Nos ados.com en images
eBook - ePub

Nos ados.com en images

Comment les soigner

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Nos ados.com en images

Comment les soigner

À propos de ce livre

« Je les appelle les "ados. com", parce que ce sont les enfants de la com'. Ils savent se mettre en valeur. Ils sont trĂšs Ă  l'aise en apparence, branchĂ©s en permanence via leur portable ou sur Facebook. Le problĂšme avec eux, c'est qu'ils ne nous parlent pas de leurs Ă©tats d'Ăąme, ils les donnent Ă  voir. Filles et garçons fument, boivent, s'affichent de plus en plus tĂŽt, quitte Ă  s'exposer Ă  tous les dangers
 Si nous voulons rĂ©ellement communiquer avec eux et les aider Ă  grandir, nous devons absolument en tenir compte. Dans ce livre, je retrace par quels chemins j'ai suivi leurs Ă©volutions pour interprĂ©ter ce qu'ils nous montrent. J'invite le lecteur Ă  dĂ©couvrir cette approche novatrice qui mise sur les ressources vives des ados. com. Parents, Ă©ducateurs et soignants y trou-veront des pistes nouvelles leur permettant de restaurer Ă©changes et dialogues avec les jeunes qu'ils ont en charge. » X. P. Xavier Pommereau propose une mĂ©thode innovante pour aider les ados d'aujourd'hui et leurs parents. Une approche unique pour les comprendre, les respecter et les soigner. Xavier Pommereau est psychiatre des hĂŽpitaux, chef de service, chef du PĂŽle aquitain de l'adolescent (centre Abadie) du CHU de Bordeaux et auteur de nombreux ouvrages Ă  succĂšs sur les adolescents.   

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă  la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin d’un accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă  tout moment, n’importe oĂč — mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Nos ados.com en images par Xavier Pommereau en format PDF et/ou ePUB. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2011
Imprimer l'ISBN
9782738123244
ISBN de l'eBook
9782738185976
Partie II
Les images prises au mot
Chapitre 5
Les ados.com affichent leur souffrance :
impossible de ne pas la voir
Les jeunes d’avant l’ùre numĂ©rique n’étaient pas en reste pour avoir le geste plus vif que la parole. Ils savaient (se) manifester en faisant corps entre pairs, s’insurger contre l’ordre Ă©tabli, rompre bruyamment avec lui, voire – en situation de dĂ©route ou de faiblesse – se livrer, les uns aux excĂšs de violence, les autres aux abandons de toute sorte, dont ce fameux « corps en travers » que nous venons d’évoquer. Agir « en plein » ou « en creux », briller par l’hyperprĂ©sence ou l’absence, s’associer pour passer en force, telles sont les rĂ©actions Ă©prouvĂ©es que tous les jeunes ont toujours su opposer plus ou moins vivement aux adultes les ayant en charge. Le fossĂ© des gĂ©nĂ©rations sĂ©parait ainsi les jeunes « incompris » et les adultes « mal comprenants », ce qui avait l’avantage d’ĂȘtre net et prĂ©cis, et l’inconvĂ©nient de rester assez fixe et rigide. Aujourd’hui, les lignes bougent tellement que la confusion menace. Dans une sociĂ©tĂ© de l’image et de l’individualitĂ©, avec une tendance au jeunisme sans cesse accrue, tout se passe comme si les adolescents devaient savoir se distinguer face Ă  des adultes revendiquant la maintenance continuelle de leur propre jeunesse. Un dĂ©placement des zones d’affrontement potentiel s’opĂšre au plus prĂšs du corps de chaque adolescent, pour y trouver des limites, rendre l’identitĂ© moins confuse et floue, convoquer parents et adultes au ras de toutes les provocations. C’est le temps des marques, vestimentaires et rĂ©versibles, ou cutanĂ©es et indĂ©lĂ©biles. Et c’est aussi l’exposition permanente de soi – ce qu’illustrent les petites lolitas devenues des « plagistes de ville » de plus en plus dĂ©vĂȘtues en toutes circonstances. En consommateurs avertis, les adolescents cherchent Ă  se faire reconnaĂźtre Ă  travers leur look, leurs parures et leurs postures. Ils se veulent au top, c’est-Ă -dire en haut de l’affiche du spectacle de leur propre incarnation. Et ce n’est pas un hasard si les inscriptions cutanĂ©es de type piercing ou tatouage fleurissent autant sur la peau des ados.com pour dire l’embellissement de soi, l’appartenance ou l’affirmation identitaire.
Ceux qui vont mal ne peuvent s’en contenter. Ils doivent heurter, trancher, se hĂ©risser, faire crisser leur corps pour exprimer leur dĂ©tresse. Jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 2000, la moyenne d’ñge des patients que nous recevons dans l’unitĂ© des jeunes suicidants est de 17 ans. Environ trois cents patients par an y font un ou plusieurs sĂ©jours de trois semaines. Pour plus des deux tiers, il s’agit de jeunes filles qui, depuis l’ñge de 15 ans, se sont signalĂ©es par des « absences » rĂ©pĂ©tĂ©es, dĂ©clinĂ©es sous forme de fugues, de syncopes et de crises de spasmophilie, avant d’en venir aux lĂ©thargies comateuses de la TS mĂ©dicamenteuse. Les jeunes hommes suicidants ont eux aussi, pour moitiĂ©, connu la fugue et le coma toxique, donc la fuite et l’oubli dans l’espoir d’un changement d’état qui s’opĂ©rerait en quelque sorte « sans eux ». Les autres se sont montrĂ©s violents, contre autrui ou contre eux-mĂȘmes, multipliant les cassures au sens propre et au figurĂ© pour se couper de tout et ne plus souffrir. Au fil des annĂ©es, notre Ă©quipe observe une Ă©volution de ces manifestations, en lien avec l’importance croissante prise dans notre sociĂ©tĂ© par l’« esprit de consommation » et l’image de soi. Les jeunes qui vont mal consomment Ă  outrance alcool et drogues, et ils s’abandonnent au bout de la nuit en coma Ă©thylique, le corps en travers de la chaussĂ©e, au milieu des traces de leurs dĂ©chirures – canettes et bouteilles vides, et traĂźnĂ©es de vomi. Dans le registre alimentaire, les crises de boulimie suivies elles aussi de vomissements, ceux-lĂ  dĂ©libĂ©rĂ©s pour Ă©viter toute incidence sur le poids, laissent Ă©galement des « reliefs » que l’entourage finit par dĂ©couvrir, bien qu’elles soient effectuĂ©es en cachette. Ces adolescents laissent des traces tangibles de leur passage, comme pour confirmer leur existence et interpeller les adultes qui les ont en charge. Ils vont aussi s’employer dorĂ©navant Ă  le manifester Ă  travers leur look et l’attaque de leur peau. Ils ne s’effacent plus, certains continuent Ă  se battre contre autrui, mais beaucoup de combats se transforment en corps Ă  corps avec soi-mĂȘme. Ils s’affichent en se montrant mal dans leur peau, au pied de la lettre. Ils continuent Ă  se couper, mais le font en s’en prenant Ă  leur apparence, forçant jusqu’à la caricature les traits des nouveaux attributs de la nĂ©buleuse naissante des ados.com.
À fleur de peau
Ce qu’ils ne peuvent pas dire, les ados.com en souffrance le « hurlent Ă  corps perdu » et recourent pour cela aux visages cloutĂ©s, aux appendices percĂ©s et aux peaux scarifiĂ©es pour exprimer leur besoin immense de marquage identitaire afin de se sentir exister. Ceux qui arrivent chez nous aprĂšs une TS dĂ©barquent parĂ©s de signes et insignes exprimant le « grand Ă©cart », la rupture, la crainte du contact, voire la torture auto-infligĂ©e. Ils affichent qu’ils sont Ă  feu et Ă  sang, Ă©corchĂ©s vifs. Leur but n’est pas de sĂ©duire, mais de se distinguer de maniĂšre radicale et de l’inscrire Ă  fleur de peau, en multipliant les piercings et les tatouages, en se hĂ©rissant de pointes et d’emblĂšmes provocants, comme pour avertir qu’ils refusent qu’on les touche.
VĂ©ritables Ă©corchĂ©s vifs, ils font de leur peau l’écran de projection de leurs affres intimes. Ils se lacĂšrent, s’abrasent ou se brĂ»lent la peau, et ont de moins en moins de choses Ă  en dire, sinon qu’ils en ont « marre de tout », qu’ils se dĂ©testent ou qu’ils ne savent pas se calmer autrement qu’en s’automutilant. Ils expriment le besoin de se marquer le corps pour afficher leur souffrance, faire trace pour en tĂ©moigner et, sans le savoir, rĂ©vĂ©ler leurs blessures intĂ©rieures indicibles. Avec mon Ă©quipe, nous allons peu Ă  peu voir le corps de ces ados devenir ainsi le principal « théùtre » des affrontements et des revendications. Le mot ne doit pas ĂȘtre pris pour synonyme de faussetĂ© des apparences destinĂ©e Ă  leurrer, exercer un chantage sur les observateurs. Le « jeu » des reprĂ©sentations qui s’y produit convoque en effet reconnaissance et rĂ©actions, mais il Ă©chappe en grande partie Ă  la conscience de ses acteurs. Nous rĂ©alisons que nous allons devoir imaginer d’autres scĂšnes de projection que les seuls entretiens thĂ©rapeutiques, afin de les aider Ă  en comprendre le sens.
Un autre constat s’impose : ces ados sont de plus en plus jeunes Ă  manifester leur mal-ĂȘtre Ă  travers ces conduites de rupture qu’ils cumulent souvent. La moyenne d’ñge de nos patients est aujourd’hui de 15 ans, et la part des 13-14 ans augmente chaque annĂ©e. Comment expliquer ce phĂ©nomĂšne d’entrĂ©e plus prĂ©coce dans les troubles du comportement ? Si l’on s’en tenait au seul point de vue abadien, on pourrait dire – ce qui est par ailleurs fondĂ© – que nos principaux correspondants mĂ©decins, infirmiĂšres de santĂ© scolaire, Ă©ducateurs de foyer, etc. sont aujourd’hui mieux formĂ©s, donc davantage en mesure de nous adresser trĂšs tĂŽt les jeunes en difficultĂ© sans attendre que la situation ne dĂ©gĂ©nĂšre. Mais l’observation dĂ©passe largement nos vues. Les annĂ©es collĂšge voient se rĂ©vĂ©ler des troubles qui ne dĂ©butaient autrefois qu’au lycĂ©e. Les tensions identitaires s’expriment plus tĂŽt, ce qui lĂ  encore suit l’évolution de la jeunesse dans notre sociĂ©tĂ© : l’enfance se comprime, l’adolescence se dilate, et l’orĂ©e de l’ñge adulte se floute. L’émergence de la pubertĂ© ne constitue plus aussi clairement qu’auparavant la lisiĂšre distinguant les enfants des adolescents, surtout entre 11 et 14 ans. Il y a aujourd’hui des adolescents avant l’heure, mĂȘme si le propos peut paraĂźtre exagĂ©rĂ©. Enfants de l’image et de la communication, les plus jeunes sont dĂ©jĂ  des ados.com en herbe aspirĂ©s par la « planĂšte ado » dont ils Ă©pousent les us, les coutumes et les dĂ©bordements. À l’autre pĂŽle de la nĂ©buleuse, beaucoup de « vieux adolescents » continuent, bien au-delĂ  de 18 ans, Ă  recourir aux mĂȘmes expĂ©dients face aux difficultĂ©s auxquelles ils ne parviennent pas Ă  faire face.
Se sentir exister
Qu’il ait l’impression d’ĂȘtre transparent aux yeux de ses proches, que son identitĂ© soit floutĂ©e du fait des mystĂšres de ses origines ou des non-dits qui le concernent, qu’il ait Ă©tĂ© sali ou humiliĂ© par les violences subies, ou encore que des dĂ©mons intĂ©rieurs l’agitent, l’adolescent en souffrance Ă©prouve le douloureux sentiment de « non-exister ». Dans le but de retrouver de la densitĂ©, de l’épaisseur et de la nettetĂ© existentielles, il doit en quelque sorte surligner ses contours, quitte Ă  trancher dans le vif de sa chair, s’incarner en jouant de son apparence et de ses postures, et se doter d’un sillage, faire trace pour ĂȘtre pris en compte, reconnu. Avec mon Ă©quipe, nous avons eu l’intuition que cette reconnaissance devait passer par la confiance, et qu’il ne fallait pas confondre vigilance et surveillance. Sorti des quarante-huit heures d’isolement, l’adolescent suicidant hospitalisĂ© Ă  l’UMPAJA du centre Abadie est libre de sortir dans le petit parc entourant le bĂątiment par demi-heures renouvelables, Ă  la condition d’en informer l’infirmiĂšre qui prend note du moment oĂč il « descend » et de celui oĂč il « remonte » dans l’unitĂ©. Une Ă©trange comptabilitĂ© temporelle qui surprend nos Ă©lĂšves infirmiers stagiaires, mais qui va beaucoup plus loin qu’une simple rĂ©assurance en termes de responsabilitĂ©. Cette mesure souligne l’importance que nous donnons Ă  la prĂ©sence de chaque adolescent, tout en le maintenant Ă  disposition des soignants qui voudraient s’entretenir avec lui puisqu’il est lĂ  pour se soigner. Reconnu comme responsable de lui-mĂȘme, le jeune suicidant n’a pas Ă  justifier ses allĂ©es et venues. Ni suspect ni coupable, il doit en revanche se signaler, respecter Ă  la lettre ces conditions de dĂ©placement, signifiant ainsi qu’il est partie prenante de ce travail de reconnaissance qui dĂ©bute et qui doit aussi s’entendre comme une exploration Ă  laquelle il est Ă©troitement associĂ©. La consigne est formelle, mais elle ne juge pas et ne discrimine personne. Elle lui permet d’intĂ©grer le cadre, donc de s’approprier Ă  son insu les temps de rĂ©flexion et ceux de dĂ©tente. Les jeunes gens sont souvent trĂšs surpris : « C’est incroyable, vous nous faites confiance ! On pourrait trĂšs bien ne pas remonter. » Nous leur expliquons alors que s’ils ne remontaient pas, ils ne joueraient pas le jeu et pourquoi auraient-ils acceptĂ© alors d’ĂȘtre avec nous ? Le centre est un lieu ouvert oĂč l’on vient de son plein grĂ©. S’ils ne sont pas d’accord avec la mĂ©thode, personne ne les attachera. Quelle est la libertĂ© qu’ils revendiquent, sinon celle de ne plus ĂȘtre le jouet des circonstances ? À nous de leur proposer un cadre rassurant, Ă  eux de chercher Ă  comprendre avec nous ce qui les dĂ©borde et les torture.
images
« À feu et Ă  sang », autoportrait de Clara, 16 ans, centre Abadie.
Marquer son corps
À partir des annĂ©es 2000, une nĂ©osymptomatologie apparaĂźt ainsi chez les adolescents suicidaires comme chez certains jeunes anorexiques-boulimiques dont nous avons Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  nous occuper plus tard. Un double mouvement consistant, d’une part, Ă  inscrire Ă  la surface de soi les signes et stigmates de la rupture et, d’autre part, Ă  exprimer de l’intĂ©rieur de soi vers l’extĂ©rieur, les tensions dĂ©bordantes Ă  travers rejets et saignements. L’inscription fait trace, et l’expression violente rĂ©alise une sorte de purge Ă©vacuatrice « projetĂ©e Ă  la face du monde », mĂȘme si elle a Ă©tĂ© le plus souvent effectuĂ©e en secret et que leur auteur se dĂ©fend parfois farouchement de vouloir l’exposer. Les vomissements provoquĂ©s faisant suite aux crises de boulimie en sont, nous le verrons, une illustration. Et les scarifications en reprĂ©sentent une autre modalitĂ© particuliĂšrement courante. Nos adolescents ne se contentent plus de dire : « Je vais mal, j’en ai marre, le monde est pourri, je le rejette et j’ai envie d’en finir. » Ils sont de plus en plus nombreux Ă  afficher leur mal-ĂȘtre d’une maniĂšre qui nous saute littĂ©ralement aux yeux. Ceux qui exposent Ă  fleur de peau des scarifications, des brĂ»lures, des abrasions, parfois des morsures qu’ils s’infligent, le font soit pour se punir, soit pour se soulager. Se punir de quoi ? D’avoir eu des « mauvaises pensĂ©es », par exemple d’avoir souhaitĂ© la mort d’un proche dont l’adolescent se sent directement ou indirectement la victime. Et la peau devient alors le théùtre de tortures qui incarnent Ă  la fois les violences subies et les pensĂ©es enragĂ©es qu’elles ont fait naĂźtre. Mais, le plus souvent, l’adolescent dit vouloir se soulager, d’une part en choisissant de transformer la souffrance psychique diffuse et impalpable qu’il ressent en douleur physique circonscrite, visible et contrĂŽlĂ©e, et d’autre part en rĂ©alisant une saignĂ©e purificatrice destinĂ©e Ă  « faire sortir » le mal. L’adolescent s’automeurtrit avec ses ongles ou plus frĂ©quemment Ă  l’aide d’un objet que d’aucuns jugeraient insignifiant (morceau de verre, fragment de lame de rasoir, couvercle de CD), mais qui a de l’importance au niveau symbolique parce qu’il provient gĂ©nĂ©ralement d’un proche.
Dans les formes typiques, l’adolescent s’inflige ces lĂ©sions de façon superficielle au niveau du poignet et de l’avant-bras, parfois sur le dos de la main, plus rarement sur la jambe lorsqu’il veut absolument les cacher Ă  son entourage. Les deux poignets ou les deux avant-bras peuvent ĂȘtre attaquĂ©s, mais le plus souvent seul le cĂŽtĂ© opposĂ© Ă  la main directrice est concernĂ©. Pourquoi Ă  cet endroit du corps et pas ailleurs ? Parce que l’adolescent a besoin de voir de prĂšs l’effet produit afin d’en contrĂŽler l’importance et d’ĂȘtre lui-mĂȘme spectateur de cette scĂšne au cours de laquelle la blessure fait plus ou moins sourdre du sang. Cette opĂ©ration lui permet littĂ©ralement de reprendre ainsi la main sur sa souffrance, tandis que l’une agit sur l’autre qui subit, sous le contrĂŽle constant du regard. La scarification fine et dĂ©licate a plutĂŽt valeur d’incision Ă©vacuatrice, mais lorsqu’elles sont multiples et parallĂšles les unes aux autres, elles ont aussi pour but d’inscrire une marque personnelle sur soi, Ă  l’image de Sandra, 16 ans, qui lorsqu’on lui demandait son nom rĂ©pondait : « Je ne m’appelle pas », tandis qu’elle exhibait ses avant-bras scarifiĂ©s avant de prĂ©ciser en guise d’identitĂ© : « VoilĂ  mon code-barres ! » Le poignet est Ă©galement un endroit du corps oĂč se distinguent par transparence les veines – ces « liens de sang » – que les coupures viendront barrer, rayer, pour dire en images combien l’adolescent rĂȘverait de pouvoir s’affranchir de ses attaches ou de ses pensĂ©es aliĂ©nantes.
images
Le passage Ă  l’acte libĂ©rateur peut ainsi avoir diffĂ©rents niveaux de sens, comme les mĂ©taphores. Les brĂ»lures auto-infligĂ©es par la braise d’une cigarette rĂ©alisent des lĂ©sions punctiformes qui « doivent faire mal et faire trace », articulant sadisme et masochisme, exposant souvent Ă  l’insu de leur auteur des tortures rĂ©vĂ©latrices de violences sexuelles subies dans l’enfance. Les abrasions cutanĂ©es forment des plages de peau lĂ©sĂ©e plus ou moins Ă©tendues qui signent combien l’adolescent se sent Ă  vif, littĂ©ralement Ă  feu et Ă  sang, dans l’incapacitĂ© de supporter la proximitĂ© d’un proche trop proche. Ajoutons que poignets et avant-bras meurtris pourront facilement s’exhiber ou au contraire se cacher, et parfois se rĂ©vĂ©ler de maniĂšre imprĂ©vue au cours d’« effets de manche » Ă©chappant Ă  la conscience du sujet. Il arrive en effet que l’adolescent « oublie » de masquer ses blessures en portant un T-shirt Ă  manches courtes ou qu’il enveloppe son avant-bras dans un manchon tellement volumineux que tout le monde ne peut que s’interroger sur ce qu’il y a dessous. Ce « jeu » du montrĂ©-cachĂ© fait partie intĂ©grante de la problĂ©matique, tĂ©moignant d’une aviditĂ© non assumĂ©e de reconnaissance. En faisant jaillir les blessures de l’ñme Ă  la surface de lui-mĂȘme, l’adolescent les exprime et les rĂ©vĂšle sans savoir qu’il transpose de la sorte ses souffrances les plus secrĂštes en plaies offertes au regard de tous. Ces violences auto-infligĂ©es ont indĂ©niablement un effet apaisant Ă  travers l’expression qu’elles rĂ©alisent, mais l’apaisement reste de courte durĂ©e tant que son auteur ne peut les traduire en mots et qu’elles ne sont pas reconnues Ă  leur juste valeur par l’entourage, c’est-Ă -dire prises en compte et jugĂ©es impressionnantes. Elles sont par consĂ©quent destinĂ©es Ă  se rĂ©pĂ©ter de maniĂšre plus ou moins addictive ou Ă  s’aggraver, faute de sens et de reconnaissance.
images
« Mes conneries », lésions de Mélanie, 16 ans.
Et, lorsque ce n’est pas sur sa peau que l’adolescent donne Ă  voir ses tourments, c’est sur un Ă©cran, autrement dit sur son blog, ou aujourd’hui sa page Facebook, oĂč il va s’exposer Ă  travers des poĂšmes, des photos provocatrices mĂȘlant diverses exhibitions dont celle de son avant-bras ensanglantĂ©, comme si cet affichage de l’intimitĂ© – frappant par son outrance et son registre paradoxal – venait lĂ  encore rĂ©aliser un mouvement libĂ©rateur allant du dedans vers le dehor...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Avant-propos
  6. Partie I - L’urgence de les « entendre »
  7. Partie II - Les images prises au mot
  8. Conclusion
  9. Merci !
  10. Du mĂȘme auteur