Toutes les guerres sont stupides, bien sûr, mais certaines le sont plus que d'autres. De mémoire d'homme, on s'est déclaré la guerre pour une vache, un cochon ou des crabes. Des batailles meurtrières ont été livrées pour un seau de bois, un panier de pommes, des gâteaux impayés, une oreille, des taxes sur le whisky, voire des déjections d'oiseaux de mer. Les Anglais ont attaqué Zanzibar, les Iroquois l'Allemagne, l'Allemagne le Liberia, et l'armée australienne fut mise en échec par des troupeaux d'émeus; le Salvador bombarda le Honduras pour un match de football et la Suisse envahit le Liechtenstein par erreur... Bruno Fuligni et Bruno Léandri sont entrés en campagne pour raconter les guerres les plus particulièrement stupides de l'histoire universelle. Puisse un jour le rappel de tant d'inepties sanglantes calmer de futures velléités belliqueuses!
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uand un pays connaît la défaite à l’issue d’un conflit, le tribut à payer est souvent très lourd pour ses frontières, ses populations, ou son économie, voire les trois à la fois. Mais un pays écrasé, laminé, écrabouillé, ratatiné, siphonné, ventilé comme le fut le Paraguay à la fin de la guerre dite de la Triple Alliance, de 1864 à 1870, c’est un phénomène assez rare dans l’histoire des guerres. Trois pays, l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil – les deux derniers étant les plus puissants du sous-continent –, qui s’allient pour anéantir au sens propre leur petit voisin dix fois moins peuplé qu’eux, tout mépris mis à part, on peut voir ça comme un conflit de cour de récréation : un élève, orgueilleux et hâbleur jusqu’à l’inconséquence, s’en prend à trois camarades d’école à la fois, indifférent au fait que deux des trois sont d’une ou deux classes au-dessus de lui, plus grands et plus forts que lui. Les trois agressés, qui par ailleurs ne crachent pas sur le sac de billes du petit teigneux, se mettent d’accord pour lui taper dessus, histoire de le calmer et de récupérer les billes au passage. En toute logique, le petit énervé s’en prend plein les gencives, mais au lieu de dire « pouce », il continue à ruer. Alors les grands continuent à taper jusqu’à ce qu’il ne bouge plus, et aucun maître d’école n’intervient pour siffler la fin de la récré.
Cette guerre, très méconnue en Europe, trouve ses causes principalement dans deux particularités du pays agresseur : la teneur de son régime et la personnalité bien spéciale de son chef. Coincé au milieu du continent sud-américain, le Paraguay, depuis son indépendance conquise sur son ancien propriétaire, l’Espagne, en 1813, n’avait connu d’autre régime politique que la dictature, à l’instar de la plupart de ses voisins. Ce qu’on appelait le « régime des caudillos » y avait accouché au début des années 1860 d’une espèce de superdictature, dont il fallait remonter loin dans l’Antiquité pour trouver un équivalent. Le pouvoir absolu du chef de l’État, en dépit d’une très vague apparence de république, impliquait une confusion institutionnelle entre sa propriété personnelle et le territoire qu’il était censé administrer, avec pour corollaire de considérer ses habitants comme des sujets utilisables à discrétion. Son autorité était telle qu’il était impossible de la contrarier par le moindre froncement de sourcils. Un citoyen paraguayen qui prétendait s’opposer à un tel état des choses était ou exilé, ou mort.
Le général Francisco Solano López, fils du précédent dictateur, Carlos López, arriva au pouvoir en 1862, désigné par son père (avec l’appui des élites blanches, qui s’en mordront les doigts). Sur la lancée de ses prédécesseurs, il se comporta dès le début en monarque absolu 1, à côté duquel Louis XIV faisait figure de social-démocrate, contrôlant tout, décidant de tout, se mêlant de tout, mais dans un pays de 450 000 âmes 2, c’est plus facile qu’avec plusieurs millions.
Il avait hérité de son père la soif d’imiter les grandes puissances d’Europe qu’il avait visitées dans sa jeunesse, telles le Second Empire français et la Prusse dont, respectivement, les marques de prestige et le militarisme l’avaient ébloui 3. Mégalomane, paranoïaque, appréciant par-dessus tout les manifestations les plus flagorneuses d’adulation, même quand elles poussaient l’obséquiosité jusqu’au ridicule, il était capable, sous les abords de la civilité la plus courtoise, d’une cruauté dénuée du moindre scrupule s’il sentait, à tort ou à raison, ses intérêts menacés. La société entière lui était soumise, de haut en bas, jusque dans les sphères les plus intimes de la vie quotidienne. Les innombrables et interminables fêtes officielles en son honneur n’étaient pas obligatoires, mais ceux qui n’y allaient pas étaient aussitôt catalogués comme suspects. Particularité rare chez les descendants d’Espagnols qui dominaient tous les pays voisins, le dictateur Lopez parlait le guarani, ce qui lui valait un certain soutien des couches de population majoritaires mais partout considérées comme négligeables : les Indiens.
En fait, la principale question qui se pose dans la consternante histoire qu’on va raconter, et qui reste à ce jour sans réponse, est celle-ci : ce peuple qui, dans la douleur et les larmes, Blancs, Créoles, Métis, Indiens, riches et pauvres, latifundistes et peones mélangés, a marché à l’holocauste derrière son chef, l’a-t-il fait seulement sous l’effet de la terreur, ou existait-il une fidélité ultime, une espèce de dévotion à l’homme et à un vague patriotisme ?
En l’absence d’archives, détruites ou inexistantes, il est extrêmement difficile de se faire une idée des réalités à Asunción avant et pendant la guerre, la plupart des témoins qui savaient écrire ont disparu dans le chaos, et les récits des parties prenantes survivantes sont évidemment partiaux. Néanmoins, il existe des rapports officiels de diplomates étrangers, a priori non hostiles au gouvernement, qui penchent plutôt pour la première hypothèse, alors qu’un courant dit « révisionniste », apparu au début du XXe siècle dans le pays vaincu, tenta de réhabiliter l’autocrate et de justifier le sacrifice d’un peuple entier pour son chef, au nom d’un patriotisme suprême.
Dans cette région, en ce milieu du XIXe siècle, les patriotismes et les nationalismes présentent une relativité très distendue. L’idée importée d’Europe de « patrie » n’était partagée que par la minorité blanche d’origine coloniale, les Indiens ne savaient même pas de quoi il s’agissait. Les signes en sont multiples : que les exilés paraguayens aient combattu contre leur propre armée dans les rangs argentins ou brésiliens au point de constituer des légions paraguayennes spéciales anti-Paraguay n’a rien d’étonnant – ils visaient non pas leur pays mais son régime –, par contre, la facilité avec laquelle les prisonniers de tous bords étaient retournés par bataillon entier pour combattre leur armée d’origine est déjà beaucoup plus difficile à concevoir pour un esprit européen 4. Quant aux Indiens, l’astuce des stratèges locaux était de superposer à ces patriotismes artificiels les antagonismes anciens des tribus afin de les incorporer dans l’armée. Quand les frontières néonationales séparaient les haines indigènes ancestrales, il était facile de prétendre qu’une guerre était aussi dirigée contre l’ennemi tribal. En l’occurrence, la vieille rivalité des groupes guaranis et guaycurús fut largement exploitée des deux côtés.
Pour l’historiographie, et même pour les plus indulgents envers le général, il est indéniable que l’initiative belliciste est venue du Paraguay : López avait commencé la mobilisation générale bien avant le début du conflit, et ce n’était pas un vain mot. La conscription n’avait de limite que sexuelle – il refusera l’incorporation des femmes malgré la prétendue volonté de celles-ci –, sans aucune restriction pour le reste : toutes classes, toutes races, toutes origines, tous âges, et on verra que ce dernier terme n’a rien de métaphorique. Avant que l’aventure ne commence, on estime que la moitié de la population masculine du pays était enrôlée, la proportion augmentera au fil des défaites.
Mais les ambitions martiales du général n’empêchaient pas sa grande patrie d’être un des pays les plus pauvres du continent. En fait, la nation, malgré son étendue théorique, se résumait quasiment à l’occupation des deux rives de sa principale et unique voie de communication : le fleuve Paraguay qui, joignant au sud ses eaux navigables avec le colossal fleuve Paraná, reliait le pays à la mer. D’où la priorité du général pour se constituer une puissance militaire : la marine fluviale. Des vapeurs de guerre de toutes tailles pouvaient contrôler l’artère vitale de cette partie du continent, autoriser ou bloquer la navigation. Au prix de gros sacrifices financiers, qui avaient grevé son économie balbutiante, certaines unités fluviales paraguayennes étaient les plus puissantes et les plus modernes alors en service.
Pour l’armée de terre, c’était plus difficile. On n’avait pu acheter que peu de canons et de calibres restreints, et la petite usine importée qui en fabriquait n’avait pas une production à la hauteur des exigences. L’équipement des soldats se composait de fusils en nombre insuffisant, qu’à défaut on remplaçait par des lances 5, d’une veste d’uniforme en toile principalement rouge, de shakos pour les unités d’élite, pour les autres, de chapeaux, de bonnets, n’importe quoi, et c’est tout. Quand les pantalons manquaient, on les remplaçait souvent par le pagne traditionnel, ce qui donnait aux défilés un aspect assez éloigné des cohortes napoléoniennes. Quant aux chaussures, on ne peut pas être à la fois à l’armurerie et à la cordonnerie, la plupart des unités n’en étaient pas équipées, mais pour des populations habituées dans leur immense majorité à marcher pieds nus, ce n’était pas un problème (pour bien enfoncer le clou de l’égalitarisme des soldats devant la nation, le commandement forçait les sous-officiers blancs venant des classes supérieures à laisser leurs chaussures à la porte de la caserne, seules les unités d’élite avaient droit à des souliers).
Enfin, dernière touche pour une armée digne de ce nom, les chefs. Avant la guerre, le général n’avait toléré qu’un seul officier au même grade que lui, un imbécile notoirement incapable qui ne risquait pas de lui faire ombrage, tous les autres étant colonels. Un coup de baguette réglementaire avant de commencer le baroud : tous les colonels deviennent généraux, et le général, c’est logique, s’autopromeut maréchal.
Un maréchal tout neuf, une marine conséquente et une armée pieds nus : pour attaquer l’Uruguay, à la population et aux moyens comparables, ça pouvait se concevoir. Mais pour se mesurer en même temps à l’Argentine, sept fois plus grande, quatre fois plus peuplée, et au Brésil, vingt fois plus grand, seize fois plus peuplé, c’était un peu maigre. Certes, au départ, le match n’était pas aussi déséquilibré que ça : alors que l’armée paraguayenne était déjà sur le pied de guerre, il faudra très longtemps à l’énorme Brésil pour aligner des forces supérieures des quatre coins de son immense territoire en secouant l’inertie de son administration militaire (et le peu d’enthousiasme de ses troupes), ainsi qu’à l’Argentine pour rassembler une puissance significative. Et l’audacieux stratège d’Asunción bénéficiait d’une supériorité unique mais considérable : son pays n’était pas déchiré par une guerre civile, il ne souffrait pas de rival aigri et mesquin pour lui disputer le pouvoir, contrairement à tous ses voisins, il pouvait se consacrer l’esprit serein à sa grande aventure guerrière.
L’alibi qu’attendait le piaffant paladin pour enfin employer ses régiments hypertrophiés vint de l’Uruguay, qui n’était même pas son voisin, car séparé de sa frontière par un bout de l’Argentine. Dans la guerre civile qui secoue alors l’Uruguay, le parti que soutient López (car il se mêlait aussi des affaires des autres) a perdu la partie devant ses adversaires soutenus par le Brésil, lequel est intervenu militairement sur place. Le tout récent maréchal devine aussitôt dans cette manœuvre les intentions cachées de son voisin lusophone : derrière l’Uruguay, il est visé personnellement, et son pays à lui, protecteur de la civilisation contre les barbares efféminés qui jouent des maracas. López décide donc d’attaquer le Brésil pour défendre ses amis uruguayens.
Après un vague semblant d’ultimatum, l’armée paraguayenne passe la frontière brésilienne au nord en décembre 1864 et occupe facilement quelques bourgs de la province du Mato Grosso. Elle les vide et les pille d’autant plus à l’aise que l’armée brésilienne est encore plus hétéroclite que celle de l’agresseur, et ses soldats autant pris au dépourvu que peu motivés. Gonflé d’orgueil par ce succès éclatant, le mariscal décrète une volée de fêtes officielles où il vaut mieux être vu et prépare son offensive vers le sud pour attaquer la province brésilienne du Rio Grande do Sul, voisine de l’Uruguay.
Juste un petit détail : son armée doit traverser une région argentine pour atteindre son objectif. Aucun problème, l’Argentine est aussi en proie à une guerre civile dont l’un des protagonistes est aussi un copain de López, il s’est fait des copains partout. Donc pas de souci, en avril 1865 le maréchal donne l’ordre à ses troupes d’avancer : ou bien l’Argentine regardera ailleurs, ou bien son copain argentin, vainqueur imminent de la guerre civile, lui donnera sa bénédiction a posteriori. L’armée de López se divise en deux : une colonne convoyée par sa flotte descend le Paraná et occupe la ville argentine de Corrientes, l’autre traverse le pays jusqu’à la ville brésilienne d’Urugaiana qu’elle investit sans combat.
Mauvais calcul. En Argentine, non seulement le copain de López ne conquiert pas le pouvoir, mais, de concert avec ses compatriotes, s’étrangle d’indignation devant cette violation injustifiable. Les deux partis rivaux se réconcilient sur le dos de l’agresseur et se mettent d’accord pour lui faire face.
Et voilà que dans le même élan, l’accord déborde les frontières. Sur le sillon de convergences qui existaient avant le conflit, le Brésil, l’Uruguay et l’Argentine concluent un pacte secret fin mai 1865 et s’allient militairement pour mater le fanfaron paraguayen. C’est la Triple Alliance.
Quid de l’influence occulte des puissances étrangères ? Sortant à peine de leur guerre de Sécession, les États-Unis ne se sont pas mêlés de ce conflit. Le rôle des Britanniques, un temps donnés comme tirant les ficelles dans l’ombre pour des raisons de primauté commerciale, a été en fait minime. On n’a pas toujours besoin des grands pour faire des bêtises.
À peine sèche l’encre du traité, le Brésil envoie sa flotte fluviale sur le Paraná, laquelle explose celle du Paraguay à la première rencontre, en dépit des beaux bateaux tout neufs. À partir de ce début de conflit, López, qui a perdu le contrôle de sa principale voie de communication, ne va plus connaître qu’une inéluctable marche vers la défaite, dont la lenteur, s’étalant sur cinq années, doit plus à l’incurie de ses adversaires qu’à sa mortifère obstination.
C’est d’abord la chute prévisible du point extrême atteint par la conquête lopéziste, la ville brésilienne d’Urugaiana, où son corps d’armée s’est retranché, sans communication ni ravitaillement. Durant le siège, les alliés arrivent péniblement à se rejoindre et à se coordonner, et finissent par capturer la totalité du contingent envahisseur vaincu par la faim. Puis, en octobre, c’est l’évacuation par la terre de Corrientes, le repli laborieux sur les frontières de départ et le retranchement dans l’unique forteresse paraguayenne qui verrouille le fleuve, la citadelle d’Humaitá. Cette première année du conflit, López a perdu sa flotte et ses meilleures troupes, et dès lors, cette guerre qui a commencé en forfanterie de potache va tourner au drame at...