Docteur, vous pouvez commencer
Chère Bo…
Je fais le point sur les dernières semaines. Il ne me reste plus que quelques jours à vivre dans mon corps d’homme avant la grande opération. Ces derniers mois ont été mouvementés, tant sur le plan professionnel que personnel. Ma vie privée en particulier s’est grandement enrichie, car en l’espace d’à peine quelques semaines, j’ai rencontré, par hasard ou presque, trois « nouvelles femmes » fascinantes qui, comme moi, sont nées dans un corps d’homme : une femme d’affaires brillante qui parcourt le monde, une commandante de bord qui travaille pour une grande compagnie aérienne, une personne qui a autrefois dirigé une école et qui savoure la joie de pouvoir enfin être elle-même. Je tiens à les citer toutes les trois, car elles ont énormément compté pour moi et pour ma transition.
« It’s a girl. » Je veux commencer par ces mots le récit de ma rencontre avec Diede, anciennement à la tête d’un établissement scolaire. Ce réjouissant message, qui signifie « c’est une fille », s’étale en grands caractères joyeux sur la carte qui orne le rebord de fenêtre de la chambre d’hôpital. Un plat rempli de dragées a été disposé juste à côté. Mes yeux se posent sur la carte, puis se tournent vers Diede, qui est étendue dans son lit.
« Il s’agit vraiment d’une nouvelle naissance », dit-elle, un grand sourire éclairant son visage. Moi-même, je songe à cet instant depuis des mois.
Diede et moi évoquons le passé, même si nous venons à peine de nous rencontrer. Notre première prise de contact remonte à quelques semaines, lorsque sa compagne m’a écrit sur Messenger :
Chère Bo, je m’appelle Mieke et je vis avec une femme transgenre. Nous ne nous connaissons pas, mais Diede, ma compagne, a dirigé pendant des années l’école du village voisin du vôtre. J’aurais aimé entrer en relation avec votre femme pour échanger avec elle sur nos expériences respectives.
Ce message me met la puce à l’oreille. Diede a travaillé comme directeur d’école avant sa transition. Elle doit donc être en retraite, mais elle vit à présent en femme. Est-il possible que je la connaisse ? S’il s’agit de l’école du village voisin, elle ne peut pas m’être inconnue ?
Je réponds aussitôt :
Chère Mieke, merci pour votre message, qui a éveillé ma curiosité. Dans quel établissement scolaire votre compagne a-t-elle travaillé ?
Conclusion : je la connais bel et bien ! Dans son existence antérieure d’homme, Diede a même dirigé l’école primaire de nos enfants.
Je suis émue par son histoire, que je trouve magnifique. Diede a attendu de partir en retraite, il y a trois ans, pour sortir du placard. Mieke m’envoie la photo d’une affiche où sa compagne pose en compagnie d’autres personnes transgenres. L’affiche a été réalisée dans le cadre d’une exposition de photographies à l’université d’Anvers, où j’ai étudié autrefois. Je constate que le vernissage n’a pas encore eu lieu et décide donc de m’y inscrire. Ce sera l’occasion de faire connaissance avec Diede et Mieke. Je leur envoie un message pour les informer de ma venue, et nous convenons de nous retrouver sur place.
Au vernissage, je rencontre enfin Diede. C’est une belle femme qui assume son âge avec élégance : elle est vêtue de manière sobre et arbore une chaîne et des boucles d’oreille discrètes. Elle ne porte ni robe ni jupe, mais un pantalon, ce qui ne l’empêche pas d’être une dame jusqu’au bout des ongles.
« Diede », dis-je d’une voix enjouée en rejoignant le couple. Je suis contente de m’adresser à elle en utilisant son prénom féminin, sans que cela paraisse étrange, ni pour elle ni pour moi.
Le courant passe immédiatement entre nous ; j’ai l’impression de la connaître depuis des années. Ce qui est vrai, d’une certaine façon, même si à l’époque, nous ne savions pas que nous partagions les mêmes sentiments et le même secret. Comme je travaillais déjà pour la télévision en ce temps-là , l’école m’avait demandé plusieurs fois de collaborer à divers événements et célébrations scolaires.
Tandis que nous discutons, je m’interroge : Mieke savait-elle qui j’étais en m’envoyant son message ? Était-elle au courant que mes enfants ont fréquenté l’école où Diede a travaillé ? Je décide de lui poser la question, ce qui la fait éclater de rire.
« Quelle coïncidence ! dit-elle. J’ai simplement pris contact avec toi parce que j’avais entendu parler de ton histoire, comme beaucoup d’autres. » Une explication tout aussi logique, du reste.
Le vernissage touche à sa fin. Nous décidons d’aller prendre un verre dans la vieille ville, car nous avons toutes trois le sentiment d’avoir encore beaucoup de choses à nous dire. Nous nous installons dans un café accueillant et calme, où la musique n’est pas trop forte. Le lieu idéal pour bavarder.
Je suis curieuse de connaître l’expérience de Diede. J’aimerais savoir depuis quand elle prend des hormones, par exemple. Et si elle a subi des interventions chirurgicales. Je lui pose toutes mes questions sans retenue, car je sens que je peux me le permettre. Diede me répond avec le même franc-parler.
Elle prend des hormones féminines depuis quelques années et n’a pas encore subi d’intervention, mais son opération de réassignation sexuelle doit avoir lieu dans exactement trois semaines, c’est-à -dire deux semaines avant la mienne ! En outre, elle est suivie par le même chirurgien que moi, le docteur Philippe Houtmeyers, à Saint-Nicolas. Quelle nouvelle enthousiasmante ! Nous poursuivons notre conversation pendant une heure, puis nous nous quittons en nous promettant de garder le contact. Ce que nous faisons. À l’approche de son opération, Diede me fait part de sa joie, mais aussi de ses doutes. Cependant, sa résolution est arrêtée, et elle bénéficie du soutien total de sa compagne. Une pensée que je trouve réconfortante : moi aussi, je me rends compte de tout ce que m’apporte Marianne, de tout ce qu’elle représente pour moi.
Le jour de l’opération de Diede, je reçois des nouvelles de la part de Mieke : « Salut Bo, tout s’est très bien passé. Diede va bien. Diede t’embrasse. »
Son message me remplit de joie. Je promets de rendre visite à Diede à l’hôpital. Quelques jours plus tard, j’apprends qu’on lui a retiré ses bandages. Elle est aux anges. « J’éprouve un sentiment de bonheur si profond, si intense… Je suis enfin complètement moi-même. »
Je suis émue, et même bouleversée.
Diede m’adresse un clin d’œil : « Prends des dragées, sers-toi ! » Elle est dans son lit, un livre sur les genoux. Elle savait que je devais venir et semble vraiment heureuse de me voir. Une joie tout à fait réciproque. Je lis dans ses yeux pétillants l’immense bonheur qu’elle a évoqué plus tôt. Cette femme qui a dépassé la soixantaine vient de perdre dix ans d’un seul coup ! J’ai hâte de savoir comment elle va.
« Tu n’as pas trop mal ?
–Pas du tout.
–C’était douloureux ?
–Non, presque pas. On m’a maintenue sous perfusion d’analgésiques les premiers jours, mais maintenant, je ne sens plus rien. »
Diede parle avec calme, elle respire la quiétude. Une quiétude qu’elle a enfin trouvée grâce à l’opération, me dis-je.
Je bois ses paroles : dans un peu plus d’une semaine, ce sera mon tour. Je suis particulièrement curieuse d’ent...