
- 304 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Lucy et l’obscurantisme
À propos de ce livre
« Ce livre est né de ma prise de conscience des grandes interrogations de notre temps quant à notre origine. À partir de quelques exemples vécus et de données frappantes portant sur l'ampleur de la réaction créationniste dans le monde, mais aussi dans notre pays, qui se croit à tort protégé, on saisira mieux à quel point la rationalité et la pensée scientifique s'avèrent de moins en moins bien comprises et, pis encore, de plus en plus menacées. Sur quels arguments s'appuient les créationnistes ? Ils ne datent pas d'hier, mais quelles sont leurs formes contemporaines ? Et, surtout, qu'est-ce qui permet de les récuser ? La théorie de l'évolution n'explique pas tout, ce n'est pas une vérité absolue établie une fois pour toutes — on verra au contraire qu'en son sein les discussions et les désaccords sont nombreux —, mais elle ne s'en distingue pas moins radicalement de toutes les autres tentatives, mythologiques, religieuses, idéologiques, philosophiques pour rendre compte de notre monde et de ce que nous sommes. Voilà, je crois, de quoi remettre le débat sur de nouvelles bases. »Pascal Picq Pascal Picq est maître de conférences à la chaire de paléoanthropologie et préhistoire du Collège de France. Il est notamment l'auteur, chez Odile Jacob, de Au commencement était l'homme et a aussi publié Les Tigres et Les Grands Singes.
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Informations
Chapitre 1
Backlash :
tous contre l’évolution !
tous contre l’évolution !
Une des plus belles avancées des connaissances en sciences est aujourd’hui rejetée comme jamais auparavant. Le patient travail de recherche plus que centenaire qu’a accompli une communauté de femmes et d’hommes issus de différents pays, de différentes nations et de différentes cultures se retrouve contesté sur des fondements que l’on croyait révolus depuis longtemps. L’une des plus grandes contributions à la pensée moderne et universelle attachée à la laïcité est à nouveau reniée par l’obscurantisme : l’évolution.
Récemment, les journaux et certains médias se sont alarmés de la diffusion très ciblée, à plusieurs milliers d’exemplaires, d’un livre intitulé L’Atlas de la Création, écrit par un certain Harun Yahya. Cet ouvrage monumental de grand format comprend quelque sept cents pages et est magnifiquement illustré. L’auteur s’attache à démontrer que la théorie de l’évolution est erronée et que toutes les espèces connues actuellement sont restées inchangées depuis des milliards d’années car elles auraient été créées comme telles. Les arguments avancés sont aussi pauvres que fallacieux. Mais le véritable objectif de ce livre n’est pas d’argumenter ; il est de distiller le doute et de séduire. Il s’agit de semer la perplexité chez celles et ceux, hélas largement majoritaires sur la Terre, qui ne connaissent pas la théorie de l’évolution ; il s’agit de les éblouir en invoquant l’insondable beauté de la Création. Cela rappelle la phrase célèbre d’un pape : « Les vitraux sont la Bible des imbéciles. » De fait, les vitraux, comme ces livres d’illuminés, sont souvent superbes et aveuglent les ignorants de leurs mirages.
La France se réveille à peine, sonnée par ce coup porté par un auteur et une organisation fondamentalistes liés à l’islam. Après l’affaire du voile, après les événements dramatiques qui ont frappé l’Espagne et l’Angleterre, voilà encore une offensive islamiste qui, forcément, appelle la réprobation dans nos contrées laïques. Seulement, ce que les commentateurs soulignent peu, c’est que cette action de propagande remarquablement exécutée émane de Turquie, un des rares pays musulmans officiellement laïque. On oublie ainsi que cette menace venue de l’Orient s’inscrit dans un mouvement bien plus profond, bien plus ancien, bien plus organisé et issu d’Occident : le créationnisme porté par les évangélistes fondamentalistes américains.
L’Europe laïque, dont la France, se pensait à l’abri de ces controverses sorties d’un autre âge, tranquille quelque part entre l’Orient et l’Occident. Quelle erreur ! Les premières attaques se concentrent sur les sciences, tout particulièrement sur la théorie de l’évolution. Les avatars du créationnisme que sont la science créationniste et le dessein intelligent marquent le retour de forces de réaction qui ont pour seul but de saper la laïcité et d’installer de nouvelles formes de théocratie. L’enseignement et le contenu des programmes sont au cœur du conflit, en particulier l’enseignement de la biologie. Malheureusement, nous payons les conséquences de la faiblesse de l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les programmes, faiblesse imputable à l’un des héritages les moins glorieux de la biologie française, qui traîne encore des relents d’antidarwinisme primaire. Autrement dit, la France, qui se croit protégée du créationnisme en raison du caractère sacré de la loi de 1905, se trouve fragilisée par d’autres croyances propices à l’affirmation du créationnisme et qui sont liées à une longue tradition vénérant toutes sortes de vitalisme et de finalisme, fortement ancrées en littérature, en philosophie, mais aussi… en science. Si notre pays peut mieux s’opposer que d’autres au créationnisme, il se montre très accueillant vis-à-vis du dessein intelligent. La faute à Voltaire ? Il est en tout cas urgent de rappeler ce qu’est la science et ce qu’est la théorie de l’évolution.
Au cours de notre histoire récente, l’instauration de la laïcité a incarné le passage à la modernité, dont la théorie de l’évolution est l’un des piliers. Aujourd’hui, sa remise en cause ne passe pas par une attaque explicite de ses principes, ni même par une contestation de la science en général. Elle se manifeste fort habilement par la contestation des fondements scientifiques de la théorie darwinienne, non pas sur des critères épistémologiques, mais en lui attribuant des idées et des concepts fallacieux. Les inquisiteurs ne procédaient pas autrement ! Il est grand temps de repousser le voile qui s’abat sur la laïcité. Cela passe par l’enseignement, tout particulièrement de l’évolution de l’Homme, le seul récit scientifique et donc universel qui unisse les femmes et les hommes dans une même communauté d’origine par-delà leur diversité biologique et culturelle.
En moins de vingt ans, les antiévolutionnistes ont si bien œuvré que nos sociétés se trouvent confrontées à une sorte d’antiévolution qui menace la laïcité. Et cette belle endormie se réveille à peine pour réaliser que le mauvais rêve est un cauchemar bien réel.
Les pays occidentaux, tout particulièrement catholiques, ont connu par le passé des périodes dramatiques avant que la laïcité ne s’impose. Toutefois, la réaction la plus dure est venue des fondamentalistes protestants aux États-Unis. On se rappelle le « procès du singe » intenté à John Scopes en 1925, à Dayton, dans le Tennessee. Il a fini par être condamné à une amende de cent dollars pour avoir enseigné que « l’Homme était issu d’une espèce inférieure », ce qui allait à l’encontre d’une loi en vigueur dans cet État. À l’époque, la communauté scientifique s’est peu mobilisée alors même que ce procès avait beaucoup d’écho à l’échelon national des États-Unis. On a surtout cru que le problème ne concernait que le Sud « arriéré ». La suite des événements, en particulier plus près de nous, montre au contraire combien il est naïf de croire que la laïcité est un principe acquis une fois pour toutes. La communauté scientifique, hier comme aujourd’hui, peut être coupable par passivité. Car, pendant que les universitaires et les chercheurs se préoccupent de leurs statuts, de leurs crédits et de leur index de citation, ils abandonnent les enseignants devant les classes et les enjeux de société, préférant se lamenter ensuite de voir les jeunes ne plus embrasser les filières scientifiques. Assurément, la communauté scientifique a des leçons à prendre auprès des fondamentalistes en termes d’efficacité politique !
Voici le récit de quelques scènes qui m’ont confronté à ces problèmes et me paraissent significatives des évolutions récentes et des enjeux pour nous aujourd’hui. Ces dix dernières années en effet, je me suis retrouvé dans des situations parfois tendues autour des origines de l’Homme. Que le lecteur me pardonne ces témoignages qui pourraient sembler trop personnels. Telle n’est pas mon intention. Il s’agit plutôt d’évoquer la prise de conscience qui m’a conduit à écrire ce livre. J’aime cette phrase du philosophe Peter Sloterdjik : « Les livres sont de grosses lettres adressées à des amis que l’on ne connaît pas. » Ce livre est une lettre d’amitié à tous les laïques, qu’ils soient croyants, agnostiques ou athées.
De Mantes-la-Jolie à Montréal
Mantes-la-Jolie, 2002
Tout avait commencé par l’appel d’une enseignante de biologie en classe terminale. Elle exerçait dans un lycée de la grande banlieue parisienne et son cours sur l’évolution suscitait une forte opposition de la part de certains élèves. L’une, notamment, portait le voile. À l’évidence intelligente, elle récusait en particulier l’affirmation que « l’Homme descend du singe ». Déjà confrontée à la même difficulté l’année précédente, l’enseignante avait fait intervenir un collègue fort réputé, connu pour ses grandes connaissances sur Darwin. Mais les positions politiques de ce personnage avaient créé plus que de la gêne : lorsque, devant la classe, il avait affirmé que « la religion est l’opium du peuple », la réaction – légitime – de quelques élèves avait été aussi vive qu’indignée. La défense de la science et de la laïcité est un chemin pavé parfois de fausses bonnes intentions !
Je me trouvais donc face cette classe, bien préparée à me recevoir. À cette époque, juste avant ce qu’on a appelé l’affaire du voile à l’école, je disposais déjà d’une solide expérience de conférencier devant des publics divers, mais les personnes qui assistaient d’habitude à mes conférences s’intéressaient à la question des origines de l’Homme dans une perspective évolutionniste. Elles venaient sur mon terrain, elles en admettaient les prémisses. Cette fois, c’est moi qui m’aventurais sur un autre terrain. Or, quand on s’intéresse à l’éthologie, on sait ce que cela signifie. Au vu de ce qui s’était passé l’année précédente, il était évident que je ne pouvais pas ouvrir cette rencontre en opposant brutalement mon savoir de scientifique à leurs convictions, comme si j’avais moi-même affirmé une « foi » face à la leur. Il fallait commencer autrement. J’ai donc choisi de débuter en exposant les différentes façons dont les hommes, autrement dit les nations, les cultures, les ethnies, etc., ont interrogé le monde et se sont situés par rapport à lui au cours de l’Histoire, ainsi que de nos jours. Puis, j’ai présenté la démarche scientifique dans ce qu’elle a de particulier à cet égard. Et c’est seulement ensuite que j’en suis venu à nos connaissances sur les origines et l’évolution de l’Homme.
La jeune fille voilée assistait à mon intervention. Elle était assise juste en face de moi et, tandis que je parlais, elle est restée très attentive. À la fin, elle s’est levée et, tranquillement, s’est approchée. « Maintenant, j’écouterai le cours de biologie », a-t-elle déclaré.
L’enseignante qui avait eu l’idée de ces interventions souhaitait donner la parole à des personnes connues pour leurs compétences sur la question de l’évolution. Mais quelles compétences ? Connaître fort bien Darwin et son œuvre n’implique pas qu’on est au fait des recherches de pointe en biologie évolutionniste, et à plus forte raison en paléoanthropologie. Surtout, susciter un choc frontal entre deux systèmes de pensée d’emblée présentés comme rivaux n’est certainement pas la meilleure méthode, comme si chacun brandissait ses idoles : d’un côté Lucy ; de l’autre Adam et Ève. Et que le meilleur gagne ! À l’arrivée, pas d’échange possible.
Cette scène concernait des élèves de nos banlieues qui étaient de religion musulmane. Si certaines personnes refusent d’entendre un cours sur l’évolution en raison de leurs convictions religieuses, on ne connaît toutefois pas de mouvement organisé en France qui se mobilise pour changer les programmes scolaires au nom du Coran, comme on l’observe avec la Bible aux États-Unis. Toutefois l’envoi de plusieurs milliers d’exemplaires de L’Atlas de la Création à des établissements scolaires en France et ailleurs en Europe augure d’une offensive plus large.
Casablanca, 2004
L’Institut culturel français de Casablanca a organisé une série d’événements, dont des conférences, autour de l’évolution, de la vie et de l’Homme. J’y étais invité aux côtés de mon ami Axel Kahn. Il s’agissait d’intervenir dans des classes de lycée devant des élèves âgés de 14 à 16 ans. Il y avait là une assemblée de jeunes des deux sexes, accompagnés de quelques enseignants et d’un conseiller d’éducation. Ma venue avait été bien annoncée. Annoncée sans doute, mais pas vraiment préparée, car ils n’avaient jamais reçu d’enseignement sur l’évolution et encore moins sur celle de l’Homme.
Lorsque je suis monté sur l’estrade, j’ai ressenti l’incroyable distance qu’il y avait entre ces jeunes gens et moi, à la fois en raison des quelques mètres qui me séparaient des premiers rangs et aussi du fait de leur peu de notions du sujet que j’allais aborder. Il fallait donc que je leur parle des origines de l’Homme en m’approchant d’eux. Pas pour les bousculer ou violer leur espace de réserve, mais pour qu’ils sentent bien que nous sommes tous les enfants de cette même histoire, avec nos ressemblances et nos différences. Il y a eu très peu de questions : l’enseignement comme les relations entre le maître et l’élève au Maroc restent très formels ; la situation et le sujet étaient inhabituels pour eux. N’oublions pas non plus leur jeune âge.
Cependant, à la fin de la rencontre, le conseiller d’éducation s’est levé, tout droit dans sa grande robe. Et il m’a demandé : « Si je t’ai bien compris, tu es darwinien. » « En effet, je suis certainement l’un des anthropologues les plus darwiniens, même au sein de ma petite communauté scientifique », ai-je répondu. Alors il a dit ceci : « Tu es venu devant nous. Tu nous as dit ce que tu penses. Tu as parlé de l’Homme, de la science et de l’évolution. J’ai vraiment du mal à croire ce que tu nous as dit. Mais tu nous as respectés, nous dans nos croyances et les élèves dont tu t’es rapproché. Alors, si un jour tu repasses à Casablanca, je voudrais que tu viennes discuter avec mes amis. » Cet homme ne sera jamais darwinien ; je ne serai jamais croyant. Nous avons partagé un grand moment d’humanité.
Le soir s’est tenu un magnifique dîner chez madame la proconsul général de France. Nous sommes passés à table tardivement, car nous attendions la ministre en charge du délicat dossier de la réforme de la famille, qui comportait un volet important sur les droits des femmes. (La loi et la réforme ont finalement été adoptées.) Une partie de la discussion faisait suite aux interventions d’Axel Kahn et de moi-même ; en filigrane, ce qui revenait, ce n’était pas la question de la laïcité, c’était celle de la tolérance religieuse. Le Maroc a une longue tradition de tolérance religieuse ; tous nos amis marocains exprimaient leur profond sentiment de colère moins d’une année après l’attentat qui avait détruit une synagogue à Casablanca. Au Maroc, la liberté de la pratique religieuse s’accompagne du respect des autres croyances et d’une règle aussi implicite que fondamentale : ne pas faire de prosélytisme. Les seuls qui violent cette règle sont les musulmans intégristes – de plus en plus influents dans ce pays, cependant – et les fondamentalistes protestants. Croire que la religion musulmane contient en elle-même les germes de l’intolérance et de l’intégrisme serait aussi infondé qu’irresponsable. Ramener les menaces faites à la laïcité à une question de religion, et plus particulièrement d’une seule, serait tout simplement erroné.
Marrackech, 2005
C’est à l’initiative de l’Institut culturel français de Marrakech et de mon ami Alain Beresteski, le fondateur et le directeur de la Fondation 93, que j’ai participé à un cycle de conférences en trois parties : les origines de l’Univers par Daniel Khun ; celles de la vie par Michel Van Praët et celles de l’Homme par moi. Les deux premières interventions ont eu beaucoup de succès.
Mon ami le chorégraphe Michel Hallet-Eghayan, avec qui nous avons créé une trilogie dansée autour des origines de l’Homme, était invité aussi. Michel était arrivé quelques jours plus tôt pour développer un travail chorégraphique avec de jeunes danseuses et danseurs marocains. Une belle rencontre qui amenait à échanger, à discuter, à s’ouvrir les uns aux autres. Michel a évoqué son travail avec moi et, plein d’enthousiasme, il a raconté comment nous avions cherché à exprimer par la danse l’évolution du singe à l’Homme. Soudain, le miroir s’est brisé, comme si une onde de choc s’était répercutée dans tout l’Institut. L’agitation a été telle qu’on a même envisagé d’annuler ma conférence.
Pendant ce temps, Alain m’avait demandé de participer à son atelier sur la médiation scientifique devant un auditoire très attentif et très participatif d’enseignants. J’ai exposé ce qu’est l’évolution de l’Homme d’un point de vue scientifique. J’ai expliqué pourquoi ce sujet était si sensible car, bien avant Lamarck et Darwin, toutes les cultures humaines avaient inventé tout un éventail de récits évoquant l’origine de l’Homme et sa place par rapport à la nature, au cosmos (d’où le terme de cosmogonie). Récits mythiques, mythologies, religions, philosophies ont abordé cette question bien avant l’apparition des sciences modernes. Dès lors, si on confond ces registres, ces divers modes d’interrogation du monde, si on les met tous sur le même plan d’un point de vue épistémologique, on se heurte à de vives réactions. D’autant plus si le sujet abordé concerne l’Homme. Après les deux conférences sur les origines de l’Univers et celles de la vie, je ne pensais pas dire aussi vrai. Alors que les enseignants marocains ont félicité Alain et moi-même d’avoir ouvert les conditions d’une discussion difficile, voire impossible, par ailleurs, Michel s’est retrouvé dans un terrible embarras.
J’ai tout de même maintenu ma conférence, mais il est venu moins de monde qu’aux deux précédentes. Parmi le public, les enseignants et leurs amis, mais aussi quelques curieux. Un tiers de mon exposé a consisté en une introduction sur l’épistémologie et la science. Tout s’est bien passé, même si une partie du public a quitté la salle en silence, sans applaudir, mais sans incident, avant que ne s’ouvre une discussion plus légère. Un des membres de l’Institut, responsable de ma présence, m’a fait remarquer que l’introduction était un modèle d’exercice diplomatique. Peut-être parce que je n’avais pas cherché à présenter les résultats scientifiques de ma discipline en termes de foi s’opposant à une autre foi.
Le jour de ma conférence, je suis allé me balader dans le souk. Un marchand de bijoux me happe et, regardant mon épouse, me dit que je dois acheter un coll...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Du même auteur chez Odile Jacob
- Copyright
- Introduction
- Chapitre 1 - Backlash : tous contre l’évolution !
- Chapitre 2 - Évolution de l’homme : mythes et religions
- Chapitre 3 - Création et réaction
- Chapitre 4 - Ce qui est science et ce qui ne l’est pas
- Chapitre 5 - L’avenir de l’évolution
- Conclusion
- Bibliographie
- Remerciements
- Du même auteur