ils y passent, on se rend compte de la tâche considérable qu’ils accomplissent.
À la fin de sa vie, au sommet de sa célébrité due à sa théorie de l’évolution par sélection naturelle, Charles Darwin publie toujours sur les vers de terre. Cette fois, il s’agit d’un ouvrage important qui dissèque, au sens propre, le lombric, son comportement utile à la fertilisation du sol(28).
Aujourd’hui, ses recherches dans ce domaine, pourtant si remarquables, sont très peu citées, quand elles ne sont pas ignorées, par les spécialistes de l’étude du comportement de la faune du sol. Les scientifiques aiment se référer aux publications les plus récentes, faisant ainsi montre d’un savoir à la pointe, affûté par des techniques d’analyse modernes et sophistiquées. Mais c’est Darwin qui a mis au jour par ses recherches le travail considérable que font les vers de terre. Et peu d’avancées nouvelles sont venues révolutionner les concepts décrits, sinon en les généralisant, en les affinant, ou en montrant les dégâts causés par l’action anthropique.
Pourquoi s’intéresser aux vers de terre ? Parce qu’ils constituent la masse essentielle des petits animaux vivant dans la litière du sol. Sous forêt, dans les 20 centimètres supérieurs du sol, on compte près de 2 millions d’individus à l’hectare, constituant les trois quarts du poids total des créatures qui y vivent. Et sous pâturage, ce sont 10 millions d’individus qui ont pu être estimés, avec un poids pouvant atteindre 2 tonnes à l’hectare, tout autant que celui des moutons qui y paissent.
Parmi les espèces de vers de terre, certaines vivent essentiellement dans la partie supérieure du sol, ce sont celles que les jardiniers rencontrent en binant leur terrain ; d’autres peuvent se déplacer jusqu’à des profondeurs de plusieurs mètres et éviter leur propre dessèchement. Les vers fragmentent les débris organiques dont ils s’alimentent, ils viennent même, dans les champs de culture, tirer, la nuit, les résidus de moisson jusque dans leurs galeries ; paillage dont on peut observer de jour l’amoncellement en tas réguliers ramenés par les vers au-dessus de leurs trous(99). Les vers de terre se nourrissent essentiellement de matière organique morte, mais en l’ingérant, ils s’empiffrent aussi de très fines particules d’argile et de minéraux. C’est ainsi que, par hectare et par an, ils consomment environ 90 tonnes de matière organique, et par leurs mouvements et leurs rejets, brassent environ 200 tonnes de terre(36). Leur action est essentielle à la survie du sol car, tout en aérant sa partie supérieure, ils participent au mélange intime des fragments de matière organique et de l’argile sous-jacente, au brassage des nutriments, et donc contrôlent, avec l’humidité, la structure du sol, indispensable contre l’érosion naturelle. C’est aussi grâce à leur action de fouisseurs et de remodeleurs que l’eau peut s’infiltrer plus aisément en profondeur.
Les galeries creusées par les vers sont tapissées de nombreuses bactéries qui, pour se nourrir, profitent de la matière organique enfouie en consommant davantage son carbone que son azote. Le résultat est simple : les minuscules fragments de matière organique s’enrichissent relativement plus en azote qu’en carbone au plus grand profit des végétaux qui, par leurs racines, puisent leurs nutriments en profondeur.
Mais les vers sont très sensibles à l’acidité du milieu. C’est pourquoi ils sont moins nombreux dans les sols sous forêts, où l’acidité est plus forte, que dans les sols sous prairies. Dans une terre trop amendée en fertilisants minéraux azotés et phosphorés, les acides nitriques et phosphoriques qui s’y forment, acidifient considérablement le milieu, au grand malheur des vers de terre qui disparaissent, et avec eux, une des conditions de la fertilité naturelle du sol. Les fertilisants organiques ou l’utilisation de fumier créent des conditions bien moins acides qui ne sont pas fatales aux vers. D’ailleurs, ils adorent de tels mets, au point qu’une centaine de mille de leurs congénères peuvent se régaler de 30 tonnes de bouse de vache en une année !
Ils sont donc considérés comme de bons indicateurs de l’impact des pratiques agricoles. Quant à l’emploi des fongicides sur la communauté des vers, on présume de leur nocivité à en juger des résultats néfastes que le sulfate de cuivre, utilisé massivement sur certaines cultures, a pu avoir sur eux.
Bien des sols sont épuisés d’avoir été exploités sans retenue, à renfort d’engrais et de pesticides. Leur fertilité pourrait reprendre des couleurs grâce aux vers de terre, si l’on en croit les résultats obtenus dans la production de thé de l’État de Tamil Nadu en Inde par des chercheurs de l’université Pierre-et-Marie-Curie et de l’Université de Sambalpur. Depuis une dizaine d’années, la production des plantations de thé ralentissait régulièrement malgré l’utilisation croissante d’engrais et de pesticides. Après près d’un siècle de culture intensive, les sols étaient dégradés, dépourvus de leur humus. En désespoir de cause, des vers de terre d’une espèce commune aux régions tropicales ont été introduits sur plusieurs plantations, avec leur nourriture : des résidus de la taille des théiers associés à du compost. « Le résultat fut spectaculaire. Après trois ans seulement, la production de feuilles de thé a augmenté de 35 à 240 %, et la rentabilité des exploitations s’est accrue de 28 à 260 %(41). »
Charles Darwin avait vu juste : par petites touches répétées, le sol se construit(6) ou, comme dans ce dernier exemple, se reconstruit. L’espoir ne réside cependant pas seulement dans l’action des vers de terre. La terre abrite aussi ce qui ne peut être vu à l’œil nu.
Le monde des tout-petits
En creusant la terre, qui se soucie de ce micromonde qui pullule et qui reçoit tous nos déchets, tous nos oublis ? Il est ignoré de tous ou presque, à l’exception en effet des scientifiques qui leur consacrent leur vie(1)(97). Et pourtant, c’est la moindre des choses, car que seraient la vie et sa diversité sans lui ? Nous respirons et nous digérons grâce à lui, de même que les plantes. La terre féconde regorge de bactéries, d’actinomycètes (bactéries filamenteuses), de champignons, d’algues, de protozoaires, dont chaque individu est inférieur au micromètre. La plupart d’entre eux se tapissent dans les 30 centimètres supérieurs du sol, là où la nourriture abonde, car ils s’alimentent du carbone des débris végétaux et des animaux. Le carbone n’est pas perdu pour tous ! Si ces micro-organismes n’existaient pas, la Terre serait jonchée de cadavres.
Parmi eux, les bactéries et les actinomycètes ont une activité prépondérante dans le sol. Bien sûr, nous verrons aussi que le rôle des champignons filamenteux, les pseudomycéliums, est important et comparable à celui d’un médiateur pour établir une bonne communication entre les végétaux.
Les bactéries s’adaptent aux variations de leur environnement de façon impressionnante. Elles existent depuis des milliards d’années et seront encore là bien après les hommes. Elles ont accompagné le développement de la vie sur notre planète. Certains organes des cellules des êtres vivants (animaux, végétaux et humains) qui leur permettent de respirer, dérivent au cours de l’évolution des restes de bactéries ingurgitées par les espèces vivantes et dont le matériel génétique a été mis en commun pour le plus grand bien de l’évolution. C’est le cas des mitochondries, petits corps de nos cellules, qui possèdent leur propre génome et qui règlent la respiration de celles-ci. Il en est de même des plastes des cellules végétales qui contrôlent la respiration photosynthétique des plantes vertes.
Chaque gramme de sol contient plus d’un milliard de bactéries, chiffre multiplié par dix lorsqu’on s’approche d’une racine de plante. Leur masse cumulée serait équivalente à celle des végétaux. Il existe de très nombreuses espèces de bactéries, des dizaines de milliers, vivant en colonies pour mieux résister, mieux s’adapter aux variations répétées, discontinues, des conditions de milieu ; car l’union fait la force. Autrement dit, le multiple n’est pas l’addition du simple, il est plus, il permet à des forces nouvelles d’émerger et de se manifester. Les bactéries se spécialisent dans les produits fournis par la matière vivante : carbone, azote, phosphore, oxygène… dans lesquels elles puisent leur énergie.
Certaines bactéries peuvent même, en émettant des substances acides, dissoudre des minéraux et libérer leur phosphore qui devient disponible pour les plantes ; nous reviendrons sur les cycles de l’azote et du phosphore plus avant dans cet ouvrage mais, afin de bien souligner le rôle irremplaçable des bactéries, abordons dès maintenant le devenir de la matière organique.
Le festin des bactéries
Les débris organiques végétaux, qui s’accumulent dans la litière, sont fragmentés par l’activité de la faune qui y réside, dont les lombrics.
Les bactéries viennent s’installer sur ces fragments pour y cueillir l’énergie et les nutriments dont elles ont besoin. Chaque molécule organique est un assemblage d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’azote, d’oxygène associés par des liaisons énergétiques plus ou moins fortes. En brisant ces liaisons entre atomes, les bactéries récupèrent de l’énergie qu’elles utilisent pour vivre et se multiplier. Les molécules les moins complexes sont les sucres (glucose). Ils sont consommés en premier, et rapidement, par les micro-organismes. Avec la complexité grandissante du mode d’assemblage des autres molécules, c’est-à-dire avec des cohésions de plus en plus fortes entre les atomes qui les composent, leur dégradation, leur « consommation », par les bactéries requiert plus de temps. Après les sucres, celles-ci s’attaquent aux autres glucides (saccharose, amidon, cellulose, polysacharrides). Vient ensuite le tour des lipides, concentrés pour l’essentiel dans les cires et cuticules des feuilles et des aiguilles et, pour une faible part, dans les tissus de réserve. En revanche, les lignines, aux longues molécules qui donnent leur rigidité aux végétaux, sont peu exploitées par les micro-organismes comme source de carbone ; elles perdurent plus longtemps dans les sols.
L’essentiel de la dégradation des cadavres organiques de végétaux ou d’animaux de la litière est l’œuvre des bactéries appelées « saprophytes ». On peut les comparer à de petits mécaniciens démontant sans cesse les résidus de matière organique morte, comme on défait un « Meccano », sinon qu’ici, chaque pièce correspond à un carbone, un azote, un oxygène, un hydrogène, et à des tas d’autres petites pièces annexes, soufre, phosphore, silice, fer, manganèse, calcium, potassium, sodium, etc., pour les ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. Chapitre I - L’argile et la fécondité du sol
  7. Chapitre II - L’aventure de l’homme agricole
  8. Chapitre III - La réussite agricole de l’Occident
  9. Chapitre IV - Voyage sur l’eau
  10. Chapitre V - Quelle eau mangeons-nous ?
  11. Chapitre VI - Une terre vivante si convoitée
  12. Chapitre VII - Une source de calories
  13. Chapitre VIII - Vers une autre agriculture
  14. Conclusion
  15. Références bibliographiques
  16. Remerciements
  17. Du même auteur chez Odile Jacob