Le Consulat Sarkozy
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Le Consulat Sarkozy

  1. 192 pages
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Le Consulat Sarkozy

À propos de ce livre

En 2007, Nicolas Sarkozy annonçait la « rupture ». De fait, la Ve RĂ©publique semble avoir explosé : dĂ©sormais, le prĂ©sident gouverne, le prĂ©sident lĂ©gifĂšre, le prĂ©sident juge. La sĂ©paration des pouvoirs ne serait plus qu'un leurre ; la dĂ©mocratie serait en lambeaux ! DĂ©rive autoritaire ou simple façade ? Nicolas Sarkozy voulait ĂȘtre seul souverain, mais le Premier ministre s'impose Ă  lui, son parti doute et le parlementarisme revient. PlutĂŽt qu'une « hyperprĂ©sidence », c'est le « bal des hyper ». Il voulait rĂ©duire la justice Ă  un pouvoir nul, mais le Conseil constitutionnel a imposĂ© la puissance des droits et libertĂ©s garantis par la Constitution. Ainsi va la Ve RĂ©publique sous Nicolas Sarkozy. Dans toutes les directions ! Pour Dominique Rousseau, « il voulait refonder le modĂšle politique français ; Ă  l'arrivĂ©e, en 2012, il a seulement bricolĂ© l'ancien monde. L'expĂ©rience Sarkozy est un Ă©chec politique. La France se cherche toujours un prĂ©sident et il reste encore Ă  inventer les institutions formant la dĂ©mocratie des citoyens ». Le bilan politique et institutionnel du quinquennat. Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel Ă  l'universitĂ© Paris-I. Il a Ă©tĂ© membre du Conseil supĂ©rieur de la magistrature.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
Imprimer l'ISBN
9782738127600
Seconde partie
La démocratie qui se cherche
Chapitre 1
Nicolas Sarkozy découvre
le pouvoir judiciaire
La justice tourneboulée
Nicolas Sarkozy a fait dĂ©couvrir aux Français le pouvoir judiciaire. Sans le vouloir, dans la douleur et Ă  son corps dĂ©fendant peut-ĂȘtre mais la justice devient, depuis cinq ans, un pouvoir de la dĂ©mocratie. Et si l’importance d’un pouvoir se mesure aux critiques qu’il reçoit de ceux qu’il dĂ©range, elle serait mĂȘme un pouvoir considĂ©rable ! Car jamais les magistrats n’ont Ă©tĂ© aussi blĂąmĂ©s, rĂ©primandĂ©s, attaquĂ©s, vilipendĂ©s, dĂ©criĂ©s, Ă©trillĂ©s, insultĂ©s, moquĂ©s, mĂ©prisĂ©s que par Nicolas Sarkozy ministre de l’IntĂ©rieur ou prĂ©sident de la RĂ©publique. Morceaux choisis. En juin 2005, aprĂšs le meurtre de Nelly Cremel par un rĂ©cidiviste, il demande Ă  son collĂšgue garde des Sceaux « ce qu’il allait advenir du magistrat qui avait osĂ© remettre un monstre pareil en libertĂ© conditionnelle », ajoutant que le juge « devait payer pour sa faute ». À quoi le ministre de la Justice rĂ©pond que la dĂ©cision n’a pas Ă©tĂ© prise par un juge mais « par un collĂšge de trois magistrats sur la base d’avis et d’expertises et en application des dispositions du code pĂ©nal et du code de procĂ©dure pĂ©nale ». En 2006, toujours ministre de l’IntĂ©rieur, Nicolas Sarkozy accuse le prĂ©sident du tribunal pour enfants de Bobigny de « laxisme », l’accuse de ne prononcer aucune peine d’emprisonnement des mineurs rĂ©cidivistes et demande qu’il ne soit pas laissĂ© Ă  la tĂȘte du « premier tribunal pour mineurs, dans un dĂ©partement si difficile » (le 9-3). Le procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, se dĂ©place Ă  Bobigny pour apporter son soutien aux magistrats mis en cause, le premier prĂ©sident de la cour, Guy Canivet, dĂ©nonce « une nouvelle atteinte Ă  l’indĂ©pendance de l’autoritĂ© judiciaire » et demande audience au prĂ©sident de la RĂ©publique, Jacques Chirac, et le Conseil supĂ©rieur de la magistrature saisit son prĂ©sident – Jacques Chirac ! En vain. Nicolas Sarkozy, devenu prĂ©sident de la RĂ©publique, renouvelle ses dĂ©clarations d’amour aux gens de robe. En octobre 2007, revenant sur l’installation Ă  la Cour de cassation de son nouveau premier prĂ©sident, Vincent Lamanda, il a l’élĂ©gance de comparer les plus hauts magistrats de France rĂ©unis dans la Grand’chambre Ă  « un alignement de petits pois, mĂȘme couleur, mĂȘme gabarit et mĂȘme absence de saveur ».
Mais la plus belle preuve d’amour est donnĂ©e Ă  Nantes, le 3 fĂ©vrier 2011, lorsque le prĂ©sident de la RĂ©publique accuse les magistrats d’ĂȘtre responsables du meurtre de LaĂ«titia Perrais : « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le prĂ©sumĂ© coupable (sic) sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute et ceux qui ont couvert ou laissĂ© faire cette faute seront sanctionnĂ©s, c’est la rĂšgle. » Que ces propos soient tenus par les parents et amis de la victime pourrait Ă©videmment se comprendre mais pas par un prĂ©sident de la RĂ©publique, de surcroĂźt ancien avocat, qui sait et doit rappeler Ă  l’opinion, surtout en ces moments de grande Ă©motion, que toute personne est prĂ©sumĂ©e innocente jusqu’à ce qu’elle ait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e coupable et que, en l’espĂšce, le suspect arrĂȘtĂ© Ă©tait sorti de prison non parce qu’il avait Ă©tĂ© remis en libertĂ© par les magistrats mais parce qu’il avait
 terminĂ© de purger sa peine ! Et d’un coup, de Nantes Ă  Strasbourg, d’Amiens Ă  Bordeaux, de Moulins Ă  NĂźmes, Lyon, Limoges, Versailles, Tours, les tribunaux suspendent les audiences, les magistrats se rĂ©unissent en assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, votent des motions de protestation, reçoivent le renfort de la Cour de cassation, de la confĂ©rence des premiers prĂ©sidents de cour d’appel, de la confĂ©rence des procureurs gĂ©nĂ©raux et, fait rarissime, manifestent dans la rue avec le soutien des principaux syndicats de police. Une grande premiĂšre dans l’histoire de la Ve RĂ©publique, aucun des prĂ©dĂ©cesseurs de Nicolas Sarkozy n’ayant rĂ©ussi Ă  provoquer une telle fronde judiciaire1.
Les petites phrases du chef de l’État ne sont Ă©videmment pas les seules causes de cette colĂšre qui a pour motif profond une succession de rĂ©formes qui fragilisent le service public de la justice et rĂ©duisent son indĂ©pendance. En cause donc, tout simplement, le principe de la sĂ©paration des pouvoirs et la conception humaniste de la justice hĂ©ritĂ©e des LumiĂšres. MĂȘme si une politique ne se rĂ©duit pas Ă  des chiffres, il n’est pas vulgaire d’en soumettre quelques-uns Ă  la rĂ©flexion. RapportĂ© au PIB par habitant, le budget de la justice place la France au 37e rang des 43 États membres du Conseil de l’Europe et au 14e rang des 15 pays Ă©conomiquement comparables ; elle dĂ©pense 58 euros par an et par habitant pour la justice contre 72 euros en Italie, 75 en Grande-Bretagne et 87 en Espagne ; elle compte 10 juges pour 100 000 habitants contre 13 aux Pays-Bas, 15 en Belgique, 20 en Autriche et 24 en Allemagne ; elle est au 29e rang pour les postes de fonctionnaires et du greffe, etc.2. Et puis, des lois, des lois, des lois votĂ©es en pagaille, c’est-Ă -dire, en grand nombre et n’importe comment, et qui dĂ©sorganisent le travail de la justice.
D’abord, parce que ses principes de fonctionnement – la collĂ©gialitĂ©, la prise en considĂ©ration des singularitĂ©s de chaque affaire, la recherche scrupuleuse de la vĂ©ritĂ©, la dĂ©libĂ©ration – ont Ă©tĂ© bousculĂ©s par l’introduction forcĂ©e des rĂšgles du monde Ă©conomique – rentabilitĂ©, rapiditĂ©, gestion des flux, productivitĂ©. Ce qui a donnĂ© : multiplication des jugements Ă  juge unique au dĂ©triment de la collĂ©gialitĂ© qui garantit l’impartialitĂ© de la dĂ©cision, diminution des crĂ©dits d’enquĂȘte au dĂ©triment de la recherche de la vĂ©ritĂ©, standardisation des jugements au dĂ©triment de la dĂ©libĂ©ration et refonte de la carte judiciaire qui rationalise peut-ĂȘtre la productivitĂ© en supprimant des tribunaux – 178 tribunaux d’instance, 22 tribunaux de grande instance, etc. –, mais Ă©loigne la justice des citoyens.
Ensuite, le travail de la justice est dĂ©sorganisĂ© par une succession et un empilage de lois pĂ©nales qui dĂ©sĂ©quilibrent le systĂšme en renforçant les magistrats du parquet soumis hiĂ©rarchiquement au pouvoir exĂ©cutif et en marginalisant les magistrats du siĂšge indĂ©pendants et inamovibles. Non seulement les pouvoirs d’enquĂȘte du parquet ont Ă©tĂ© Ă©tendus, mais des pouvoirs de jugement lui ont Ă©tĂ© donnĂ©s : plus de la moitiĂ© des affaires pĂ©nales se concluent aujourd’hui par des peines dĂ©cidĂ©es par le parquet3. Ce dĂ©sĂ©quilibre du systĂšme pĂ©nal n’est pas une Ă©lucubration de syndicalistes malveillants ; il a fondĂ© la censure du rĂ©gime de droit commun de la garde Ă  vue. Dans sa dĂ©cision du 30 juillet 2010 en effet, le Conseil constitutionnel relĂšve que la procĂ©dure pĂ©nale ne se dĂ©roule plus en trois Ă©tapes, l’enquĂȘte policiĂšre, l’instruction judiciaire et le jugement, mais passe directement de la premiĂšre Ă  la troisiĂšme : « La proportion des procĂ©dures soumises Ă  l’instruction prĂ©paratoire n’a cessĂ© de diminuer et reprĂ©sente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l’action publique en matiĂšre correctionnelle », constate le Conseil. Qui poursuit : « La pratique du traitement dit “en temps rĂ©el” des procĂ©dures pĂ©nales a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e et cette pratique conduit Ă  ce que la dĂ©cision du ministĂšre public sur l’action publique est prise sur le rapport de l’officier de police judiciaire avant qu’il soit mis fin Ă  la garde Ă  vue ; si ces nouvelles modalitĂ©s de mise en Ɠuvre de l’action publique ont permis une rĂ©ponse pĂ©nale plus rapide et plus diversifiĂ©e conformĂ©ment Ă  l’objectif de bonne administration de la justice4, il n’en rĂ©sulte pas moins que, mĂȘme dans des procĂ©dures portant sur des faits complexes ou particuliĂšrement graves, une personne est dĂ©sormais le plus souvent jugĂ©e sur la base des seuls Ă©lĂ©ments de preuve rassemblĂ©s avant l’expiration de sa garde Ă  vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci ; la garde Ă  vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procĂ©dure en vue du jugement de la personne mise en cause. » En consĂ©quence de ce dĂ©sĂ©quilibre, le rĂ©gime de droit commun de la garde Ă  vue, qui avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© conforme Ă  la Constitution en 19935, est réévaluĂ© par le Conseil et
 censurĂ©6.
Enfin, le travail de la justice est dĂ©sorientĂ© par une politique lĂ©gislative l’éloignant des principes qui la guidaient depuis deux siĂšcles. Alors que, progressivement, le relĂšvement moral, les mesures Ă©ducatives et une procĂ©dure juridictionnelle spĂ©cialisĂ©e et adaptĂ©e s’étaient imposĂ©s comme les principes devant distinguer la justice des mineurs7, Nicolas Sarkozy a fait prendre aux juges le chemin inverse en rapprochant la situation judiciaire des mineurs de celle des majeurs8 oubliant qu’un enfant est un ĂȘtre en devenir, pas un « adulte en rĂ©duction » selon le mot du prĂ©sident Badinter rĂ©sumant l’esprit de l’ordonnance de 1945. Le retour le plus spectaculaire, le changement d’orientation philosophique le plus perturbant a Ă©tĂ© le vote de la loi sur la rĂ©tention de sĂ»retĂ© qui donne aux juges le pouvoir de maintenir en rĂ©tention une personne qui a purgĂ© sa peine si les experts considĂšrent qu’elle prĂ©sente une particuliĂšre dangerositĂ© entraĂźnant un risque de rĂ©cidive. D’un coup de loi, la politique pĂ©nale bascule vers le passĂ© ou le futur dĂ©crit dans Minority Report : un homme est enfermĂ© non pour ce qu’il a fait, non pour les actes qu’il a commis et dont il est responsable, mais pour ceux qu’ils pourraient commettre, pour ceux que, sur la base d’un diagnostic psychiatrique de « dangerositĂ© », il est soupçonnĂ© capable de commettre. Et, lĂ  encore, il est revenu au Conseil constitutionnel de limiter la portĂ©e effective de cette loi en jugeant qu’en vertu du principe de non-rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale elle ne pourrait s’appliquer aux personnes actuellement condamnĂ©es9. Ce qui repousse son application Ă  2023. Sauf si d’ici là

En attendant, la justice est tourneboulĂ©e. Et le dit par ses plus hauts reprĂ©sentants. « En visant le juge, dĂ©clare le premier prĂ©sident Vincent Lamanda, on finit par atteindre le citoyen. » Propos sobre, Ă  l’image du personnage, que le procureur gĂ©nĂ©ral Jean-Louis Nadal explicite avec plus de fougue : « De tout temps, la justice a Ă©tĂ© brocardĂ©e mais le phĂ©nomĂšne ne laisse pas d’inquiĂ©ter quand, Ă  cette institution fondamentale de la RĂ©publique et de la dĂ©mocratie, les coups sont portĂ©s par ceux qui sont prĂ©cisĂ©ment chargĂ©s de la faire respecter. Afficher pour la justice une forme de mĂ©pris, inspirer Ă  l’opinion des sentiments bas, tout cela avilit l’institution et, en dĂ©finitive, blesse la RĂ©publique10. »
Discours invraisemblables ! Extraordinaires ! Qui disent Ă  la fois l’intensitĂ© vĂ©cue des atteintes portĂ©es par Nicolas Sarkozy Ă  la dignitĂ© du mĂ©tier de magistrat et au service public de la justice et, aussi, parce qu’ils ont Ă©tĂ© prononcĂ©s par les plus hauts magistrats de France devant les plus hautes autoritĂ©s de l’État, la conscience de la justice d’ĂȘtre devenue un pouvoir d’équilibre des pouvoirs, un pouvoir de la dĂ©mocratie : « Viser le juge, c’est atteindre le citoyen. » Le propos est fort mais juste ; la figure du juge est aujourd’hui la figure centrale des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques contemporaines. Aussi bien du juge judiciaire sur les questions de sociĂ©tĂ© – euthanasie, dĂ©lĂ©gation de l’autoritĂ© parentale au sein d’un couple homosexuel, logement, etc. –, sur les questions sociales – plan de licenciements, harcĂšlement moral et/ou sexuel, etc. –, sur les affaires politico-financiĂšres – Clearstream, Bettencourt, Karachi, etc. –, que du juge administratif et financier sur l’administration et les collectivitĂ©s locales. Ou du juge constitutionnel.
La divine surprise QPC
Car la promotion du Conseil constitutionnel est la seule vraie et inattendue nouveautĂ© politique du quinquennat Sarkozy. Créé en 1958 pour empĂȘcher le Parlement de sortir de son domaine de compĂ©tences fixĂ© par la nouvelle Constitution, le Conseil s’éveille doucement en 1974 quand, Ă  l’initiative du prĂ©sident Giscard d’Estaing, pouvoir est donnĂ© Ă  soixante dĂ©putĂ©s ou soixante sĂ©nateurs de le saisir d’un recours en inconstitutionnalitĂ© de la loi votĂ©e. Battue au Parlement par le jeu de la discipline majoritaire, l’opposition continue le combat politique en le transportant dans un autre lieu, le Conseil constitutionnel, et en utilisant d’autres arguments, la Constitution et les principes de 1789 et 1946 que le Conseil a constitutionnalisĂ©s dans sa cĂ©lĂšbre dĂ©cision du 16 juillet 197111. Ainsi ont Ă©tĂ© soumises au contrĂŽle du Conseil la loi relative Ă  l’interruption de grossesse (1975), la dĂ©cision relative Ă  l’élection du Parlement europĂ©en au suffrage universel (1976), la loi relative aux nationalisations des banques et entreprises (1982), la loi relative Ă  la libertĂ© de la presse (1984), la loi relative Ă  l’égalitĂ© entre Français et Ă©trangers (1990), la loi ratifiant le traitĂ© de Maastricht (1992), la loi relative Ă  la bioĂ©thique (1994), la loi relative Ă  la justice des mineurs (2002), la loi relative Ă  la transposition de la directive Ă©conomie numĂ©rique (2004), la loi relative aux OGM (2008), la loi relative Ă  la taxe carbone (2009), etc. Plus de six cents dĂ©cisions entre 1974 et 201012. Le Parlement prend conscience qu’il ne peut plus lĂ©gifĂ©rer librement, qu’il est sous surveillance, que son vote ne suffit plus pour faire loi. Le glissement de pouvoir se mesure au rĂ©gime de fabrication de la volontĂ© gĂ©nĂ©rale : en 1789, « la loi est l’expression de la volontĂ© gĂ©nĂ©rale13 » ; deux cents ans plus tard, en 1985, « la loi votĂ©e n’exprime la volontĂ© gĂ©nĂ©rale que dans le respect de la Constitution14 ». Gouvernement et Parlement n’ont plus le monopole de la production lĂ©gislative ; un juge, le juge constitutionnel, est devenu un des acteurs du rĂ©gime d’énonciation de la volontĂ© gĂ©nĂ©rale.
Mais, jusqu’en 2008, l’accĂšs Ă  ce juge Ă©tait rĂ©servĂ© Ă  la classe politique, le citoyen Ă©tait exclu. Le contrĂŽle de constitutionnalitĂ© restait un contrĂŽle a priori, c’est-Ă -dire, exercĂ© avant l’entrĂ©e en application de la loi, et que seules les autoritĂ©s politiques pouvaient dĂ©clencher. Sans doute, depuis longtemps, des voix s’élevaient en faveur d’un contrĂŽle a posteriori. Au fil du temps, en effet, la pratique rĂ©vĂ©lait les insuffisances objectives du contrĂŽle a priori : il atteint la loi au moment de sa conception alors que l’inconstitutionnalitĂ© d’une loi apparaĂźt surtout au moment de son application ; il met face Ă  face le lĂ©gislateur et le juge dans un climat politique encore marquĂ© par les dĂ©bats parlementaires entre majoritĂ© et opposition ; il peut laisser des lois sans contrĂŽle si, pour une raison ou une autre, les politiques s’entendent pour ne pas saisir le Conseil. À ces manques, le contrĂŽle a posteriori remĂ©die puisqu’il est mis en Ɠuvre par le justiciable qui a toujours intĂ©rĂȘt Ă  faire valoir qu’au moment oĂč elle lui est appliquĂ©e la loi porte atteinte Ă  tel ou tel de ses droits fondamentaux. C’est pourquoi, Ă  la fin des annĂ©es 1980, un mouvement se dessine en faveur du contrĂŽle a posteriori. Robert Badinter, alors prĂ©sident du Conseil, en fait la proposition dans un entretien au journal Le Monde du 3 mars 1989 et le prĂ©sident de la RĂ©publique, François Mitterrand, la fait sienne dans sa traditionnelle causerie du 14 juillet en se dĂ©clarant « partisan d’une rĂ©vision constitutionnelle qui permettrait Ă  tout Français de saisir le Conseil constitutionnel s’il estime ses droits fondamentaux mĂ©connus ». RepoussĂ©e par les sĂ©nateurs en 1990, la proposition est reprise par le comitĂ© Vedel en 1993 mais, la mĂȘme annĂ©e, elle est Ă  nouveau refusĂ©e par les parlementaires. Dix-huit ans plus tard, le comitĂ© Balladur redĂ©couvre la proposition Badinter-Vedel et le constituant de juillet 2008 accepte enfin d’ouvrir aux justiciables le droit de contester la constitutionnalitĂ© de la loi dont il leur est fait application.
QPC : question prioritaire de constitutionnalitĂ©. Un nouveau sigle, bizarre et manquant assurĂ©ment d’élĂ©gance, s’impose rapidement dans les cabinets d’avocats, les salles d’audience, les cours d’amphi et les 20 heures annonçant la « QPC Chirac ». De quoi s’agit-il ? De la possibilitĂ© pour tout justiciable de soulever devant son juge la question de la constitutionnalitĂ© de la loi applicable au litige dont il est partie. Et, si le juge est convaincu du bien-fondĂ© de la question, il doit surseoir Ă  statuer et la transmettre Ă  sa Cour suprĂȘme – Cour de cassation pour le juge judiciaire, Conseil d’État pour le juge administratif – qui dĂ©cide de saisir ou non le Conseil constitutionnel. En cas de saisine, tout repose sur le Conseil : ou il juge la loi conforme Ă  la Constitution et le procĂšs reprend devant la juridiction de base, ou il la juge contraire Ă  la Constitution et la loi est abrogĂ©e provoquant l’arrĂȘt dĂ©finitif du procĂšs et de tous les procĂšs engagĂ©s sur le fondement de la loi dĂ©clarĂ©e contraire Ă  la Constitution. La QPC est donc un nouveau moyen Ă  la disposition des justiciables, personnes physiques ou morales, françaises ou non, et un moyen considĂ©rable puisqu’il dĂ©termine et conditionne la poursuite et l’issue du procĂšs, quelle que soit l’affaire litigieuse. Si un procĂšs a pour objet un marchĂ© public, l’atteinte Ă©ventuelle au principe constitutionnel d’égal accĂšs devant la commande publique peut ĂȘtre soulevĂ©e ; s’il a p...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. PremiÚre partie - La Ve République qui explose
  7. Seconde partie - La démocratie qui se cherche
  8. Conclusion