Première Partie :
La stratégie du diable.
Concernant les projets des sectes maçonniques, Augustin Lemann dénonce quatre stratégies ou projets permettant de dominer le monde. J'ai quelque peu modifié les quatre projets tels qu'ils ont été définis par l'Abbé pour les adapter au XXIe siècle et à la situation exceptionnelle que nous vivons actuellement. L'idée reste cependant la même. J'ai fait entrer dans son texte, l'évolution historique depuis le XIXe siècle que ne pouvais pas connaître l'auteur ainsi que les travaux sur les deux corps du roi d'un Ernst Kantorowicz ou d'un Jean-Marie Apostolides.
L'abbé Lemann évoquait quatre projets de Satan contre la chrétienté. J'ai cependant divisé le premier projet en deux puisque celui-ci comportait deux éléments, la chute du trône et le pillage des Nations qu'il convient de soigneusement distinguer.
Il y a donc, selon-moi cinq projets du diable. Le premier projet concerne le renversement du trône (Chapitre 1), le deuxième projet parle de renverser le pouvoir religieux (Chapitre 2), le troisième vise à remplacer Dieu par des idoles (Chapitre 3), le quatrième projet vise à faire courber la tête de tout le monde sous un pouvoir tyrannique (Chapitre 4), enfin le cinquième et dernier projet concerne le pillage de la richesse des Nations (Chapitre 5).
Chapitre 1 :
Le premier projet : renverser le trône.
« Car il a dit : "Par la force de ma main j’ai fait cela, et par ma sagesse, car je suis intelligent ! J’ai déplacé les bornes des peuples, j’ai pillé leurs trésors, et, comme un héros, j’ai renversé du trône ceux qui y étaient assis. Ma main a saisi, comme un nid, les richesses des peuples, et, comme on ramasse des œufs abandonnés, j’ai ramassé toute la terre, sans que nul ait remué l’aile, ouvert le bec ou poussé un cri ! » (Isaïe, X : 13-14).
Le texte d'Isaïe évoque le renversement du trône. Satan s'attaque d'abord au monde matériel, au royaume temporel pour reprendre la classification de Saint-Augustin. Le théologien distingue deux royaumes : le royaume spirituel et le royaume temporel (Section 1). Une division essentielle dans le catholicisme politique qui sera ensuite remis en cause par le Diable (Section 2). Elle débouchera sur la fin de la monarchie de droit divin (Section 3).
Section 1 : Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.
Nous devons distinguer deux cités (§1), correspondant aux deux glaives temporel et spirituel (§2).
§ 1 : Les deux cités chez Saint-Augustin.
Dans son livre, « la cité de Dieu », Saint-Augustin oppose deux cités, celle de la terre et celle du ciel. Les deux cités doivent rester distinctes. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui exercent l’autorité à l’intérieur. Le pape pour la cité de Dieu et le roi pour la cité de la terre.
« De fait, les deux cités sont mêlées et enchevêtrées l’une dans l’autre en ce siècle, jusqu’au jour où le jugement dernier les séparera. Je vais donc, dans la mesure où la grâce divine m’y aidera, exposer ce que j’estime devoir dire sur leur origine, leur développement, la fin qui les attend. Je servirai par-là, la gloire de la cité de Dieu qui, comparée ainsi à l’autre, se détachera par opposition avec un plus vif éclat » (Saint-Augustin, la cité de Dieu, I : 35).
Figure 1 : Les deux royaumes.
Si les deux cités ont deux chefs différents avec son domaine d'intervention, le problème est que les deux autorités vivent dans la même cité. Ils doivent collaborer. Le roi doit protéger matériellement l’Eglise contre ses ennemis et l’Eglise doit aider le roi par ses prières. Les fidèles sont obligés de respecter l’autorité du roi.
Saint-Augustin indique que les deux royaumes retrouveront leurs indépendances au moment du jugement dernier. Nous y reviendrons lorsque nous aborderont l'intervention divine dans la deuxième partie.
Les chrétiens appartiennent à l’une et à l’autre à la fois. Dans la cité terrestre, ils vivent au milieu des païens. Ils doivent collaborer avec eux.
Les deux cités sont différentes quant à leurs principes de vies, leurs objets, leurs moyens d’actions et leurs fins. Il oppose les deux royaumes sur chacun de ses points. Il existe deux principes de vie distinct pour chacune des cités. Physique et concrète pour la cité terrestre. Morale pour la cité de Dieu. L’une concerne le monde matériel et l’autre le domaine spirituel. Elles n’ont pas le même objet. Pour la cité terrestre, l’objet est la vie extérieure des peuples, pour la cité de Dieu, c’est la vie intérieure.
§ 2 : Les deux glaives.
Les deux royaumes de Saint-Augustin se recoupent avec celui des deux glaives élaborés par Saint-Bernard à partir de deux versets du Nouveau Testament :
« Et il leur dit : " Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? " Ils dirent : "De rien." Il leur dit : "Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, et de même la besace ; et que celui qui n'a pas de glaive vende son manteau et en achète un. Car, je vous le dis, il faut encore que cette Ecriture s'accomplisse en moi : Et il a été compté parmi les malfaiteurs. Aussi bien, ce qui me concerne touche à sa fin." Ils lui dirent : "Seigneur, voici ici deux glaives." Il leur dit : "C'est assez." » (Luc, XXII : 35-38).
Jésus avait conseillé à un de ses apôtres (saint-Pierre) de vendre son manteau pour acheter une épée. Il revient avec deux épées. Jésus dit, « c’est assez ». Pour Saint-Bernard de Clervaux, les deux épées représentent les deux pouvoirs : le spirituel et le temporel. Le glaive temporel et le glaive spirituel.
« Et voilà qu'un de ceux qui étaient avec Jésus, mettant la main à son glaive, le tira et, frappant le serviteur du grand prêtre, lui emporta l'oreille. Alors Jésus lui dit : "Remets ton glaive à sa place ; car toux ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Ou penses-tu que je ne puisse pas recourir à mon Père, qui me fournirait sur l'heure plus de douze légions d'anges ? » (Mathieu, XXVI : 51-52).
Saint-Pierre, futur premier pape, tenta de s'opposer à l'arrestation de Jésus. Il utilisa l’une des deux épées contre le serviteur du grand-prêtre en lui tranchant l’oreille. Jésus intervient pour l'en empêche. Il lui dit que celui qui prend l'épée périra par l'épée. Le Christ n'interdit pas l'utilisation de l'épée, sinon pourquoi avoir demander d’en acheter deux. Il interdit à Pierre de l'utiliser. Pierre sera le premier pape et donc le détenteur du glaive spirituel. Il dispose de l'épée, mais ne peut pas s’en servir lui-même pour défendre l'Eglise. C'est le rôle de l'autre épée détenue par les rois.
La doctrine des deux glaives sera reprise par Boniface VIII dans la très importante bulle « Unam sanctam ».
« Sûrement celui qui nie que le glaive temporel est au pouvoir de Pierre ne remarque pas assez la parole du Seigneur : « Mets ton glaive au fourreau ». Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le matériel, mais l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise ; l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois et des chevaliers, mais sur l’ordre du prêtre et tant qu’il le permet. Car il faut que le glaive soit sous le glaive et que l’autorité temporelle soit soumise à la spirituelle. » (bulle unam Sanctam)
Figure 2 : Les deux glaives.
Le rôle de Satan est de désarmer les deux glaives pour rendre impuissant l'Occident. C'est ce que déclare Nostradamus dans un passage de son épître à Henri :
« Et étant proche d'une autre désolation, qui atteindra son apogée lorsque se dresseront des potentats et des puissances militaires, alors que lui seront ôtez les deux glaives, et ne lui demeurera que des enseignes » (Nostradamus, épitre à Henri, 54).
On comprend, pourquoi, le premier projet du diable consiste à désarmer le glaive temporel, celui des Rois. Dans un deuxième temps, une fois la première tâche réalisée, il s’occupera du glaive spirituel, celui du Pape. N’ayant plus ni pouvoir temporel, ni pouvoir spirituel, les potentats peuvent venir dominer les Nations. En un verset, Nostradamus a tout dit de la prophétie d'Isaïe.
Section 2 : La remise en cause de la division entre spirituelle et temporelle.
Les deux glaives vont entrer dans une infernale concurrence (§1) qui débouchera sur la création de la théorie des deux corps du roi (§2) et le rôle particulier joué par le sacre de Reims (§3).
§ 1 : La concurrence entre les deux glaives.
Ernst Kantorowicz raconte dans son livre « les deux corps du roi », l'extraordinaire processus qui a amené à la confusion entre la fonction spirituelle et temporel pour le pape et le roi. Une sorte de course infernale à la puissance entre les deux royaumes dont je ne présenterai ici que les éléments principaux, au risque de la simplification. Kantorowicz relate dans le détail cette guerre fondamentale en presque neuf cents pages. Mon livre prendrait alors des dimensions homériques et ne ferait que redire d'une autre manière ce que l'auteur a déjà écrit avant moi.
« Des relations réciproques innombrables entre Eglise et Etat, vivaces à tous les siècles du Moyen-âge ont donné naissance à des hybrides dans les deux camps. Des emprunts mutuels et des échanges d'insignes, de symboles politiques, de prérogatives et de droits d'honneur avaient eu lieu en permanence entre les chefs spirituels et séculiers de la société chrétienne. Le pape décorait sa tiare d'une couronne dorée, revêtait la pourpre impériale, et, se faisait précéder des bannières impériales quand il chevauchait à travers Rome en procession solennelle. L'empereur portait une mitre sous sa couronne, revêtait les souliers pontificaux et autres vêtements cléricaux, et recevait, comme un évêque, l'anneau à son couronnement. » (Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi, folio histoire, p. 235).
Le processus...