Chapitre 1
Qu’est-ce que
la pleine
conscience ?
Vous allez, dans ce chapitre, découvrir la pleine conscience, comment la cultiver par la pratique et comment elle peut vous aider à améliorer votre enseignement, le climat de votre classe et vos relations avec vos élèves. Je ferai le point des recherches existantes sur ses nombreux effets : bien-être, conscience de soi, autorégulation et capacités de réflexion.
Vous apprendrez une pratique fondamentale : l’attention focalisée sur la respiration. Nous verrons également en quoi consiste la pratique de la formulation de l’intention, un exercice conçu pour se reconnecter à sa motivation à enseigner, renouveler et préserver son engagement professionnel. Enfin, nous terminerons par une pratique très brève de respiration consciente que vous pourrez utiliser chaque fois que vous éprouverez le besoin de retrouver votre calme. Pratiqués avec régularité, ces exercices simples peuvent vous aider à améliorer votre résilience dans les hauts et les bas quotidiens de l’enseignement, et à créer et à maintenir un environnement dans lequel vos élèves s’épanouiront, socialement, émotionnellement et scolairement.
La pleine conscience ou la conscience
de l’instant présent, sans jugement
La pleine conscience repose sur deux dimensions : l’attention à tout ce qui est en train de se passer dans l’instant présent et l’acceptation de ces événements pour ce qu’ils sont réellement. Vous pouvez vous la représenter comme une forme de « plénitude de l’esprit » où l’instant présent est gratifié d’une pleine attention. Le terme pleine conscience a été utilisé dans diverses traditions contemplatives pour évoquer des états et pratiques méditatives très spécifiques. L’approche de ce livre est purement laïque et basée sur les données scientifiques les plus actuelles.
Pratiquer la pleine conscience signifie donc être à l’écoute de son expérience en temps réel, et ce sans porter de jugement sur son contenu1. Vous êtes pleinement présent à ce qui est en train de se passer dans « l’ici et maintenant », et non en train de ressasser des événements passés avec des pensées comme : « J’espère que tout s’est bien passé hier dans ma classe avec le remplaçant », ou de préoccupations en lien avec le futur comme : « Mais que vais-je bien pouvoir faire de cet élève ? »
La pleine conscience implique trois processus fondamentaux : l’intention, l’attention et l’attitude2. L’acte de pratiquer la pleine conscience est intentionnel, délibéré. Nous focalisons notre attention sur l’instant présent et y assistons avec acceptation, bienveillance et discernement. La pleine conscience, plénitude de l’esprit, est aussi une « plénitude du cœur » en ce qu’elle favorise une aperception du monde empreinte à la fois d’ouverture d’esprit et d’ouverture du cœur en nous rappelant sa bonté et sa beauté intrinsèques.
Le terme pleine conscience peut correspondre à la fois à un état mental transitoire et à un trait de personnalité, ou disposition, plus durable. Si la recherche suggère que certaines personnes sont naturellement plus pleinement conscientes que d’autres3, elle démontre également qu’un entraînement sur la durée permet de faire évoluer l’état de pleine conscience vers une forme de trait de personnalité chez chacun d’entre nous. Pratiquer l’attention pleinement consciente entraînerait également des modifications cérébrales facilitant l’autorégulation4. La pratique nous permet d’inscrire la pleine conscience dans nos vies quotidiennes jusqu’à ce qu’elle devienne notre fonctionnement mental habituel5.
Nous pouvons nous exercer à la pleine conscience selon diverses modalités formelles et informelles.
Les pratiques formelles incluent des exercices de méditation assise et des activités contemplatives en mouvement, tels le yoga et le tai-chi, un art martial chinois basé sur une série de gestes lents réalisés en pleine conscience. Il existe deux formes de base de pratique formelle de la méditation assise : l’attention focalisée et l’ouverture attentionnelle. L’attention focalisée implique de diriger une attention pleinement consciente sur une cible spécifique, telle que la respiration, et de s’exercer à la maintenir focalisée sur celle-ci. L’ouverture attentionnelle sous-entend, pour sa part, l’observation ouverte et sans jugement du contenu de l’expérience en cours, instant après instant. Vous trouverez à la fin de chaque chapitre différentes pratiques de pleine conscience formelles et informelles que vous pourrez tester puis utiliser dans votre travail d’enseignant. Dans ce chapitre, je vous propose plusieurs pratiques formelles introductives, dont celle de l’attention focalisée. Je présenterai l’ouverture attentionnelle dans le chapitre 2.
La pleine conscience peut également être pratiquée de façon informelle, dans le cours de vos activités quotidiennes. À n’importe quel moment, vous pouvez prêter une attention consciente à la richesse de votre expérience en cours, dans toutes ses dimensions : sons extérieurs, objets, personnes ou animaux qui vous entourent, et pensées intérieures, sensations et sentiments. Cette pratique informelle de la pleine conscience mêle attention flexible, conscience et acceptation. Il s’agit en quelque sorte d’une « méta-conscience » qui nous permet de remarquer tout ce qui se trouve dans notre conscience, comme un spectateur en train de visionner un film, et d’adopter une attitude d’acceptation vis-à-vis de ce qui s’y produit. Pour illustrer cette notion, imaginez-vous assis tranquillement au bord d’une rivière magnifique, focalisant votre attention sur les vagues. Vous avez remarqué que des bateaux descendent la rivière, mais vous ne leur prêtez pas attention. C’est alors qu’un gigantesque et somptueux bateau de croisière pénètre dans votre champ visuel… De la musique s’en échappe, des gens dansent sur le pont. La fête a l’air de battre son plein. Votre esprit a déjà quitté le rivage pour aller s’intéresser de plus près au bateau, se demandant où il va, d’où il vient. Puis, comme au sortir d’un rêve, vous réalisez subitement que vous vous êtes laissé distraire par le bateau et réintégrez mentalement la rive en reportant votre attention sur les vagues.
Il en va de même avec la pratique de la pleine conscience. Lorsque votre esprit s’évade vers des pensées perturbatrices liées à des événements futurs ou passés, vous éloignant de « l’ici et maintenant », vous prenez note de ce phénomène et reportez consciemment votre attention sur l’instant présent. Cette séquence qui comprend l’engagement intentionnel dans la conscience de l’instant présent, le fait d’être distrait, de remarquer cette distraction, et de reporter votre attention sur le présent est la pratique même de la pleine conscience.
Exactement comme l’exercice physique augmente la force musculaire, la souplesse et l’endurance de notre corps, la pratique de la pleine conscience développe des compétences cognitives et émotionnelles qui nourrissent notre force intérieure, notre résilience, notre détermination, notre capacité d’apprentissage et d’adaptation face aux défis de la vie.
Observer les jugements
L’expression de conscience « sans jugement » est souvent utilisée pour évoquer l’attitude d’acceptation. Lorsque vous commencerez à vous exercer à des pratiques de type formel, vous remarquerez cependant que votre esprit se laisse peut-être entraîner dans des pensées colorées de jugement, en particulier si vous êtes novice en la matière. Alors que vous êtes tranquillement assis et avez porté votre attention sur votre respiration, vous vous mettrez ainsi peut-être à penser à la façon dont vous êtes en train de pratiquer (« Je ne fais pas ce qu’il faut ») ou à l’agitation frénétique et vaine de votre esprit (« Mes pensées me rendent complètement fou »).
Soyez rassuré, c’est une expérience courante et qui est tout à fait normale. Voici ce qu’il faut retenir : lorsque je pratique la pleine conscience, je peux simplement prendre note de ces pensées. Je n’essaye pas de les stopper ni de les juger, j’en prends simplement note avant de les laisser repartir, reconnaissant que je ne suis pas mes pensées. Elles sont bel et bien là, mais je ne me laisse ni piéger dans leurs filets ni emporter au gré de leurs pérégrinations. Je n’ai pas à juger mes pensées, juste à les observer.
Lorsque je transpose la pratique informelle de la pleine conscience à mon expérience quotidienne au sein de ma salle de classe, je remarque la fréquence élevée à laquelle mes jugements m’éloignent de l’instant présent. Les jugements prennent la forme de réflexes de rejet ou d’agrippement d’éléments de notre expérience. Si nous jugeons un de ces aspects mauvais ou désagréable, notre seule envie est de le rejeter. Si, au contraire, nous le jugeons agréable ou profitable et ressentons un désir irrépressible de
l’obtenir, notre réflexe est de nous y agripper pour tenter d’arriver à nos fins. Lorsque j’observe mes pensées en pleine conscience, je commence à remarquer ces inclinations mentales. Je peux, par exemple, me surprendre à penser : « Sam dérange vraiment la classe. Je veux que le principal le transfère dans un autre établissement », ou : « M. Garcia a toujours des enseignants stagiaires, je pourrais demander à l’un d’eux de m’assister. » Ces deux réflexes réquisitionnent mon attention et me détournent de l’acceptation pleinement consciente de l’instant présent.
La conscience sans jugement ne suppose pas pour autant un manque de discernement. Mais juger implique d’imposer nos croyances et nos attentes à l’expérience de l’instant présent au lieu d’être pleinement conscient de ce qui est véritablement en train de se passer. Par exemple, Marc est en train de fouiller dans son sac à dos au lieu de prêter attention au problème de mathématiques que je suis en train d’expliquer. Nous sommes en pleine semaine de préparation aux examens, et je me sens sous pression, animée par la responsabilité de garantir à mes élèves un enseignement qui mette toutes les chances de leur côté. L’agitation de Marc commence à distraire les autres élèves et une sensation d’énervement ne tarde pas à m’envahir. Je sais, d’après mon expérience, qu’il peut facilement se laisser distraire et déranger la classe. Le processus de jugement se met automatiquement en place : « Il s’attire toujours des ennuis. Que va-t-il encore inventer cette fois-ci ? » Mon jugement modèle mon état d’esprit, m’inclinant à me préparer au pire et à lui tomber dessus à la moindre provocation.
En pratiquant régulièrement la pleine conscience, je développe la capacité à reconnaître ces pensées et ces émotions au lieu de me laisser happer par elles. Dès que je prends note de ma frustration et de mon énervement, ainsi que des sensations physiques et des pensées associées, je suis capable de m’interrompre, de respirer profondément et de les laisser s’en aller. Je me rends alors compte que je suis en train de procéder à des jugements hâtifs et d’émettre des hypothèses sur les intentions de Marc. Ceci ne signifie pas pour autant que je l’ignore et le laisse libre de faire ce qu’il veut, mais que je focalise mon attention sur ce qu’il est véritablement en train de faire et que je réponde à cette situation au lieu d’anticiper d’éventuels actes répréhensibles et d’y réagir de manière excessive. Je remarque également ma tendance à présumer qu’il est intentionnellement en train d’essayer de saper mon travail, alors que son comportement est en vérité probablement motivé par de nombreux facteurs qui ne me concernent en rien, comme un manque de soutien parental ou une immaturité développementale. Remarquer mes jugements me permet d’élargir intentionnellement mon champ attentionnel autour de Marc. Je me rends alors compte que son stylo est cassé et qu’il est tout simplement en train de s’affairer pour en trouver un autre afin de pouvoir prendre des notes. Ces nouvelles données intégrées, je suis en mesure, au lieu de lui tomber dessus avec brutalité pour lui signifier son manque d’attention, de régler le problème en lui proposant un nouveau stylo afin qu’il ne perde pas le fil de la leçon.
Je marque ainsi trois points importants : 1. Je me calme (pourquoi se mettre dans tous ses états alors que ça n’en vaut pas la peine ?) ; 2. J’évite une confrontation directe avec Marc, qui aurait pour effet de dégrader notre relation et de générer une tension dans la classe susceptible de nuire à l’apprentissage des autres élèves ; et 3. Je renforce ma relation avec Marc en répondant à son besoin.
Mon souhait est de vous aider à appliquer la pleine conscience à votre quotidien d’enseignant. Au fur et à mesure, enseigner deviendra plus facile et agréable. Vous vous constituerez une réserve de ressources intérieures qui vous rendront plus fort et plus résilient, vous protégeant ainsi de l’épuisement et du burn-out. Vous approfondirez vos relations avec les élèves en étant plus pleinement présent à eux tels qu’ils sont véritablement, et non tels que vous souhaiteriez qu’ils soient. Pour terminer, vous troquerez votre réactivité au profit d’une attitude plus réceptive et plus proactive. Vous remarquerez que vous êtes plus calme et plus concentré, même au milieu du chaos propre à tout regroupement de jeunes gens en nombre. Votre maîtrise de soi agira tel un catalyseur, ...