80 % des dĂ©chets plastiques retrouvĂ©s en mer proviennent de la terre, selon une Ă©tude de la Fondation Tara OcĂ©an. En limiter la quantitĂ© est une action essentielle pour prĂ©venir et rĂ©duire la pollution marine : lâinitiative 1 DĂ©chet par jour donne Ă chacun la possibilitĂ© dâagir concrĂštement et de se mobiliser en faveur de la prĂ©servation de la mer, des ocĂ©ans et des Ă©cosystĂšmes.
PORTRAIT
Edmund Platt, cofondateur
Edmund Platt, alias Eddie, est une personnalitĂ© Ă part. Originaire de Leeds, dans le nord de lâAngleterre, cet homme au caractĂšre bien trempĂ©, Ă lâaccent british et gouailleur, vit depuis plus de huit ans Ă Marseille, sa ville dâadoption.
Dernier dâune fratrie de quatre enfants â pĂšre avocat, Ă©lu et engagĂ© dans la vie locale, mĂšre enseignante â, il quitte Leeds Ă lâĂąge de 17 ans pour parcourir lâEurope. Il commence sa carriĂšre dans la restauration, travaille dans plusieurs villes, puis devient commercial pour vendre de la publicitĂ© en ligne. Un jour, Ă lâaube de ses 42 ans, il rĂ©alise que ce mode de vie matĂ©rialiste ne correspond plus Ă ses valeurs et dĂ©cide de quitter son emploi.
Il dĂ©cide alors de se former pour devenir professeur dâanglais, un mĂ©tier qui lui permettrait de sâinstaller oĂč il veut. Son rĂȘve est de vivre Ă Naples. Pourtant, lors dâun sĂ©jour Ă Marseille, il tombe littĂ©ralement amoureux de la citĂ© phocĂ©enne, de son soleil, de ses calanques, de son « dĂ©sordre »⊠et il sây installe. Il donne beaucoup de cours dâanglais car il constate rapidement quâ« ils parlent mal le français et pas du tout lâanglais ! ».
Une nouvelle histoire commence pour lui, dans ce dĂ©cor mĂ©diterranĂ©en, face Ă la mer, qui pourrait ĂȘtre un vĂ©ritable paradis sâil nây avait pas tous ces dĂ©chets⊠Un jour, Eddie commence Ă en ramasser : en nageant, sur la plage, dans la ville. Il dĂ©couvre que si le rythme de pollution actuel se poursuit, il y aura dâici 2050 plus de plastique que de poissons dans les ocĂ©ans (source : Fondation Ellen McArthur). Pour lui, cette perspective nâest pas une fatalitĂ©, et il dĂ©cide de lancer un mouvement : ramasser des dĂ©chets comme le premier geste vers un mode de vie plus Ă©coresponsable.
LE TĂMOIGNAGE DâEDMUND
Déclic écologique
Ma prise de conscience Ă©cologique a commencĂ© dĂšs ma plus tendre enfance, quand ma mĂšre mâachetait des vĂȘtements de seconde main. Lorsque je suis arrivĂ© Ă Marseille, en 2012, cette conscience y Ă©tait au niveau zĂ©ro â mais Ă cette Ă©poque, lâinformation nâĂ©tait pas encore trĂšs accessible. Lors de soirĂ©es Ă©vĂ©nementielles, je voyais des milliers de gobelets en plastique jetĂ©s, des dĂ©chets balayĂ©s par lâeau du Vieux-Port, et cela mâest devenu insupportable. Je photographiais des touristes qui prenaient eux-mĂȘmes en photo les poubelles de Marseille pendant les grĂšves. JâĂ©tais trĂšs actif sur les rĂ©seaux sociaux, je postais ces clichĂ©s sur Instagram avec le hashtag #marseillecartepostale. Jâaime cette ville extraordinaire, mais la mentalitĂ© du « chacun pour soi » y rĂšgne, ainsi que le vandalisme ; lâindiffĂ©rence face Ă la pollution et aux dĂ©chets est rĂ©elle, les scooters roulent sur les trottoirs⊠« Bienvenue Ă Marseille », comme mâa lancĂ© un jour la police.
DĂ©jĂ sensibilisĂ© aux problĂšmes de pollution, je ramassais des dĂ©chets au cours de mes baignades⊠Mais tout a vraiment commencĂ© en 2015, quand je suis retournĂ© en Angleterre pour rendre visite Ă ma famille. Un matin, en me baladant dans un beau parc anglais, jâai constatĂ© quâil y avait plein de dĂ©chets. Jâai dĂ©cidĂ© de ramasser une canette de Coca Light et jâai fait un selfie avec ce dĂ©chet, que jâai postĂ© sur Instagram accompagnĂ© du hashtag #1pieceofrubbish. Jâai eu un dĂ©clic et jâai ajoutĂ© ce message : « Ă partir de maintenant et jusquâĂ la fin de ma vie, je vais avoir ce geste simple de ramasser un dĂ©chet par jour. » Ce post a totalisĂ© des centaines de vues ! Il est parti dâun dĂ©fi personnel, un acte qui, selon moi, est Ă la portĂ©e de tous. Il nây a pas dâexcuse pour ne pas ramasser, tout le monde est capable de le faire.
Quand je suis revenu Ă Marseille, avec deux amis, Georges-Ădouard et Romain, on a dĂ©cidĂ© de crĂ©er lâassociation 1 DĂ©chet par jour. Tout est allĂ© trĂšs vite : en quelques semaines, on avait un logo, un site Web et on commençait Ă faire connaĂźtre notre projet. Dans notre façon de communiquer, on avait un style punk, rockânâroll, et toujours une touche dâhumour anglais façon Monty Python. Les rĂ©seaux sociaux se sont emballĂ©s, tout le monde sâest pris au jeu. Notre communautĂ© a grandi sur Facebook, et sur Instagram, le phĂ©nomĂšne a explosĂ©.
Les mĂ©dias se sont intĂ©ressĂ©s Ă nous. Je me souviens du tout premier article, « LâAnglais qui veut nettoyer Marseille », rĂ©digĂ© par lâAFP (Agence France Presse), qui a fait le buzz jusque dans les DOM-TOM ! On a mĂȘme rĂ©ussi Ă sâimmiscer dans plusieurs Ă©pisodes de la sĂ©rie tĂ©lĂ© Plus belle la vie pour sensibiliser sur les dĂ©chets.
Cette initiative a pris une ampleur inimaginable, qui nous a donnĂ© Ă tous les trois une Ă©nergie dĂ©bordante, mais aussi une raison dâĂȘtre. On a le sentiment dâagir pour aider les gens, de les fĂ©dĂ©rer, de les aider Ă nettoyer leurs quartiers, leurs plages, Ă protĂ©ger la nature. Ă lâĂ©poque cependant, il y avait moins de monde sur les rĂ©seaux sociaux : il restait donc beaucoup de personnes Ă toucher pour espĂ©rer crĂ©er des barriĂšres humaines entre les dĂ©chets et la mer.
Des messages viraux et une croissance organique
La principale mission de notre association est de sensibiliser toujours plus de monde Ă la protection de la faune et la flore aquatiques, et plus gĂ©nĂ©ralement Ă la prĂ©servation de la planĂšte et des ocĂ©ans. Au-delĂ de la prise de conscience individuelle, nous avons pour ambition dâĂ©duquer sur la fragilitĂ© des Ă©cosystĂšmes marins et cĂŽtiers (NdlA : en MĂ©diterranĂ©e 134 espĂšces animales sont victimes de lâingestion de plastique â source WWF, 2018). Ramasser un dĂ©chet par jour, câest un geste simple, un premier pas vers une prise de conscience et le chemin vers la rĂ©duction des dĂ©chets, et mĂȘme vers le mode de vie zĂ©ro dĂ©chet, le zĂ©ro plastique. Ă Marseille comme dans toutes les villes cĂŽtiĂšres, les dĂ©chets sont partout, devant nos yeux. Et ce nâest que la partie immergĂ©e de lâiceberg : 10 % de ceux qui sont dans la mer flottent Ă la surface, les 90 % restants sâaccumulent au fond des ocĂ©ansâŠ
Notre premier objectif a Ă©tĂ© de vĂ©hiculer un message fort Ă travers les rĂ©seaux sociaux et de proposer des actions sur le terrain : « Câest ton dĂ©fi ! » Comme les gens aiment les dĂ©fis, notre initiative a vite sĂ©duit les Marseillais, notamment grĂące Ă des slogans comme « ArrĂȘte de niquer ta mer », « Ta bouillabaisse, avec ou sans plastique ?, « Love ta mer », etc.
On a organisĂ© un premier Ă©vĂ©nement en donnant rendez-vous Ă toutes nos connaissances, un dimanche, pour ramasser les dĂ©chets autour de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde. Le rĂ©sultat a Ă©tĂ© au-delĂ nos espĂ©rances puisque lâon a rĂ©uni prĂšs de 350 personnes, et plus de 2 tonnes de dĂ©tritus ont Ă©tĂ© ramassĂ©s. Il y avait une grande diversitĂ© de personnes : familles, amis, jeunes et moins jeunes, venus de tout Marseille, de La Ciotat, voire dâAix-en-ProvenceâŠ
AprĂšs ce premier succĂšs, les rendez-vous sont devenus rĂ©guliers pour des opĂ©rations de nettoyage de la ville. On a bien compris lâimportance de la dimension conviviale pour attirer encore plus de gens, alors on a créé le concept des apĂ©ros ramassage une fois par mois. Lors de ces actions de terrain coordonnĂ©es par lâassociation, les membres accueillent, donnent des sacs plastique, des gants, et fournissent des informations pĂ©dagogiques. Il y a un compteur de dĂ©chets (poids) et de mĂ©gots (volume) afin de mesurer lâimpact rĂ©el. Chaque mĂ©got pollue 500 litres dâeau, alors on collabore avec un partenaire local, Recyclope, pour le tri sĂ©lectif et leur revalorisation.
Dâautres associations participent Ă ces opĂ©rations de terrain pour faire connaĂźtre et promouvoir le zĂ©ro dĂ©chet, le « fait maison »... Aujourdâhui, nous sommes rĂ©guliĂšrement sollicitĂ©s pour des demandes de nettoyage dans diffĂ©rents quartiers et zones de la ville.
Notre initiative a grandi de façon organique, sans engager de dépenses, ce qui est propre au fonctionnement des réseaux sociaux.
Seul on va vite, ensemble on va plus loin
Avec mes deux cofondateurs, nous restons humbles car nous nâavons rien inventĂ©, on a juste mis « une couche de fiertĂ© » sur le geste de ramasser des dĂ©chets. Notre objectif est dâĂ©duquer toujours plus de monde, dâexpliquer que 8 millions de tonnes de dĂ©chets par an, câest lâĂ©quivalent dâun camion-poubelle dĂ©chargĂ© en mer chaque minute⊠et que lâaction la plus facile Ă rĂ©aliser, câest de remplacer une bouteille en plastique par une gourde.
En rendant le geste de ramasser des dĂ©chets « sexy » grĂące Ă des slogans et Ă des scĂ©narisations adaptĂ©s aux rĂ©seaux sociaux, on permet Ă chaque citoyen de prendre conscience du rĂŽle quâil peut jouer au quotidien sur la propretĂ© des rues qui lâentourent, de son quartier, de sa ville. Si tout le monde sây met de maniĂšre collective, lâimpact sera ultra-positif localement mais aussi rĂ©gionalement et au-delĂ de nos frontiĂšres⊠« Team work make the dream work. » Savoir quâon nâest pas seul, câest la clĂ©.
Lorsque nous avons créé lâassociation, il en existait dâautres qui luttaient dĂ©jĂ contre la pollution en mer, en France et dans le monde. Notamment Surfrider, qui travaille Ă la protection et Ă la mise en valeur des lacs, des riviĂšres, de lâocĂ©an, des vagues et du littoral. Je citerais Ă©galement Sea Shepherd, fondĂ©e en 1977 par le cĂ©lĂšbre capitaine Paul Watson, dont lâaction, plus combative, est de dĂ©fendre les ocĂ©ans en alertant les mĂ©dias et lâopinion publique. Notre mission, avec 1 DĂ©chet par jour, est complĂ©mentaire car on se concentre sur des actions dans la ville, pour sensibiliser et limiter les dĂ©chets en amont, avant quâils nâarrivent dans les riviĂšres et dans la mer.
Il faut attaquer le problĂšme de la pollution plastique sur t...