En arriver là ?
Que s’est-il passé pour que nous nous soyons éloignés ainsi l’un de l’autre en si peu de temps ? Le pouvoir a agi comme un acide, il a miné notre amour de l’intérieur. Cette rumeur Gayet empoisonnait ma vie depuis le mois d’octobre 2012.
C’est à cette époque, cinq mois après l’élection présidentielle, que j’en entends parler pour la première fois. Je n’y crois pas une seconde, j’ai moi-même été l’objet de tant de rumeurs abjectes. Mais j’apprends qu’un dîner avec des artistes a eu lieu à l’Élysée quelques jours auparavant. C’était un samedi soir. Il a été organisé sans que je sois informée, ni même conviée. Personne ne m’en a parlé. Ni François, ni son équipe, qui est censée informer la mienne pour coordonner les agendas lorsqu’il s’agit des plages privées de son emploi du temps, ni le conseiller culture à l’origine de ce dîner.
Ce samedi-là, je suis coincée à L’Isle-Adam. C’est dans cette petite ville près de Paris que j’ai longtemps loué une maison pour être avec mes enfants une partie de la semaine, lorsque nous en partagions la garde avec mon ex-mari. Ils vivent désormais tous dans la capitale, je n’ai plus de raison de conserver cette maison. Je fais mes cartons. Mes fils me donnent un coup de main dans la journée et vont rejoindre leurs amis pour la soirée. Ce sera mon dernier week-end là-bas.
Il ne me vient pas à l’idée de demander à François de m’aider. Il est Président, il a autre chose à faire. Je fais le tri et comme à chaque déménagement, c’est l’occasion de revivre des moments de vie. Que faire de ma collection de Paris-Match ? Je ne peux pas tout conserver. J’en feuillette quelques-uns. L’un des numéros retient mon attention. Il date de 1992 ; Mitterrand est en une, la France est en pleine crise économique et politique. Édith Cresson est Premier ministre, mais c’est un véritable désastre. « Pendant ce temps-là, Mitterrand joue au golf, se promène sur les quais et fait les librairies », tel est le titre du journal. Ce n’est pas une attaque, mais au contraire une manière de souligner combien ce Président sait garder son sang-froid et prendre de la distance. Dieu que les choses ont changé ! Aujourd’hui, plus rien n’est permis, pas même quinze jours de vacances au fort de Brégançon après un an et demi de campagne. Autres temps. En 2012, la presse s’est scandalisée du visage bronzé de François et de nos sorties sur la plage, quand la moitié de la France était en vacances. Vingt ans plus tôt, elle s’émerveillait d’un Président qui savait jouer au golf au cœur de la tourmente politique…
Je regarde encore quelques photos. Celles de mes enfants petits, celles de la vie qui file comme un rien. François m’appelle vers 23 heures et ne me parle pas de ce dîner auquel Julie Gayet vient de participer. Je l’apprendrai un peu plus tard. Je trouve évidemment étrange d’avoir été écartée mais je ne m’alarme pas.
Un mois plus tard, en novembre 2012, la rumeur revient en force. Paris bruisse de l’existence d’une photo, qui serait la preuve de leur liaison. J’interroge François, je lui demande s’il a raccompagné l’actrice après le dîner. Il m’assure que non.
Le murmure de la ville devient tapage. L’AFP est sur la piste. Une précision surgit : la photo le montrerait en bas de chez elle, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à deux pas de l’Élysée. Je suis dans mon bureau, j’appelle François. « J’arrive », dit-il. En moins d’une minute, il est face à moi. Nous nous isolons dans la bibliothèque qui jouxte mon bureau. Il m’avoue être allé chez elle en septembre mais pour une réunion d’artistes.
– Combien étiez-vous ?
– Je ne sais plus, dix, douze.
– Impossible, tu mens, ç’aurait été dans ton agenda et un Président ne fait pas ce genre de trucs.
Je m’énerve. Il cède sous la pression et avoue que c’était avec Pinault. Un dîner organisé par Julie Gayet pour que les deux hommes se rencontrent. Il ne précise pas s’il s’agit du père ou du fils, mais il connaît les deux et le Président n’a pas besoin d’entremetteuse. Je me souviens très bien du soir où il m’avait dit être allé dîner chez Pinault en tête à tête…
Il n’était pas rentré tard, nous nous étions retrouvés rue Cauchy et il m’avait raconté qu’il s’agissait pour l’homme d’affaires de restituer deux statuettes chinoises qui avaient été pillées au palais d’Été de Pékin en 1860 par les troupes franco-britanniques. Deux têtes d’animaux en bronze, un rat et un chien, manquant à un ensemble de douze pièces reconstituant le calendrier chinois. Cette restitution devait s’insérer dans le programme diplomatique franco-chinois lors de la prochaine visite d’État prévue en avril. Mais que vient faire Julie Gayet dans cette histoire ? Pourquoi ai-je encore été exclue ?
Je m’agace de ce mensonge. Mais une histoire avec elle, je n’y crois toujours pas. J’estime François trop habité par sa fonction pour prendre un tel risque. Et j’ai la faiblesse de croire que nous nous aimons suffisamment pour que cela n’arrive pas. Suis-je donc naïve ? L’un de mes amis journalistes m’explique que ce sont des policiers de droite qui alimentent la rumeur. Il soupçonne des officines qui ont l’habitude de fabriquer des affaires de toutes pièces pour déstabiliser. Je le crois aussi.
J’en avais fait les frais pendant la campagne avec une fausse fiche de police qui circulait dans toutes les rédactions. Mon avocate avait voulu me voir en catastrophe. Les journalistes de L’Express m’avaient également contactée pour m’en parler avant la publication. Ils savaient que ce document était un faux et voulaient dénoncer les méthodes utilisées par la partie adverse. Cette fiche me prêtait des liaisons avec la moitié de la classe politique de droite comme de gauche.
Ce document était un faux grossier mais j’avais été alors totalement déstabilisée par l’affaire. La seule chose qui m’importait était que mes enfants ne puissent pas penser que leur mère était ce genre de femme. Ce fut le premier tsunami médiatique pour moi, le premier d’une longue série.
À la publication de L’Express, mon téléphone sonnait sans interruption. La presse appelait de tous les côtés. Je ne décrochais pas. J’avais besoin de me protéger. Je n’allumais pas la télévision. J’étais partie me réfugier dans ma maison de L’Isle-Adam. Mon fils aîné m’avait appelée :
– Qu’est-ce que t’as fait, maman, pour qu’on parle de toi partout ?
– Rien, si ce n’est être la compagne d’un candidat. Je deviens une cible.
J’étais rentrée aussitôt chez moi faire tourner mon lave-linge comme s’il fallait nous nettoyer de toute cette fange. Cette liste était tellement grotesque qu’elle avait fait sourire François. Pas moi.
Je ne crois donc pas à la rumeur Gayet. À un jeu de séduction, oui peut-être. À plusieurs reprises, je lui rappelle son mensonge, ces deux dîners auxquels elle assiste et pas moi. Puis la rumeur s’estompe.
Le répit est de courte durée. Alors que nous nous apprêtons à partir pour un voyage officiel en Russie fin février 2013, j’attends François dans le hall d’honneur de l’Élysée. Il tarde à arriver. On me prévient que Pascal Rostain, le célèbre paparazzi, se trouve dans son bureau. Cela me semble incroyable. Rostain avec François ? Non, impossible.
Je monte quatre à quatre les marches du bel escalier d’honneur que je n’emprunte jamais. Je passe d’un pas décidé devant les huissiers. D’habitude, je ne me permets pas d’entrer dans son bureau ainsi. En l’espace de vingt mois, je n’y suis entrée que cinq fois. J’ouvre la grande porte sans frapper et lance à l’intrus :
– Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Tu n’as rien à faire là.
Je le connais bien, nous avons même été copains à un moment, à Match, jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’était pas fiable.
Rostain me répond qu’il est là pour mettre en garde François contre toutes les rumeurs qui circulent :
– On dit qu’il a un enfant noir en Corrèze.
– Tu veux plutôt parler de la rumeur Gayet ? C’est bon, ça tourne dans tout Paris, on n’a pas besoin de toi.
Puis je m’adresse à François :
– Nous devons y aller, tout le monde t’attend.
Et je glisse un bras sous le sien pour l’emmener avec moi, en laissant le paparazzi derrière nous.
Dans la voiture qui nous conduit à Orly, l’ambiance est très tendue.
– Que te voulait Rostain ?
– Rien de spécial, m’informer de toutes les rumeurs.
Pour la première fois, j’ai des doutes :
– Tu ne l’aurais pas reçu ainsi au dernier moment si tu n’avais pas quelque chose à te reprocher.
– Non, je t’assure.
La présence des policiers dans la voiture m’empêche de poursuivre mes investigations.
Un mois encore et la rumeur surgit à nouveau. Même scénario. Des photos circuleraient. On me dit aussi que Julie Gayet ne fait rien pour démentir cette histoire, au contraire, elle jouerait le mystère. Je décide de l’appeler. Nous sommes le 28 mars. Le soir même, François doit s’exprimer sur TF1. Elle ne semble pas surprise de ce coup de fil. Je lui explique que cette histoire est désagréable pour moi et mauvaise sur un plan politique. Elle me répond que c’est aussi très pénible pour elle. Je lui suggère qu’elle démente elle-même pour mettre fin à ce mauvais film. Elle accepte. Je lui envoie un message pour lui dire d’attendre le lendemain, afin de ne pas polluer l’interview présidentielle.
– Je crains que ce soit trop tard, mon avocat a déjà envoyé le communiqué.
Le timing n’est ...