
- 204 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Mon pays vend des armes
À propos de ce livre
Avec 17 milliards de contrats, la France est deve nue en 2017 le troisième pays exportateur d'armes. Mais dans un contexte de réarmement mondial, à qui et à quoi servent ces armes? Conflits convention nels? Crimes de guerre à l'encontre de civils comme au Yémen? Approvisionnement d'une dictature comme l'Égypte du maréchal AI-Sissi? Mon pays vend des armes plonge dans ce monde secret et croise les sources (officielles, officieuses), en France et à l'étranger, de la commission autorisant les exportations à l'impuissance de nos députés.
Cette enquête sur un angle mort de la politique française dévoile le fonctionnement de l'appareil d'État et décrypte un fleuron national, prospère, jamais soumis au débat démocratique.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
- Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Mon pays vend des armes par Anne Poiret en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Politique et relations internationales et Sécurité nationale. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
1
Le Bordelais, terre de Défense
« Et voilà, une fois de plus : Dassault… Dès qu’on pense militaire, on pense Dassault ! Ça ne va pas ! C’est l’inverse de notre plan de com ! »
MATHIEU DURAND,
le communicant de Dassault.
le communicant de Dassault.
Campagne fumante des débuts d’hiver. Le soleil caresse les feuilles orangées des vignes. Au travers de la fenêtre du TGV en provenance de Paris, le premier, celui de 6 h 48, elles émergent de cette brume froide. Défilent, bien alignées, bien entretenues. Vitrine noble et séculaire de la Gironde.
À mesure qu’approche Mérignac, la banlieue ouest de Bordeaux, la laideur banale des paysages périurbains efface les charmes de cette France éternelle : enseignes criardes, grandes surfaces, tout ce que la société de consommation peut offrir de médiocrité esthétique. Un océan de zones commerciales dont émergent çà et là un château, une belle demeure ou une vigne justement, le long de laquelle des cadres de l’industrie de l’armement viendront courir en fin de journée. Tout juste quelques panneaux routiers indiquent-ils à la croisée des rocades la nature de l’emploi local. Il ne faut pourtant pas s’y tromper. Si l’armement revêt ici la même élégante discrétion que la bourgeoisie, l’ouest du Bordelais est l’une des « terres de Défense » les plus emblématiques de France. Un microcosme militaro-industriel, pourvoyeur de milliers d’emplois, où chacun a un parent, une connaissance. Et s’ils n’y travaillent pas directement, « ils en rêvent pour leurs enfants », me dira un retraité de ce secteur.
En son cœur, l’usine historique de Dassault, dont le communicant Mathieu Durand m’interdira l’accès pendant de longs mois : « Vous laisser filmer nécessiterait une mise en condition complète de la chaîne pour cacher tous ces petits bidules que la concurrence rêve de voir : c’est deux jours de boulot minimum. À deux cents personnes. Vous vous rendez compte ? »
Cette usine m’intéresse pourtant au plus haut point. C’est là qu’est assemblé l’avion de chasse Rafale, le principal succès à l’exportation du quinquennat Hollande. Pendant des années, les gouvernements successifs avaient tenté, en vain, de convaincre des pays acheteurs. Nicolas Sarkozy pensait y réussir au Maroc. Échec. Au Brésil, et il l’avait même annoncé lors d’une désastreuse conférence de presse. Nouvel échec. Tout a changé en 2015, lorsque le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a signé un contrat avec l’Égypte. Puis avec le Qatar et l’Inde, entraînant dans son sillage d’autres contrats mirobolants.
Autour de l’aéroport de Mérignac prospère tout un écosystème lié à la défense : les principaux groupes et leurs myriades de sous-traitants ainsi que de nombreux organismes. À quelques centaines de mètres de l’usine Dassault s’élève un bâtiment flambant neuf, tout de verre et de bois clair. La société Thales, l’un des principaux fabricants d’armes français et fournisseur notamment de l’avionique des Rafale, vient d’inaugurer ce nouveau site, dont 1 500 m2 d’espaces « futuristes et stimulants dédiés à l’innovation ». Dans une commune voisine est implantée l’entreprise Safran, qui conçoit, entre autres, les moteurs du Rafale mais aussi le missile M51 destiné à nos sous-marins nucléaires4. Un peu plus loin, un centre d’essais de drones et l’immense terrain du camp de Souge, où s’entraînent des forces spéciales, complètent cet environnement militaro-industriel.
Plus inattendue, l’ONG Médecins sans frontières a fait de l’aéroport de Mérignac son centre logistique. « D’un côté, les Rafale s’envolent vers l’Inde, l’Égypte ou le Qatar, de l’autre, des cargos chargés de médicaments partent assister des populations déplacées par la guerre… », note un élu local. Sur ce même tarmac se trouvent enfin la base aérienne 106 et des ateliers de réparation de l’armée de l’air. Et en son sein, un peu perdu au milieu des bâtiments militaires, un vieux hangar. Un temple où est voué un demi-culte aux avions Dassault…
*
« Regardez cette merveille ! » Hugues Quintard, le vice-président du Conservatoire de l’air et de l’espace d’Aquitaine, tapote affectueusement l’aile froide d’une grande carcasse métallique. « Immédiatement après la guerre, Marcel Dassault a créé ici, à Mérignac, ce Dassault 315 Flamant : un bimoteur de liaison aérienne qui marque la naissance de la deuxième vie aéronautique de Marcel Bloch, devenu Dassault. » L’immense bâtiment déglingué qu’il me fait visiter ce jour-là accueille une cinquantaine d’avions réformés. Il est fréquenté avec assiduité par une poignée de retraités qui, comme Hugues Quintard, les briquent, les réparent, les ressoudent, les repeignent, et tuent le reste du temps à la buvette. Au milieu d’un fatras métallique de nez, d’ailes, de réacteurs, je trottine derrière Hugues Quintard en veillant à ne pas m’assommer. Il connaît chaque étape de l’aventure industrielle, la mystique Dassault : « Après les Flamant viendront les Ouragan, puis les avions de la classe Mystère. Là, vous avez le Mystère IV N, unique au monde, celui sur lequel Jacqueline Auriol a battu le record du monde de vitesse. » Hugues Quintard accélère l’allure. « Voici la série des Mirage. Regardez ce Mirage IV développé pour porter la bombe atomique souhaitée par le général de Gaulle. Et là, le Mirage 2000. Il a servi dans tous les conflits modernes depuis vingt ans. »
Ces avions-là parlent d’héroïsme et de grandeur de la France, mais aussi de géopolitique et de contrats scabreux. Parmi les joyaux de ces retraités, un Mirage 5, initialement prévu pour Israël mais frappé d’embargo en 1967 par le général de Gaulle. Ainsi que deux avions de combat aux couleurs irakiennes. « Saddam Hussein avait commandé un certain nombre de Mirage F1 à la France mais en 1990, après l’invasion du Koweït, il y a eu un embargo sur le matériel militaire. Ces deux-là n’avaient pas encore été livrés alors ils sont restés sur le territoire français. Ils sont superbes, ce sont mes préférés ! Il a une belle ligne, il est moins lourd que le Mirage 2000, qui fait un peu plus camion. Comme disait Marcel Dassault : “Pour qu’un avion vole bien, il faut qu’il soit beau.” »
Au-dehors, Hugues Quintard nous désigne deux autres avions en attente de restauration sur une piste de l’aéroport de Mérignac : « Ils sont dans leur jus. On va refaire la peinture pour les rendre plus présentables. » Il caresse, songeur, l’aile de son Super Mystère B2 et rêve, pour l’ouverture du futur musée, d’y voir exposé un exemplaire du Rafale, « un avion d’exception ». « Il faut bien se rendre compte que ces avions sont avant tout une source de fierté. Dassault est un poumon économique. C’est énorme ici. » L’exportation de ce type de matériel ? « Ça doit être un monde très particulier… Il y a des salons maintenant ! Comme il y a le Salon de l’auto, il y a celui de l’armement… » Hugues Quintard fait un geste doux, un peu las, vers l’usine historique de la société. À l’autre bout du tarmac, à deux kilomètres de là, celle-ci va me fermer ses portes pendant encore de longs mois…
*
« Le président de la région est à fond, il est très bien avec notre patron, évidemment. C’est le meilleur défenseur de l’industrie sur son territoire. C’est un moteur… », m’a expliqué Mathieu Durand, le communicant de Dassault.
Alors, en quête d’un appui pour tourner dans l’usine du Rafale, je me suis rendue non pas à la présidence de la région Nouvelle-Aquitaine, où notre demande d’interview est restée lettre morte, mais à la mairie de Mérignac. L’ancienne chartreuse de pierre blonde du XVIIIe siècle devenue édifice municipal jouit d’un parc immense, où le visiteur se gare sur un gazon vert pomme. Marie Récalde, l’adjointe au maire, a de jolis yeux noirs maquillés. Elle porte un brushing impeccable, un pantalon de cuir et parle d’une voix féline de son vol sur le Rafale. Elle dit avec délectation « se prendre 5G » et sa photo en tenue d’aviatrice apporte une touche kaki au décor de son bureau. Lors de notre première rencontre, en novembre 2016, Marie Récalde est encore députée, socialiste, et membre de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Elle faisait partie des délégations qui signèrent les contrats en Égypte (24 avions commandés en 2015) et en Inde (36 exemplaires commandés en 2016), et se dit prête à se rendre sur tous les fronts français, à appuyer tous les contrats à l’étranger pourvu que Dassault et Mérignac, sa ville, en tirent des bénéfices. Marie Récalde aime les phrases définitives : « Le Rafale, c’est un peu la souveraineté de la France qui part défendre les libertés. » « L’armement français, c’est la preuve que la France est grande. » Elle rappelle qu’elle est une « femme de gauche ». Parle avec lyrisme d’une colombe venue se poser contre la vitre de son bureau comme pour observer la maquette du Rafale placée bien en évidence : « C’était très émouvant : l’oiseau de plume face à l’oiseau de fer… »
La guerre… Elle l’évoque d’un air ennuyé. « Bien sûr, c’est aussi une industrie de mort. » Les débats en cours en Angleterre, les ONG, ailleurs en Europe, qui tentent de faire interdire les ventes d’armement à l’Égypte ou à l’Arabie Saoudite ? « Ah oui. Je vois très bien. Moi aussi, j’aimerais vivre dans un monde idéal… Mais ces ventes sont primordiales pour maintenir l’influence de la France. C’est notre premier budget à l’export après le luxe. Et on ne donne jamais toutes les clés, tout le savoir-faire. On sait ce qu’on a vendu : on sait ce dont disposera notre ennemi. Finalement, c’est un moyen de garder toujours l’avantage. » Marie Récalde promet de m’emmener visiter l’usine Dassault. « Ils adorent ça. » Puis plus rien. La vague En Marche ! aux élections législatives de 2017 l’a emportée et, pendant des mois, celle qui est demeurée adjointe au maire de Mérignac ne répondra plus à mes appels.
*
Novembre 2017
Faute d’autorisation pour filmer à l’intérieur de l’usine Dassault, je continue à tourner autour. À quelques mètres de l’entrée du site, sur le parking du restaurant Lulu dans la Prairie, j’assiste ce jour-là à un rassemblement de cyclistes, coloré, festif, musical. Un collectif anti-armes ? Pas du tout. Une manifestation d’employés des industries de défense locales. Ils exigent simplement des pistes cyclables dignes de ce nom.
Les élus municipaux sont présents. Parmi eux, un autre adjoint au maire, Gérard Chausset. Je le filme discrètement car il ne souhaite pas s’afficher trop ouvertement à mes côtés. Cet ancien élu d’Europe Écologie – Les Verts, désormais En Marche !, n’a pas un positionnement facile. Il est l’un des très rares représentants politiques locaux à s’interroger sur les exportations de Dassault. Il nous reçoit chez lui. « Je ne cherche pas à empêcher ces ventes, je suis réaliste, dès qu’il y a des créations d’emplois, on ne peut plus rien dire. C’est juste pour sauver l’honneur… »
Lors de la vente des 36 avions Rafale à l’Inde, il a dénoncé publiquement le manque de transparence du contrat. « À combien a-t-il été vendu ? C’est le contribuable qui a financé son développement. Quel est le gain réel pour notre pays ? Par ailleurs, le Rafale est capable de porter des missiles nucléaires. C’est pour cette raison notamment qu’il a été acheté par l’Inde. Donc la France participe à la prolifération nucléaire. Dans dix ou vingt ans, on pourrait s’en mordre les doigts. Mais personne ne moufte. Tout le monde applaudit ces ventes. Il y a une vraie chape de plomb. Je ne suis pas antimilitariste, mais je pense qu’au pays des Lumières il pourrait y avoir des politiques, des intellectuels pour s’interroger aussi sur le bien-fondé des ventes des Rafale à l’Égypte, qui n’est pas une démocratie très robuste, tout de même… On donne des outils extrêmement performants à des pays peu sûrs. Moi, je suis une petite voix. Il faut être honnête avec ce que l’on représente. L’adjoint au maire de Mérignac, tout le monde s’en fout… »
À l’intérieur du restaurant Lulu dans la Prairie, l’ambiance est chaleureuse. La salle, immense, est décorée de maillots de sport et un grand écran retransmet un match de basket-ball. J’y rencontre Cyril Courel, aux cheveux poivre et sel attachés en queue de cheval. Il est accompagné de Cédric Guzman, son collègue. Tous deux sont entrés chez Dassault, « la belle entreprise du coin », à l’issue de leurs études, voici près de vingt ans, et tous deux se sont syndiqués quelques années plus tard à la CGT. Une protection qui leur donne suffisamment d’assurance pour s’entretenir avec une journaliste.
« Il y a une forme de déni. Les employés ne veulent pas réfléchir. En atelier, nos collègues ont une vision à court terme. Ils se disent : “Super, on signe un contrat, y a de la maille.” Il y a bien eu des témoins de Jéhovah qui refusaient de tr...
Table des matières
- Couverture
- Présentation
- Copyright
- Titre
- Prologue
- 1. Le Bordelais, terre de Défense
- 2. Au cœur de Dassault
- 3. L’appareil d’État
- 4. La présidence Hollande
- 5. « L’équipe France »
- 6. Secret-défense et omerta
- 7. Le TCA : un traité qui nous engage ?
- 8. L’Arabie Saoudite, ce grand client
- 9 L’Arabie Saoudite et le contrat Donas
- 10. Pendant la guerre au Yémen, les affaires continuent
- 11. Ailleurs en Europe
- 12. L’Égypte, notre meilleur client
- 13. Voyage au Caire
- 14. Les armes de surveillance de la France
- 15. La justice et les ventes d’armes
- 16. Pots-de-vin ou « services commerciaux » ?
- 17. L’impossible contrôle parlementaire ?
- 18. La France d’Emmanuel Macron
- Épilogue
- Remerciements
- Achevé