Au-delà de toutes les frontières
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Au-delà de toutes les frontières

  1. 364 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Au-delà de toutes les frontières

À propos de ce livre

Quand la planète s'appauvrit, quand l'humanité, surarmée, se meurt de ses divisions, il est temps de renoncer à tout esprit de clocher. Il faut aussi tirer les leçons du passé, notamment celles de la dernière guerre, pour construire le monde de demain. Le parcours de Pierre Sudreau, tour à tour résistant, déporté, haut fonctionnaire, ministre, membre du Parlement, témoigne d'un souci d'ouverture qui peut être pour tous, citoyens et politiques, un exemple. Au moment où les vieux clivages s'effondrent mais où renaissent les vieilles haines, les vieilles peurs, l'auteur, mêlant récit historique, réflexion politique et méditation, nous invite à définir une nouvelle morale de l'humanité. Pierre Sudreau, déporté à Buchenwald, préfet à la Libération et directeur au ministère de l'Intérieur à 27 ans, fut dès juin 1958 appelé au gouvernement par le général de Gaulle ; il démissionna en 1962, lors de la réforme de la Constitution. Il signa en 1974 un rapport célèbre sur la réforme de l'entreprise.

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Informations

PREMIÈRE PARTIE

Frontières françaises



CHAPITRE I

La leçon de Saint-Ex


« Aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention » Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un Otage.
J’ai été pensionnaire de sept ans à dix-sept ans : un long tunnel. Mon père mort lorsque j’avais quatre ans, ma mère contrainte de travailler, il ne pouvait en être autrement.
Lorsque, souffrant, j’ai un cauchemar, je ne rêve pas de Buchenwald, mais que je suis en pension, puni, et que je ne pourrai « sortir » en fin de semaine humer l’air de la liberté… Cette adolescence, à laquelle vinrent s’ajouter les meurtrissures de la déportation, explique sans doute mon horreur des embrigadements, du dogmatisme, des fanatismes.
Dans cette longue désespérance de mon enfance, un pôle de lumière : l’amitié de Saint-Exupéry.
J’avais une douzaine d’années. Je garde encore le souvenir de mon enthousiasme à la lecture de Vol de Nuit. Ce ne furent pas les envolées poétiques qui m’enflammèrent. Pour le petit cloîtré que j’étais, les vastes horizons, le dialogue avec les étoiles, l’aventure, le courage des pilotes, étaient autant de promesses d’une autre vie, exempte des routines qui m’accablaient. Je résolus alors d’écrire et d’expliquer tout cela à « Monsieur de Saint-Exupéry » comme on écrit au Père Noël. Mes camarades, que j’avais eu l’imprudence de mettre au courant, se moquèrent bien de moi… Sans doute ma lettre, véritable méli-mélo d’exaltation (je voulais être un « aviateur ») et de tristesse, était-elle différente du courrier habituel de l’auteur ?
Saint-Exupéry me répondit gentiment. Quelle revanche sur les petits camarades !… La lettre de Saint-Exupéry était l’oing du Seigneur… j’étais « l’élu ». De cette correspondance naquit une amitié étonnante que le temps n’altéra pas. Avec quelques mots, des petites attentions, des cartes postales, et surtout parce que j’étais son ami, Saint-Ex parvint à me sortir de moi-même, de ma propre prison.
À plusieurs reprises, il eut la gentillesse de m’inviter à déjeuner le jeudi à Versailles (j’étais au Lycée Hoche), lorsqu’il allait au terrain de Guyancourt. Au restaurant, il me racontait des « histoires » qu’il ponctuait par des dessins étonnants sur la nappe en papier. Quel dommage qu’ils n’aient pas été conservés ! Mais un enfant n’a pas le réflexe de constituer des archives…
Grâce à lui je suis devenu un homme, sans doute pas aussi responsable qu’il l’aurait souhaité : « Être un homme, c’est avant tout être responsable. Responsable d’une misère qui ne semble pas dépendre de soi. C’est sentir en posant sa pierre que l’on contribue à bâtir le monde » (Terre des Hommes). La pensée de Saint-Exupéry ne m’a jamais quitté, particulièrement dans les grands moments de ma vie. « Un pas, encore un pas… », l’épopée de Guillaumet, perdu dans la Cordillère des Andes à la suite d’un accident d’avion, marchant dans la neige pendant dix jours, sans nourriture, tombant cent fois, mille fois, et se relevant pour repartir, admirablement racontée dans Terre des Hommes est un morceau d’anthologie de la détermination… et m’a beaucoup aidé, notamment dans les camps.
Je devine les mines condescendantes de certains : Saint-Exupéry est dépassé… L’aviation n’est plus à ses balbutiements. L’ère poétique de l’aviation est révolue… Saint-Exupéry, ce rêveur…
Mais Saint-Ex est beaucoup plus que le poète de l’Aéropostale. Il n’y a pas beaucoup d’auteurs, dans notre littérature, qui aient su si bien, avec autant de tact, célébrer la fraternité humaine. L’opinion mondiale ne s’y est pas trompée : Saint-Exupéry a été, et reste un best-seller. Il mérite aussi le respect pour avoir assumé jusqu’au bout son message. Comme le Petit Prince, il a choisi sa mort, ainsi que le raconte si bien Jules Roy dans Passion et Mort de Saint-Exupéry1. Il est mort « en plein ciel » comme Guynemer, mais désespéré. Son malheur est d’avoir été d’une grande générosité de cœur et d’être resté fidèle à son esprit de tolérance. Refusant de rallier inconditionnellement la France Libre tout en voulant combattre contre l’occupant, il fut incompris, critiqué, vilipendé.
…De Gaulle… Saint-Ex, deux grands écrivains, deux hommes passionnés, admirablement courageux, tendus vers le même but, souhaitant l’un comme l’autre farouchement la victoire, et paradoxalement opposés. L’un, chef de guerre, accablé de soucis, portant sur ses épaules le destin de la France, rassemblant son armée, comptant ses partisans, naturellement exigeant. L’autre, philosophe, poète, se sentant à sa manière responsable des « otages » laissés en France, ayant horreur des embrigadements, accusant « les gens de Londres » d’intolérance…
« Je suis las des polémiques, des exclusives, des fanatismes », écrivait Saint-Ex dans sa Lettre à un Otage. Et il ajoutait : « vous êtes quarante millions d’otages. C’est toujours dans les caves de l’oppression que se préparent les vérités nouvelles. Nous ne fondons pas la France. Nous ne pouvons que la servir… »
L’un et l’autre avaient pourtant une égale aversion à l’égard des « factions politiques » et ce sera la principale motivation du Général lorsqu’il démissionne, en janvier 1946, de ses fonctions de chef du Gouvernement.
Une explication entre les deux hommes aurait dû balayer ces tristes malentendus. Saint-Exupéry le souhaitait. Il a beaucoup souffert d’être incompris. Il est mort sans avoir rencontré le général de Gaulle2.
Pour obtenir l’autorisation d’effectuer encore quelques missions de guerre, malgré son âge, il lui fallut prier, supplier, et il n’y serait pas parvenu sans l’insistance du ministre Henri Frenay, fondateur de Combat. Ce dernier organisa chez lui à Hussein-Dey, au début du mois de mai 1944, ainsi qu’il le rapporte dans son livre La Nuit finira, « …un déjeuner qui va permettre à Saint-Exupéry de rencontrer Fernand Grenier, Commissaire à l’Air ». Y participaient aussi Pierre de Bénouville, adjoint d’Henri Frenay à Combat, et Maurice Bertin-Chevance, qui arrivait de France, trois grands résistants de la première heure : Henri Frenay, fondateur de l’Armée Secrète ainsi que du mouvement et du journal Combat, ministre du Gouvernement provisoire de 1941 à 1945 ; Pierre de Bénouville, qui participa à la création des mouvements Combat, Libération et Franc-Tireur, appelés à devenir les Mouvements Unis de Résistance (plus de cinquante missions secrètes à son actif), directeur de Combat après le départ d’Henri Frenay ; Maurice Bertin-Chevance, qui prendra le commandement des Forces françaises de l’Intérieur pour le Centre et le Sud.
Ce déjeuner fut un grand moment de fraternité et de communication entre ceux qui personnifiaient « les otages » et ceux de la France Libre. Pierre de Bénouville, Compagnon de la Libération, l’a évoqué avec tact et émotion :
« Nous étions tous les cinq donc, autour de cette table, dans la pénombre fraîche de la salle dont les volets étaient fermés depuis l’aube – cette aube mauve des ciels d’Afrique – et nous parlions de la France. Chevance et moi, nous disions les nouvelles. Nous racontions comment Jean-Guy Bernard [un des organisateurs du “Front Ferroviaire”, voir p. 50] s’était marié clandestinement et dans quelles conditions, avec son épouse Yvette, ils avaient été pris quelques semaines plus tard et transportés à Blois. Comment sa femme s’était ouvert un poignet dans sa cellule avec un morceau de verre pour tenter d’échapper à ceux qui la torturaient et avait perdu l’enfant qu’elle portait. [Yvette a été déportée à Ravensbrück et a épousé, à son retour, mon ami Abel Farnoux, également ancien déporté.]
« (…) L’émotion ne cessait de croître. Bientôt elle fut telle que pas un de nous, non, pas un autour de cette table n’avait encore les yeux secs. Les conventions et les convenances étaient dépassées.
« (…) Frenay, anxieux, le visage par instants ravagé, interrogeait sans se lasser et avec une terrible avidité.
« (…) Un sourire, le sourire fraternel de Saint-Exupéry qui avait tant souffert pendant toutes ces années d’être séparé de nous, avait, d’une lumière inconnue, éclairé nos combats, notre détresse, notre espérance3… »
Cette émotion de Saint-Exupéry, Pierre de Bénouville ne devait jamais l’oublier, et y est resté fidèle toute sa vie. Comme lui, il s’est insurgé contre les petitesses politiques, en citant souvent sa réflexion : « À m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’être au service d’une évidence spirituelle. »
Les missions de reconnaissance aérienne que Saint-Exupéry accomplissait dans un monoplace, un Lightning P 38 (« éclair », en anglais), étaient très périlleuses. Elles lui permettaient, disait-il, d’être « avec les autres qui risquaient leur vie » et de dominer certaines mesquineries qui le peinaient.
Cependant, quelques jours avant sa mort, qu’il pressentait, sa désespérance était grande. Tous ses amis en témoignent :
Raoul Bertrand, ancien diplomate engagé dans les Forces françaises libres, un des derniers à l’avoir vu vivant :
« Le 29 juillet 1944, peu avant minuit, Antoine de Saint-Exupéry – que j’avais conduit au terrain de Maison-Blanche où il devait retrouver le lieutenant-colonel Chassin – me remit un jeu d’échecs dont nous nous servions à Aïn-Taya et dont, auparavant, il ne se séparait jamais. “Gardez-le. Nous rejouerons dans une autre planète.” Trois jours plus tôt, il avait dit à l’épouse du général Mast : “Je suis sûr de ne plus jamais vous revoir.” À Christian Fouchet, il avait confié : “Je finirai en croix dans la Méditerranée. Je ne regretterai rien, sauf de ne pas avoir fait sauter leur usine à haine”4. »
Mon ami Jules Roy, son disciple, comme lui écrivain et aviateur, a raconté avec sa grande sensibilité la dernière entrevue que Saint-Ex eut avec Gavoille, son chef d’escadrille, « un homme modeste et vrai », largement évoqué dans le livre Pilote de Guerre, car ils étaient côte à côte en 1940, dans le Groupe 2/33.
Gavoille est inquiet et cherche à ralentir ses missions.
« Saint-Exupéry le laissa parler, puis lui répondit avec calme qu’il ne pouvait pas supporter l’idée de ne pas continuer… Il dit à Gavoille qu’il disparaîtrait en mission de guerre, que c’était bien, et que ce n’était pas lui qui devait l’en empêcher… Il lui résuma pourquoi il combattait, pourquoi il n’avait pas peur de la mort… et lui donna la mallette en cuir où il serrait ses manuscrits… “Je vous demande ça et le reste comme un grand service. Vous ne pouvez pas me…” Il s’arrêta de parler et se détourna. Il n’avait pas pu dire : “Vous ne pouvez pas me le refuser” parce qu’il pleurait… Dans Le Petit Prince, on lit : “J’aurai l’air d’avoir mal, j’aurai un peu l’air de mourir…”5. »
Le 31 juillet 1944, il disparaissait en mission. Sur sa table de travail, il y avait deux lettres manuscrites : l’une pour Pierre Dalloz6, qui fut aussi notre ami commun :
« J’aurais aimé savoir ce que vous pensez des temps présents. Moi, je désespère… Je suis certes le doyen des pilotes de guerre du monde… L’autre jour, j’ai eu la panne d’un moteur, à dix mille mètres d’altitude au-dessus d’Annecy, à l’heure même où j’avais quarante-quatre ans ! Tandis que je ramais sur les Alpes à vitesse de tortue, à la merci de toute la chasse allemande, je rigolais doucement en pensant aux superpatriotes qui interdisent mes livres en Afrique du Nord… Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots… »
Robert Aron, dans Le Piège où nous a pris l’histoire, a parfaitement analysé son mal : « Ce qui l’a frappé au cœur, autant qu’une balle ennemie, ce sont les querelles entre Français, les rivalités, les sottises. Il est mort d’un amour trop exigeant et trop lucide pour un pays dont les enfants avaient perdu le goût de s’aimer. Il est mort en protestation contre le sectarisme et la haine. Puisse à l’avenir sa leçon n’être pas entièrement perdue. »
Dans l’autre lettre, Saint-Ex se moque de ceux qui s’adonnent et s’abandonnent à la politique politicienne :
« Leurs phrases m’emmerdent ; leur pompiérisme m’emmerde ; leur ignominie m’emmerde ; leurs polémiques m’emmerdent, et je ne comprends rien à leur vertu. La vertu, c’est de sauver le patrimoine français en demeurant conservateur de la bibliothèque de Carpentras. C’est d’apprendre à lire aux enfants. C’est d’accepter d’être tué en simple charpentier… Ils sont le pays. Pas moi, je suis du pays7. »
Qui osera dire qu’à notre époque ces réflexions n’ont pas une résonance particulière ? Et Jules Roy rappelle avec beaucoup de tact que pour Saint-Exupéry, au-delà des barrières, des systèmes, des idéologies, il ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. DU MÊME AUTEUR
  4. Copyright
  5. Remerciements
  6. Avant-propos
  7. Il était une fois… demain
  8. Réflexions vécues
  9. Première partie - Frontières françaises
  10. Deuxième partie - Frontières de l’homme
  11. Troisième partie - Au-delà… des frontières routinières
  12. Discours à l’assemblée nationale 17 avril 1980
  13. Cahier photos
  14. Table