
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Œuvre de « gourous » inspirés ou de « seigneurs » sachant jouer de leurs réseaux d'influence, la communication ? Rien de moins sûr. Et si, plus simplement, c'était un métier obéissant à des règles et à des méthodes précises ? C'est ce que montre ici Éric Giuily à travers de multiples exemples de situations qu'il a eu à connaître ou à traiter personnellement tout au long de sa carrière. Réforme des retraites, rachat de Pechiney par Alcan, affaire Woerth, scandale de la Société générale : à travers maintes crises qui ont défrayé la chronique au cours des trente dernières années, il livre les six clés indispensables à qui veut et doit communiquer. Il témoigne ainsi de ce que peut apporter le respect de ces principes fondamentaux et de ce qu'il en coûte de les négliger. éric Giuily, responsable de 1981 à 1986 de la conception et de la mise en œuvre des lois de décentralisation au ministère de l'Intérieur, a ensuite dirigé plusieurs grandes entreprises, dont Pathé, France 2, la CGM et la SNCM, puis l'AFP, avant d'être président pendant plus de huit ans de Publicis Consultants dont il a fait le premier réseau français de communication corporate entre 2001 et 2008. Il a lancé en 2009, avec des partenaires, son propre cabinet de conseil en stratégie de communication corporate et institutionnelle, CLAI.
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Informations
Chapitre 1
La com’ qui sauve
et la com’ qui tue
et la com’ qui tue
Deux situations qui ont largement fait la une des médias au cours des deux dernières années, et auxquelles je n’ai pas été mêlé personnellement, vont me permettre de montrer ce que la communication peut faire quand on applique les règles de l’art mais aussi les impasses ou désastres auxquels elle conduit quand on s’en éloigne.
Il s’agit, dans les deux cas, de crise car c’est dans de telles périodes que ces règles se révèlent le plus utiles et que les conséquences de leur non-respect sont les plus fortes. C’est aussi en situation sensible qu’il est le plus difficile de les mettre en œuvre tant les paramètres à prendre en compte sont à la fois nombreux et incertains, tant l’urgence prime trop souvent sur la réflexion et la maîtrise des process.
Avec la bataille entre Bernard Kouchner et Pierre Péan, nous verrons que l’habile application des règles de communication décrites dans la suite de cet ouvrage a permis à Bernard Kouchner de se défaire des accusations du journaliste et de gagner la bataille de la communication. À l’inverse, avec la crise de France Télécom, nous verrons que la réaction inappropriée à un mot malheureux peut faire autant si ce n’est plus de mal que la maladresse initiale.
Bernard Kouchner ou le spin qui sauve
Le spin, en langage sportif, c’est l’effet que l’on imprime à la balle pour qu’elle tourne comme une toupie et déstabilise son adversaire qui ne sait où se placer pour la recevoir. En communication, c’est devenu la stratégie qui permet, en détournant le sens ou l’objet du débat, de l’arrêter, voire de le retourner contre son initiateur. La manière dont Bernard Kouchner a utilisé la technique du spin dans son affrontement avec Pierre Péan en février 2009 restera à tout jamais un modèle du genre.
Avec ou sans sac de riz sur l’épaule, Bernard Kouchner est en effet un grand, un très grand communicant. Il en a fait une nouvelle fois la preuve éclatante en cette occasion. Faute d’en avoir tenu compte et de s’être préparé à une inévitable confrontation médiatique, le journaliste et auteur Pierre Péan a dû battre piteusement en retraite. Il a perdu par K.-O. compté au sol le match qui l’opposait au talentueux ministre des Affaires étrangères.
Début janvier 2009, le site Bakchich.info annonce la parution du prochain ouvrage de Pierre Péan. Le 12 janvier 2009, la version en ligne de Marianne informe de la publication chez Fayard de ce livre, Le Monde selon K. Avec, à l’appui, quelques premiers extraits. Sulfureux, forcément sulfureux. Conformément à la spécialité de l’auteur, habitué à mettre en lumière la traîne d’ombre qui accompagne les hommes de pouvoir, de premier plan ou des coulisses. Comme naguère le président Valéry Giscard d’Estaing, coupable d’avoir accepté les diamants de l’empereur Bokassa. Comme le président François Mitterrand, dont le passé vichyste n’était pourtant qu’un demi-secret. Ou, plus récemment, comme Jacques Foccard, l’artisan à l’Élysée des réseaux de la fameuse « Françafrique ».
Cette fois, s’il est toujours question du continent noir, Pierre Péan dénonce le comportement d’un autre de ceux qu’il tient pour des profiteurs occidentaux. Il soutient que Bernard Kouchner, hier champion des droits de l’homme et du droit d’ingérence auprès des dictateurs, devenu consultant après avoir quitté le gouvernement en 2002, aurait pactisé avec des autocrates africains à la faveur de certains contrats d’études. Le solde de la rémunération convenue avec les sociétés intermédiaires (plus de huit cent mille euros) aurait même été versé seulement début 2008 alors qu’il était ministre des Affaires étrangères depuis mai 2007. Pour Marianne, qui aura allumé la mèche à trois semaines de sa sortie en librairie, les révélations de ce brûlot risquent fort de ruiner la suite de sa brillante carrière.
Ce qui indigne Pierre Péan, c’est que Bernard Kouchner ait pu devenir le chef de la diplomatie française en dépit des liens contractés auparavant auprès des chefs d’État du Gabon, du Congo-Brazzaville, du Bénin, du Nigeria, du Burkina-Faso ou du Niger. À partir de là, l’auteur du Monde selon K instruit à charge. Sans nuance. Outre que le « droit-de-l’hommisme », ressort de sa popularité, aurait permis à Bernard Kouchner d’être au-dessus de tout soupçon tout en masquant un certain affairisme, il estime que, insensible selon lui à l’intérêt national, notamment à propos des responsabilités du génocide au Rwanda, le ministre n’aurait songé par-dessus tout qu’à faire les yeux doux à l’empire américain.
Le livre de Péan ne doit paraître que le 4 février, mais sa charge explosive est déjà largement connue. Et immédiatement objet de controverse. Hasard ou coïncidence calculée, Bernard Kouchner est justement l’invité de Jean-Pierre Elkabbach sur les ondes d’Europe 1 le 12 janvier. Interrogé sur la nature de ses relations avec « certains États, dont le Gabon », que le site de Marianne vient de mettre en cause, le ministre récuse les accusations, non sans manifester son vif agacement. Dans la foulée, le Quai d’Orsay transmet à l’Agence France-Presse un communiqué. Déplorant « certaines accusations inexactes », Bernard Kouchner déclare se « réserver le droit d’engager des poursuites judiciaires », tout en se félicitant « d’avoir toujours mené […] un combat permanent en faveur de la santé publique en Afrique ».
Les jours suivants, et malgré ce démenti, les sites de Bakchich et de Marianne continuent à publier régulièrement des articles ayant Kouchner pour cible. Il faut cependant attendre le 30 janvier, le jour où Marianne, dans son édition papier, publie les bonnes feuilles du livre de Péan, pour que la crise éclate au grand jour. L’hebdomadaire titre « L’AFFAIRE KOUCHNER » avec, en surtitre : « Révélations. Un livre choc fait tomber l’icône ».
Qu’a fait l’intéressé pour déminer ladite affaire au cours des quinze jours écoulés ? Rien. En apparence du moins. Absolument rien depuis l’interview radiophonique du 12 janvier et le communiqué du Quai. Or c’est désormais l’ensemble des médias qui rapportent l’accusation de Péan, tandis que la classe politique, à gauche et à droite, hésite et se divise, les uns et les autres tombant au moins d’accord sur un point : il est temps que Bernard Kouchner accepte enfin de s’expliquer.
Mais l’« icône » médiatique qu’a débauchée le président Sarkozy est dans une position très délicate. Transfuge du PS sans avoir adhéré depuis à l’UMP, il risque l’opprobre de l’ensemble de la classe politique. Ce qui causerait purement et simplement la fin de sa carrière.
Par le parti socialiste, dont il porta les couleurs et qu’il représenta au sein de divers gouvernements, à défaut, en raison de revers électoraux répétés, de le représenter à l’Assemblée nationale, il est regardé tantôt comme un ambitieux sacrifiant tout au culte de sa personne, renégat et diviseur, tantôt comme une figure historique, passée de l’action et du lyrisme révolutionnaire des années 1960 à l’action et au lyrisme humanitaire des années 1970. C’est dire si, pour ceux-là, le cofondateur de Médecins sans frontières, l’ONG qu’a distinguée l’académie Nobel en 1999, inspire le respect et l’indulgence.
À droite, où les concessions faites au nom de l’ouverture avaient douché bien des ambitions, la majorité témoigne d’un certain embarras. Interrogé dans les couloirs de l’Assemblée, le député parisien UMP Claude Goasguen assure, sourire à l’appui, avoir été « très surpris » par les allégations de Péan.
Quatre jours passeront cependant avant que le ministre livre l’explication tant attendue. Absent de l’hémicycle le mardi 3 février, il échappe au rituel des questions au gouvernement. Mais déjà, le 1er février, Le Journal du Dimanche a recueilli le plaidoyer de son entourage. Et c’est seulement le mercredi 4 février en début d’après-midi qu’il paraît enfin à l’Assemblée, et que, contre toute attente, il réussit à renverser la situation à son avantage. En déplaçant l’objet du débat, grâce à un spin efficace.
À la question solennelle posée par le député socialiste des Hautes-Pyrénées Jean Glavany, Bernard Kouchner se donne la peine de répondre en deux temps. Au total, il parlera pendant six minutes, au lieu des deux traditionnellement allouées. Primo, il récuse les accusations de Péan ; il affirme avoir agi « en toute transparence et en toute légalité ». Secundo, et c’est là qu’intervient le basculement qui sera fatal à Péan, il bifurque brutalement. « Tout au long de ce livre, fait d’amalgames et d’insinuations, d’allusions insidieuses, si je peux me permettre, il y a des mots : il y a un certain nombre de passages et d’expressions très précises qui ne sont pas là par hasard et qui m’accusent de personnifier la contre-idée de la France, c’est-à-dire l’Anti-France, le “cosmopolitisme”. L’accusation de cosmopolitisme en des temps difficiles, Mesdames et Messieurs les Députés, cela ne vous rappelle rien ? Moi si, et je vais vous le dire : cela dépasse très largement ma personne. »
Le soir même au 20 heures de France 2, le ministre renforcera l’effet en répétant : « Cosmopolitisme, je n’en dis pas plus. » Le lendemain, il reprend le même thème dans un entretien à la une du Figaro et dans une interview pour Le Nouvel Observateur (preuve que la réaction a été préparée depuis quelques jours déjà) pour reprendre le même thème.
Se plaint-il des « insinuations » de Péan ? À son tour, Kouchner lui retourne le procédé. Il contre-insinue. En ayant déroulé la mèche, il a fait la moitié du travail. Il n’y a plus qu’à l’allumer. D’autres que lui s’en chargeront. Et le pétard soufflera la polémique qui promettait de le faire chuter. Fait rarissime, à la fin d’une dépêche rapportant les paroles du ministre, le journaliste de l’AFP donne en post-scriptum des précisions, prenant sur lui, instruit ou pas par la garde rapprochée du ministre, de traduire en clair ce que, habilement, Kouchner n’a fait que suggérer. Pour le cas où le lecteur n’aurait pas compris.
Que signifie en effet « cosmopolitisme » ? Pour le journaliste, le ministre fait « allusion au répertoire de l’antisémitisme ». Cette accusation renvoie aux « temps difficiles », a dit Kouchner, lequel, précise aussitôt la dépêche, est « fils d’un père juif et d’une mère protestante ». Dans les heures qui suivent, la Licra publie un communiqué dénonçant « l’utilisation d’un vocabulaire plus que connoté ».
Kouchner n’a pas eu à démontrer que Péan était antisémite. Il n’a pas, surtout pas, cherché à le faire. Il ne l’a même pas déclaré. Il l’a laissé entendre. C’était bien assez. Car cette frontière qu’il s’était gardé de franchir, le ministre se doutait que les médias n’hésiteraient pas à la pulvériser. Du coup, pour l’opinion publique, il ne s’agit plus de savoir si Péan dit vrai sur le conflit d’intérêts. La question prioritaire est devenue : Péan est-il antisémite ? Dès lors, le débat sur l’éventuel conflit d’intérêts reproché à Kouchner est escamoté.
En attirant l’attention sur un tout autre terrain, effectivement semé d’insinuations, Kouchner a fait d’une pierre deux coups. Sitôt soupçonné d’antisémitisme, Péan est décrédibilisé : il n’est plus considéré comme un journaliste objectif et impartial. De plus, alors qu’il avait engagé le fer en position de force, l’enquêteur se découvre du jour au lendemain dans une situation de faiblesse insolite : celui qui est sommé de s’expliquer, ce n’est plus Kouchner, mais Péan.
Le spin produit son effet. Il est spectaculaire ! Ce sera l’hallali pour Péan.
Après les médias qui focalisent sur le soupçon d’antisémitisme qu’encourt désormais ce dernier, comme en témoigne, le 6 février, l’article du Nouvel Observateur, Kouchner recueille l’appui des politiques. À commencer par celui du Premier ministre François Fillon. Interrogé par Europe 1, Éric Besson dément que le ministre puisse être un « homme d’argent » et, ainsi que Martine Aubry l’avait déclaré avant lui, assure le tenir pour un « honnête homme ». Sur I-Télé, Valérie Pécresse se dit encline à le croire quand il garantit que « toutes ses activités sont totalement transparentes et connues ».
Le lendemain de son intervention à l’Assemblée et sur TF1, le ministre des Affaires étrangères est à Washington. Interrogé sur l’« affaire », il s’abstient de répondre à la presse au motif qu’il l’a déjà fait, observant ainsi une des règles de base de la communication de crise : ne parler qu’une fois et ne pas entretenir l’intérêt des médias et la polémique par ses propres déclarations successives. Toutefois, il ajoute que la nouvelle chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, vient de lui apporter son soutien. En privé… sans doute. Parmi les personnalités internationales, l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan aurait également téléphoné à Bernard Kouchner pour l’« assurer de son appui », comme le révèle Le Figaro du 9 février 2009.
Ami fidèle de Kouchner, Bernard-Henri Lévy est tombé à bras raccourcis sur Pierre Péan, lequel, il est vrai, ne le ménage pas dans son livre en l’associant totalement à la vision politique et philosophique du ministre, en en faisant même l’inspirateur de son idéologie proaméricaine. « C’est pathétique, a dit en effet BHL la veille sur France Inter, c’est nauséabond. […] Y en a marre de ces petits procès, de ces petites saloperies, de ces nains, comme Pierre Péan, qui se juchent sur les épaules de quelqu’un qui a fait quelque chose de sa vie et qui essayent d’en tirer avantage. » Chroniqueurs et journalistes prennent part à la curée. Kouchner est salué, Péan est étrillé par Philippe Val (France Inter) aussi vivement que par Jean-Michel Apathie (Canal+).
Pierre Péan avait pris le silence et l’éclipse de Kouchner pendant la seconde quinzaine de janvier pour un aveu de faiblesse. Il a sous-estimé les ressources de sa cible. Il a eu le tort de n’avoir compté que sur lui-même. Pris à revers, bientôt submergé par la contre-rumeur (le soupçon d’antisémitisme) relayée de tous côtés et qui va l’obliger à se défendre pied à pied, il réagit maladroitement. Il improvise ses réponses. Au risque de paraître de mauvaise foi. Ainsi, sur le site en ligne de Marianne, il objecte d’abord qu’il n’a « jamais » employé le terme de « cosmopolitisme ». Pour, à peine quelques heures plus tard, modifier sa réponse. À croire qu’il ne s’est rendu compte qu’après coup que son livre contenait bien ce terme. Une gaffe qui va saper sa mise en cause du professionnalisme des journalistes, ses confrères, qu’il accusait d’avoir entamé l’interview du ministre « par des citations fausses ». À la première affirmation (« Je n’ai jamais écrit le mot de “cosmopolitisme” »), Péan préfère ensuite substituer la formule : « Je n’ai jamais dénoncé le “cosmopolitisme anglo-saxon” de Bernard Kouchner. J’ai utilisé cette expression à propos de l’idéologie de Bernard-Henri Lévy dont a pu être proche Bernard Kouchner. »
L’impréparation de sa riposte lui coûte cher. Péan a beau faire la tournée des studios (France Info) et des plateaux (France 3) pour s’efforcer de ramener le débat à son premier objet, soit la position ambiguë de Kouchner devenu ministre des Affaires étrangères après avoir perçu des honoraires au titre de ses conseils auprès de chefs d’État africains, rien n’y fait. « C’est scandaleux de comparer mon enquête avec des relents des années 1930 […]. C’est un coup bas, ça n’a rien à voir avec l’antisémitisme […]. J’attends qu’on me dise que ce que je dis est faux. »
Or personne ne se préoccupe plus de savoir si c’est faux ou si c’est vrai ! Surtout pas Bernard Kouchner. Ce dernier a seulement souligné qu’il avait agi en toute transparence et qu’il ne pouvait être soupçonné de conflit d’intérêts, ayant cessé son activité de conseil depuis sa nomination à la tête du Quai d’Orsay. Et c’est la tête basse que Pierre Péan va raccrocher les gants. Le 7 février, tout est consommé. Ce jour-là, sur France 5, il quitte le plateau d’Arrêt sur images. Après, hésitant, parfois bégayant, avoir perdu pied. Las et sans hâte, sous le regard du journaliste qui vient de lui parler sur le ton du confesseur, à peine jésuitique, le doigt posé sur les lèvres, et qui, après l’avoir aimablement rappelé à sa responsabilité d’écrivain, l’aura renvoyé, non plus du tout à sa maladresse « de plume », mais à un odieux soupçon qui l’humilie, Pierre Péan se lève de table. Un peu gauchement, il se débarrasse du micro-cravate et quitte le plateau. Piteux dénouement. Il ne le sait que trop. Ce que le ministre des Affaires étrangères a laissé entendre des arrière-pensées de son entreprise a compromis le message qu’il aurait voulu faire passer.
À la différence de Kouchner qui, de sang-froid, avait calculé son silence et mûrement médité l’angle et le moment de sa riposte, étroitement entouré de ses conseillers et appuyé par ses amis aussi divers qu’influents dans les médias, Péan est demeuré seul. Sans scénario de rechange. Il n’était pas préparé à rechercher des lumières et des renforts. Pas plus qu’à faire appel, lui le journaliste de la vieille garde qui se méfie de cet autre métier, parfois si dangereusement mitoyen du sien, à un professionnel de la communication.
Il suffit, pour mesurer l’habileté du spin opéré par Bernard Kouchner, de se reporter au livre de Pierre Péan et de constater que le terme « cosmopolitisme » n’apparaît qu’une fois, en tout et pour tout, p. 276. Encore est-il associé à l’adjectif « anglo-saxon », ce qui nous rapproche plus du combat contre la globalisation et l’hégémonie américaine que de l’antisémitisme des années 1930. Enfin et surtout, comme Pierre Péan a vainement – car trop tardivement – essayé de le faire valoir, c’est à Bernard-Henri Lévy qu’est adressé ce qualificatif et non à Bernard Kouchner ! Mais parmi tous ceux qui se sont exprimés, qui avait lu Le Monde selon K ?
La lecture d’une libre opinion publiée récemment dans le journal Le Monde par le vice-président du conseil régional d’Aquitaine, Matthias Fekl, permet également de se convaincre de l’efficacité et de la force de la stratégie de communication de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Voulant défendre Dominique Strauss-Kahn accusé par certains membres de la majorité présidentielle d’avoir perdu le contact avec la société française et de ne plus être « à l’image de la France », Matthias Felk fait un parallèle avec les accusations portées par l’extrême droite dans les années 1930 contre Léon Blum. Après les avoir longuement rappelées, il entreprend de les combattre et trace ce qui se veut un portrait flatteur de l’ancien président du conseil en ces termes : « L’histoire retient de Léon Blum une personnalité cosmopolite, ouverte sur le monde. » Une nouvelle illustration qu’en matière de communication, tout est relatif et affaire de circonstances ou de contexte. La compréhe...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Introduction
- Chapitre 1 - La com’ qui sauve et la com’ qui tue
- Chapitre 2 - Savoir choisir son terrain
- Chapitre 3 - Savoir préparer le terrain
- Chapitre 4 - Savoir occuper le terrain
- Chapitre 5 - Savoir se mouvoir sur de nouveaux terrains
- Chapitre 6 - Savoir changer de terrain
- Chapitre 7 - Savoir traverser un terrain miné
- Conclusion
- Annexes
- Remerciements
- Du même auteur