Les Belles Imprudences
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Les Belles Imprudences

  1. 160 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Les Belles Imprudences

À propos de ce livre

« L'homme a violĂ© les commandements auxquels les ĂȘtres vivants sont soumis. Nous avons eu l'audace de souhaiter que le faible soit protĂ©gĂ©. Nous avons donnĂ© des droits Ă  l'individu. Nous avons fait en sorte que la mortalitĂ© infantile s'effondre et que la longĂ©vitĂ© soit plus que doublĂ©e. Cette rĂ©volte a donnĂ© un sens Ă  l'existence humaine. Mais comment Ă©viter le chĂątiment de nos belles imprudences ? » Jean HamburgerJean Hamburger (1909-1992) fut Ă  l'origine de la nĂ©phrologie moderne et des principes de la rĂ©animation mĂ©dicale. Membre de l'AcadĂ©mie française et de l'AcadĂ©mie de mĂ©decine, il fut aussi prĂ©sident de l'AcadĂ©mie des sciences.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1991
Imprimer l'ISBN
9782738101273
ISBN de l'eBook
9782738158406

LA RÉVOLTE



La révolte contre les lois naturelles de la vie


Je vais tenter de dĂ©montrer que les dispositions humaines que l’on dit naturelles, les droits naturels de l’homme, sa morale naturelle, ses exigences naturelles sont, en rĂ©alitĂ©, l’expression d’une rĂ©volte des hommes contre les lois de nature, d’une rĂ©bellion contre le statut biologique fondamental qui rĂšgle, depuis l’apparition de la vie sur terre, la condition de tout ĂȘtre vivant. Il s’agit d’un refus.
L’idĂ©e gĂ©nĂ©ralement reçue est contraire Ă  ces affirmations : on dĂ©clare, depuis l’AntiquitĂ© philosophique, que la nature est l’étalon du vrai et du bien ; on regarde la morale comme la science des lois naturelles ; on parle des droits naturels de l’homme, comme si la nature lui accordait d’autres droits que ceux de naĂźtre, de souffrir et de disparaĂźtre ; on affuble la nature d’épithĂštes confiantes et louangeuses, la nature bienfaisante, la bonne nature, la nature mĂ©dicatrice. Le poĂšte affirme : « La nature est lĂ , qui t’invite et qui t’aime. » La publicitĂ© commerciale elle-mĂȘme oppose volontiers les produits dits naturels aux produits dits chimiques, louant les premiers et blĂąmant les seconds, comme si la nature, pour crĂ©er ses objets, usait d’autres rĂ©actions que chimiques.
Quelques textes, pourtant, dĂ©noncent la tromperie. Hegel est explicite : le droit de nature, Ă©crit-il dans les Principes de la philosophie du droit, est l’expression « de la force, de la prĂ©valence, de la violence, et un Ă©tat de nature est un Ă©tat oĂč rĂšgnent la brutalitĂ© et l’injustice, sur lequel on ne saurait rien dire de mieux que : il faut en sortir ». A la vĂ©ritĂ©, il suffit d’apercevoir les rĂšgles fondamentales du jeu biologique pour qu’éclate la cruautĂ©, ou plutĂŽt l’indiffĂ©rence, des lois naturelles, Ă©tant entendu que cruautĂ© et indiffĂ©rence Ă©noncent des jugements anthropomorphiques. La cruautĂ©, l’injustice, l’indiffĂ©rence sont des concepts que l’homme forgea et qui n’avaient aucun sens avant lui. La nature n’est pas immorale, elle est amorale, elle semble n’obĂ©ir qu’à des ambitions matĂ©rielles, celle du dĂ©veloppement et de l’épanouissement d’un grand nombre d’espĂšces vivantes et celle d’un Ă©quilibre dĂ©mographique gĂ©nĂ©ral entre ces espĂšces. L’ambition spirituelle n’est pas son fait. C’est une valeur ajoutĂ©e, que les hommes tentent de plaquer sur l’image d’un univers qui l’a toujours ignorĂ©e. La morale humaine est une dĂ©marche rectificative des lois de nature. On en verra preuves et exemples multiples dans les pages qui suivent.
Si cette analyse est importante, c’est parce que nul, Ă  ma connaissance, n’a Ă©valuĂ© les consĂ©quences possibles de cet audacieux rejet des lois naturelles. Nul n’a calculĂ© dans quelle mesure les embarras que rencontre la communautĂ© des hommes ont cette rĂ©volte pour origine. Est-il inoffensif de vouloir dresser les mƓurs humaines, la volontĂ© humaine, la morale humaine, la justice humaine contre les normes rĂ©gnantes chez tous les autres ĂȘtres vivants ? La question est d’importance, puisque toute recherche d’une stratĂ©gie efficace ne saurait aboutir si on ignore la cause des difficultĂ©s Ă  rĂ©soudre.
Un premier exemple d’insoumission aux lois naturelles est donnĂ© par la mĂ©decine.

L’acte mĂ©dical est une rĂ©volte contre le phĂ©nomĂšne naturel que reprĂ©sente la maladie

Depuis la plus haute AntiquitĂ©, l’homme Ă©prouve la crainte et l’horreur de la souffrance et de la maladie. Il charge des intercesseurs, d’abord prĂȘtres et sorciers, puis mĂ©decins et guĂ©risseurs, de le protĂ©ger et de le guĂ©rir du mal. La mĂ©decine de notre temps a rĂ©pondu Ă  cet appel. Dans des pays comme la France, la mortalitĂ© infantile supprimait prĂšs d’un enfant sur deux, c’était le destin ordinaire et, chaque fois qu’un enfant survivait, les mĂšres tenaient l’évĂ©nement pour une grande victoire. Aujourd’hui, presque tous les ĂȘtres humains qui naissent ont droit Ă  la vie, la mortalitĂ© infantile s’est effondrĂ©e Ă  moins de un pour cent. La peste, la variole, la diphtĂ©rie, la tuberculose, l’anĂ©mie pernicieuse et bien d’autres maladies, qui firent au cours des Ăąges des millions de victimes, ont Ă©tĂ© vaincues. Les cancers et les leucĂ©mies commencent Ă  reculer. La durĂ©e moyenne de la vie humaine (l’« espĂ©rance de vie » Ă  la naissance) est passĂ©e d’environ quarante-cinq ans en 1900 Ă  plus de soixante-quinze ans chez l’homme, plus de quatre-vingts ans chez la femme. L’hygiĂšne et la mĂ©decine ont donc commencĂ© Ă  rĂ©pondre au dĂ©sir des hommes, elles ont bouleversĂ© le jeu, elles ont mis Ă  mal ce qui Ă©tait rĂšgle naturelle.
La rĂšgle naturelle, en effet, dispose que, chez l’homme comme chez l’animal, beaucoup de jeunes disparaissent, beaucoup d’adultes meurent prĂ©maturĂ©ment, peu de vieillards atteignent un grand Ăąge. C’est lĂ  un des mĂ©canismes par lesquels se trouve limitĂ©e l’expansion respective des diverses espĂšces vivantes. Ainsi, les maladies infectieuses, virales ou parasitaires forment un dispositif d’équilibre dĂ©mographique. Les rickettsies tueuses de bƓufs et de rats, la clavelĂ©e du mouton, la myxomatose des lapins, le virus de la leucĂ©mie des vaches, la maladie alĂ©outienne du vison, s’opposent Ă  une prolifĂ©ration dĂ©sordonnĂ©e de ces animaux. Chaque maladie infectieuse est un combat entre une espĂšce microbienne et l’animal qu’elle attaque, l’espĂšce microbienne a ses armes, mais l’animal a ses dĂ©fenses, si bien que l’ensemble des batailles de ce type ne laisse statistiquement ni vainqueur ni vaincu, aucune des deux espĂšces combattantes ne disparaĂźt, mais l’une et l’autre voient leur extension limitĂ©e. Le monde vivant tout entier est un systĂšme en Ă©quilibre. Si aucune espĂšce ne s’étend indĂ©finiment aux dĂ©pens des autres, si une merveilleuse stabilitĂ© permet Ă  chacune de survivre, c’est que chacune possĂšde en une harmonieuse balance les faiblesses qui peuvent la perdre et les forces qui peuvent la sauver. Et cette ordonnance de la vie dure depuis des milliards d’annĂ©es. L’homme, arrivĂ© tardivement parmi les ĂȘtres qui peuplent notre petite planĂšte, est le premier qui ose superbement violer Ă  son profit une loi naturelle constante et efficace.
Or, on ne défie pas impunément les lois de la vie.

L’hygiĂšne et la mĂ©decine quintuplent la population humaine

Le premier prix Ă  payer est un accroissement inouĂŻ de population. Les estimations les plus courantes indiquent que le nombre d’hommes vivant sur la terre a plus que quintuplĂ© en cent cinquante ans (c’est-Ă -dire en un temps infime par rapport Ă  l’histoire de l’espĂšce humaine) : en 1830 un milliard, en 1930 deux milliards, plus de cinq milliards aujourd’hui. Le rythme actuel ajoute un milliard d’hommes tous les douze ans. L’espĂšce humaine s’agrandit d’une France tous les six mois. L’incontinence dĂ©mographique se ralentira peut-ĂȘtre un peu dans les annĂ©es Ă  venir, mais les experts des Nations Unies, tenant compte de ce ralentissement, n’en prĂ©voient pas moins un nouveau doublement de la population mondiale au cours du XXIe siĂšcle. Le problĂšme est donc d’évaluer l’étendue des risques que prennent les hommes en bouleversant ainsi leur Ă©quilibre dĂ©mographique.
Certains tiennent que le pĂ©ril est moindre qu’on ne pourrait le croire. Selon Alfred Sauvy1, qui prĂ©sida l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population, une croissance trop lente est aussi dangereuse qu’une croissance trop rapide : « Le risque de l’excĂšs est si visible qu’il n’est guĂšre discutĂ© et cependant il est moins mortel que l’autre (...) Toutes les prĂ©visions pessimistes Ă©mises depuis deux siĂšcles sur l’excĂšs de population ont sans exception Ă©chouĂ©. Les Ă©vĂ©nements se sont toujours dĂ©roulĂ©s d’une façon plus favorable, ou moins dĂ©favorable, que prĂ©vu. »
La plupart des chercheurs ne partagent pas cet optimisme. François Ramade2, qui prĂ©sida la FĂ©dĂ©ration française des SociĂ©tĂ©s de protection de la nature, Ă©crit : « En cette fin du XXe siĂšcle, la catastrophe Ă©cologique majeure qui affecte l’humanitĂ© et dont dĂ©coulent la plupart des maux dont elle souffre dĂ©jĂ  (...) provient de sa reproduction anarchique avec pour consĂ©quence un accroissement exponentiel du nombre d’hommes (...) L’impact de l’ensemble des effets nocifs de cette surpopulation humaine sur les systĂšmes Ă©cologiques globaux prend actuellement une telle ampleur qu’il menace dans un avenir plus lointain l’existence mĂȘme de la biosphĂšre. » Jean Dorst3, membre du Conseil national de la protection de la nature, dĂ©clare : « L’explosion dĂ©mographique, phĂ©nomĂšne unique dans l’histoire de l’humanitĂ©, porte en elle le germe de notre mort. »
Peut-on choisir entre ces positions extrĂȘmes et tenter une analyse objective du problĂšme ? Une distinction prĂ©alable est nĂ©cessaire entre pays dĂ©veloppĂ©s et pays sous-dĂ©veloppĂ©s. Dans les premiers, non seulement la population ne s’accroĂźt plus, mais dans quelques-uns d’entre eux elle diminue lĂ©gĂšrement. Dans les seconds, au contraire, la croissance de population est incroyablement rapide, dĂ©passant le plus souvent 2 pour cent par an et pouvant atteindre, dans certaines rĂ©gions comme le Kenya, plus de 4 pour cent d’accroissement annuel. Selon les donnĂ©es des Nations Unies, la population rĂ©unie de l’Europe et de l’AmĂ©rique du Nord reprĂ©sentera dans les dĂ©cennies Ă  venir moins de 10 pour cent de la population du monde, tandis que l’Afrique et l’Asie compteront Ă  elles seules prĂšs des trois quarts des ĂȘtres humains vivant sur cette terre. Or, c’est prĂ©cisĂ©ment dans des continents comme l’Afrique et l’Asie que la question se pose de savoir si les ressources alimentaires mondiales peuvent rĂ©pondre Ă  l’augmentation des bouches Ă  nourrir.
Selon le Bureau d’étude des populations de Washington, la production alimentaire rapportĂ©e au nombre d’habitants a dĂ©cru en Afrique de 1,1 pour cent par an entre 1969 et 1984. L’Organisation internationale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que, dans les vingt derniĂšres annĂ©es du siĂšcle, les importations de cĂ©rĂ©ales dans les pays en voie de dĂ©veloppement devraient plus que tripler pour tenir compte de la croissance dĂ©mographique. Il n’y a pas d’impossibilitĂ© thĂ©orique Ă  cet accroissement de l’aide alimentaire des pays riches aux pays pauvres. Mais est-ce un espoir rĂ©aliste ? L’analyse des Ă©vĂ©nements que nous avons connus au cours des derniĂšres annĂ©es permet d’en douter. Un effort considĂ©rable a Ă©tĂ© accompli par les organisations internationales de lutte contre la faim dans le monde. Plus de deux milliards de dollars sont fournis, chaque annĂ©e, pour le dĂ©veloppement de l’agriculture dans les pays sous-dĂ©veloppĂ©s ; en outre, d’importantes quantitĂ©s de nourriture sont envoyĂ©es chaque annĂ©e dans ces pays. Mais la poussĂ©e dĂ©mographique augmente bien davantage que la croissance des ressources alimentaires. A l’heure actuelle le nombre d’individus souffrant de dĂ©nutrition est plus Ă©levĂ© qu’il ne l’a jamais Ă©tĂ©. Ceux qui participent Ă  la croisade contre la famine dĂ©noncent tous ces difficultĂ©s permanentes. Il faudrait, disent-ils, changer l’ñme des peuples et de leurs gouvernants, dans les pays receveurs autant que dans les pays donneurs. En tout cas, le rĂ©sultat est dĂ©sastreux : dans soixante et un pays, l’apport alimentaire moyen par habitant est infĂ©rieur au minimum nĂ©cessaire pour une vie active normale. Plus de cent millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. Trois cents millions d’enfants ont un dĂ©veloppement retardĂ© et un handicap mental dĂ» au manque de nourriture. Leur mortalitĂ© est de 30 Ă  50 fois plus forte que dans les pays dĂ©veloppĂ©s. Des centaines de milliers d’enfants deviennent aveugles par carence en vitamine A. L’anĂ©mie par manque de fer frappe sept cents millions d’hommes. Plusieurs centaines de millions d’ĂȘtres humains seront morts de faim dans les dix prochaines annĂ©es. Et toujours et partout le mĂȘme leitmotiv : dans presque tous les pays du tiers monde, plus la croissance dĂ©mographique du pays est forte, plus la famine se montre menaçante. Ainsi la merveilleuse audace des hommes, parvenant Ă  maĂźtriser les causes naturelles de mort prĂ©maturĂ©e, crĂ©e-t-elle par lĂ  mĂȘme un pĂ©ril dont ils peuvent ĂȘtre les victimes. L’explosion dĂ©mographique n’est peut-ĂȘtre pas un arrĂȘt de mort de l’espĂšce humaine, comme l’annoncent les prĂ©visions les plus sombres, mais elle est assurĂ©ment source de malheur et de prĂ©caritĂ©.
Conscients de ce pĂ©ril, les hommes ont cherchĂ© les moyens d’y faire face. Pour se rendre maĂźtres de la dĂ©mographie dĂ©bridĂ©e, ils ont inventĂ© des procĂ©dĂ©s anticonceptionnels efficaces. Malheureusement, ces procĂ©dĂ©s, mĂ©caniques ou hormonaux, se sont montrĂ©s applicables dans les pays dĂ©veloppĂ©s, oĂč le besoin n’était que de convenance personnelle, et presque inapplicables dans les pays sous-dĂ©veloppĂ©s, oĂč le besoin Ă©tait urgent. En Afrique, par exemple, les coutumes, l’insuffisante Ă©ducation, l’organisation sociale forment barrage Ă  la diffusion de la pilule anticonceptionnelle. D’autres moyens eurent plus de succĂšs : stĂ©rilisation masculine ou fĂ©minine aux Indes, mesures lĂ©gislatives pĂ©nalisant en Chine la fĂ©conditĂ© naturelle, implantation sous la peau de produits progestatifs qui empĂȘchent toute grossesse pendant une annĂ©e, etc. De telles mesures se montrent efficaces dans certaines contrĂ©es, notamment en Asie, alors qu’elles sont ignorĂ©es dans d’autres, notamment en Afrique. Une difficultĂ© importante est d’ordre idĂ©ologique : les principales religions du monde, christianisme, islam et mĂȘme, dans une certaine mesure, hindouisme condamnent toutes les pratiques anticonceptionnelles. Cette attitude devrait ĂȘtre exorcisĂ©e : les mĂȘmes religions approuvent la lutte contre la souffrance et la maladie, bien qu’elles tiennent ces maux naturels comme obĂ©issant Ă  la volontĂ© de Dieu ; or, l’explosion dĂ©mographique n’est pas un fait naturel, c’est une maladie créée par l’homme, peut-ĂȘtre mĂȘme un suicide collectif, et la volontĂ© de se protĂ©ger de cette maladie et de ce suicide ne devrait rien avoir d’offensant aux yeux des Ăąmes religieuses. On rĂ©pondra peut-ĂȘtre que la naissance d’un ĂȘtre est toujours crĂ©ation divine, inviolable par l’homme. Mais il s’agit lĂ  de vies humaines supplĂ©mentaires, dangereusement surajoutĂ©es Ă  l’ordre naturel par le gĂ©nie industrieux de l’homme. S’abstenir de ce supplĂ©ment pĂ©rilleux est raison garder. C’est respecter les chances de survie de la communautĂ© humaine, et je conçois mal que quiconque, croyant ou incroyant, puisse manquer Ă  ce respect.

L’hygiĂšne et la mĂ©decine bouleversent la pyramide des Ăąges

Autre effet de la rĂ©volte victorieuse de l’homme contre les morts prĂ©maturĂ©es, la pyramide des Ăąges a subi une mĂ©tamorphose profonde. Dans les trois derniers siĂšcles, le nombre d’ĂȘtres humains de plus de soixante ans a Ă©tĂ© multipliĂ© par douze. Mais, contrairement au phĂ©nomĂšne prĂ©cĂ©dent, celui-ci frappe surtout les pays dĂ©veloppĂ©s. Dans ces pays, le rapport du nombre de septuagĂ©naires au nombre d’enfants de la premiĂšre dĂ©cennie d’ñge est de un Ă  trois, alors que, dans les pays sous-dĂ©veloppĂ©s, ce rapport est de un Ă  huit.
Cette augmentation relative de la population ĂągĂ©e est une source Ă©vidente de difficultĂ©s. Si, dans un pays comme la France, une population « active » de dix-huit Ă  soixante ans doit subvenir aux besoins d’une population « inactive » de moins de dix-huit ans et de plus de soixante ans, la charge peut devenir insupportable – par le double effet d’une mortalitĂ© infantile effondrĂ©e et d’une longĂ©vitĂ© considĂ©rablement accrue. La retraite Ă  soixante ans, victoire apparente des travailleurs salariĂ©s, risque d’avoir un effet boomerang. Il est probable que les pays occidentaux seront amenĂ©s Ă  considĂ©rer d’un Ɠil neuf le problĂšme de l’ñge de la retraite. A mesure que l’hygiĂšne et la mĂ©decine parviennent Ă  repousser l’heure du vieillissement et de la mort, on voit rajeunir les hommes et les femmes de soixante ans. Ou plutĂŽt on les voit inĂ©galement vieillir : les uns sont dĂ©jĂ  las du travail, les autres au contraire souffrent d’en ĂȘtre soudain privĂ©s, leur santĂ© et leur joie de vivre en pĂątissent aussitĂŽt. Pour le mĂ©decin qui les observe, la sagesse veut qu’on n’impose plus Ă  tous le mĂȘme Ăąge de retraite et qu’on laisse Ă  chacun la possibilitĂ© de choisir la date la mieux adaptĂ©e Ă  son Ă©tat physique...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. PROLOGUE
  5. DÉPENDANCE
  6. LA RÉVOLTE
  7. ÉPILOGUE
  8. Table