
- 224 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ce que j'espère
À propos de ce livre
Comment un catholique d'éducation traditionnelle devient-il un médecin engagé ? Comment la résistance, le combat pour l'avortement et contre toutes les intolérances, l'intimité avec les grands de ce monde, du général de Gaulle au shah d'Iran, les voyages, du Liban à l'Arabie Saoudite, façonnent-ils une personnalité hors du commun ?Paul Milliez (1912-1994), spécialiste mondialement connu de l'hypertension artérielle, fut doyen honoraire de la faculté Broussais-Hôtel-Dieu.
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Informations
Éditeur
Odile JacobAnnée
1989Imprimer l'ISBN
9782738100764ISBN de l'eBook
9782738158369JOURNAL D’UNE DRÔLE DE GUERRE
(1939-1940)
26 août 1939. J’apprends dans l’autobus que mon fascicule de mobilisation est appelé. Les gens pensent que c’est la guerre, mais ils sont calmes. Je cours avenue des Gobelins chez mes parents, je mets mon uniforme et me rends à la caserne Mortier. Au milieu d’une foule innombrable, je suis finalement dirigé vers un bureau où une trentaine d’officiers écoutent un lieutenant d’intendance qui parle avec volubilité de prendre la Bidassoa. Renseignement pris, il s’agissait simplement d’une école à réquisitionner. Au centre d’inscription, des sous-officiers flegmatiques m’apprennent que je suis le premier arrivé de mon groupement. Je décide de revenir le lendemain.
27 août. Je reviens au petit matin, à la caserne Mortier et je trouve quelques hommes (Goyet, Camille, Martial). Pagaille complète. Les gens ne savent pas où est leur unité. Les officiers d’active semblent débordés et injurient leurs pairs devant les hommes. Les officiers de réserve commencent à affluer. Beaucoup sont fringants, dans des uniformes superbes, dont ils sont très fiers. Beaucoup ont accroché sur leur tunique de ridicules décorations : médaille des épidémies, mérite civique. Les hommes semblent mornes, ils espèrent tous qu’il n’y aura pas la guerre. Ils sont persuadés que les événements tourneront court, comme en septembre 1938. Je vois venir vers moi, et se présenter, un dentiste-lieutenant voûté, noir, le visage sillonné de tics : c’est Grossmann. Il ne s’inquiète que d’une chose, savoir si je connais le médecin-chef. Pas un mot pour les hommes. Il m’annonce qu’il est colitique. Quelques minutes après, vient vers moi un petit homme cambré, rouge de peau, pétillant, qui se présente en claquant les talons et en disant ses respects : « None ». Il cherche partout le capitaine Harter. Il ignorait complètement, bien qu’il fût d’active, que le médecin chef était parti depuis deux jours pour Sainte-Menehould avec l’échelon d’active. La journée se passe, morne. Je vois arriver Guillaumat. Correction parfaite, l’air triste. Il lit Le Monde médical, le Concours médical avec l’attention la plus soutenue, puis jette délibérément les journaux dans le caniveau, avec un air de devoir accompli. Nous aidons None à faire le cantonnement des hommes. Nous vîmes arriver successivement dans les jours suivants, Desbordes en gendarme, très important, les mains dans le ceinturon réclamant : « Dix hommes avec moi pour porter ma cantine. » Puis Bourgoin en dandy, Avenier très sûr de lui, Gaston, oto-rhino particulièrement éteint et ennuyé. Puis apparut bientôt Van Den, brillants aux doigts, très compassé, très maître de cérémonie. Présentation impeccable, mais grande condescendance. Guillaumat le jugea immédiatement. Nous dûmes d’ailleurs, Guillaumat et moi, nous occuper entièrement de l’inventaire et du chargement du matériel sanitaire sur des camions. On nous adjoignit bientôt des auxiliaires, Agier, l’air léger, Durnerin, l’air d’un tout-fou, tous deux médecins auxiliaires, Blonde, très gentil, un peu commercial, l’énorme Sudre, au visage raviné, noyé dans la graisse, suant la peur par tous ses pores. « Croyez-vous, Monsieur, que nous allons avoir la guerre ? », me demande-t-il avant d’aller s’asseoir sur un banc pour pleurer en public avec un simple soldat de ses amis.
Ces journées d’attente furent odieuses. Deux fois par jour, on nous annonçait le départ, le matin à cinq heures, puis le soir à minuit. Je me donnais l’impression d’un Tartarin, faisant chaque fois des adieux émouvants de grand guerrier.
Nous prîmes le départ le vendredi soir 1er septembre avec notre effectif complet. Les hommes, tous sympathiques, facilement disciplinables. Nous partîmes à minuit, après force coups de sifflet, et une collision entre une voiture oubliée par la 149e compagnie auto, qui contenait toutes ses munitions, et un bec de gaz signalant un refuge. La voiture était pilotée par un garçon qui n’avait pas son permis de conduire. La plupart des conducteurs, d’ailleurs, étaient loin d’avoir la maîtrise de leur voiture. Presque toutes les voitures sanitaires firent des centaines de kilomètres sans que les chauffeurs ni leurs chefs ne s’aperçoivent qu’elles avaient quatre vitesses.
Après une nuit morne, tous feux éteints, croisant d’autres convois, nous arrivons à Meaux. Il fait froid. Desbordes réveille tout le monde pour demander conseil. Il voudrait aller coucher au séminaire et surtout désirerait qu’on l’aidât à retrouver sa cravate perdue dans le car. Robert, sous-lieutenant d’intendance, commence à se révéler. Il était passé bien inaperçu à Paris, malgré une autoprésentation : « Jacques Robert Roger, journaliste fonctionnaire aux Finances. » A six heures, je descends vers la cathédrale après m’être rasé. Je communie, puis je déjeune dans un café. Je commence à m’apercevoir que les hommes sont prêts à aimer leurs supérieurs.
Départ-déjeuner à Dormans. Durnerin est nommé popotier. Il refuse et remet tout l’argent à Sudre, d’office. Guillaumat et moi prenons la marche du convoi.
Van Den : « Un c... à baldaquin ». Grossmann ne dit rien ; Durnerin, ravi, boit tout le temps de l’eau pure qu’il tire d’une gourde et dont il m’envoie depuis le départ, très consciencieusement, la première giclée au visage lorsqu’il veut porter l’orifice à sa bouche, avec ses gestes saccadés.
A dix-sept heures, nous arrivons à l’entrée de Reims. Nous voyons passer une escadrille anglaise. Nous entendons un discours de Daladier qui ne laisse guère d’espoir. Nous avons terriblement soif. Van Den, officier du train, s’aperçoit qu’il n’a plus ni huile ni essence : nous perdons quatre heures. Nous arrivons à Betthinville pour la nuit. Nous avons beaucoup de mal à faire cantonner les hommes. Nous prenons un frugal repas dans une auberge. Gaston, fils d’artilleur, croit entendre le canon : c’était l’aubergiste qui faisait les lits. Nous couchons à trois par chambre : Guillaumat, Bourgoin et moi. Il fait une chaleur étouffante.
Nous repartons dès le lendemain matin. Nous arrivons à une intersection de routes, où nous sommes arrêtés par une régulatrice du train qui nous attendait depuis quarante-huit heures. Van Den s’explique comme il peut, mais mal, comme d’habitude. Il veut reprendre la tête du convoi. On nous dirige en effet sur l’échelon 1, cantonné aux Grandes Armoises. Van Den se trompe et nous embourbe dans un chemin creux. J’arrive à rejoindre le capitaine Harter, médecin-chef de notre GSD. Il est à table avec Frajman. J’explique au capitaine, d’emblée, ce que valent les différents membres du GSD. Guillaumat ne tarde pas à nous rejoindre. Nous déjeunons tous ensemble dans une maison face à la petite chapelle du village que le gros Sudre rêve de peindre. Il nous fait des déclarations sur sa mélomanie et sur sa religion : il est bouddhiste. Sans doute fut-il attiré par la mystique statique. Je suis logé chez M. Emile Moineau au bout du village. Je fais la connaissance du maire, boulanger. Je suis appelé en consultation, dès le surlendemain, par une femme qui aurait un « cancer des os », et qui a été traitée par la radiothérapie à Charleville. Il s’agit tout simplement d’une syphilis ostéo-gommeuse.
Nous passons nos journées, Guillaumat et moi, à apprendre le maniement du matériel dont nous pouvons avoir à nous servir : en particulier des appareils de douches. Nous faisons l’inventaire de tout ce que nous avons et nous essayons de le placer sur les différents camions que nous numérotons. Pendant ce temps, Van Den ne fait rien. Le capitaine paraît très occupé, en ces heures mystérieuses de préguerre. Nous le croyons en rapport avec le QG, en train de dresser des plans pour l’évacuation des blessés éventuels. Nous devions apprendre, ultérieurement, qu’il n’en était rien. Il devait recommencer les lettres qu’il écrivait à sa femme et les rapports qu’il devait destiner aux hommes, dont ils n’eurent jamais connaissance. Nous eûmes la visite du colonel Arlabosse qui rassembla les hommes et leur parla de façon parfaite. Il plut, malgré son aspect sénile. Nous vîmes également Mgr Audrain, très onctueux, et l’abbé Dubois, très épiscopal ; ils furent mal reçus par le capitaine qui ne nous avait d’ailleurs pas caché ses sentiments anticléricaux.
Visite de Laurence, sous-lieutenant du train, très bluffeur, très élégant, éperons aux bottes de cuir de Russie, et à moto. Je vois Richard, ancien scout de France, sous-officier du train, qui me paraît toujours aussi brillant.
Nous traînons, sachant que la guerre est déclarée, sans savoir ce que l’on va faire de nous. Avenier nous a quittés, depuis le 3 septembre, pour aller au QG. Le 7 septembre 1940, nous recevons enfin un ordre de mouvement. Nous espérons monter au front. Nous arrivons le lendemain matin à six heures dix à Affleville. Je suis logé, avec Gaston, chez M. Amus, qui est absent. Nous passons la matinée à revoir notre matériel, et nous apprenons, Guillaumat et moi, à monter les tentes dans un pré. Le soir, au moment de nous coucher, nous recevons un ordre de départ. M. Amus nous demande nos adresses pour pouvoir nous écrire après la guerre et savoir ainsi ce que nous sommes devenus. L’ordre est arrivé à vingt et une heures trente. Le capitaine et Van Den ne sont prêts qu’à deux heures du matin.
Nous arrivons à Failly à six heures quinze, après avoir perdu deux de nos hommes, dont Omnès, mon ordonnance, que nous retrouvons à midi. Ils ont fait une dizaine de kilomètres à pied pour nous rejoindre. Je communie. Curé sale et barbu, dont la gouvernante a la croix de guerre de 14-18 ; il a transformé la salle paroissiale en poulailler. La messe a lieu à onze heures.
Tous les hommes y assistent, à quelques exceptions près... Tous les officiers s’y trouvent, sauf le capitaine, deux israélites et Sudre, partis faire des courses à Metz. Dans l’après-midi, je vais me promener avec Guillaumat et nous nous asseyons près du pont du chemin de fer. Le lendemain matin, je vais à Metz, je visite la cathédrale, je vais à la gare, je me commande une culotte de cheval. Nous revenons à une heure. Il y a eu un ordre de départ pour Monneren. La division monte en ligne ! Nous arrivons à dix-sept heures. La première impression est épouvantable : le 12 septembre, je vois pour la première fois des maisons abandonnées et déjà pillées. Sensation pénible, de ces vêtements d’enfants qui traînent à terre. Impression bouffonne des porcs qui errent dans les maisons et passent le nez aux fenêtres. Nous essayons de les réunir avec l’intention de les donner, ainsi que les vaches, les poules, les lapins, à l’intendance. Celle-ci devait tout nous refuser ! Ce n’est pas réglementaire ! Robert devait avoir ultérieurement les pires ennuis, car, pour que ces bêtes ne soient pas perdues, il a nourri nos hommes de ces porcs et vaches pendant deux mois, sans prendre de viande à l’intendance... L’impression générale est triste. Le pillage a sévi partout. Les régiments régionaux passent la tête basse. Tout est abîmé. Sans un obus ? Par des Français ? Nous pensons passer enfin à l’action. Guillaumat et moi installons un magnifique PS dans un café. Le capitaine est invisible. Il ne reparaît que pour demander l’arrestation de ses hommes qu’il n’a pas reconnus, car certains se sont mis en civil pour effectuer les besognes les plus variées, sans avoir à abîmer leur seule tenue militaire. Tout s’arrange vite et bien. Le capitaine devait par la suite rabrouer Plougouln pour une affaire de régionalisme « alcoolique et breton ». Blonde devait se révéler terriblement égoïste : « Pas de vin aux hommes, mais du vin pour nous ! » Nous voyons quelques blessés de la route... mais pas un seul vrai blessé au combat.
Le 14 septembre, j’entends pour la première fois le bruit des départs d’obus et leur souffle dans l’air. Nous voyons s’élever des nuages de fumée, et brûler au loin des fermes. La guerre ne semble pas très engagée. Un aspirant français et un officier allemand se sont rencontrés sur la frontière : ils se sont salués, puis ont continué leur promenade, à cheval.
Le 15 septembre, le canon tonne de plus en plus. Nous voyons monter en ligne le 15e Régiment de tirailleurs nord-africains.
L’impression est pénible. Ils ne sont pas très disciplinés. Les officiers semblent les laisser faire. Ils pillent beaucoup, malgré le service d’ordre que nous avons organisé avec les infirmiers. J’entends pour la première fois la mitrailleuse tirer à balles.
Le 16 septembre 1939, Harter et Gaston vont au PSR. Il n’y a absolument aucun baroud. Les hommes sont calmes. Le seul tué de cette première partie de guerre sera un homme de l’escadron Weygand, qui ne s’est pas baissé à temps, au cours d’une reconnaissance.
Les gens commencent à s’étonner et à s’impatienter. « C’est comme ça que nous faisons la guerre ? » Nous tentons d’expliquer que les effectifs ne sont pas au complet. Les munitions ne sont pas arrivées...
17 septembre. Nous apprenons l’invasion russe en Pologne. Elle ne nous étonne pas, mais stupéfie les hommes, qui sont furieux. Je lis avec joie du Pascal, mais je ne peux trouver de plaisir à la lecture de Baudelaire. Les chars montent !
18 septembre. Je reçois l’ordre de conduire à Ébange, près de Thionville, un convoi de neuf voitures, des ambulances, avec cinquante hommes. Voyage de nuit : un camion en panne, une Delahaye dans le fossé ! Nous nous arrêtons à trois heures moins le quart. Réveil à sept heures moins le quart. J’installe le cantonnement. Je reçois l’ordre de rejoindre Terville. Le 19 septembre, nous arrivons. On parle d’une alliance russo-japonaise. J’ai peur que la guerre ne soit perdue. Déjà ! Je devais être fatigué, car un peu plus tôt j’écrivais : « Nous renouvellerons le fameux “no pasaran” des républicains espagnols. » Je relis du Pascal.
A Terville. Visite du général Petiet commandant notre division. Excellente impression. Visite des ouvrières de Longwy : impression très pénible d’une servitude de l’homme à la machine. Discours démoralisant de Daladier. A l’encontre de mes camarades, de mes conférenciers, de mes collègues juifs.
21 septembre. Nous ne faisons rien. J’ai évacué Rouet pour bronchite et Moré pour RAA. Je suis logé, à Terville, chez M. et Mme Harter, au 45 rue Haute. Ce sont des gens charmants. Chambre moderne. Enfin un lit convenable à ma taille ! Nous repartons, sans avoir rien fait, le 26 septembre 1939. J’en ai profité pour visiter Thionville. Rien de bien, mais une ville sympathique.
Nous arrivons à Trieux, le 27, à deux heures du matin. Je suis logé chez le curé. J’ai la chambre de l’évêque. Nous ne faisons rien. Je me promène longuement avec Guillaumat. Nous allons aux sources ferrugineuses en passant par une forêt magnifique. Le 27, nous nous disputons avec le curé qui ne peut pas mettre Dieu partout. J’avais auparavant fait un collutoire à la gouvernante. Au cours d’un repas, Desbordes prend délibérément trois tranches de viande quand il n’y a que juste le compte. Une remarque entraîne de sa part une réaction brutale qui m’est destinée. Le capitaine est de plus en plus faible, atone. Il n’hésite pas à dire du mal de certains lieutenants aux auxiliaires, il ment au colonel et au curé. La nuit d’arrivée à Trieux, Sudre s’était révélé. Il avait dormi avec son petit sac rond sur les genoux et son casque sur la tête dès le départ du car. Nous sommes ici pour la première fois avec le train et la justice militaire. Le 28, nous prenons nos repas dans un restaurant en planches tenu par des Polonais. Nous fêtons mes trois mois de mariage.
30 septembre. Je vois Pierre Bragadir, mon cousin, officier aviateur à la division, qui me rend visite plutôt que d’assister à une conférence Z au QG. On commence à gaspiller l’essence.
9 octobre. Nous avons quitté Trieux le 8, à six heures trente. Je suis installé à Baslieux, chez M. Lallemand, adjoint au maire. Nous passons des jours calmes. Je reçois enfin des livres. Je vais pouvoir travailler et me distraire... Nous visitons un fortin de la ligne Maginot à Fermont. L’impression est excellente. Tout semble prévu !... Mais les officiers du GSD ne sont pas en progrès. Le capitaine, qui avait exigé le départ de la femme de Thurninger, simple soldat, autorise Grossmann à faire venir son épouse, qui vient le chercher au château de Trieux dans une superbe voiture américaine. Scandale. Bourgoin se fait servir le petit déjeuner au lit. Agier odieux. Desbordes de plus en plus égoïste. Frajman commence à s’arracher les croûtes de son sycosis. Il est infect. Le capitaine accepte une invitation de Grossmann à Verdun ! Il le fait conduire en consultation à Metz ! Bourgoin et Grossmann réclament un maître d’hôtel !
16 octobre. Alerte sur le Luxembourg. On oublie simplement de nous réveiller, Guillaumat et moi. Les autres sont sur le « pied de guerre » depuis cinq heures. Je me réveille à huit heures, ainsi qu’Omnès que j’avais fait loger dans une chambre voisine de la mienne. Nous nous levons en vitesse et nous nous retrouvons devant le café de la place de l’Eglise. Desbordes et Sudre sont affalés sur des chaises. Frajman se sent très mal. Il demande à être évacué pour son sycosis qui l’empêche de porter le masque à gaz. Le capitaine et le colonel acceptent. Le capitaine parlera longtemps de ce « brave Frajman », auquel il fera suivre son courrier.
Durnerin, Agier et moi sommes convoqués chez le capitaine par le colonel. Il nous faut créer des PS avancés. Je suis chargé de celui de Villerupt. Nous croyons tous le Luxembourg envahi. Un motocycliste arrive très vite du QG. Il apporte simplement – alors que tout le monde pense à un ordre de marche – une autorisation de régularisation de vie maritale pour un de nos hommes. Incohérence militaire !
L’après-midi, je vais reconnaître mes points de PS. A Tiercelet, je vois le capitaine Nicole, qui flirte avec une femme, et me fait attendre au moins un quart d’heure, alors qu’il sait que je remplis une mission urgente. A Thil, je vois des médecins, commandants d’active, tout à fait ridicules (24e RI et GSD de la 10e DI). Par contre, dans les postes avancés, j’ai une excellente impression : Audun-le-Tiche, Villerupt, Redange. Le capitaine Bonnet, le commandant La Bouchère, qui devait être tué par un éclat d’obus.
A Baslieux, je soigne quelques beaux malades (entéro-colite hémorragique, tuberculose cavitaire). Je m’occupe comme je peux. Le capitaine arrive en retard à chaque repas, car il apprend à taper à la machine. Pendant ce temps, les artilleurs font les marches et contremarches, ou convoient vers Sierck des chars 1915 ! L’un d’eux tombe dans un fossé devant nous et est relevé avec peine. On gaspille de plus en plus l’essence. Van Den est de plus en plus incapable. Je passe mes journées en promenades avec Guillaumat : visites d’incorporations, vaccinations. Je vois d’autres beaux malades : pieds bots, gale, impétigo, une belle hypertension artérielle. Nous quittons Baslieux, le 1er novembre, pour ce cher Boismont que nous avions déjà visité avec Guillaumat. Nous ne pensions pas y venir, et surtout, y rester si longtemps. C’est un des meilleurs souvenirs de cette période.
1er novembre. Je suis logé chez Mme Bristiel, dans une chambre basse mais grande, avec deux fenêtres donnant sur la vallée. De là, j’entends les enfants jouer et souvent on appelle « Jacqueline ». Ma logeuse est charmante. Elle a longtemps vécu en Sarre. Elle a recueilli l’une de ses petites-filles, Mariette, abandonnée par sa mère qui a eu huit autres enfants qu’elle garde parce qu’ils sont d’un second lit. Nous passons nos journées en lectures, vaccinations, incorporations, promenades. Le temps est plus clément. Beau froid sec. La vallée est magnifique. Le capitaine Villiers réclame une visite médicale faite, chaque jour, par un lieutenant. Je suis désigné parce que je suis le plus jeune. Le capitaine Harter présente Villiers sous le jour le plus sombre. En réalité, je me trouve devant un homme charmant, le premier officier bien élevé en dehors de Guillaumat. J’aperçois de temps en temps Pierre Dreyfus et Poniatowski. Je retrouve Barjou. Je commence à me lier d’amitié avec eux quatre, et j’entraîne Guillaumat auprès d’eux. Il est question de permissions. Mais le 8 novembre, le capitaine revient du QG et annonce que la date des premiers départs est reculée. Il me scandalise en se permettant des réflexions déplacées sur le départ du colonel, qui part le premier en permission. Il n’y va, comme je l’ai su plus tard, que pour s’occuper de l’éducation de son fils. D’autre part, le capitaine Harter n’a pas songé un instant à offrir son tour à quelqu’un d’autre. Grossmann et Bourgoin, qui viennent de quitter leurs femmes venues à Verdun, deviennent aphasiques et tristes. Agier peste que l’armée française est idiote, parce que sa permission est reculée, alors qu’il vient d’avoir une permission à laquelle il n’avait pas droit.
Je continue à voir des malades civils : une néphrite, avec rétention chlorurée et anurie, qui avait été prise pour un embarras gastrique et que je guéris par régime sans sel, ponction d’hydrothorax, saignée. Il lui reste comme séquelle une simple albuminurie résiduelle. Je soigne aussi une pneumonie du sommet, suivie d’une pleurésie purulente interlobaire à pneumocoque, qui s’améliore, puis guérit, sous l’influence du dagénan. Je vois ensuite une pauvre petite tuberculeuse cavitaire, de nombreuses coqueluches, dont une mourut de méningo-encéphalite coquelucheuse après avoir présenté un épisode anurique, des rhumatismes, des fractures, des bronchites, une vulvite chez une petite fille de quatre ans qui a très bien guéri sous l’influence du dagénon. Les journées s’écoulent lentement. Je travaille autant que je le peux et je m’instruis tout de même un peu. Guillaumat et moi faisons les incorporations de Mainbottel et de Han-devant-Pierrepont. Nous voyons des asystolies, des fausses couches et des bronchites un peu partout. Je comprends les difficultés considérables auxquelles se heurtent les médecins de campagne.
Depuis Baslieux, nous avons ...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Du même auteur
- Copyright
- Dédicace
- Avant-propos
- CHAPITRE I - Une jeunesse
- CHAPITRE II - La médecine et la foi
- CHAPITRE III - Un médecin dans le siècle
- CHAPITRE IV - Ce que j’espère
- La foi en Dieu, l’esperance en l’homme
- JOURNAL D’UNE DRÔLE DE GUERRE - (1939-1940)
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