À la rencontre des adolescents
eBook - ePub

À la rencontre des adolescents

Les écouter, les comprendre, les aider

  1. 272 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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À la rencontre des adolescents

Les écouter, les comprendre, les aider

À propos de ce livre

En quête d'une identité qui peine à se construire, les adolescents ressentent comme intrusive toute initiative des adultes à leur égard, surtout si elle vient de leurs parents. Alors comment faire pour les aider ? Quelles sont les conditions d'un soutien thérapeutique, parfois crucial, à cet âge si vulnérable ? Écrit par deux spécialistes de l'adolescence, ce livre part du postulat qu'un adulte ne pourra aider un adolescent en difficulté que s'il accepte de le rencontrer vraiment. Cette rencontre authentique entre deux personnes, deux identités, suppose que l'adulte laisse résonner en lui ses expériences adolescentes, accepte aussi de s'appuyer sur ses fragilités intimes pour montrer au jeune comment les dépasser. Nourri d'interviews de professionnels et de cas cliniques, ce livre illustre à quel point de vraies rencontres peuvent être salutaires, évitant des passages à l'acte, ouvrant des possibles que l'on avait cru interdits. Catherine Jousselme est professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université Paris-Sud et chef de service de la Fondation Vallée à Gentilly. Jean-Luc Douillard est psychologue clinicien au centre hospitalier de Saintonge. Il coordonne pour le sud du département de la Charente-Maritime le programme régional de promotion de la santé mentale et de prévention du suicide. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
Imprimer l'ISBN
9782738128027
Chapitre 1
Comprendre les adolescents
Comment, à notre époque, un adolescent fait-il pour passer de l’enfance à l’âge adulte ? Dans un monde rapide, paradoxal, violent, dans une culture de la vitesse, de la perfection et de l’illusion, censée cultiver l’égalité sociale mais qui creuse le fossé des exclusions, existe-t-il des étapes « classiques », des conflits de développement incontournables, et pourquoi ?
Les processus adolescents
L’adolescence est une des périodes les plus riches de la vie : période de découverte, de rupture, de changements, de révolte et de décisions. Elle n’a été que récemment identifiée puisqu’il y a encore deux siècles, elle n’existait pas. Son déclenchement, sa durée – très variables selon les cultures et les pays –, restent quelque peu mystérieux. Elle mérite sans aucun doute une attention soutenue de tous les adultes, particulièrement dans notre société individualiste où elle n’est plus ritualisée. Elle doit aboutir à l’expression du meilleur des capacités de créativité et d’adaptation de chaque enfant, lui permettant de les inscrire au plus profond de son être grâce à la plasticité neuronale de son cerveau (Ansermet, Magistretti, 2004). Elle constitue une phase essentielle de la construction identitaire et nécessite une véritable transformation des liens entre parents et enfants, ce qui demande du temps et provoque des peurs, aussi bien chez les ados que chez les adultes.
La transformation des liens
Il est totalement illusoire de penser qu’on peut devenir ado – et parent d’ado –, sans souffrir un minimum ! Tout comme à la naissance, où nos alvéoles pulmonaires se déplissent, la renaissance de l’ado-papillon est fatigante, complexe, douloureuse. Il faut nous attendre à voir nos enfants, par moments, tristes, préoccupés, voire franchement malheureux, sans que nous puissions, comme lorsqu’ils étaient petits, les soulager en les câlinant ou en réglant les problèmes à leur place ! Nous devons apprendre à accepter cette relative impuissance, en comprenant qu’elle est salutaire pour tout le monde. Nous devons nous rappeler des autres phases du développement de notre enfant qui nous ont obligés à le « lâcher » un peu plus chaque fois : tout collé à nous dans les premiers mois, alors que nous anticipions tous ses besoins, notre bébé nous a fait peu à peu sentir qu’il pouvait attendre, patienter un peu, à condition que nous répondions immédiatement quand il réclamait à nouveau. Il a ainsi appris à se calmer seul, en suçant son pouce ou sa sucette, puis il nous a habitués à le voir jouer seul, en notre présence : il avait besoin, pour être en sécurité, de pouvoir vérifier par le regard ou la voix que nous n’étions pas loin et que nous étions disponibles à lui, même si nous ne nous occupions pas directement de lui (Winnicott, 1990).
Rassuré par notre acceptation de cette première distance, il a pu ensuite maîtriser l’espace en marchant et en devenant plus indépendant encore, pouvant jouer véritablement seul un moment, sans nous voir, car il avait intégré en lui la certitude que nous reviendrions s’il avait besoin de nous. Peu à peu, il a eu conscience de son existence propre : il était devenu quelqu’un. Ensuite, il y a eu l’entrée à l’école maternelle, puis au CP : que d’étapes vers son autonomisation ! À l’adolescence, ce chemin si bien décrit par Winnicott pour le bébé (1975), reprend et nous laisse de nouveau interrogatifs quant à notre nouvelle place : nous devons nous ajuster au moment même où nous entamons, généralement, la deuxième partie de notre vie. Envahis parfois par nos propres angoisses d’abandon, de vieillissement, nous commençons à redouter l’adolescence de nos enfants, alors même qu’ils sont encore à l’école primaire ! Et les médias ne nous aident pas… ils véhiculent une image des ados qui fait peur : en grande difficulté, violents, insaisissables, cruels, irrespectueux, déstructurés, ils sont bons à évacuer ou à enfermer, à fuir ou à confier aux psys, tant leurs passages à l’acte sont inquiétants ! Aux antipodes, ces mêmes médias nous présentent des « ados parfaits », grâce à des parents « parfaits », c’est-à-dire pas humains… Difficile de s’y retrouver, dans ce mélange paradoxal !
Ces pseudo-réalités ne sont pourtant pas celles que nous appréhendons en tant que professionnels. Certes, notre culture de l’Idéal n’aide sûrement pas les adolescents les plus fragiles, ni leurs parents, eux-mêmes en difficulté, à avancer confortablement, mais beaucoup d’entre eux vont bien en étant « normalement dérangeants ». Évidemment, plus les valises des enfants ont été remplies de choses positives par leurs parents et la vie en général, plus leur adolescence est simple : elle peut être bruyante, épuisante pour les proches, mais les jeunes se construisent dans leur intimité une identité cohérente et originale, permettant des retours positifs de l’extérieur. Ainsi une mère nous raconte : « Il m’épuise, sa chambre est un véritable dépotoir ! Je ne peux même pas passer l’aspirateur ! Mais c’est incroyable : il est parti en camping en groupe et le directeur, au retour, nous a félicités à propos de l’éducation de notre fils ; il paraît que c’était celui qui rangeait le plus, à la fois sa propre tente, mais aussi les affaires du groupe, ce qui a évité des pertes cruciales ! Quand mon mari et moi avons entendu ça, on lui a reprécisé le prénom de notre fils… C’était bien de lui qu’il s’agissait ! Alors, nous sommes tous partis d’un fou rire familial, Julien aussi, ce qui a laissé le directeur interloqué… Mais nous, on se comprenait ! Enfin, son père et moi, on s’est dit que c’était encourageant pour l’avenir et qu’on s’était finalement mieux débrouillés qu’on ne le pensait !… » Eh oui, nos ados, quand ils vont bien, nous réservent la primeur de leurs conflits de développement, comme ils le faisaient déjà petits : c’est tout à fait normal, bien que très fatigant et parfois décourageant.
Cependant, tout n’est pas « banalisable » à l’adolescence : elle reste aussi une période de véritables risques, justement parce que les ados sont plus fragiles quand ils quittent leur chrysalide en quelques mois après le choc pubertaire. Se cherchant une nouvelle identité encore bancale, ils inventent tout et n’importe quoi pour garder l’illusion de la maîtrise d’eux-mêmes, de leur pensée, de leurs projets, persuadés qu’ils vont pouvoir tout gérer sans l’aide des adultes, et généralement à l’opposé de ce que ces derniers proposent, conseillent. Dans ces moments, le refus de toute aide, de tout questionnement peut les mettre en danger, particulièrement si des rencontres négatives se produisent à cette période de doute intense. Les trous noirs de l’adolescence existent bel et bien : ces zones d’ombre absorbent toute l’énergie psychique des jeunes, témoins du vide transitoire d’identité qui les rend particulièrement vulnérables (Bettelheim, 1971). Ils peuvent alors sombrer brutalement dans des conduites de réassurance éventuellement destructrices (drogue, délinquance, violence, etc.).
Pourtant, nous ne pensons pas qu’il soit justifié de parler de « crise d’adolescence » en raison du « deuil » de l’enfance à faire. L’adolescence reste un processus dynamique, un temps organisateur (Kestemberg, 1999) amenant à des changements complexes intervenant à des niveaux relationnels fondamentaux. Car, pour devenir lui-même, l’adolescent doit : se séparer, de ses parents, à la fois psychiquement et spatialement ; s’individuer, c’est-à-dire trouver son propre chemin d’individu ; se socialiser, c’est-à-dire entrer dans la société en tant qu’homme ou femme, avec des projets scolaires, professionnels, de vrais projets de vie au sens plein du terme.
L’adolescence n’est pas non plus un grand ménage : avant de parvenir à ranger ses propres valises, l’adolescent doit les ouvrir en grand, trier précautionneusement leur contenu, ce qui prend un certain temps, pour déterminer ce qu’il gardera. Rien sans doute mieux que sa chambre ne nous renseigne sur ce mouvement intérieur, compliqué et subtil : en perpétuel remaniement, elle donne à voir un désordre inimaginable à certains moments, alors qu’à d’autres elle se structure grâce à des « rangements » étranges, correspondant à des aménagements de repères pas toujours identifiables par les adultes !
Grandir à l’adolescence, c’est entrer dans un long processus, non linéaire, qui se situe en continuité et non en rupture avec les processus d’autonomisation de l’enfance.
Se séparer
Au début de sa vie, l’enfant est sous la responsabilité entière de son entourage familial et/ou éducatif. C’est ce qui fait dire à Winnicott (1975) qu’un bébé n’existe pas sans ses parents et réciproquement : dans les premiers moments de vie commune, dans un monde régi avant tout par le plaisir, le regard de l’enfant rend deux adultes parents, en leur donnant un rôle, une fonction ; en miroir, le regard des parents permet à l’enfant de penser qu’il est celui qu’ils attendaient, ce qui le rassure, l’aide à construire son premier narcissisme (l’amour de soi). Progressivement, les parents aident ensuite l’enfant à s’inscrire dans le principe de réalité : les règles qui régissent sa vie lui sont nommées et imposées sans qu’il ait beaucoup le choix, en fonction des valeurs familiales, sociétales, institutionnelles (celles de la crèche, de l’école) : par exemple, on lui apprend à manger proprement, à aller sur le pot, à « dire bonjour à la dame », etc.
L’identité de l’enfant reste donc largement empreinte de ce qui est transmis par ses parents à travers le fonctionnement de leur appareil à « penser les pensées » (Bion, 1983). En effet, le bébé ne peut au départ penser seul : il est contraint d’emprunter en quelque sorte le fonctionnement psychique de ses parents pour évoluer. Prenons un exemple : la lumière s’éteint brutalement ; le bébé a peur, il crie ; ses parents accourent, lui apportant la sécurité de leurs bras et de leur appareil psychique, pour donner du sens à cette expérience qui pourrait, sans eux, devenir terrifiante : « N’aie pas peur, papa va changer l’ampoule électrique. Ce n’est rien, regarde : je suis là, je te câline, ne crains rien ! » Ce type d’expérience se reproduisant sans cesse, l’enfant apprend peu à peu à penser lui-même les effets et les causes.
Donc, notre enfant nous ressemble, aussi bien physiquement que psychiquement, sans qu’un véritable « copier-coller » n’existe – fort heureusement – entre notre façon d’être et la sienne : chaque bébé, si nous lui laissons l’occasion de nous surprendre, si nous ne lui imposons pas un « moule » trop rigide de développement, nous révèle déjà sa personnalité dans sa façon de nous interpeller.
Les processus de l’adolescence se construisent à partir de ces habitudes de fonctionnement et poussent notre enfant à revendiquer davantage encore la séparation de nos identités. Réellement : dans la vie quotidienne, il prend de la distance, cherche à s’opposer. Symboliquement : son fonctionnement psychique devient plus autonome et emploie, face aux événements de vie difficiles et aux conflits, des mécanismes de défense propres qui donnent une nouvelle « couleur » à sa personnalité.
Mais, pour qu’il puisse entrer dans ce mouvement de vie, il lui faut identifier ce dont il doit se séparer, dans son histoire familiale, dans ses vécus, dans ses ressentis et ses souvenirs infantiles. Ce n’est pas toujours facile, car tous ces matériels peuvent être difficiles d’accès : difficile de reparler de sa naissance, quand elle a déclenché le divorce de ses parents ; ou quand on a été un très grand prématuré qui a failli mourir, et que nos parents pleurent chaque fois qu’ils entrevoient une image de réanimation pédiatrique à la télé ! Finalement, l’adolescent doit revisiter tout ce qui est au fondement de son histoire personnelle d’enfant, pour saisir les véritables indices identitaires qu’il veut conserver et ce avec la bénédiction de ses parents, prêts à rester présents à ses côtés, mais pas trop.
Dans ce voyage à l’envers qui prépare l’avenir, l’adolescent est obligé d’éprouver les limites de ses parents, pour mieux trouver les siennes : il doit remettre en cause ce qu’il vit pour se le réapproprier. Il est alors essentiel, pour supporter de transformer la nature et la proximité des liens avec ses figures parentales, qu’il dispose d’une estime de lui-même suffisante grâce à laquelle il pourra s’autoriser à trier, jeter, reprendre, garder, désinvestir, sans « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Cette base positive lui permettra aussi de mieux supporter les obligatoires ruptures (rupture amoureuse, difficulté scolaire ou d’orientation, conflit d’autorité, etc.), en les considérant comme injustes, mais comme vivables.
Il est donc important de nous interroger sur nos propres difficultés à trier nos propres bagages, quand nous ne nous sentons pas capables de répondre à certaines questions, ou que nous les craignons avant même qu’elles ne soient posées. Sinon, nous risquons fort de renvoyer à notre ado qu’il nous dérange, et ce n’est pas juste !
Bien sûr, nous ne pourrons jamais entièrement satisfaire nos adolescents qui resteront foncièrement ambivalents vis-à-vis de nous : c’est la seule façon qu’ils ont de s’éloigner un peu. Même si nous avons l’impression de leur donner tous les éléments de réponse dont nous disposons, ils demeureront en partie insatisfaits. Car l’inconscient, le fantasme sont souvent bien plus forts que la réalité : par exemple, certains adolescents adoptés rêvent de rencontrer leurs parents biologiques et pensent que tout ira mieux après cette rencontre… Ce n’est souvent qu’un leurre visant à éloigner leur crainte d’abandon et à court-circuiter leur nécessaire révolte contre les parents de la réalité, ceux qui les ont élevés !
La séparation opère comme un espace de transition nécessaire à la découverte de soi. Chacun doit apprendre à se séparer sans avoir peur de se perdre, ni de perdre l’autre. C’est aussi vrai pour les adolescents que pour les parents. Ce n’est pas toujours facile, c’est même franchement très compliqué dans certaines familles, mais les difficultés se dépassent à condition de réapprendre à utiliser de bonnes ressources (Alaméda, 1998).
Dans ce mouvement si fondamental, les ruptures et les deuils précoces peuvent représenter de dangereux pièges, quand ils ne peuvent être parlés en famille. En effet, ceux qui ne peuvent avoir accès à toute une partie de leur histoire, parce qu’ils sont confrontés à des non-dits, des secrets lourds, imposant des interdits de penser, sont plus en difficulté dans leur quête identitaire que les autres. Ils sont « bloqués », car ils sont privés de bases essentielles, de fondations premières, transmises habituellement dans le lien de filiation et d’attachement. En effet, s’appuyer sur des indices d’identité vérifiables et éprouvables (les « histoires de famille »), avec des parents suffisamment à l’aise dans leur vie pour accompagner ce mouvement sans craindre de sombrer eux-mêmes, nourrit l’estime de soi.
Un narcissisme défaillant enferme l’ado dans la honte, ce douloureux sentiment de ne pas avoir le droit d’exister pour lui, qui peut le conduire à développer des difficultés psychologiques plus ou moins graves. Il faut alors beaucoup d’énergie pour remonter la pente et accepter de penser que les valises qu’il porte ne sont pas les siennes mais celles de la famille : les rencontres du moment seront déterminantes pour la résolution ou l’aggravation des problèmes, comme nous le verrons dans la suite du livre.
Se séparer à l’adolescence est aussi essentiel pour mieux identifier et éprouver ce qui nous lie aux autres : cela nous permet ensuite de réaménager ces liens, en ayant l’illusion d’en garder la maîtrise, et de développer de nouveaux liens avec des personnes extérieures à la famille. Le lien amoureux par exemple, avec un autre de notre âge, nous soulage grandement. En effet, en orientant notre sexualité naissante vers une personne différente de nos figures parentales, il nous permet de sortir de la problématique œdipienne (de rapprochement du parent du sexe opposé). Mise en suspens pendant la phase de latence, entre 6 et 11 ans, durant laquelle l’enfant attend de devenir grand pour être « comme papa » ou « comme maman », cette problématique ressurgit immanquablement avec l’irruption de la puberté, puisque celle-ci rend possible la réalisation concrète des fantasmes de séduction infantiles. Quel adolescent n’a pas été dérangé par le rapprochement physique du parent du sexe opposé, tout en ayant encore envie de savourer les câlins qu’il avait tant appréciés autrefois ? Même chose pour le parent en question, qui se sent à la fois dérangé par le corps quasi adulte de son enfant et par le deuil à faire de sa proximité avec lui ! Ces allers-retours sont bien normaux, humains, mais compliqués et parfois (souvent ?) douloureux.
Pourtant, « tomber » amoureux est bien dangereux… Françoise Dolto (1988) écrit : « La quête amoureuse fait trop risquer la mort », puisqu’on peut être abandonné, laissé pour compte, blessé, humilié (ce qui est vécu comme impossible dans le lien parents-enfant, quand il est suffisamment confortable)… Notre société hypersexualisée n’aide d’ailleurs pas les ados à ce sujet ! On peut, par exemple, noter que l’âge de la puberté est plus précoce aujourd’hui pour les filles qu’il ne l’était il y a quelques décennies (l’âge moyen de survenue des premières règles est de 12 ans), sans doute en raison de l’amélioration du niveau socio-économique, de la santé publique, de l’alimentation, mais aussi de l’hypersexualisation de la culture qui, selon certaines études, contribuerait par un mécanisme d’entraînement à activer l’axe gonadotrope, celui des productions hormonales et cellulaires sexuelles… Alors, certains adolescents au narcissisme fragile préfèrent repartir en arrière, ralentissant leur adolescence, ce qui fait écrire à Dolto (1988) : « Beaucoup d’adolescents ne peuvent pas aimer un autre qu’eux-mêmes, parce qu’il n’y a pas d’issue sur autre chose. » Devenir libre reste donc le vœu le plus cher des ados… en même temps qu’ils ne conçoivent pas cette liberté sans contenance, sans protection des adultes… Tout adolescent reste un paradoxe vivant !
S’il avance, il parvient à intérioriser les liens, il se sent protégé par de « bons objets » parentaux intégrés comme rassurants, fiables, cohérents, empathiques, bienveillants. Alors, même en voyage ou en colo, notre ado nous porte en lui comme une sorte de balise de sécurité sympathique, comme un guide interne, pas trop contraignant ni envahissant. Grâce à cette petite flamme parentale, il peut se confronter aux difficultés de la vie quotidienne, développer ses propres capacités à se protéger si besoin est, et construire ses propres limites. Anzieu (1985) souligne que la peau, enveloppe du corps, représente une sorte de barrière symbolique de cette identité naissante de soi (le « Moi peau »). L’adolescent peut donc y inscrire régulièrement des traces : tatouages, piercings, modes vestimentaires, autant de marquages corporels symbolisant cette nouvelle limite originale.
Se séparer, c’est aussi prendre de la distance pour mieux apprécier le retour en famille. On peut identifier ce désir de distanciation lorsque la porte de la chambre, jusqu’ici grande ouverte sur la maison et les espaces collectifs, se referme et affiche des panneaux d’interdiction d’entrer sous peine d’électrocution ou de morsure d’animal sauvage (« Attention, chambre piégée » ; « Défense d’entrer sous peine de tout ! » ; « Réservé aux ados, parents s’abstenir », etc.). Dans la tête de l’adolescent, cela bouillonne trop fort : son cerveau ne peut plus tout contenir et cette porte tatouée lui sert de barrière concrète pour préserver sa nouvelle intimité. Généralement, il râle : cette chambre est trop petite, pas assez ceci, trop cela. Puis, il proclame que le plus vite possible, il ira habiter ailleurs pour être enfin « chez lui » ! Cela n’empêche pas le même ado, lorsqu’il part faire des études un peu loin, d’interdire toute transformation même minime de ladite chambre, qu’il peut refuser de prêter à tout invité familial, même très investi par lui ! Quand il y revient le week-end, il s’y enferme, s’y ressource, comme s’il replongeait dans son monde pour reprendre assez d’énergie pour la semaine suivante.
Nous l’écrivions plus haut, les ados sont des paradoxes vivants (Jeammet, 2009) ! Ils peuvent faire preuve d’une malhonnêteté intellectuelle touchante, et par exemple : exprimer sans cesse le désir d’expérimenter de nouvelles aventures tout en laissant paraître une grande peur de l’inconnu ; parler constamment du...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. Chapitre 1 - Comprendre les adolescents
  7. Chapitre 2 - Privilégier la rencontre
  8. Chapitre 3 - Rencontrer les adolescents de l’extrême
  9. Chapitre 4 - Aux confins de la douleur
  10. Chapitre 5 - Des rencontres salvatrices
  11. Conclusion
  12. Bibliographie
  13. Ouvrage de Catherine Jousselme chez Odile Jacob