Troisième partie
Garantir à tous un présent et un avenir
Chapitre 8
Réussir la transition écologique
La transition écologique réside dans le passage à une société où le bien-vivre du présent ne se réalise pas au détriment des générations futures. Ce doit donc être une société respectueuse de l'environnement. La substitution d'énergies renouvelables aux énergies fossiles et aussi, peut-être jusqu'en totalité, à l'énergie nucléaire se trouve au centre de cette transition. Pour une transition écologique réussie, il faut ajouter à la transition énergétique une réorientation des productions vers des biens plus durables et, eux aussi, respectueux de l'environnement. Il devrait découler de ces transformations une croissance plus forte en termes qualitatifs mais plus faible en termes quantitatifs. Pour maintenir l'emploi et prévenir les tensions, une adaptation de l'organisation sociale, notamment par la réduction du temps de travail et la réduction des inégalités, doit s'intégrer dans une transition écologique visant le futur et qui ne doit pas être remise en cause par la pression du court terme.
Nous proposons ici une réflexion sur les conditions de réussite de la transition écologique en cherchant à faire le point sur les politiques déjà mises en œuvre et en explorant quelques exemples historiques de façon à en tirer des enseignements.
Réaliser la transition énergétique
Le défi principal est de sortir d'une consommation « à tout-va » d'énergies fossiles grandement responsables des émissions de CO2, tout en sécurisant et en limitant voire en supprimant à long terme une énergie nucléaire porteuse de risques. La première voie qui s'impose à l'esprit pour sortir d'une consommation excessive est l'économie d'énergie. Il s'agit donc d'identifier les sources de sobriété, tout en maintenant un « haut niveau de services énergétiques », selon l'expression utilisée par l'association négaWatt, constituée d'experts du domaine de l'énergie mais également d'économistes, de sociologues, d'urbanistes, etc. Reste ensuite à faire un choix entre les énergies substituables aux énergies fossiles.
Il convient de s'orienter vers un « mix » énergétique diversifié mettant en œuvre le solaire, la biomasse, l'éolien, le petit hydraulique, etc. Selon une majorité d'experts, sans négliger les autres sources, il faudrait accorder la primauté à l'électricité verte obtenue par l'énergie solaire. Ils mettent en avant les progrès rapides obtenus pour sa captation et la diminution de son coût. Par ailleurs, les panneaux photovoltaïques permettent une production décentralisée qui peut être facilement gérée grâce à la téléinformatique. Le producteur (ménage ou entreprise) est mis en relation avec un réseau central vis-à-vis duquel il peut être vendeur ou acheteur d'énergie.
Pour ses partisans, c'est donc l'électricité verte qui devrait progressivement assurer 50 % de la couverture des besoins en énergie. Par ailleurs l'expérience a montré, notamment en Allemagne, que le producteur-consommateur d'énergie en devient plus économe.
En France, le 14 octobre 2014, la loi sur la transition énergétique a été votée. Elle fixe des objectifs pour une « croissance verte » à un horizon compris entre 2025 et 2050 selon les domaines et prévoit un certain nombre de leviers d'action.
Les objectifs principaux peuvent être ainsi résumés :
– à l'horizon 2025, la réduction de la part du nucléaire de 75 % aujourd'hui à 50 % dans la production d'électricité ;
– à l'horizon 2030, dans la consommation totale d'énergies, une part de 32 % pour les énergies renouvelables, une baisse de 30 % du recours aux énergies fossiles et une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre ;
– à l'horizon 2050, la division par deux de la consommation d'énergie par rapport à celle de 2012 et la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre.
Dans les grandes lignes, les leviers d'action sont :
– des allègements fiscaux pour les travaux d'isolation ;
– l'encouragement à la production et à l'utilisation de véhicules hybrides ou électriques, avec notamment l'installation de 7 millions de bornes de recharge d'ici à 2030 ;
– un dispositif d'aides et de prêts aux initiatives de production d'énergie renouvelable.
Dix milliards d'euros sont prévus sur trois ans pour rendre ces leviers efficaces. La ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Ségolène Royal, a indiqué que 100 000 créations d'emplois sur trois ans étaient attendues de ces mesures.
Les objectifs fixés par la loi n'ont pas de caractère contraignant, hormis celui concernant l'énergie nucléaire en 2025. EDF devra obligatoirement y conformer sa production. La réalisation de ces objectifs tiendra à la volonté des gouvernements qui devront être attentifs aux indicateurs de leur avancement et continuellement adapter les leviers d'action. Cette constatation nous amène à partager le jugement formulé par l'association négaWatt selon qui la loi « donne les bonnes orientations », en particulier par l'accent mis sur la sobriété énergétique. Mais l'association pointe ensuite l'absence de programmation contraignante : « C'est bien une feuille de route [...] qui fait défaut dans le texte actuel : il y a besoin d'une part d'une clarification du rythme et des priorités dans les transformations à opérer, d'autre part d'un ensemble de mesures cohérentes pour impulser et financer leur réalisation. » NégaWatt conclut : « Les moyens proposés manquent de force et de cohérence pour engager la France sur la bonne trajectoire » (« Transition énergétique : des objectifs bien orientés, mais un chemin qui reste à écrire ! », www.negawatt.org).
Réorienter les productions par l'action sur les prix et les coûts
Pour préserver la planète il ne suffira pas de réaliser la transition énergétique, il faudra produire et consommer autrement. En l'absence de planification impérative, deux moyens sont à la disposition des pouvoirs publics pour agir sur la consommation et sur la production. Le premier est la taxation, un prix élevé étant censé être dissuasif pour le consommateur ; le second est l'obligation faite à l'entreprise d'acheter des « droits à polluer », censée dissuader le recours à des pratiques polluantes. C'est de la taxation que nous traiterons en premier lieu.
L'empreinte écologique comme indicateur pour une taxation des produits
Plus la dégradation environnementale occasionnée par la production et la consommation d'un produit est forte, plus la taxe écologique qu'il faut lui appliquer doit être élevée. On s'efforce de quantifier la dégradation environnementale liée à un produit par son empreinte écologique. Cette dernière correspond à ce qu'on pourrait appeler la « consommation d'environnement du produit quantifiée par une surface biologiquement active », selon la définition de WWF (World Wide Fund for Nature). Dans ce concept, pour que la production et la consommation mondiales laissent intact l'environnement, leur empreinte ne doit pas dépasser la surface de la planète. En d'autres termes, au-delà d'une planète, les dommages à l'environnement sont irréversibles. Sur cette base, on constate qu'une intervention dans les pays les plus riches est indispensable quand on sait qu'il faudrait quatre ou cinq planètes pour que le mode de vie des Américains ou des Européens puisse être transposé aux 7 milliards d'humains qui peuplent la Terre.
Au niveau d'un produit, l'empreinte écologique se mesure donc par une surface, mais en pratique il est plus commode de l'évaluer à partir du volume de l'émission de gaz polluants occasionnée par sa fabrication. De son importance doit donc dépendre la taxe appliquée. Pour reprendre les concepts évoqués plus haut, l'empreinte écologique est une externalité négative qui doit être intégrée dans le prix par la taxation. Le problème qu'elle pose et qui apparaît dès sa définition est celui de sa mesure quelque peu empirique. Mais il ne peut être question d'ajuster un taux de taxe à chaque produit, c'est plutôt un regroupement par catégories qu'il faudrait pratiquer.
Il conviendrait donc de procéder à une refonte totale de la fiscalité indirecte, à prélèvement global égal, appliquée en fonction de l'empreinte écologique. Il faut noter qu'une telle taxation écologique pénaliserait fortement la vente de véhicules polluants, de même que l'agriculture et l'élevage intensifs. En particulier, l'empreinte écologique forte des fruits et légumes produits grâce aux nitrates et pesticides rendrait leur niveau de taxation particulièrement élevé ; il serait en revanche à peu près nul pour l'agriculture biologique.
Une taxe écologique à la consommation ne proportionnerait pas la contribution de chacun à son revenu. D'où la nécessité d'envisager parallèlement un mécanisme de compensation au bénéfice des plus modestes.
La mise en œuvre d'une taxation écologique
En octobre 2014, en France, l'état des lieux en matière de taxation écologique se réduit à une contribution climat énergie (CCE) sur le gaz naturel en vigueur depuis le 1er avril 2014. Si, la première année, elle est censée rapporter à l'État 340 millions d'euros, elle doit peu à peu s'étendre aux autres produits énergétiques : sans-plomb, gazole, fuel, etc., jusqu'à générer 4 milliards de recettes supplémentaires en 2016, que l'État affectera au financement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice), des réductions d'impôts prévues pour les travaux d'isolation et des aides aux ménages modestes pénalisés par la CCE.
L'idée qui a présidé à l'établissement de la CCE est l'ajustement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), à leur contenu en carbone, qui constitue en quelque sorte une forme d'empreinte écologique. Mais les députés ont refusé début octobre 2014 une disposition du projet de loi sur la transition énergétique prévoyant une augmentation progressive du taux de CCE. La crainte d'un effet négatif sur la croissance l'a emporté sur la préoccupation écologique ; le temps court reste toujours prioritaire par rapport au temps long !
L'action par les prix pourrait également être utilisée pour lutter contre l'obsolescence programmée. Cette dernière désigne le fait que des entreprises conçoivent souvent les produits qu'elles fabriquent de sorte que leur durée de vie soit limitée. Il fut un temps où les téléviseurs fonctionnaient encore après dix années d'usage, aujourd'hui ils sont conçus pour tomber en panne (et non réparables) au bout de trois ou quatre ans. Pour lutter contre ce gaspillage il suffirait d'appliquer une taxe additionnelle (ou un taux de TVA majoré, comme cela a existé pour les produits de luxe) dès lors que le fabricant ne garantirait pas ses produits (pièce, main-d'œuvre ou échange standard) pendant une durée minimale à définir par grandes catégories de produits (électroménager, hifi, etc.). Ainsi, les produits durables seraient payés moins chers par les consommateurs, et les producteurs seraient incités à allonger les durées de vie, alors qu'actuellement ils font l'inverse.
Mais la faible taxation des produits à vie longue sera inopérante si les consommateurs en changent avant leur usure complète. De même la hausse du prix du sans-plomb ou du gazole par la CCE, si les particuliers jugent prioritaire l'utilisation de leur voiture par rapport aux transports en commun. Aussi importe-t-il de casser la logique de fuite en avant dans la consommation – favorisée par des campagnes publicitaires qui savent si bien entretenir la frustration des consommateurs – par l'instauration d'une véritable taxe spéciale sur la publicité. De fait cette dernière existe déjà (pour celle qui utilise le vecteur télévisuel) mais son montant n'a jamais été véritablement révisé (il l'a été pour la dernière fois au 1er janvier 1995, non pas pour être réévalué mais au contraire divisé par deux !) et reste plafonné à 34,30 euros pour les messages publicitaires les plus longs. Somme évidemment ridicule par rapport au coût d'une annonce. Le lobby publicitaire a dû être très efficace ! Actuellement le coût administratif de cette taxe archaïque dépasse largement la recette qu'elle engendre. Selon nous, il ne convient pas de la supprimer mais, au contraire, de lui restaurer une véritable fonction et des taux conduisant à des montants économiquement significatifs et bien utilisés.
La recette correspondante financerait d'autres formes de communication, assurée soit par des associations de consommateurs, soit par les pouvoirs publics, et serait orientée non pas vers le « consommer plus » mais vers le « consommer mieux ». En France une communication qu'on pourrait dire vertueuse existe déjà mais dans des proportions qu'il faudrait complètement inverser. Citons : les messages d'incitation à la vaccination antigrippe, ceux mettant en garde contre une consommation excessive d'antibiotiques, ceux d'encouragement aux économies d'énergie, etc. Mais, même si les exemples sont nombreux, cette communication est sans commune mesure avec la publicité orientée vers la croissance effrénée de la consommation.
L'action directe sur les prix peut être accompagnée d'une action sur les coûts en pénalisant financièrement les entreprises polluantes par le paiement d'une taxe ou d'un « droit ». Le projet de l'écotaxe prévue pour les transports sur route et pratiquement abandonnée début octobre 2014 allait dans le sens de la taxation par le paiement d'une redevance au kilomètre. Mais pour les grandes installations émettrices de CO2, dans les choix internationaux et européens c'est le système dit des « droits à polluer » qui a été préféré. Des droits gratuits sont attribués aux entreprises qui peuvent ensuite pratiquer entre elles des achats et des ventes. Une entreprise qui envisage de réduire ses émissions polluantes pourra vendre des droits ; celle qui envisage d'augmenter le volume de CO2 dégagé en produisant plus sans nouveaux équipements antipollution devra en acheter. En 2014, dans l'Union européenne, ce système ne fonctionne pas de façon satisfaisante, le prix des droits se situant à un niveau trop bas pour être dissuasif. Le système de la taxation s'avère donc préférable.
Adapter les indicateurs aux exigences de la transition écologique
Si la transition énergétique et la réorientation des productions ont des conséquences sur la croissance et l'emploi, elles en ont aussi sur les conditions de vie. Or le PIB ne constitue pas un indicateur permettant de les apprécier de façon satisfaisante. Aussi est-il nécessaire de mettre sur pied de nouvelles procédures d'évaluation dont les résultats guideront les pouvoirs publics dans l'adaptation des politiques aux objectifs du développement durable.
Fixer des objectifs plus réalistes
Nous avons vu plus haut que, malheureusement, le PIB est partiel et partial. Il ne mesure que les échanges marchands et la croissance économique, et est, surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un mode de régulation sociale bien commode. Véritablement drogués par cette croissance qui pourtant ne peut plus se prolonger, la quasi-totalité des hommes et partis politiques centrent leurs programmes et actions sur son retour.
L'un des axes fondamentaux des réformes à conduire consiste à fixer d'autres objectifs plus réalistes, humains et ambitieux. C'est ainsi que certains économistes ou sociologues ont pu proposer des instruments de mesure alternatifs au PIB et notamment l'IDH (indice de développement humain), qui prend en compte l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le niveau de vie. De même le royaume du Bhoutan oriente sa politique sur la base du BNB (bonheur national brut), fondé sur des valeurs humaines inspirées du bouddhisme.
Pour notre part nous estimons qu'aucun indicateur ne peut refléter la complexité des sociétés humaines et de leurs aspirations, lesquelles sont d'ailleurs différentes selon les pays et évolutives dans le temps. Par ailleurs nous avons vu que lorsque des organes politiques voulaient se vanter de l...