
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Mères majuscules
À propos de ce livre
Dans ce livre, Mères majuscules, il ne s'agit pas d'une figuration de la mère en majesté avec son enfant, mais plutôt d'une représentation contrastée d'elle-même où se lit la nostalgie. La nostalgie d'un autre enfant auquel le sien ne correspond pas ou plus, mais qui l'habite d'une telle manière que son regard sur l'enfant réel, l'enfant de chair, en est altéré. Que transmet-on plus tard, en tant que parent, homme ou femme, d'une figure de mère aussi particulière, à la fois omniprésente et insaisissable ? Quelle empreinte laisse-t-elle ? Que dit-elle de l'enfance ? On y pense, puis on l'oublie, quitte à en retrouver la trace dans la relation avec ses propres enfants, ou alors dans une absence d'enfant. Danièle Brun se penche ici sur les situations du quotidien où l'histoire du corps de l'enfant sollicite celle du désir et du fantasme maternels. La maternité s'y révèle jusque dans ses racines : le devenir femme de la petite fille. Ainsi s'ouvrent et se découvrent les voies qui mènent vers la clé des Mères. Danièle Brun est psychanalyste, membre d'Espace analytique. Elle est présidente de la société Médecine et Psychanalyse. Elle est professeur émérite à l'université Paris-Diderot. Elle a publié La Passion dans l'amitié (2005) et Les Enfants perturbateurs (2007).
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
- Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Mères majuscules par Danièle Brun en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Psychology et Psychoanalysis. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
PREMIÈRE PARTIE
La mélancolie maternelle
1
La clé des Mères
« Ma mère, quelle drôle de femme ! Elle est bizarre », dit une jeune femme pour mettre un point provisoire à une longue réflexion sur leurs relations. « Ma mère ne voulait pas avoir d’enfant », dit une autre qui tente, elle aussi, de mieux comprendre ce qui s’est passé au long de ses années d’enfance.
Impossible pour une fille qui grandit, qui devient mère et qui confronte sa maternité à celle de sa mère, d’échapper à ces questionnements. Ce sont des questionnements qui insistent même lorsqu’ils ne trouvent pas de solution ou de réponse satisfaisante, pratique. Ils entretiennent les relations entre mères et filles tout en maintenant l’esprit critique. Il se peut qu’ils soient indispensables dans la vie d’une femme, nécessaires à son cheminement comme à sa réflexion. Les propos de séances s’enchaînent ainsi les uns aux autres, paraissant émaner d’une même voix, sinon d’une même personne. « Ma mère a fait une grave dépression quand je suis née, dit une autre patiente, elle avait l’angoisse de mal s’occuper de moi. Elle pensait que je serais mieux avec une nounou, avec ma grand-mère ou toute seule. Il fallait presque que ce soit moi qui m’occupe d’elle et pas l’inverse. » Autant de paroles de femmes, autant de propos de filles sur la mère et sur ses énigmes. Que voulait-elle au juste ? Moi ? Pas moi ? Un autre enfant ? Quand et où a-t-elle pu trouver l’apaisement dont elle avait besoin ?
Parfois le mot mère remonte les générations. « Dans la famille de ma mère, on n’aimait pas les filles, ça la rendait plus heureuse de s’occuper de mon frère que de moi, même si elle s’intéressait à moi. » Celle-ci ne regimbe plus, elle essaye de s’identifier à l’attitude maternelle. Elle donne une nouvelle tournure à la jalousie qu’étant enfant, elle a manifestée à l’égard de ce petit frère.
Les séances d’analyse favorisent le retour des souvenirs. Elles permettent de les aborder sous un nouveau jour, par exemple à la faveur d’une rencontre ancienne avec un psychanalyste qu’il a fallu fuir parce qu’il s’adressait à une partie de soi qui était encore muette. C’est ce que je réalisai avec l’une de mes patientes le jour où elle décida de me parler de sa première et seule séance avec un analyste rencontré dans ses jeunes années : « Le premier psy que j’ai vu quand j’avais 20 ans, dit-elle, m’a posé une question : “Est-ce que vous avez déjà vécu un deuil ? – Oui, répondit-elle, ma grand-mère. – Je veux dire un deuil de vous”, précisa le psychanalyste. » Impossible pour elle de répondre à cette interrogation. Elle n’oublia jamais ce moment où la sidération l’envahit. Elle dit ne plus avoir ouvert la bouche de toute la séance et ne plus être revenue vers ce psychanalyste.
« Je n’ai pas compris la phrase, ajouta-t-elle, montrant encore la fraîcheur de son émotion. Je n’ai rien dit parce que je n’avais rien à dire là-dessus. C’était il y a presque trente ans. Et puis, un matin, il y a deux ans, je me suis réveillée avec l’impression qu’une partie de moi était morte… Cela fait deux ans, presque jour pour jour, que j’ai rencontré Philippe, finit-elle par confier, toujours absorbée dans sa réflexion, mais plus disponible aux effets de surprise de sa découverte. »
On pourra s’étonner que cette impression ait brutalement surgi à l’occasion d’une rencontre amoureuse. Une rencontre qui, cependant – et c’est tout son intérêt dans le contexte – avait été pour elle, et restait encore, marquée du sceau de l’impossible. Le garçon était jeune, trop jeune, disait-elle, trop proche en âge de celui de ses enfants. Son être mère lui faisait prendre conscience d’un impossible qui s’élevait à l’encontre de son désir. En somme, elle saisissait enfin qu’elle pouvait être à la fois en deuil d’elle-même et toujours jeune. D’ailleurs récemment, elle avait rencontré la femme d’un ami d’adolescence qui lui avait dit : « Tu es redevenue comme il y a vingt ans. » L’amour, la mère, la mort ont souvent partie liée. Aussi longtemps qu’il ne s’agit que de sa propre mère, celle avec laquelle on a grandi, et dont les énigmes interrogent, il n’est guère facile de prendre conscience d’une division de soi-même en deux parties différentes. Ce n’est pas parce qu’on la sait en deuil qu’on se sent soi-même en deuil d’une partie de soi.
Le jour où ma patiente parvint enfin à mettre des mots sur le souvenir de sa rencontre avec un premier psychanalyste et sur la question du deuil d’elle-même qui l’avait laissée interdite, sa sidération de l’époque céda. La notion d’interdit prit pour elle un nouveau sens, elle se lia à l’impossible du désir grâce à quoi elle retrouva le chemin d’une proximité différente avec sa propre mère. Elle put se familiariser avec la connaissance d’une division d’elle-même entre une partie morte et une partie vivante. Avec sa partie vivante, elle se remit à aimer et à donner du sens à la question du deuil d’elle-même qui avait été sollicitée trop tôt, trop tôt délogée de l’abri que lui avait offert la mort de la grand-mère maternelle. Ce fut, pour elle, l’occasion de connaître ou de reconnaître la présence d’une Mère majuscule dans son environnement et dans sa vie intérieure.
Ce que j’appelle une Mère majuscule implique une division de soi en une partie morte ou mortifiée et une partie menacée mais vivante, désirante. L’image est forte. Elle a sa place dans le Faust de Goethe où elle figure comme un moment d’anthologie. Il n’était pas dit qu’on s’en souviendrait pour un autre motif. Mais Freud lui fit un sort en juin 1932 dans une lettre adressée à Stefan Zweig à propos de La Guérison par l’esprit, son livre paru en 1931.
Zweig consacre plusieurs chapitres à Freud, à l’homme et à son œuvre, le tout accompagné d’un historique de ses débuts avec Breuer. Il y est évidemment question de Bertha Pappenheim que la postérité apprit à connaître sous le pseudonyme d’Anna O. et dont Zweig dit qu’elle exprima librement sous hypnose des sentiments refoulés que des raisons de « décence » lui avaient fait taire et qui s’étaient transformés en symptômes. Il mentionne aussi les soins qu’elle apporta à son père malade, au chevet duquel, dit-il, « elle avait éprouvé et réprimé certains sentiments ». Plus loin dans le livre, Zweig revient à Breuer, l’ami de Freud, « qui, ajoute-t-il, a pourtant dirigé sa main vers la clé du mystère ». Freud conteste vivement cette vision des choses et ce récit trop insuffisamment étayé à son goût. Mais le thème de la clé paraît l’inspirer, notamment pour faire le point sur l’action de Breuer. La tragédie de Faust est très présente à son esprit. Il la connaît depuis toujours et il vient de recevoir le prix Goethe.
Clé pour clé, Freud propose à Stefan Zweig celle des Mères dont il est question dans Le Second Faust, pour lui expliquer qu’en fait Breuer n’a pas compris grand-chose à sa patiente qu’il quitta brusquement après l’avoir trouvée dans les douleurs d’un accouchement fantasmatique et alors qu’il avait en main « la clé qui aurait ouvert la voie vers les Mères ». « Malgré ses grands dons intellectuels, il n’avait en lui rien de faustien. Épouvanté, comme tout médecin non-psychanalyste l’aurait été en pareil cas, il prit la fuite, abandonnant sa patiente à un collègue », ajoute-t-il.
L’allégorie des Mères majuscules dont Breuer, selon Freud, ignora l’importance en « laissant tomber » la clé qui aurait mené vers Elles passa ainsi à la postérité. Nous sommes en 1932. Le livre de Zweig est paru un an plus tôt, et la mère de Freud est morte en septembre 1930, sans qu’apparemment il soit resté longtemps à son chevet. Il écrit cependant à Ferenczi que « les valeurs de la vie seront sensiblement modifiées dans les couches profondes ». Il arrive à la fin de son œuvre après la mort de sa propre mère, et il entrevoit la complexité de la sexualité féminine qu’il avait jusque-là principalement décrite en miroir de la sexualité masculine. Il se peut – il le dit presque – qu’il ait fallu que sa mère meure pour que son esprit se libère de certaines entraves, plus précisément de la crainte d’une coalescence entre l’image de sa mère réelle et celle, plus contrastée, que depuis longtemps ses patientes tentaient en vain de lui faire partager. Il se résout enfin à mettre en mots et en textes la destinée de cette part essentielle de la sexualité féminine qui dérive d’une relation archaïque à la mère, faite d’amour puis de haine.
Voici donc le contexte de la vie et de l’œuvre dans lequel Freud fait aux Mères majuscules une place dans la psychanalyse. Le détour par la tragédie et par ses héros tient de l’exemplarité. C’est un gain pour la pensée devant l’énigme que représentent certaines situations issues de la clinique et qui soulèvent des questions inédites. Je crois que de tels détours par le patrimoine littéraire et culturel favorisent le partage comme la transmission des idées. Ils représentent, de surcroît, une bouffée d’air là où la pensée risque de s’enkyster ou de se paralyser. J’ai eu, pour ma part, besoin de ces détours pour avancer dans le travail et la réflexion que j’ai menés pendant de longues années sur le devenir du lien entre mère et enfant, à la fois dans ma pratique de psychanalyste et dans un long travail d’accompagnement des mères au cours d’une maladie grave qui se fit à l’hôpital, en collaboration avec les pédiatres et les gynécologues-obstétriciens.
Les détours par la littérature que Freud emprunta m’ont paru d’autant plus précieux à poursuivre que la métaphore de la clé lui servit de mots pour raconter une situation longtemps sidérante. Avec la métaphore de la clé des Mères, une nouvelle version de la scène entre Joseph Breuer et sa patiente se profila, plus vraie, plus authentique que celle qui débouchait sur un simple diagnostic d’hystérie féminine, et que Freud lui-même ne s’est pas permis d’approcher dans sa pratique avec ses patientes.
« La clé saura découvrir la vraie place, dit Méphistophélès à Faust qu’il voit effrayé. Suis-la, elle te conduira chez les Mères. » Freud est familier du recours à la tragédie et à la littérature pour illustrer la survenue de mouvements intérieurs qui font de la personne à son insu le fac-similé d’un héros connu de tous ou d’une héroïne. Œdipe et Hamlet sont les plus célèbres. Le recours aux héroïnes est moins fréquent mais Jocaste y figure comme on le sait, de même que des femmes telles Lady Macbeth de Shakespeare ou Rebecca Gamwik-West d’Ibsen qui, l’une et l’autre, se privent de la possibilité d’enfanter. Quelle que soit la diversité des configurations qui président au rappel de ces figures chez Freud, elles ont pour point commun de se rapporter à la mort d’une personne proche et de décrire la manière dont cette mort est ressentie comme un meurtre duquel l’héroïne, par-devers elle, s’accuse ou se tient responsable. Tel est aussi dans la vie psychique l’inéluctable mouvement, la « résistible ascension » comme aurait dit Bertolt Brecht, du désir refoulé vers la prise de conscience de l’impossible.
Les obstacles qui barrent la voie à son surgissement suscitent des réactions inattendues qu’il faut étudier attentivement, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un projet d’enfant ou d’un projet sur l’enfant. Dans ces circonstances, la mélancolie fait barrage tout en tenant lieu de clé pour aller vers les Mères.
J’aborde ici des situations nouvelles, plus impressionnantes que celles qui se rencontrent à l’occasion d’un parcours analytique dans le fil d’une réflexion approfondie sur les relations entre mères et filles, mais aussi plus parlantes quant à la division d’une femme entre une partie d’elle-même morte ou mourante et une partie soignante mais désirante.
Mères majuscules : ce titre qui remet à l’honneur un moment du Faust de Goethe, convient pour désigner l’état, mais aussi l’excès vers lequel le souci pour l’existence de son enfant peut mener une femme. À supposer que la vie de l’enfant soit menacée, avant, pendant ou après sa naissance, la mère, obligée de faire face avec la médecine et les soignants à une réalité qui l’affole, tant elle est contraire à ce qu’elle anticipait de sa maternité, voit sa fonction et ses repères vaciller.
La situation semble claire, apparemment sans ambiguïté. Elle implique le recours à la médecine dès lors que des adultes, hommes et femmes, se trouvent dans l’incapacité de réparer les désordres du corps et de faire obéir le leur ou celui de leur enfant à leurs aspirations. La sexualité féminine ne paraît guère en cause dans ces circonstances. Elle l’est, de fait, comme elle l’est tout au long de l’existence dans la mesure où, depuis sa petite enfance jusqu’à sa pleine maturité, la vie de la femme implique la représentation d’un enfant à naître mais également celle d’un enfant auquel elle doit renoncer. Peut-être même doit-elle le perdre. C’est celui que, comme tout enfant, dès son plus jeune âge, et alors qu’elle n’en a aucun souvenir, elle a souhaité, imaginé pouvoir faire à sa mère ou recevoir d’elle. Le déploiement de sa vie psychique et de sa plasticité1 est, d’une certaine façon, conditionné par la présence de ce vœu irréalisable qui ne parvient pas à la conscience en tant que tel. Il n’est pas rare, cependant, que les maladies, les accidents, les malformations ou la mort de l’enfant réel fassent de l’impossible de ce vœu, enfoui par les ans et par le refoulement, une réalité catastrophique. Or nul ne veut être confronté à l’impossible. Les avancées et les performances qu’a connues la médecine au cours des dernières années confortent les usagers dans cette position.
Mais pourquoi invoquer l’impact du désir inconscient dans une situation de soin qui répond en priorité à l’expression d’un désir conscient et où le retour à la santé, initialement visé, est supposé lui apporter la satisfaction attendue ? Quel rapport avec la médecine ? se demandera-t-on incrédule. Et avec la prise en charge médicale d’un projet d’enfant ou d’un enfant malade ? La conviction placée dans le pouvoir attribué à la médecine se trouve nécessairement questionnée devant la mort. Le chagrin et la déception n’y mettent pas un terme, car la croyance dans les pouvoirs de la médecine a une double fonction. Elle favorise l’alliance thérapeutique, ce qui est essentiel. Et sur le plan psychique, tout en participant au maintien du refoulement sur la part d’impossible d’un vœu d’enfant avec la mère, elle contribue à rendre l’existence de ce vœu plus présente. Peut-être aussi parce que l’enfant dont il a pu être question dans l’imagination de la future mère à cette époque précoce n’avait pas de forme définie. Le petit enfant qui l’a imaginé s’est laissé guider par sa curiosité concernant la transformation du corps de la mère qu’il aurait souhaité connaître également. Il n’y a pas que les petites filles qui jouent à être enceintes. Les petits garçons y pensent également. Et les deux sexes se laissent souvent aller à penser qu’ils sont les artisans de cette transformation, que c’est à l’un ou à l’autre de ses enfants que la mère doit son nouveau bébé. Ce sont des fantasmes qui laissent longtemps une empreinte.
Lorsque la dimension de l’impossible est retrouvée au cours d’un processus thérapeutique, elle se lie de nouveau à l’informe de la première représentation de l’enfant. L’étalement des soins dans le temps et l’attente à laquelle il faut consentir avant d’en connaître l’efficacité ou le résultat créent les conditions de surgissement du désir sous une forme mélancolique, plus mélancolique que jamais. Dans la mesure, en effet, où les craintes pour l’enfant – celui qui ne viendra pas, plus, qui ne vivra peut-être pas dans de bonnes conditions ou plus du tout – absorbent tout le potentiel psychique et affectif, elles ont un caractère dévastateur. L’enfant, si présent qu’il puisse encore être dans sa réalité comme dans son projet, se fait pour la femme et malgré elle « forme vacillante ». Elle n’y peut rien. Tel est l’effet du retour en arrière auquel elle ne peut pas opposer de résistance parce qu’il traduit la régression qui s’opère en elle, alors que parallèlement la médecine exige d’elle un sursaut de vigilance pour se soigner ou soigner son enfant.
C’est ici que s’inscrit en force la pertinence de la référence à Faust et le bien-fondé de son rappel pour illustrer la douloureuse confrontation de la femme à l’impossible. Un impossible dont il faut considérer le double aspect, ou les deux faces, à savoir celle de sa vie actuelle et celle de sa vie passée. Conflit que les paroles inaugurales de Faust, couramment appelées « Dédicace » explicitent. Elles disent le mouvement régressif qui étreint son âme et dont le prototype se retrouve lorsqu’il se prépare dans Le Second Faust à rendre visite aux Mères :
« Vous voici donc à nouveau, formes vacillantes,
qui apparûtes naguère à mes regards encore troubles.
Tenterai-je cette fois de vous saisir et fixer ?
[…]
Et voici qu’une nostalgie depuis longtemps désapprise
Me ramène vers ce discret et grave royaume des Esprits ;
[…]
Un frisson me saisit, le pleur succède au pleur ;
[…]
Ce que je possède, le vois dans un vague lointain,
Et ce qui disparut devient pour moi réalité. »
Dans l’histoire de la rencontre entre la médecine et la psychanalyse, les pédiatres ont été les premiers à témoigner de la transformation silencieuse et, à leurs yeux, trop peu perceptible, des mères de leurs petits patients en Mères majuscules. Ainsi, les pédiatres, et plus particulièrement les pédiatres hospitaliers, se sont-ils ...
Table des matières
- Couverture
- Page de titre
- Copyright
- Sommaire
- Dédicace
- Citation
- Avant-propos
- PREMIÈRE PARTIE : La mélancolie maternelle
- DEUXIÈME PARTIE : Parents orphelins
- TROISIÈME PARTIE : Des liens à rompre
- QUATRIÈME PARTIE : Effets d'annonce médicale
- CINQUIÈME PARTIE : Propos sur la maternité
- Remarques finales
- Bibliographie
- Remerciements
- Du même auteur
- Quatrième de couverture