
- 304 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
« Je les appelle les "ados. com", parce que ce sont les enfants de la com'. Ils savent se mettre en valeur. Ils sont trĂšs Ă l'aise en apparence, branchĂ©s en permanence via leur portable ou sur Facebook. Le problĂšme avec eux, c'est qu'ils ne nous parlent pas de leurs Ă©tats d'Ăąme, ils les donnent Ă voir. Filles et garçons fument, boivent, s'affichent de plus en plus tĂŽt, quitte Ă s'exposer Ă tous les dangers⊠Si nous voulons rĂ©ellement communiquer avec eux et les aider Ă grandir, nous devons absolument en tenir compte. Dans ce livre, je retrace par quels chemins j'ai suivi leurs Ă©volutions pour interprĂ©ter ce qu'ils nous montrent. J'invite le lecteur Ă dĂ©couvrir cette approche novatrice qui mise sur les ressources vives des ados. com. Parents, Ă©ducateurs et soignants y trou-veront des pistes nouvelles leur permettant de restaurer Ă©changes et dialogues avec les jeunes qu'ils ont en charge. » X. P. Xavier Pommereau propose une mĂ©thode innovante pour aider les ados d'aujourd'hui et leurs parents. Une approche unique pour les comprendre, les respecter et les soigner. Xavier Pommereau est psychiatre des hĂŽpitaux, chef de service, chef du PĂŽle aquitain de l'adolescent (centre Abadie) du CHU de Bordeaux et auteur de nombreux ouvrages Ă succĂšs sur les adolescents. Â
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Informations
Ăditeur
Odile JacobAnnée
2011Imprimer l'ISBN
9782738123244ISBN de l'eBook
9782738185976Partie II
Les images prises au mot
Chapitre 5
Les ados.com affichent leur souffrance :
impossible de ne pas la voir
impossible de ne pas la voir
Les jeunes dâavant lâĂšre numĂ©rique nâĂ©taient pas en reste pour avoir le geste plus vif que la parole. Ils savaient (se) manifester en faisant corps entre pairs, sâinsurger contre lâordre Ă©tabli, rompre bruyamment avec lui, voire â en situation de dĂ©route ou de faiblesse â se livrer, les uns aux excĂšs de violence, les autres aux abandons de toute sorte, dont ce fameux « corps en travers » que nous venons dâĂ©voquer. Agir « en plein » ou « en creux », briller par lâhyperprĂ©sence ou lâabsence, sâassocier pour passer en force, telles sont les rĂ©actions Ă©prouvĂ©es que tous les jeunes ont toujours su opposer plus ou moins vivement aux adultes les ayant en charge. Le fossĂ© des gĂ©nĂ©rations sĂ©parait ainsi les jeunes « incompris » et les adultes « mal comprenants », ce qui avait lâavantage dâĂȘtre net et prĂ©cis, et lâinconvĂ©nient de rester assez fixe et rigide. Aujourdâhui, les lignes bougent tellement que la confusion menace. Dans une sociĂ©tĂ© de lâimage et de lâindividualitĂ©, avec une tendance au jeunisme sans cesse accrue, tout se passe comme si les adolescents devaient savoir se distinguer face Ă des adultes revendiquant la maintenance continuelle de leur propre jeunesse. Un dĂ©placement des zones dâaffrontement potentiel sâopĂšre au plus prĂšs du corps de chaque adolescent, pour y trouver des limites, rendre lâidentitĂ© moins confuse et floue, convoquer parents et adultes au ras de toutes les provocations. Câest le temps des marques, vestimentaires et rĂ©versibles, ou cutanĂ©es et indĂ©lĂ©biles. Et câest aussi lâexposition permanente de soi â ce quâillustrent les petites lolitas devenues des « plagistes de ville » de plus en plus dĂ©vĂȘtues en toutes circonstances. En consommateurs avertis, les adolescents cherchent Ă se faire reconnaĂźtre Ă travers leur look, leurs parures et leurs postures. Ils se veulent au top, câest-Ă -dire en haut de lâaffiche du spectacle de leur propre incarnation. Et ce nâest pas un hasard si les inscriptions cutanĂ©es de type piercing ou tatouage fleurissent autant sur la peau des ados.com pour dire lâembellissement de soi, lâappartenance ou lâaffirmation identitaire.
Ceux qui vont mal ne peuvent sâen contenter. Ils doivent heurter, trancher, se hĂ©risser, faire crisser leur corps pour exprimer leur dĂ©tresse. Jusquâau dĂ©but des annĂ©es 2000, la moyenne dâĂąge des patients que nous recevons dans lâunitĂ© des jeunes suicidants est de 17 ans. Environ trois cents patients par an y font un ou plusieurs sĂ©jours de trois semaines. Pour plus des deux tiers, il sâagit de jeunes filles qui, depuis lâĂąge de 15 ans, se sont signalĂ©es par des « absences » rĂ©pĂ©tĂ©es, dĂ©clinĂ©es sous forme de fugues, de syncopes et de crises de spasmophilie, avant dâen venir aux lĂ©thargies comateuses de la TS mĂ©dicamenteuse. Les jeunes hommes suicidants ont eux aussi, pour moitiĂ©, connu la fugue et le coma toxique, donc la fuite et lâoubli dans lâespoir dâun changement dâĂ©tat qui sâopĂ©rerait en quelque sorte « sans eux ». Les autres se sont montrĂ©s violents, contre autrui ou contre eux-mĂȘmes, multipliant les cassures au sens propre et au figurĂ© pour se couper de tout et ne plus souffrir. Au fil des annĂ©es, notre Ă©quipe observe une Ă©volution de ces manifestations, en lien avec lâimportance croissante prise dans notre sociĂ©tĂ© par lâ« esprit de consommation » et lâimage de soi. Les jeunes qui vont mal consomment Ă outrance alcool et drogues, et ils sâabandonnent au bout de la nuit en coma Ă©thylique, le corps en travers de la chaussĂ©e, au milieu des traces de leurs dĂ©chirures â canettes et bouteilles vides, et traĂźnĂ©es de vomi. Dans le registre alimentaire, les crises de boulimie suivies elles aussi de vomissements, ceux-lĂ dĂ©libĂ©rĂ©s pour Ă©viter toute incidence sur le poids, laissent Ă©galement des « reliefs » que lâentourage finit par dĂ©couvrir, bien quâelles soient effectuĂ©es en cachette. Ces adolescents laissent des traces tangibles de leur passage, comme pour confirmer leur existence et interpeller les adultes qui les ont en charge. Ils vont aussi sâemployer dorĂ©navant Ă le manifester Ă travers leur look et lâattaque de leur peau. Ils ne sâeffacent plus, certains continuent Ă se battre contre autrui, mais beaucoup de combats se transforment en corps Ă corps avec soi-mĂȘme. Ils sâaffichent en se montrant mal dans leur peau, au pied de la lettre. Ils continuent Ă se couper, mais le font en sâen prenant Ă leur apparence, forçant jusquâĂ la caricature les traits des nouveaux attributs de la nĂ©buleuse naissante des ados.com.
Ă fleur de peau
Ce quâils ne peuvent pas dire, les ados.com en souffrance le « hurlent Ă corps perdu » et recourent pour cela aux visages cloutĂ©s, aux appendices percĂ©s et aux peaux scarifiĂ©es pour exprimer leur besoin immense de marquage identitaire afin de se sentir exister. Ceux qui arrivent chez nous aprĂšs une TS dĂ©barquent parĂ©s de signes et insignes exprimant le « grand Ă©cart », la rupture, la crainte du contact, voire la torture auto-infligĂ©e. Ils affichent quâils sont Ă feu et Ă sang, Ă©corchĂ©s vifs. Leur but nâest pas de sĂ©duire, mais de se distinguer de maniĂšre radicale et de lâinscrire Ă fleur de peau, en multipliant les piercings et les tatouages, en se hĂ©rissant de pointes et dâemblĂšmes provocants, comme pour avertir quâils refusent quâon les touche.
VĂ©ritables Ă©corchĂ©s vifs, ils font de leur peau lâĂ©cran de projection de leurs affres intimes. Ils se lacĂšrent, sâabrasent ou se brĂ»lent la peau, et ont de moins en moins de choses Ă en dire, sinon quâils en ont « marre de tout », quâils se dĂ©testent ou quâils ne savent pas se calmer autrement quâen sâautomutilant. Ils expriment le besoin de se marquer le corps pour afficher leur souffrance, faire trace pour en tĂ©moigner et, sans le savoir, rĂ©vĂ©ler leurs blessures intĂ©rieures indicibles. Avec mon Ă©quipe, nous allons peu Ă peu voir le corps de ces ados devenir ainsi le principal « théùtre » des affrontements et des revendications. Le mot ne doit pas ĂȘtre pris pour synonyme de faussetĂ© des apparences destinĂ©e Ă leurrer, exercer un chantage sur les observateurs. Le « jeu » des reprĂ©sentations qui sây produit convoque en effet reconnaissance et rĂ©actions, mais il Ă©chappe en grande partie Ă la conscience de ses acteurs. Nous rĂ©alisons que nous allons devoir imaginer dâautres scĂšnes de projection que les seuls entretiens thĂ©rapeutiques, afin de les aider Ă en comprendre le sens.
Un autre constat sâimpose : ces ados sont de plus en plus jeunes Ă manifester leur mal-ĂȘtre Ă travers ces conduites de rupture quâils cumulent souvent. La moyenne dâĂąge de nos patients est aujourdâhui de 15 ans, et la part des 13-14 ans augmente chaque annĂ©e. Comment expliquer ce phĂ©nomĂšne dâentrĂ©e plus prĂ©coce dans les troubles du comportement ? Si lâon sâen tenait au seul point de vue abadien, on pourrait dire â ce qui est par ailleurs fondĂ© â que nos principaux correspondants mĂ©decins, infirmiĂšres de santĂ© scolaire, Ă©ducateurs de foyer, etc. sont aujourdâhui mieux formĂ©s, donc davantage en mesure de nous adresser trĂšs tĂŽt les jeunes en difficultĂ© sans attendre que la situation ne dĂ©gĂ©nĂšre. Mais lâobservation dĂ©passe largement nos vues. Les annĂ©es collĂšge voient se rĂ©vĂ©ler des troubles qui ne dĂ©butaient autrefois quâau lycĂ©e. Les tensions identitaires sâexpriment plus tĂŽt, ce qui lĂ encore suit lâĂ©volution de la jeunesse dans notre sociĂ©tĂ© : lâenfance se comprime, lâadolescence se dilate, et lâorĂ©e de lâĂąge adulte se floute. LâĂ©mergence de la pubertĂ© ne constitue plus aussi clairement quâauparavant la lisiĂšre distinguant les enfants des adolescents, surtout entre 11 et 14 ans. Il y a aujourdâhui des adolescents avant lâheure, mĂȘme si le propos peut paraĂźtre exagĂ©rĂ©. Enfants de lâimage et de la communication, les plus jeunes sont dĂ©jĂ des ados.com en herbe aspirĂ©s par la « planĂšte ado » dont ils Ă©pousent les us, les coutumes et les dĂ©bordements. Ă lâautre pĂŽle de la nĂ©buleuse, beaucoup de « vieux adolescents » continuent, bien au-delĂ de 18 ans, Ă recourir aux mĂȘmes expĂ©dients face aux difficultĂ©s auxquelles ils ne parviennent pas Ă faire face.
Se sentir exister
Quâil ait lâimpression dâĂȘtre transparent aux yeux de ses proches, que son identitĂ© soit floutĂ©e du fait des mystĂšres de ses origines ou des non-dits qui le concernent, quâil ait Ă©tĂ© sali ou humiliĂ© par les violences subies, ou encore que des dĂ©mons intĂ©rieurs lâagitent, lâadolescent en souffrance Ă©prouve le douloureux sentiment de « non-exister ». Dans le but de retrouver de la densitĂ©, de lâĂ©paisseur et de la nettetĂ© existentielles, il doit en quelque sorte surligner ses contours, quitte Ă trancher dans le vif de sa chair, sâincarner en jouant de son apparence et de ses postures, et se doter dâun sillage, faire trace pour ĂȘtre pris en compte, reconnu. Avec mon Ă©quipe, nous avons eu lâintuition que cette reconnaissance devait passer par la confiance, et quâil ne fallait pas confondre vigilance et surveillance. Sorti des quarante-huit heures dâisolement, lâadolescent suicidant hospitalisĂ© Ă lâUMPAJA du centre Abadie est libre de sortir dans le petit parc entourant le bĂątiment par demi-heures renouvelables, Ă la condition dâen informer lâinfirmiĂšre qui prend note du moment oĂč il « descend » et de celui oĂč il « remonte » dans lâunitĂ©. Une Ă©trange comptabilitĂ© temporelle qui surprend nos Ă©lĂšves infirmiers stagiaires, mais qui va beaucoup plus loin quâune simple rĂ©assurance en termes de responsabilitĂ©. Cette mesure souligne lâimportance que nous donnons Ă la prĂ©sence de chaque adolescent, tout en le maintenant Ă disposition des soignants qui voudraient sâentretenir avec lui puisquâil est lĂ pour se soigner. Reconnu comme responsable de lui-mĂȘme, le jeune suicidant nâa pas Ă justifier ses allĂ©es et venues. Ni suspect ni coupable, il doit en revanche se signaler, respecter Ă la lettre ces conditions de dĂ©placement, signifiant ainsi quâil est partie prenante de ce travail de reconnaissance qui dĂ©bute et qui doit aussi sâentendre comme une exploration Ă laquelle il est Ă©troitement associĂ©. La consigne est formelle, mais elle ne juge pas et ne discrimine personne. Elle lui permet dâintĂ©grer le cadre, donc de sâapproprier Ă son insu les temps de rĂ©flexion et ceux de dĂ©tente. Les jeunes gens sont souvent trĂšs surpris : « Câest incroyable, vous nous faites confiance ! On pourrait trĂšs bien ne pas remonter. » Nous leur expliquons alors que sâils ne remontaient pas, ils ne joueraient pas le jeu et pourquoi auraient-ils acceptĂ© alors dâĂȘtre avec nous ? Le centre est un lieu ouvert oĂč lâon vient de son plein grĂ©. Sâils ne sont pas dâaccord avec la mĂ©thode, personne ne les attachera. Quelle est la libertĂ© quâils revendiquent, sinon celle de ne plus ĂȘtre le jouet des circonstances ? Ă nous de leur proposer un cadre rassurant, Ă eux de chercher Ă comprendre avec nous ce qui les dĂ©borde et les torture.

« à feu et à sang », autoportrait de Clara, 16 ans, centre Abadie.
Marquer son corps
Ă partir des annĂ©es 2000, une nĂ©osymptomatologie apparaĂźt ainsi chez les adolescents suicidaires comme chez certains jeunes anorexiques-boulimiques dont nous avons Ă©tĂ© amenĂ©s Ă nous occuper plus tard. Un double mouvement consistant, dâune part, Ă inscrire Ă la surface de soi les signes et stigmates de la rupture et, dâautre part, Ă exprimer de lâintĂ©rieur de soi vers lâextĂ©rieur, les tensions dĂ©bordantes Ă travers rejets et saignements. Lâinscription fait trace, et lâexpression violente rĂ©alise une sorte de purge Ă©vacuatrice « projetĂ©e Ă la face du monde », mĂȘme si elle a Ă©tĂ© le plus souvent effectuĂ©e en secret et que leur auteur se dĂ©fend parfois farouchement de vouloir lâexposer. Les vomissements provoquĂ©s faisant suite aux crises de boulimie en sont, nous le verrons, une illustration. Et les scarifications en reprĂ©sentent une autre modalitĂ© particuliĂšrement courante. Nos adolescents ne se contentent plus de dire : « Je vais mal, jâen ai marre, le monde est pourri, je le rejette et jâai envie dâen finir. » Ils sont de plus en plus nombreux Ă afficher leur mal-ĂȘtre dâune maniĂšre qui nous saute littĂ©ralement aux yeux. Ceux qui exposent Ă fleur de peau des scarifications, des brĂ»lures, des abrasions, parfois des morsures quâils sâinfligent, le font soit pour se punir, soit pour se soulager. Se punir de quoi ? Dâavoir eu des « mauvaises pensĂ©es », par exemple dâavoir souhaitĂ© la mort dâun proche dont lâadolescent se sent directement ou indirectement la victime. Et la peau devient alors le théùtre de tortures qui incarnent Ă la fois les violences subies et les pensĂ©es enragĂ©es quâelles ont fait naĂźtre. Mais, le plus souvent, lâadolescent dit vouloir se soulager, dâune part en choisissant de transformer la souffrance psychique diffuse et impalpable quâil ressent en douleur physique circonscrite, visible et contrĂŽlĂ©e, et dâautre part en rĂ©alisant une saignĂ©e purificatrice destinĂ©e à « faire sortir » le mal. Lâadolescent sâautomeurtrit avec ses ongles ou plus frĂ©quemment Ă lâaide dâun objet que dâaucuns jugeraient insignifiant (morceau de verre, fragment de lame de rasoir, couvercle de CD), mais qui a de lâimportance au niveau symbolique parce quâil provient gĂ©nĂ©ralement dâun proche.
Dans les formes typiques, lâadolescent sâinflige ces lĂ©sions de façon superficielle au niveau du poignet et de lâavant-bras, parfois sur le dos de la main, plus rarement sur la jambe lorsquâil veut absolument les cacher Ă son entourage. Les deux poignets ou les deux avant-bras peuvent ĂȘtre attaquĂ©s, mais le plus souvent seul le cĂŽtĂ© opposĂ© Ă la main directrice est concernĂ©. Pourquoi Ă cet endroit du corps et pas ailleurs ? Parce que lâadolescent a besoin de voir de prĂšs lâeffet produit afin dâen contrĂŽler lâimportance et dâĂȘtre lui-mĂȘme spectateur de cette scĂšne au cours de laquelle la blessure fait plus ou moins sourdre du sang. Cette opĂ©ration lui permet littĂ©ralement de reprendre ainsi la main sur sa souffrance, tandis que lâune agit sur lâautre qui subit, sous le contrĂŽle constant du regard. La scarification fine et dĂ©licate a plutĂŽt valeur dâincision Ă©vacuatrice, mais lorsquâelles sont multiples et parallĂšles les unes aux autres, elles ont aussi pour but dâinscrire une marque personnelle sur soi, Ă lâimage de Sandra, 16 ans, qui lorsquâon lui demandait son nom rĂ©pondait : « Je ne mâappelle pas », tandis quâelle exhibait ses avant-bras scarifiĂ©s avant de prĂ©ciser en guise dâidentitĂ© : « VoilĂ mon code-barres ! » Le poignet est Ă©galement un endroit du corps oĂč se distinguent par transparence les veines â ces « liens de sang » â que les coupures viendront barrer, rayer, pour dire en images combien lâadolescent rĂȘverait de pouvoir sâaffranchir de ses attaches ou de ses pensĂ©es aliĂ©nantes.

Le passage Ă lâacte libĂ©rateur peut ainsi avoir diffĂ©rents niveaux de sens, comme les mĂ©taphores. Les brĂ»lures auto-infligĂ©es par la braise dâune cigarette rĂ©alisent des lĂ©sions punctiformes qui « doivent faire mal et faire trace », articulant sadisme et masochisme, exposant souvent Ă lâinsu de leur auteur des tortures rĂ©vĂ©latrices de violences sexuelles subies dans lâenfance. Les abrasions cutanĂ©es forment des plages de peau lĂ©sĂ©e plus ou moins Ă©tendues qui signent combien lâadolescent se sent Ă vif, littĂ©ralement Ă feu et Ă sang, dans lâincapacitĂ© de supporter la proximitĂ© dâun proche trop proche. Ajoutons que poignets et avant-bras meurtris pourront facilement sâexhiber ou au contraire se cacher, et parfois se rĂ©vĂ©ler de maniĂšre imprĂ©vue au cours dâ« effets de manche » Ă©chappant Ă la conscience du sujet. Il arrive en effet que lâadolescent « oublie » de masquer ses blessures en portant un T-shirt Ă manches courtes ou quâil enveloppe son avant-bras dans un manchon tellement volumineux que tout le monde ne peut que sâinterroger sur ce quâil y a dessous. Ce « jeu » du montrĂ©-cachĂ© fait partie intĂ©grante de la problĂ©matique, tĂ©moignant dâune aviditĂ© non assumĂ©e de reconnaissance. En faisant jaillir les blessures de lâĂąme Ă la surface de lui-mĂȘme, lâadolescent les exprime et les rĂ©vĂšle sans savoir quâil transpose de la sorte ses souffrances les plus secrĂštes en plaies offertes au regard de tous. Ces violences auto-infligĂ©es ont indĂ©niablement un effet apaisant Ă travers lâexpression quâelles rĂ©alisent, mais lâapaisement reste de courte durĂ©e tant que son auteur ne peut les traduire en mots et quâelles ne sont pas reconnues Ă leur juste valeur par lâentourage, câest-Ă -dire prises en compte et jugĂ©es impressionnantes. Elles sont par consĂ©quent destinĂ©es Ă se rĂ©pĂ©ter de maniĂšre plus ou moins addictive ou Ă sâaggraver, faute de sens et de reconnaissance.

« Mes conneries », lésions de Mélanie, 16 ans.
Et, lorsque ce nâest pas sur sa peau que lâadolescent donne Ă voir ses tourments, câest sur un Ă©cran, autrement dit sur son blog, ou aujourdâhui sa page Facebook, oĂč il va sâexposer Ă travers des poĂšmes, des photos provocatrices mĂȘlant diverses exhibitions dont celle de son avant-bras ensanglantĂ©, comme si cet affichage de lâintimitĂ© â frappant par son outrance et son registre paradoxal â venait lĂ encore rĂ©aliser un mouvement libĂ©rateur allant du dedans vers le dehor...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Avant-propos
- Partie I - Lâurgence de les « entendre »
- Partie II - Les images prises au mot
- Conclusion
- Merci !
- Du mĂȘme auteur