Amour, Sexualité, Tendresse

La réconciliation ?

Nicole Jeammet

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2005
• Imprimer l'ISBN: 9782738116895
• ISBN de l'eBook: 9782738187871
• Sujet: Psychologie
• Sujet: Sexualité humaine en psychologie

Comment expliquer le primat actuel de la sexualité dans les relations amoureuses ? Partant de son expérience de psychologue, Nicole Jeammet montre de quelles façons le désir, le plaisir et les corps interviennent dans la manière qu'ont les deux sexes de se rencontrer et de s'aimer aujourd'hui. Elle analyse, en s'inspirant de quelques grandes œuvres littéraires, les raisons profondes qui peuvent pousser des femmes, comme des hommes, à dissocier le sexe d'un sentiment amoureux fort, durable et constant. Et s'il existait pourtant une autre manière de vivre la sexualité qui permette de dépasser l'opposition du corps et des sentiments ? Et s'il était possible d'aimer l'autre sans se perdre soi ?Psychologue, Nicole Jeammet enseigne à l'université Paris-V-René-Descartes. Elle a notamment publié Les Violences morales.

CHAPITRE V

La rencontre d’un homme et d’une femme

« À travers les odeurs, le vin, les vignes, les aromates, les fleurs et les fruits, tout le symbolisme du jardin et du verger […] se rassemble autour du pommier paradisiaque de l’amour, du sommeil jusqu’à l’éveil final. Ce texte voluptueux épuise presque le champ des mots du plaisir et de l’amour¹. »

Nous abordons maintenant notre dernière œuvre, le Cantique des cantiques. Nous lirons ce chant dans sa traduction de la Bible de Jérusalem², nos connaissances rudimentaires en hébreu ne nous permettant guère d’en discuter le bien-fondé, et, même si nous avons pu en lire des variantes interprétatives, comme celle de Chouraqui ou de Meschonnic³, il ne nous est apparu ni pertinent, ni fécond de travailler sur ces différences. Ce qui importe ici, en revanche, c’est d’entendre ce chant comme celui d’une rencontre amoureuse entre un homme et une femme – d’après les dernières recherches exégétiques, il aurait été écrit par une femme⁴.

Après avoir écouté et analysé divers témoignages concernant la sexualité telle qu’elle est vécue aujourd’hui, je vais donc tenter, en lien avec nos connaissances actuelles sur le fonctionnement de la psyché, de montrer en quoi et de quelle façon ce poème peut faire sens dans nos vies. Par différents aspects, ici entrecroisés, il me semble, en effet, pouvoir donner forme à la représentation d’une sexualité humaine qui pourrait être proposée comme un modèle de rencontre réussie.

Ce chant est très difficile à commenter dans sa linéarité. Peut-être parce qu’on a l’impression à la fois de faire du sur-place dans un temps arrêté – avec, par exemple, ce leitmotiv qu’on retrouve du début à la fin : « n’éveillez pas, ne réveillez pas mon amour avant l’heure de son bon plaisir » – et, aussi, d’être emporté dans un perpétuel mouvement – « entraîne-moi sur tes pas, courons… », « j’entends mon Bien-Aimé, voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines… ». Toutefois, s’il est difficile à commenter poème après poème, c’est surtout parce que l’aventure amoureuse elle-même est prise dans un double paradoxe : celui d’un « déjà-là » et d’un « pas encore », et celui d’une intimité entre deux amoureux qui ne se ferme pas sur elle-même mais convoque une abondance de personnes, d’animaux, de plantes et de lieux. Au début du poème se dit le déjà-là de l’accomplissement amoureux : « Il m’a menée au cellier, et la bannière qu’il dresse sur moi, c’est l’amour […] son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint », alors que, beaucoup plus tard, dans le quatrième poème, est douloureusement vécue l’absence de l’aimé, le « pas encore » de sa présence : « Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé, je l’ai appelé, mais il n’a pas répondu ! » Or c’est peut-être dans ce paradoxe d’une présence-absence dans le temps et dans l’espace, où l’intimité est comme distendue aux dimensions du monde, que ce poème nous donne des clés pour l’intelligence d’un amour qui rend vivant. Avant d’essayer d’en mieux cerner les différents aspects, écoutons ce merveilleux cantique.

Prologue

La Bien-Aimée

« Qu’il me baise des baisers de sa bouche.

Tes amours sont délicieuses plus que le vin ;

L’arôme de tes parfums est exquis,

Ton nom est une huile qui s’épanche,

C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.

Entraîne-moi sur tes pas, courons !

Le Roi m’a introduite en ses appartements ;

Tu seras notre joie et notre allégresse.

Nous célébrerons tes amours plus que le vin ;

Comme on a raison de t’aimer ! »

Premier poème

La Bien-Aimée

« Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem,

Comme les tentes de Qedar,

Comme les pavillons de Salma.

Ne prenez pas garde à mon teint basané :

C’est le soleil qui m’a brûlée.

Les fils de ma mère se sont emportés contre moi,

Ils m’ont mise à garder les vignes.

Ma vigne à moi… je ne l’avais pas gardée !

« Dis-moi donc, toi que mon cœur aime :

Où mèneras-tu paître le troupeau,

Où le mettras-tu au repos, à l’heure de midi ?

Pour que je n’erre plus en vagabonde,

Près des troupeaux de tes compagnons. »

Le Chœur

« Si tu l’ignores, ô la plus belle des femmes,

Suis les traces du troupeau,

Et mène paître tes chevreaux

Près de la demeure des bergers. »

Le Bien-Aimé

« À ma cavale, attelée au char de Pharaon,

Je te compare, ma Bien-Aimée.

Tes joues restent belles, entre les pendeloques,

Et ton cou dans les colliers.

Nous te ferons des pendants d’or

Et des globules d’argent. »

Duo

« Tandis que le Roi est en son enclos,

Mon nard donne son parfum.

Mon Bien-Aimé est un sachet de myrrhe

Qui repose entre mes seins.

Mon Bien-Aimé est une grappe de cypre,

Dans les vignes d’En-Gaddi.

...

Table des matières

• Couverture
• Page de titre
• Copyright
• Table
• Introduction
• CHAPITRE PREMIER. La sexualité sans visage
• CHAPITRE II. La sexualité papillonnante
• CHAPITRE III. La sexualité totalisante
• CHAPITRE IV. L'amour, mais quel amour ?
• CHAPITRE V. La rencontre d'un homme et d'une femme
• CHAPITRE VI. L'amour de mutualité
• Conclusion
• Notes
• Références bibliographiques
• Remerciements
• Quatrième de couverture