LE 3 AVRIL 2014, la Commission sénatoriale sur le renseignement a approuvé la communication au Président, en vue de leur déclassification et de leur publication, des constatations et conclusions et de la synthèse du rapport final sur le Programme de détention et d’interrogatoire de la CIA.
Cet acte couronne un effort monumental initié officiellement en mars 2009, lorsque la Commission décida d’entamer cette enquête, laquelle trouvait ses racines dans une étude lancée en décembre 2007 sur la destruction par la CIA d’enregistrements vidéo d’interrogatoires de détenus de la CIA.
Même s’il demeure classé secret, ce rapport de plus de 6 700 pages est désormais officiel. Le document a été communiqué à la Maison Blanche, à la CIA, au département de la Justice, au département de la Défense, au département d’État et au directeur du renseignement national, avec l’espoir qu’il empêchera à l’avenir les pratiques d’interrogatoire coercitives et sera pris en compte pour la conduite d’autres programmes d’action secrets.
En ma qualité de présidente de la Commission depuis 2009, j’écris cet avant-propos afin de fournir quelques informations supplémentaires, ainsi qu’une contextualisation historique.
J’ai commencé à travailler à la Commission sénatoriale sur le renseignement en 2001. Je me souviens du témoignage cet été-là de George Tenet, directeur de la CIA, qui nous avertissait de la possibilité d’un attentat terroriste majeur contre les États-Unis, sans préciser ni le moment, ni le lieu, ni les moyens de l’attaque. Le 11 septembre 2001, le monde a eu les réponses à ces questions qui consumaient la CIA et toute la communauté du renseignement.
Je me rappelle vivement l’horreur de ce jour, y compris les images télévisées d’hommes et de femmes innocents sautant depuis les tours du World Trade Center pour échapper à l’incendie. Ces images, ainsi que le son de leurs corps s’écrasant sur le sol, m’accompagneront pour le restant de mes jours.
C’est sur cette toile de fond – l’attaque de plus grande envergure jamais portée sur le sol américain – que se placent les événements décrits dans ce rapport.
Presque treize ans plus tard, les constations et conclusions, ainsi que la synthèse de ce rapport, sont communiquées au public. Les actions de la CIA y sont très critiquées, à juste titre. En lisant ces pages, il est facile d’oublier le contexte dans lequel ce Programme a été mis en place – non qu’il puisse servir d’excuse, mais c’est un avertissement pour l’avenir.
Il faut se souvenir de la peur qui régnait à la fin de l’année 2001, et du fait que la menace paraissait immédiate. Une semaine seulement après les attaques du 11-Septembre, de la poudre d’anthrax était envoyée à divers médias et à deux sénateurs américains. L’opinion publique était sous le choc de la révélation de ces nouveaux complots terroristes et du relèvement des niveaux d’alerte représentant le risque terroriste. Nous nous attendions à d’autres attentats contre notre pays.
Tout au long de ce travail, j’ai tenté de garder en tête l’impact sur la nation et sur le personnel de la CIA des attaques du 11 septembre 2001. Je comprends la volonté de la CIA de recourir à tous les moyens possibles pour récolter des renseignements et éliminer les terroristes du champ de bataille, d’autant qu’elle était encouragée par les responsables politiques et la population à tout faire pour éviter une autre attaque.
La Commission, elle aussi, recommande souvent aux organes de renseignement de réagir vite aux menaces et aux événements du monde.
Cependant, la pression, la peur et la crainte d’autres complots terroristes ne justifient pas, n’excusent pas et n’atténuent pas la gravité des actes répréhensibles accomplis par des individus ou des organisations au nom de la sécurité nationale. La leçon majeure de ce rapport est que, malgré la menace et la nécessité d’obtenir des résultats, les actions des agents du renseignement doivent toujours refléter ce que nous sommes en tant que nation et correspondre à nos lois et nos standards. C’est précisément dans les moments de crise nationale que notre gouvernement doit être guidé par les leçons de l’histoire et soumettre ses décisions à la critique interne et externe.
Au lieu de cela, le personnel de la CIA, avec la complicité de deux consultants extérieurs, a choisi d’initier un Programme de détentions secrètes illimitées et de généraliser l’usage de techniques d’interrogatoire brutales, qui violaient la loi américaine, les traités internationaux et nos propres valeurs.
Le rapport de la Commission documente les mauvais traitements et les innombrables erreurs commises entre fin 2001 et début 2009. La synthèse du rapport contient nombre d’informations nouvelles, fondées sur des documents de la CIA et d’ailleurs, qui s’ajoutent à ce qui a déjà été rendu public par les administrations Bush et Obama, ainsi que par les organisations non gouvernementales et la presse.
Le rapport complet de la Commission, qui fait plus de dix fois la taille de la synthèse, donne des détails exhaustifs et insoutenables. Il raconte l’histoire du Programme de détention et d’interrogatoire de la CIA depuis sa conception jusqu’à son terme, et passe en revue l’intégralité des 119 cas connus d’individus incarcérés par la CIA.
Le rapport complet examine plus minutieusement que la synthèse la manière dont la CIA justifie et défend son Programme d’interrogatoire, arguant qu’il était nécessaire et crucial pour déjouer plusieurs complots terroristes et capturer certains terroristes en particulier. Bien que la synthèse démontre amplement l’inexactitude de cette déclaration, le rapport complet de la Commission est plus exhaustif.
J’ai choisi de ne pas solliciter pour l’instant la déclassification du rapport complet de la Commission. Je crois que la synthèse offre assez d’informations pour décrire de façon adéquate le Programme de détention et d’interrogatoire de la CIA, couvert intégralement par les constatations et conclusions. Demander la déclassification du rapport de 6 700 pages aurait considérablement retardé la communication au public de la synthèse. Une décision devra être prise ultérieurement concernant la déclassification et la communication au public de ce rapport de 6 700 pages.
En 2009, quand nous avons entrepris cette tâche, j’ai déclaré (dans un communiqué de presse conjoint avec le vice-président de la Commission, le sénateur Kit Bond) : « L’objectif est d’examiner le Programme et de réformer les méthodes de détention et d’interrogatoire à l’avenir. » Cet examen est maintenant terminé. J’ai le sincère et profond espoir qu’après avoir livré au public les constatations et les conclusions, ainsi que la synthèse de notre travail, les États-Unis ne permettront plus jamais la détention secrète et illimitée, ni l’usage de techniques d’interrogatoire coercitives. Comme le décrit le rapport, avant les attaques de septembre 2001, la CIA elle-même avait conclu à partir de sa propre expérience que ces techniques « ne produisent pas de renseignements », qu’elles « font sans doute obtenir de fausses réponses » et que l’histoire a montré leur inefficacité. Pourtant, ces conclusions furent ignorées. Nous ne devons jamais oublier l’histoire et répéter les terribles erreurs du passé.
Le président Obama a signé en janvier 2009 le décret présidentiel 13491 qui interdit à la CIA de garder des détenus autrement que « à titre de court terme transitoire » et qui limite les techniques d’interrogatoire à celles contenues dans le manuel opérationnel de l’armée de terre. Cependant, ces restrictions n’ont pas force de loi et un président futur pourrait les annuler d’un trait de plume. Nous devrions les inscrire dans la législation.
Pour autant, même en l’état actuel, la loi américaine et les traités internationaux auraient dû empêcher la plupart des mauvais traitements et des erreurs commises dans le cadre de ce Programme. Bien que le bureau d’assistance juridique ait fait le constat inverse entre 2002 et 2007, ma conclusion est que, dans le sens commun du terme, les détenus de la CIA ont été torturés. Je considère également que les conditions de confinement ainsi que l’usage des techniques de conditionnement et d’interrogatoire autorisées ou non autorisées ont été cruels, inhumains et dégradants. Je crois que la preuve de tout ceci est accablante et incontestable.
Même si la Commission n’est pas habilitée à émettre des recommandations spécifiques, plusieurs propositions ressortent de l’examen qu’elle a conduit. La CIA, dans sa réponse de juin 2013 au rapport de décembre 2012 de la Commission, a également esquissé les contours d’une réforme de ses méthodes, qu’elle met déjà en place. Je compte travailler avec mes collègues sénateurs afin de produire d’autres recommandations en sollicitant les lecteurs du rapport de la Commission.
J’aimerais aussi saisir cette opportunité pour décrire comment nous avons travaillé pour réaliser cette étude.
Comme il est dit plus haut, la Commission a approuvé l’ordre de mission de l’enquête et commencé à demander des informations à la CIA et à d’autres départements fédéraux en mars 2009. Les membres de la Commission avaient déjà examiné en 2008 les messages de la CIA décrivant les interrogatoires des détenus Abou Zoubaydah et Abd al-Rahim al-Nachiri, dont les enregistrements vidéo avaient été détruits par la CIA en 2005.
L’étude de 2008 fut compliquée par l’existence d’une enquête du département de la Justice sur ces destructions, enquête ouverte par l’Attorney général Michael Mukasey et poursuivie par l’Attorney général Holder à partir d’août 2009. Plus précisément, des membres de la CIA et des contractants extérieurs qui auraient dû être entendus par la Commission risquaient des poursuites judiciaires, en conséquence de quoi la CIA n’a pas voulu obliger son personnel à paraître devant la Commission. Cette contrainte perdura jusqu’au moment où la phase de recherche et de documentation fut achevée et l’enquête de la Commission pratiquement finalisée.
En outre, étant donné le volume et le caractère interne à la CIA des documents pertinents, la CIA insista pour que les membres de la Commission les examinent sur son site annexe de xxxxxxxx xxxxxxxxxx plutôt qu’aux bureaux de la Commission au Capitole.
De début 2009 à fin 2012, un petit groupe de collaborateurs de la Commission examina plus de six millions de pages : messages opérationnels, rapports de renseignement, notes internes, courriels, briefings, retranscriptions d’entretien, contrats et autres documents. Des brouillons des diverses parties du rapport furent rédigés et distribués aux membres de la Commission à partir d’octobre 2011, et ce processus se poursuivit jusqu’au vote par la Commission de l’approbation du rapport complet, le 13 décembre 2012.
La quantité de documentation sur laquelle repose ce rapport est sans précédent. Bien que la Commission n’ait pas interrogé elle-même les membres de la CIA, elle a eu accès à de nombreuses interviews conduites par l’inspection générale de la CIA et le programme d’histoire orale de la CIA sur des sujets qui sont au cœur du rapport. La Commission s’est donc appuyée sur ces entretiens ainsi que sur les témoignages qu’elle a recueillis par le passé.
Suite au vote de décembre 2012, le rapport a été envoyé le 15 février 2013 au Président et aux branches concernées du pouvoir exécutif, pour commentaires. La CIA a répondu fin juin 2013 par des commentaires approfondis sur le...