Le Grand basculement
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Le Grand basculement

La question sociale Ă  l’échelle mondiale

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Grand basculement

La question sociale Ă  l’échelle mondiale

À propos de ce livre

De toutes parts, des forces profondes entraĂźnent l'humanitĂ© sur des pentes dangereuses. Notre nombre. Les inĂ©galitĂ©s qui nous minent. La nature qui nous trahit. Les rapports de classe, Ă©vanouis dans le brouillard d'intĂ©rĂȘts aveugles. Les dĂ©sĂ©quilibres d'une mondialisation gĂ©nĂ©ratrice d'exclusions nouent chaque jour les fils d'une question sociale globale, oĂč les pauvres sont mis en concurrence entre eux. Faute d'enclencher des mĂ©canismes d'enrichissement durable pour tous, la planĂšte ne pourra pas supporter la charge humaine et Ă©cologique de l'humanitĂ©, qui dĂ©rivera inexorablement dans un monde de conflits et de violence. Qui gagnera dans la guerre, ouverte ou latente, qui se fait jour ? Peut-elle encore trouver une issue coopĂ©rative ?Cette brillante synthĂšse montre l'imbrication des problĂšmes économiques, environnementaux et sociaux auxquels les pays riches et les pays pauvres sont confrontĂ©s de maniĂšre solidaire. Elle trace les directions que pourrait suivre une vĂ©ritable politique sociale mondiale pour rĂ©soudre les contradictions dans lesquelles nos sociĂ©tĂ©s se sont enfoncĂ©es. Jean-Michel Severino est directeur de recherches Ă  la Fondation pour la recherche sur le dĂ©veloppement international (FERDI). Ancien vice-prĂ©sident de la Banque mondiale et ancien directeur gĂ©nĂ©ral de l'Agence française de dĂ©veloppement (AFD), il dirige aujourd'hui un fonds d'investissement destinĂ© aux PME africaines. Olivier Ray est Ă©conomiste, spĂ©cialiste des questions internationales. Tous deux sont les auteurs du Temps de l'Afrique.  

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2011
Imprimer l'ISBN
9782738126856
ISBN de l'eBook
9782738185532
PremiĂšre partie
Le grand basculement
Chapitre 1
L’inversion des pîles
Que la richesse mondiale progresse d’annĂ©e en annĂ©e est une Ă©vidence – notre premier Ă©lĂ©phant. Mais son ampleur est pour nous un objet d’émerveillement.
Si elle devait ĂȘtre contĂ©e, l’histoire de l’homme et du dĂ©veloppement Ă©conomique pourrait l’ĂȘtre Ă  travers trois rĂ©cits : celui de son incroyable accĂ©lĂ©ration Ă  partir du XIXe siĂšcle ; celui du basculement, aussi silencieux que radical, de son moteur du Nord au Sud Ă  la fin du XXe siĂšcle ; celui, enfin, de la remise en cause du concept mĂȘme de croissance dans nos sociĂ©tĂ©s opulentes en ce dĂ©but de XXIe siĂšcle.
La grande roue de la croissance
On oublie aisĂ©ment que, malgrĂ© quelques Ă©pisodes limitĂ©s dans le temps et circonscrits dans l’espace, le monde ignorait pour ainsi dire la croissance Ă©conomique avant le tournant du XIXe siĂšcle.
Les historiens s’accordent sur le fait que les niveaux de vie n’ont que peu Ă©voluĂ© depuis l’AntiquitĂ© jusqu’au grand basculement de la rĂ©volution industrielle. Selon les travaux sur longue durĂ©e d’Angus Maddison7, durant les mille annĂ©es qui ont suivi la naissance du Christ, l’économie mondiale aurait mĂȘme dĂ©clinĂ©. Si le second millĂ©naire dĂ©marre par une embellie en Europe occidentale entre les Xe et XIIIe siĂšcles, ces progrĂšs sont ensuite annulĂ©s par les Ă©pidĂ©mies, les famines et les guerres europĂ©ennes des XIVe et XVe siĂšcles.
La sociĂ©tĂ© nĂ©erlandaise du XVIIe siĂšcle serait ainsi la premiĂšre Ă  avoir connu, grĂące au dĂ©ploiement de sa marine marchande sur les mers du globe, un phĂ©nomĂšne de croissance soutenue sur plusieurs dĂ©cennies – dont les peintres flamands brossĂšrent l’opulence derriĂšre le voile austĂšre de la piĂ©tĂ© protestante. Ce bref miracle hollandais mis Ă  part, entre l’an 1000 et l’annĂ©e 1820, le taux de croissance de l’humanitĂ©, de l’ordre de 0,05 % par an, dĂ©passe Ă  peine le taux de croissance dĂ©mographique, si bien que le niveau de vie par habitant ne progresse que de l’ordre de 50 % en huit siĂšcles.
Puis viennent la révolution industrielle, ses mines, ses machines à vapeur et son industrie textile.
Entre 1820 et 1950, tirĂ©e par l’industrialisation europĂ©enne, l’économie coloniale et l’expansion territoriale nord-amĂ©ricaine, la croissance progresse d’un peu moins de 1 % par habitant et par an. Il s’agit d’un rythme inĂ©dit dans l’histoire humaine, qui provoque en Europe une accumulation de tensions au sein du corps social – libĂ©rĂ©es au grĂ© de cette pĂ©riode par la migration lointaine, l’aventure coloniale ou les guerres nationalistes.
La croissance Ă©conomique s’accĂ©lĂšre de nouveau aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, et atteint le record de 2,93 % par an entre 1950 et 1973. Ce sont les Trente Glorieuses, oĂč le niveau de vie des EuropĂ©ens progresse de prĂšs de 5 % par an, et celui des Japonais de prĂšs de 8 %. C’est alors que l’Europe, les États-Unis et le Japon pĂ©nĂštrent dans l’ùre de la consommation de masse.
Cet Ă©pisode de croissance vive et soutenue permet Ă©galement le parachĂšvement de l’État providence, dont l’hĂ©ritage – heureux – se rĂ©vĂšle complexe Ă  gĂ©rer dans un contexte de croissance Ă©conomique et dĂ©mographique en berne, et de chĂŽmage de masse.
Il est intĂ©ressant de noter que cette Ă©poque est souvent vĂ©cue comme la rĂ©fĂ©rence dont nos Ă©conomies n’ont cessĂ© de dĂ©vier, et vers laquelle de bonnes politiques Ă©conomiques devraient nous faire reprendre le chemin. Elle a pourtant Ă©tĂ© exceptionnelle, dans tous les sens du terme.
Les niveaux de croissance de cette Ă©poque, inĂ©galĂ©s depuis, s’expliquent par un double phĂ©nomĂšne de rattrapage Ă©conomique et dĂ©mographique aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, portĂ© par une Ă©nergie fossile bon marchĂ©. Le choc pĂ©trolier de 1973 y mettra fin dĂ©finitivement, faisant dĂ©couvrir Ă  l’Europe le chĂŽmage – et rĂ©vĂ©lant l’émergence Ă©conomique soudaine du reste de l’humanitĂ©. Car, jusqu’à la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle, cette croissance Ă©conomique vigoureuse demeure un phĂ©nomĂšne gĂ©ographiquement limitĂ©, qui ne bĂ©nĂ©ficie qu’aux pays du Nord et Ă  certaines de leurs excroissances coloniales.
La situation s’inverse avec l’entrĂ©e progressive des Sud dans la grande aventure de la croissance.
Les États d’Afrique et d’AmĂ©rique du Sud ont lancĂ© le bal aprĂšs la fin de la Seconde Guerre mondiale : moins meurtrie par ses destructions, et nouvelle base arriĂšre de la rĂ©volution consumĂ©riste nord-amĂ©ricaine, l’AmĂ©rique latine connaĂźt ainsi une croissance de plus de 5 % en moyenne de 1950 Ă  1973 – soit 2,5 % par habitant et par an. On l’oublie souvent, les premiĂšres annĂ©es des indĂ©pendances africaines ont Ă©galement reprĂ©sentĂ© un vĂ©ritable Ăąge d’or pour les jeunes nations subsahariennes, lancĂ©es sur le chemin de la croissance Ă©conomique. Le phĂ©nomĂšne de rattrapage a jouĂ© pleinement tout au long des annĂ©es 1960 : la croissance atteignait 4,6 % par an en moyenne de 1960 Ă  1973. Si bien que dix ans aprĂšs les indĂ©pendances, ce n’est pas sur cette Afrique noire en plein dĂ©collage, mais sur l’ExtrĂȘme-Orient que se portaient les regards inquiets des experts internationaux. Surpopulation, famines, retard Ă©conomique : un rapport alarmĂ© de la Banque mondiale considĂ©rait Ă  la fin des annĂ©es 1960 l’Asie comme le continent de tous les dangers8, alors qu’un futur laurĂ©at du prix Nobel d’économie publiait un livre au titre rĂ©vĂ©lateur : Le Drame asiatique. EnquĂȘte sur la pauvretĂ© des nations9. Qui le croirait aujourd’hui ? Le produit intĂ©rieur brut africain dĂ©passait alors celui de l’Asie10.
PortĂ©e par le dividende dĂ©mographique, l’Asie de l’Est ne tarde pourtant pas Ă  dĂ©jouer ces sombres pronostics : sous les yeux Ă©bahis des Ă©conomistes du dĂ©veloppement, les « dragons » (Hong Kong, Singapour, CorĂ©e du Sud et TaĂŻwan), puis les « tigres » asiatiques (ThaĂŻlande, Malaisie, IndonĂ©sie, Philippines et Vietnam) se lancent Ă  leur tour Ă  l’assaut de la prospĂ©ritĂ©. Nous reviendrons sur les fondements du « miracle Ă©conomique » de l’Asie de l’Est11. Contentons-nous Ă  ce stade de mentionner ses effets : de 1965 Ă  1995, le taux de croissance annuel des quatre dragons asiatiques dĂ©passait les 6 % par an et par habitant12 – un rythme auquel l’économie du pays double en seulement douze ans. Quels en ont Ă©tĂ© les effets concrets ? Prenons un exemple : un Sud-CorĂ©en Ă©tait 638 fois plus riche en 1990 que ses parents seulement trente ans plus tĂŽt ! La Chine parvient quant Ă  elle Ă  multiplier le niveau de vie moyen de sa population par prĂšs de quatre entre 1990 et 2010 grĂące Ă  une croissance spectaculaire de 7 % par an.
Puis, alors que les experts se penchaient sur le chevet d’une Afrique subsaharienne malade, Ă  la recherche de la « tragĂ©die » qui l’accablait13, l’Afrique a elle-mĂȘme discrĂštement rejoint le monde de la croissance Ă  la fin des annĂ©es 1990, avec un rythme de plus de 5 % durant la derniĂšre dĂ©cennie – excĂ©dant largement celle des pays dĂ©veloppĂ©s. Pour la premiĂšre fois depuis les indĂ©pendances africaines, les grands indicateurs macroĂ©conomiques sont passĂ©s au vert dans la plupart des Ă©conomies subsahariennes ; alors que plus personne ne l’attendait, la croissance africaine est de retour14.
C’est donc Ă  la faveur de la grande roue – tournante – de la croissance Ă©conomique que, depuis 1820, le revenu par habitant a Ă©tĂ© multipliĂ© par 8,5 Ă  l’échelle de l’humanitĂ© – alors mĂȘme que la planĂšte voyait sa population multipliĂ©e par 7 ! Durant cette pĂ©riode, le taux de croissance annuel par habitant Ă©tait vingt-cinq fois celui que la planĂšte connaissait entre l’an 1000 et l’an 1820. La croissance des Sud a donc Ă©tĂ© spectaculaire dans les derniĂšres annĂ©es du XXe siĂšcle.
De nombreux pays demeurent Ă  l’écart de ce mouvement, du fait d’une marginalisation gĂ©ographique, d’épisodes de violence ou d’une faiblesse structurelle de l’État. Les pays les moins avancĂ©s (PMA), aujourd’hui au nombre de 49, concentrent ainsi toute l’attention des institutions de dĂ©veloppement15. Nombre d’entre eux se dĂ©battent encore dans des « piĂšges Ă  pauvretĂ©16 » qui les empĂȘchent de pĂ©nĂ©trer dans le cercle vertueux de l’investissement et des gains de productivitĂ©, au premier rang desquels une instabilitĂ© politique chronique. Par ailleurs, une part importante des citoyens des pays en croissance ne bĂ©nĂ©ficie pas de cette amĂ©lioration : c’est en Inde et en Chine, aux taux de croissance flatteurs, qu’habite la plus grande part des pauvres de la planĂšte. Nous reviendrons largement sur cette composante essentielle de la « question sociale globale ».
Pour autant, ce constat ne doit pas nous empĂȘcher de reconnaĂźtre – et d’admirer – l’impressionnante mise en marche depuis plus de cinquante ans de ce second moteur de la machine Ă©conomique planĂ©taire, plus vif encore que le premier.
Le fameux « tiers-monde », objet de nos sentiments compatissants, n’est plus. Ou du moins n’est-il plus le mĂȘme. Mais les « Sud17 », qui forment un ensemble d’une extrĂȘme hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, demeurent encore radicalement diffĂ©rents du « Nord », c’est-Ă -dire des pays de l’OCDE18.
Depuis le second choc pĂ©trolier, le moteur de la croissance mondiale se trouve au Sud. Dans un basculement dont l’histoire humaine a le secret, par la magie des poids relatifs et absolus, la croissance Ă©conomique rapide est devenue une caractĂ©ristique presque exclusive des pays qui s’en trouvaient hier privĂ©s. En 2011, pour la premiĂšre fois dans l’histoire, les Ă©conomies en dĂ©veloppement contribueront plus Ă  l’économie mondiale que les pays « dĂ©veloppĂ©s » de l’OCDE19.
Qui l’aurait cru il y a seulement dix ans ? Le grand basculement que traverse la planĂšte est pourtant le produit mathĂ©matique de la croissance Ă©conomique et de la croissance dĂ©mographique des Sud. Les deux termes de cette multiplication poursuivant leur lancĂ©e, nous savons que, sauf choc imprĂ©vu, il se prolongera ces prochaines dĂ©cennies, alors que nos sociĂ©tĂ©s occidentales s’enfonceront peu Ă  peu dans une croissance anĂ©mique – miroir de leurs dĂ©mographies flĂ©chissantes.
Le centre de gravitĂ© de l’économie mondiale migre donc rĂ©solument en direction du Sud-Est.
Une carte Ă©laborĂ©e par des chercheurs de la Brookings et du Centre for Global Development20 positionne ce barycentre en Espagne en 1965, les trois principales « masses » de l’économie mondiale Ă©tant l’Europe, les États-Unis et le Japon. TirĂ© vers l’hĂ©misphĂšre Sud par la croissance du BrĂ©sil, du Mexique et de l’Asie du Sud-Est, il se situe aujourd’hui au large de la Tunisie. Il est annoncĂ© Ă  l’extrĂȘme est de l’Iran au milieu du siĂšcle, aspirĂ© par la croissance de l’Inde, de la Chine, de l’IndonĂ©sie ou du Vietnam – et retenu de plus en plus mollement par l’Europe et l’AmĂ©rique du Nord.
Le fait que les Ă©conomies les plus dynamiques de la planĂšte reprĂ©sentent un poids Ă©conomique et dĂ©mographique chaque annĂ©e plus important dans l’économie mondiale laisse d’ailleurs penser que la croissance de l’économie mondiale pourrait mĂ©caniquement s’accĂ©lĂ©rer ces prochaines annĂ©es. La Chine reprĂ©sente Ă  elle seule 13 % du PIB mondial. Elle vient de dĂ©passer le Japon comme seconde Ă©conomie, aprĂšs les États-Unis, et pourrait les doubler d’ici une dizaine d’annĂ©es seulement. L’accĂ©lĂ©ration est telle que le PIB de la ThaĂŻlande ou de la Malaisie pourrait dĂ©passer d’ici vingt-cinq ans celui de la France, actuellement cinquiĂšme Ă©conomie mondiale. D’ici quarante ans, les Ă©conomies du Mexique et de l’IndonĂ©sie seront plus importantes que celles de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne21.
Ce basculement de la carte Ă©conomique mondiale en une cinquantaine d’annĂ©es seulement est renversant. Mais, Ă  Ă©loigner la loupe, on se rend compte qu’il reprĂ©sente en rĂ©alitĂ© un simple rattrapage : l’Asie, qui devrait passer de 35 % de l’activitĂ© Ă©conomique mondiale aujourd’hui Ă  prĂšs de 60 % d’ici vingt-cinq ans, retrouvera ainsi le poids qu’elle reprĂ©sentait dans l’économie mondiale au XVIIIe siĂšcle, avant que la rĂ©volution industrielle ne provoque une premiĂšre grande divergence des niveaux de vie.
Quel rĂ©cit feront les historiens, dans un siĂšcle, de notre Ă©poque ? Faisons le pari qu’ils dĂ©criront l’achĂšvement, au XXIe siĂšcle, du double mouvement de transition dĂ©mographique et de rĂ©volution industrielle, tous deux entamĂ©s dans l’Europe du XVIIIe siĂšcle. Le premier Ă©lĂ©ment a peuplĂ© la planĂšte. Le second, s’emparant tour Ă  tour de l’Europe, de l’AmĂ©rique, de l’Asie et de l’Afrique, a enrichi l’humanitĂ©.
Si la nature et l’ampleur de ses impacts sont loin d’ĂȘtre assimilĂ©es, ce double renversement commence Ă  interroger. Il suscite des rĂ©actions contrastĂ©es, et gĂ©nĂšre une abondante littĂ©rature : au sein de la communautĂ© transatlantique comme au Japon, se dĂ©veloppe un discours du deuil – celui d’une pĂ©riode rĂ©volue de pouvoir sans partage. La grande crise financiĂšre des annĂ©es 2000 a brusquement rĂ©vĂ©lĂ© la vulnĂ©rabilitĂ© du mode de croissance libĂ©ral issu du « consensus de Washington22 ». Les perspectives de croissance Ă©conomique future sont anĂ©miques pour le Nord, lestĂ© par une dĂ©pression dĂ©mographique, des hauts niveaux d’endettement, les dĂ©ficits structurels des comptes courants23 et de faibles gains de productivitĂ©. Une forme de dĂ©sespoir social s’installe, tout comme le chĂŽmage structurel de masse : mĂȘme s’il est Ă  l’évidence inĂ©galement rĂ©parti, le taux de chĂŽmage de l’Union europĂ©enne est en hausse depuis 200024. Il touchait, en 2008, un actif sur dix en Europe.
Mesure pour mesure25
Est-ce parce qu’elle flĂ©chit au Nord que la sacro-sainte croissance s’y voit subitement questionnĂ©e ? Son thermomĂštre remis en cause ? C’est en tout cas en pleine crise financiĂšre, alors que les prĂ©visions de croissance Ă©conomique divergeaient entre les instituts de statistique et le gouvernement, que le prĂ©sident français, Nicolas Sarkozy, confia Ă  un panel de grands Ă©conomistes le soin de rĂ©diger un rapport sur « la mesure des performances Ă©conomiques et du progrĂšs social26 ».
L’objectif premier d’un pays doit-il nĂ©cessairement ĂȘtre celui de croĂźtre – quitte Ă  mieux redistribuer les fruits de cette richesse ? S’agit-il au contraire de prendre le chemin de la « dĂ©croissance », comme certains l’affirment, avec une audience grandissante dans nos sociĂ©tĂ©s d’abondance ? Faut-il plutĂŽt changer de modĂšle de croissance, afin de dĂ©coupler autant que possible production de richesse et destruction de la nature ?
Voici trois questions Ă©minemment lĂ©gitimes. Elles interrogent non seulement la pensĂ©e politique telle qu’elle s’est construite dans nos sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es au cours du siĂšcle prĂ©cĂ©dent27, mais aussi les modĂšles Ă©conomiques et les compromis sociaux sur lesquels ces sociĂ©tĂ©s continuent Ă  reposer. Gageons que, l’humanitĂ© rencontrant la finitude de la nature avant la fin de la pauvretĂ©, ce dĂ©bat occupera longtemps encore les arĂšnes philosophique, politique et Ă©conomique de nos sociĂ©tĂ©s. Cet essai n’a certainement pas vocation Ă  le trancher. Tentons toutefois d’en clarifier les termes, et de rappeler quelques ordres de grandeur.
Les critiques de la « croissance » mĂȘlent souvent deux objections fort diffĂ©rentes : la premiĂšre interroge la pertinence de sa mesure, habituellement rĂ©duite Ă  la progression du produit intĂ©rieur brut (PIB)28. La seconde pose la question, bien plus complexe, de la finalitĂ© de la politique publique. Certes, ces deux sujets sont liĂ©s : en l’absence de mesures satisfaisantes du bien-ĂȘtre individuel ou collectif, le PIB a depuis longtemps servi d’app...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. PremiĂšre partie - Le grand basculement
  6. DeuxiĂšme partie - Quand la croissance perd le nord
  7. TroisiĂšme partie - Le premier homme
  8. QuatriÚme partie - Démondialisation, altermondialisation, remondialisation
  9. Notes
  10. Remerciements
  11. Index