Efficacité directe, indirecte et dissuasive
La résistance civile est partie de rien. Il lui fallait tout inventer. Il lui fallait beaucoup de temps pour prendre de l’ampleur et assurer notamment ses bases organisationnelles. Même dans les pays où les conditions politiques favorisèrent sa croissance (pas de légitimation du pouvoir de l’occupant), sa structuration prit un temps considérable. En Norvège, l’organisation civile de la résistance ne fut guère prête avant fin 1941-début 1942, soit plus d’un an et demi après l’arrivée de l’occupant. En Pologne, où les conditions d’occupation furent beaucoup plus dures, les structures de l’éducation clandestine ne furent vraiment mises sur pied qu’à partir de l’été 1942, soit près de trois ans après l’arrivée des Allemands.
La croissance de la résistance civile suivit le développement de la résistance en général. Tout au long de cette étude comparative, on a progressivement repéré des facteurs clés qui semblent corrélés avec le développement de la résistance civile (mis à part les variables liées à l’évolution de la guerre). Tous n’appartiennent pas en propre à cette forme particulière de lutte.
Certains tiennent aux caractéristiques des sociétés occupées. Ainsi peut-on dire que la résistance civile s’est plus développée dans :
1. les pays de tradition démocratique ;
2. les zones de grande concentration urbaine ou industrielle ;
3. les groupes à forte cohésion sociale.
D’autres facteurs furent liés à la technique et à la logistique de la résistance. Celle-ci dépendit :
1. d’une organisation structurée clandestinement ;
2. d’un système de communication également clandestin ;
3. de ressources diverses (nourriture, argent…) ;
4. de soutiens extérieurs internationaux.
D’autres facteurs tinrent enfin à la dynamique ou à la conduite de l’action proprement dite :
1. le maintien ou la formation d’une autorité légitime fut indispensable pour dynamiser le combat ;
2. pour se développer, la résistance civile eut besoin d’un langage : le symbole joua ici un rôle primordial en ceci qu’il fut à la fois un moyen d’expression, de reconnaissance et de regroupement, difficile à détruire par la répression ;
3. des circonstances « déclenchantes » furent cependant nécessaires pour précipiter le passage à l’action. En ce domaine, l’impopularité de certaines décisions de l’occupant fut le principal facteur de croissance d’une mobilisation collective orientée contre lui ;
4. le non-recours à la lutte armée fut en soi un facteur de « protection » de la résistance civile. Dans le cas où celle-ci était liée à la lutte armée, elle devenait du même coup plus sujette à une répression féroce, et donc plus susceptible d’être anéantie ;
5. l’appui de tiers (Églises, par exemple), qui comptaient aux yeux de l’occupant, donna plus de crédit à un mouvement de résistance civile et, en ce sens, renforça son audience et son impact ;
6. le soutien de l’opinion en général envers un mouvement de résistance civile fut aussi un facteur de « protection » de ce mouvement ;
7. enfin, l’émergence de contradictions potentielles dans les rangs de l’adversaire, causées ou non par la résistance civile, profitèrent à cette dernière.
Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive et doit être améliorée. Elle peut probablement être utilisée comme une grille de lecture permettant d’analyser d’autres cas de résistance civile en dehors du contexte de la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, cette grille peut être utile pour comprendre des conflits contemporains qui sont nés dans des régimes dictatoriaux ou totalitaires. Tester la « puissance explicative » de cette grille en l’appliquant à d’autres événements historiques est le moyen d’en améliorer la pertinence.
Mais une chose est d’identifier les facteurs qui contribuèrent au développement de la résistance civile, une autre est d’évaluer l’efficacité de ses procédés. Chez bien des auteurs la notion de « succès » d’une action organisée par des mouvements de résistance est assez confuse. Certes, une action peut être considérée comme un « succès » parce qu’elle a par exemple réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes. En soi, un tel événement peut être significatif d’une mobilisation croissante de l’opinion. Mais cela ne signifie pas nécessairement que cette action ait été efficace. Évaluer l’efficacité d’une forme de résistance suppose avant tout de mettre en rappor...