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Le Grand basculement
La question sociale Ă lâĂ©chelle mondiale
- 304 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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Ă propos de ce livre
De toutes parts, des forces profondes entraĂźnent l'humanitĂ© sur des pentes dangereuses. Notre nombre. Les inĂ©galitĂ©s qui nous minent. La nature qui nous trahit. Les rapports de classe, Ă©vanouis dans le brouillard d'intĂ©rĂȘts aveugles. Les dĂ©sĂ©quilibres d'une mondialisation gĂ©nĂ©ratrice d'exclusions nouent chaque jour les fils d'une question sociale globale, oĂč les pauvres sont mis en concurrence entre eux. Faute d'enclencher des mĂ©canismes d'enrichissement durable pour tous, la planĂšte ne pourra pas supporter la charge humaine et Ă©cologique de l'humanitĂ©, qui dĂ©rivera inexorablement dans un monde de conflits et de violence. Qui gagnera dans la guerre, ouverte ou latente, qui se fait jour ? Peut-elle encore trouver une issue coopĂ©rative ?Cette brillante synthĂšse montre l'imbrication des problĂšmes économiques, environnementaux et sociaux auxquels les pays riches et les pays pauvres sont confrontĂ©s de maniĂšre solidaire. Elle trace les directions que pourrait suivre une vĂ©ritable politique sociale mondiale pour rĂ©soudre les contradictions dans lesquelles nos sociĂ©tĂ©s se sont enfoncĂ©es. Jean-Michel Severino est directeur de recherches Ă la Fondation pour la recherche sur le dĂ©veloppement international (FERDI). Ancien vice-prĂ©sident de la Banque mondiale et ancien directeur gĂ©nĂ©ral de l'Agence française de dĂ©veloppement (AFD), il dirige aujourd'hui un fonds d'investissement destinĂ© aux PME africaines. Olivier Ray est Ă©conomiste, spĂ©cialiste des questions internationales. Tous deux sont les auteurs du Temps de l'Afrique. Â
Foire aux questions
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Informations
PremiĂšre partie
Le grand basculement
Chapitre 1
Lâinversion des pĂŽles
Que la richesse mondiale progresse dâannĂ©e en annĂ©e est une Ă©vidence â notre premier Ă©lĂ©phant. Mais son ampleur est pour nous un objet dâĂ©merveillement.
Si elle devait ĂȘtre contĂ©e, lâhistoire de lâhomme et du dĂ©veloppement Ă©conomique pourrait lâĂȘtre Ă travers trois rĂ©cits : celui de son incroyable accĂ©lĂ©ration Ă partir du XIXe siĂšcle ; celui du basculement, aussi silencieux que radical, de son moteur du Nord au Sud Ă la fin du XXe siĂšcle ; celui, enfin, de la remise en cause du concept mĂȘme de croissance dans nos sociĂ©tĂ©s opulentes en ce dĂ©but de XXIe siĂšcle.
La grande roue de la croissance
On oublie aisĂ©ment que, malgrĂ© quelques Ă©pisodes limitĂ©s dans le temps et circonscrits dans lâespace, le monde ignorait pour ainsi dire la croissance Ă©conomique avant le tournant du XIXe siĂšcle.
Les historiens sâaccordent sur le fait que les niveaux de vie nâont que peu Ă©voluĂ© depuis lâAntiquitĂ© jusquâau grand basculement de la rĂ©volution industrielle. Selon les travaux sur longue durĂ©e dâAngus Maddison7, durant les mille annĂ©es qui ont suivi la naissance du Christ, lâĂ©conomie mondiale aurait mĂȘme dĂ©clinĂ©. Si le second millĂ©naire dĂ©marre par une embellie en Europe occidentale entre les Xe et XIIIe siĂšcles, ces progrĂšs sont ensuite annulĂ©s par les Ă©pidĂ©mies, les famines et les guerres europĂ©ennes des XIVe et XVe siĂšcles.
La sociĂ©tĂ© nĂ©erlandaise du XVIIe siĂšcle serait ainsi la premiĂšre Ă avoir connu, grĂące au dĂ©ploiement de sa marine marchande sur les mers du globe, un phĂ©nomĂšne de croissance soutenue sur plusieurs dĂ©cennies â dont les peintres flamands brossĂšrent lâopulence derriĂšre le voile austĂšre de la piĂ©tĂ© protestante. Ce bref miracle hollandais mis Ă part, entre lâan 1000 et lâannĂ©e 1820, le taux de croissance de lâhumanitĂ©, de lâordre de 0,05 % par an, dĂ©passe Ă peine le taux de croissance dĂ©mographique, si bien que le niveau de vie par habitant ne progresse que de lâordre de 50 % en huit siĂšcles.
Puis viennent la révolution industrielle, ses mines, ses machines à vapeur et son industrie textile.
Entre 1820 et 1950, tirĂ©e par lâindustrialisation europĂ©enne, lâĂ©conomie coloniale et lâexpansion territoriale nord-amĂ©ricaine, la croissance progresse dâun peu moins de 1 % par habitant et par an. Il sâagit dâun rythme inĂ©dit dans lâhistoire humaine, qui provoque en Europe une accumulation de tensions au sein du corps social â libĂ©rĂ©es au grĂ© de cette pĂ©riode par la migration lointaine, lâaventure coloniale ou les guerres nationalistes.
La croissance Ă©conomique sâaccĂ©lĂšre de nouveau aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, et atteint le record de 2,93 % par an entre 1950 et 1973. Ce sont les Trente Glorieuses, oĂč le niveau de vie des EuropĂ©ens progresse de prĂšs de 5 % par an, et celui des Japonais de prĂšs de 8 %. Câest alors que lâEurope, les Ătats-Unis et le Japon pĂ©nĂštrent dans lâĂšre de la consommation de masse.
Cet Ă©pisode de croissance vive et soutenue permet Ă©galement le parachĂšvement de lâĂtat providence, dont lâhĂ©ritage â heureux â se rĂ©vĂšle complexe Ă gĂ©rer dans un contexte de croissance Ă©conomique et dĂ©mographique en berne, et de chĂŽmage de masse.
Il est intĂ©ressant de noter que cette Ă©poque est souvent vĂ©cue comme la rĂ©fĂ©rence dont nos Ă©conomies nâont cessĂ© de dĂ©vier, et vers laquelle de bonnes politiques Ă©conomiques devraient nous faire reprendre le chemin. Elle a pourtant Ă©tĂ© exceptionnelle, dans tous les sens du terme.
Les niveaux de croissance de cette Ă©poque, inĂ©galĂ©s depuis, sâexpliquent par un double phĂ©nomĂšne de rattrapage Ă©conomique et dĂ©mographique aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, portĂ© par une Ă©nergie fossile bon marchĂ©. Le choc pĂ©trolier de 1973 y mettra fin dĂ©finitivement, faisant dĂ©couvrir Ă lâEurope le chĂŽmage â et rĂ©vĂ©lant lâĂ©mergence Ă©conomique soudaine du reste de lâhumanitĂ©. Car, jusquâĂ la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle, cette croissance Ă©conomique vigoureuse demeure un phĂ©nomĂšne gĂ©ographiquement limitĂ©, qui ne bĂ©nĂ©ficie quâaux pays du Nord et Ă certaines de leurs excroissances coloniales.
La situation sâinverse avec lâentrĂ©e progressive des Sud dans la grande aventure de la croissance.
Les Ătats dâAfrique et dâAmĂ©rique du Sud ont lancĂ© le bal aprĂšs la fin de la Seconde Guerre mondiale : moins meurtrie par ses destructions, et nouvelle base arriĂšre de la rĂ©volution consumĂ©riste nord-amĂ©ricaine, lâAmĂ©rique latine connaĂźt ainsi une croissance de plus de 5 % en moyenne de 1950 Ă 1973 â soit 2,5 % par habitant et par an. On lâoublie souvent, les premiĂšres annĂ©es des indĂ©pendances africaines ont Ă©galement reprĂ©sentĂ© un vĂ©ritable Ăąge dâor pour les jeunes nations subsahariennes, lancĂ©es sur le chemin de la croissance Ă©conomique. Le phĂ©nomĂšne de rattrapage a jouĂ© pleinement tout au long des annĂ©es 1960 : la croissance atteignait 4,6 % par an en moyenne de 1960 Ă 1973. Si bien que dix ans aprĂšs les indĂ©pendances, ce nâest pas sur cette Afrique noire en plein dĂ©collage, mais sur lâExtrĂȘme-Orient que se portaient les regards inquiets des experts internationaux. Surpopulation, famines, retard Ă©conomique : un rapport alarmĂ© de la Banque mondiale considĂ©rait Ă la fin des annĂ©es 1960 lâAsie comme le continent de tous les dangers8, alors quâun futur laurĂ©at du prix Nobel dâĂ©conomie publiait un livre au titre rĂ©vĂ©lateur : Le Drame asiatique. EnquĂȘte sur la pauvretĂ© des nations9. Qui le croirait aujourdâhui ? Le produit intĂ©rieur brut africain dĂ©passait alors celui de lâAsie10.
PortĂ©e par le dividende dĂ©mographique, lâAsie de lâEst ne tarde pourtant pas Ă dĂ©jouer ces sombres pronostics : sous les yeux Ă©bahis des Ă©conomistes du dĂ©veloppement, les « dragons » (Hong Kong, Singapour, CorĂ©e du Sud et TaĂŻwan), puis les « tigres » asiatiques (ThaĂŻlande, Malaisie, IndonĂ©sie, Philippines et Vietnam) se lancent Ă leur tour Ă lâassaut de la prospĂ©ritĂ©. Nous reviendrons sur les fondements du « miracle Ă©conomique » de lâAsie de lâEst11. Contentons-nous Ă ce stade de mentionner ses effets : de 1965 Ă 1995, le taux de croissance annuel des quatre dragons asiatiques dĂ©passait les 6 % par an et par habitant12 â un rythme auquel lâĂ©conomie du pays double en seulement douze ans. Quels en ont Ă©tĂ© les effets concrets ? Prenons un exemple : un Sud-CorĂ©en Ă©tait 638 fois plus riche en 1990 que ses parents seulement trente ans plus tĂŽt ! La Chine parvient quant Ă elle Ă multiplier le niveau de vie moyen de sa population par prĂšs de quatre entre 1990 et 2010 grĂące Ă une croissance spectaculaire de 7 % par an.
Puis, alors que les experts se penchaient sur le chevet dâune Afrique subsaharienne malade, Ă la recherche de la « tragĂ©die » qui lâaccablait13, lâAfrique a elle-mĂȘme discrĂštement rejoint le monde de la croissance Ă la fin des annĂ©es 1990, avec un rythme de plus de 5 % durant la derniĂšre dĂ©cennie â excĂ©dant largement celle des pays dĂ©veloppĂ©s. Pour la premiĂšre fois depuis les indĂ©pendances africaines, les grands indicateurs macroĂ©conomiques sont passĂ©s au vert dans la plupart des Ă©conomies subsahariennes ; alors que plus personne ne lâattendait, la croissance africaine est de retour14.
Câest donc Ă la faveur de la grande roue â tournante â de la croissance Ă©conomique que, depuis 1820, le revenu par habitant a Ă©tĂ© multipliĂ© par 8,5 Ă lâĂ©chelle de lâhumanitĂ© â alors mĂȘme que la planĂšte voyait sa population multipliĂ©e par 7 ! Durant cette pĂ©riode, le taux de croissance annuel par habitant Ă©tait vingt-cinq fois celui que la planĂšte connaissait entre lâan 1000 et lâan 1820. La croissance des Sud a donc Ă©tĂ© spectaculaire dans les derniĂšres annĂ©es du XXe siĂšcle.
De nombreux pays demeurent Ă lâĂ©cart de ce mouvement, du fait dâune marginalisation gĂ©ographique, dâĂ©pisodes de violence ou dâune faiblesse structurelle de lâĂtat. Les pays les moins avancĂ©s (PMA), aujourdâhui au nombre de 49, concentrent ainsi toute lâattention des institutions de dĂ©veloppement15. Nombre dâentre eux se dĂ©battent encore dans des « piĂšges Ă pauvretĂ©16 » qui les empĂȘchent de pĂ©nĂ©trer dans le cercle vertueux de lâinvestissement et des gains de productivitĂ©, au premier rang desquels une instabilitĂ© politique chronique. Par ailleurs, une part importante des citoyens des pays en croissance ne bĂ©nĂ©ficie pas de cette amĂ©lioration : câest en Inde et en Chine, aux taux de croissance flatteurs, quâhabite la plus grande part des pauvres de la planĂšte. Nous reviendrons largement sur cette composante essentielle de la « question sociale globale ».
Pour autant, ce constat ne doit pas nous empĂȘcher de reconnaĂźtre â et dâadmirer â lâimpressionnante mise en marche depuis plus de cinquante ans de ce second moteur de la machine Ă©conomique planĂ©taire, plus vif encore que le premier.
Le fameux « tiers-monde », objet de nos sentiments compatissants, nâest plus. Ou du moins nâest-il plus le mĂȘme. Mais les « Sud17 », qui forment un ensemble dâune extrĂȘme hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, demeurent encore radicalement diffĂ©rents du « Nord », câest-Ă -dire des pays de lâOCDE18.
Depuis le second choc pĂ©trolier, le moteur de la croissance mondiale se trouve au Sud. Dans un basculement dont lâhistoire humaine a le secret, par la magie des poids relatifs et absolus, la croissance Ă©conomique rapide est devenue une caractĂ©ristique presque exclusive des pays qui sâen trouvaient hier privĂ©s. En 2011, pour la premiĂšre fois dans lâhistoire, les Ă©conomies en dĂ©veloppement contribueront plus Ă lâĂ©conomie mondiale que les pays « dĂ©veloppĂ©s » de lâOCDE19.
Qui lâaurait cru il y a seulement dix ans ? Le grand basculement que traverse la planĂšte est pourtant le produit mathĂ©matique de la croissance Ă©conomique et de la croissance dĂ©mographique des Sud. Les deux termes de cette multiplication poursuivant leur lancĂ©e, nous savons que, sauf choc imprĂ©vu, il se prolongera ces prochaines dĂ©cennies, alors que nos sociĂ©tĂ©s occidentales sâenfonceront peu Ă peu dans une croissance anĂ©mique â miroir de leurs dĂ©mographies flĂ©chissantes.
Le centre de gravitĂ© de lâĂ©conomie mondiale migre donc rĂ©solument en direction du Sud-Est.
Une carte Ă©laborĂ©e par des chercheurs de la Brookings et du Centre for Global Development20 positionne ce barycentre en Espagne en 1965, les trois principales « masses » de lâĂ©conomie mondiale Ă©tant lâEurope, les Ătats-Unis et le Japon. TirĂ© vers lâhĂ©misphĂšre Sud par la croissance du BrĂ©sil, du Mexique et de lâAsie du Sud-Est, il se situe aujourdâhui au large de la Tunisie. Il est annoncĂ© Ă lâextrĂȘme est de lâIran au milieu du siĂšcle, aspirĂ© par la croissance de lâInde, de la Chine, de lâIndonĂ©sie ou du Vietnam â et retenu de plus en plus mollement par lâEurope et lâAmĂ©rique du Nord.
Le fait que les Ă©conomies les plus dynamiques de la planĂšte reprĂ©sentent un poids Ă©conomique et dĂ©mographique chaque annĂ©e plus important dans lâĂ©conomie mondiale laisse dâailleurs penser que la croissance de lâĂ©conomie mondiale pourrait mĂ©caniquement sâaccĂ©lĂ©rer ces prochaines annĂ©es. La Chine reprĂ©sente Ă elle seule 13 % du PIB mondial. Elle vient de dĂ©passer le Japon comme seconde Ă©conomie, aprĂšs les Ătats-Unis, et pourrait les doubler dâici une dizaine dâannĂ©es seulement. LâaccĂ©lĂ©ration est telle que le PIB de la ThaĂŻlande ou de la Malaisie pourrait dĂ©passer dâici vingt-cinq ans celui de la France, actuellement cinquiĂšme Ă©conomie mondiale. Dâici quarante ans, les Ă©conomies du Mexique et de lâIndonĂ©sie seront plus importantes que celles de la Grande-Bretagne et de lâAllemagne21.
Ce basculement de la carte Ă©conomique mondiale en une cinquantaine dâannĂ©es seulement est renversant. Mais, Ă Ă©loigner la loupe, on se rend compte quâil reprĂ©sente en rĂ©alitĂ© un simple rattrapage : lâAsie, qui devrait passer de 35 % de lâactivitĂ© Ă©conomique mondiale aujourdâhui Ă prĂšs de 60 % dâici vingt-cinq ans, retrouvera ainsi le poids quâelle reprĂ©sentait dans lâĂ©conomie mondiale au XVIIIe siĂšcle, avant que la rĂ©volution industrielle ne provoque une premiĂšre grande divergence des niveaux de vie.
Quel rĂ©cit feront les historiens, dans un siĂšcle, de notre Ă©poque ? Faisons le pari quâils dĂ©criront lâachĂšvement, au XXIe siĂšcle, du double mouvement de transition dĂ©mographique et de rĂ©volution industrielle, tous deux entamĂ©s dans lâEurope du XVIIIe siĂšcle. Le premier Ă©lĂ©ment a peuplĂ© la planĂšte. Le second, sâemparant tour Ă tour de lâEurope, de lâAmĂ©rique, de lâAsie et de lâAfrique, a enrichi lâhumanitĂ©.
Si la nature et lâampleur de ses impacts sont loin dâĂȘtre assimilĂ©es, ce double renversement commence Ă interroger. Il suscite des rĂ©actions contrastĂ©es, et gĂ©nĂšre une abondante littĂ©rature : au sein de la communautĂ© transatlantique comme au Japon, se dĂ©veloppe un discours du deuil â celui dâune pĂ©riode rĂ©volue de pouvoir sans partage. La grande crise financiĂšre des annĂ©es 2000 a brusquement rĂ©vĂ©lĂ© la vulnĂ©rabilitĂ© du mode de croissance libĂ©ral issu du « consensus de Washington22 ». Les perspectives de croissance Ă©conomique future sont anĂ©miques pour le Nord, lestĂ© par une dĂ©pression dĂ©mographique, des hauts niveaux dâendettement, les dĂ©ficits structurels des comptes courants23 et de faibles gains de productivitĂ©. Une forme de dĂ©sespoir social sâinstalle, tout comme le chĂŽmage structurel de masse : mĂȘme sâil est Ă lâĂ©vidence inĂ©galement rĂ©parti, le taux de chĂŽmage de lâUnion europĂ©enne est en hausse depuis 200024. Il touchait, en 2008, un actif sur dix en Europe.
Mesure pour mesure25
Est-ce parce quâelle flĂ©chit au Nord que la sacro-sainte croissance sây voit subitement questionnĂ©e ? Son thermomĂštre remis en cause ? Câest en tout cas en pleine crise financiĂšre, alors que les prĂ©visions de croissance Ă©conomique divergeaient entre les instituts de statistique et le gouvernement, que le prĂ©sident français, Nicolas Sarkozy, confia Ă un panel de grands Ă©conomistes le soin de rĂ©diger un rapport sur « la mesure des performances Ă©conomiques et du progrĂšs social26 ».
Lâobjectif premier dâun pays doit-il nĂ©cessairement ĂȘtre celui de croĂźtre â quitte Ă mieux redistribuer les fruits de cette richesse ? Sâagit-il au contraire de prendre le chemin de la « dĂ©croissance », comme certains lâaffirment, avec une audience grandissante dans nos sociĂ©tĂ©s dâabondance ? Faut-il plutĂŽt changer de modĂšle de croissance, afin de dĂ©coupler autant que possible production de richesse et destruction de la nature ?
Voici trois questions Ă©minemment lĂ©gitimes. Elles interrogent non seulement la pensĂ©e politique telle quâelle sâest construite dans nos sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es au cours du siĂšcle prĂ©cĂ©dent27, mais aussi les modĂšles Ă©conomiques et les compromis sociaux sur lesquels ces sociĂ©tĂ©s continuent Ă reposer. Gageons que, lâhumanitĂ© rencontrant la finitude de la nature avant la fin de la pauvretĂ©, ce dĂ©bat occupera longtemps encore les arĂšnes philosophique, politique et Ă©conomique de nos sociĂ©tĂ©s. Cet essai nâa certainement pas vocation Ă le trancher. Tentons toutefois dâen clarifier les termes, et de rappeler quelques ordres de grandeur.
Les critiques de la « croissance » mĂȘlent souvent deux objections fort diffĂ©rentes : la premiĂšre interroge la pertinence de sa mesure, habituellement rĂ©duite Ă la progression du produit intĂ©rieur brut (PIB)28. La seconde pose la question, bien plus complexe, de la finalitĂ© de la politique publique. Certes, ces deux sujets sont liĂ©s : en lâabsence de mesures satisfaisantes du bien-ĂȘtre individuel ou collectif, le PIB a depuis longtemps servi dâapp...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- PremiĂšre partie - Le grand basculement
- DeuxiĂšme partie - Quand la croissance perd le nord
- TroisiĂšme partie - Le premier homme
- QuatriÚme partie - Démondialisation, altermondialisation, remondialisation
- Notes
- Remerciements
- Index