Troisième partie
Le fonctionnement des organisations syndicales de salariés et d'employeurs est inadapté et inefficace au regard des enjeux actuels
30. « Les organisations syndicales et patronales devraient être plus présentes sur le terrain »
→ Elles le sont, mais il importe également d'élargir le champ d'action.
Dans les établissements où ils sont présents, les représentants syndicaux et les élus entretiennent des relations directes avec les salariés. C'est cependant compliqué pour les salariés nomades, détachés à l'extérieur. Le problème se pose pour la moitié des salariés qui travaillent dans des établissements où il n'y a ni élu, ni syndicat. Ces derniers doivent alors trouver un contact ou un service en dehors de leur lieu de travail mais aussi près que possible de celui-ci.
Pour les employeurs, il s'agit principalement de pouvoir bénéficier de services de proximité : conseil sur les diverses réglementations, appui juridique, prospective, etc.
Tous les salariés et tous les chefs d'entreprise devraient pouvoir bénéficier d'un contact rapide et facile avec les organisations censées les représenter. Mettre en relation les employés et les dirigeants avec des élus qui comprennent les réalités locales implique une présence des structures syndicales et professionnelles au plus près du terrain. Cela n'enlève rien à la nécessité pour ces organisations d'avoir une structuration régionale, nationale et par métier. C'est même une condition pour que le service local soit de qualité parce que relié aux échelons à même de traiter de problèmes dont la solution n'est pas toujours locale.
Les organisations de salariés et d'employeurs ont donc mis en place des structures couvrant territoires et branches professionnelles.
Au-delà de l'entreprise, dans la plupart des cas, le premier échelon des structures syndicales ou patronales se situe au niveau départemental. Dans certaines villes existent aussi des antennes locales souvent regroupées pour les syndicats de salariés dans des Bourses du travail. Certaines organisations ont des difficultés à couvrir l'ensemble de ces niveaux pour des raisons de moyens qui les handicapent aussi au niveau national. Être plus présent sur le terrain nécessite plus de structures de proximité, donc infradépartementales. C'est certainement souhaitable : bien que les nouveaux moyens de communication permettent de gérer beaucoup de choses à distance, certaines demandes nécessitent une rencontre directe avec les personnes qualifiées. Des syndicats ont d'ailleurs mis en place des lieux d'accueil dans de grands centres d'activité (centres commerciaux, zones d'activité) pour faciliter ce contact et pallier l'absence des organisations au sein des entreprises. De même, des employeurs se structurent de manière informelle pour traiter de problèmes communs : bassins d'emplois, zones industrielles ou commerciales, etc.
31. « Les organisations syndicales et patronales ne s'occupent que de leurs adhérents »
→ Non, c'est l'inverse.
Les modalités du dialogue social en France poussent plutôt à ne pas les prendre suffisamment en compte.
Une grande partie du travail des représentants syndicaux et patronaux concerne l'ensemble des salariés et des entreprises. C'est le cas pour toutes les négociations nationales interprofessionnelles ou de branche, la gestion du paritarisme, les multiples concertations avec les pouvoirs publics, etc.
Dans l'entreprise, la grande majorité des élus assurent la défense des salariés, qu'ils soient ou non syndiqués. Dans les branches et au niveau interprofessionnel, les organisations patronales défendent et engagent toutes les entreprises.
Contrairement à la plupart des pays européens et en particulier des pays scandinaves où l'accès à certains droits est réservé aux syndiqués, en France, les droits négociés le sont généralement pour tous les salariés et toutes les entreprises concernés. L'action des partenaires sociaux, souvent critiqués pour leur prétendu sectarisme, bénéficie donc à tous les salariés comme à toutes les entreprises.
32. « Dans les entreprises et les administrations, le dialogue social n'apporte pas de résultats »
→ Complètement faux.
Chaque année, près de 40 000 accords sont signés entre des directions d'entreprises et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.
Le dialogue social est un moyen. Il relève d'un choix des dirigeants et des syndicalistes qui considèrent – ou non – qu'il permet d'expliciter les désaccords et les conflits pour les dépasser. Loin de nier les conflits d'intérêts réels, il traduit leur volonté d'élaborer des compromis sur des sujets qui concernent l'entreprise ou l'administration, et les salariés ou les agents.
Au-delà de la qualité des relations humaines dans un établissement, qui constitue un facteur généralement positif, le dialogue social peut prendre plusieurs formes. Le comité d'entreprise – ou le comité technique dans la fonction publique – est une instance de consultation. Celle-ci peut porter sur tous les sujets concernant l'établissement et les salariés : horaires et conditions de travail, organisation, plan de formation, perspectives de développement à moyen et long terme, difficultés, etc. Elle ne prend véritablement son sens que lorsque la direction la mène suffisamment en amont en apportant aux élus les éléments d'information leur permettant de se forger une opinion, voire d'apporter des propositions alternatives.
La concertation engage direction et représentants du personnel. Elle consiste à tenter de construire une réponse acceptable pour les différentes parties à un problème d'intérêt commun : sans partager les mêmes points de vue et priorités, elles considèrent qu'il est utile de rechercher une solution viable.
La négociation collective enfin peut intervenir à la demande de l'une ou l'autre des parties. Ce sont les organisations syndicales représentatives dans l'établissement qui sont habilitées à la mener. Elle ne peut s'engager valablement que si la direction et les syndicats ont une réelle volonté d'aboutir à un compromis pour traiter le problème à l'ordre du jour.
Il est intéressant de noter que six des huit fédérations de fonctionnaires qui représentent 80 % des agents ont signé avec les pouvoirs publics les accords de Bercy en 2008. Ces accords sont traduits dans la loi de juillet 2010 portant « rénovation du dialogue social dans la fonction publique{25} ». Employeurs publics comme fédérations de fonctionnaires ont en effet estimé que le bilan des consultations était très maigre, notamment parce qu'elles n'étaient le plus souvent que formelles et ne prenaient donc pas en compte les positions ou propositions des élus. La loi insiste sur la nécessité de négocier sur tous les sujets et à tous les niveaux pertinents. Au-delà des intentions, elle ne se met en œuvre que très progressivement dans les ministères, les collectivités et les hôpitaux. Les responsables concernés mettent en avant à la fois le manque de préparation des cadres et des équipes et les difficultés budgétaires actuelles qui limitent les marges de manœuvre des directions.
Dans les entreprises, la pratique de la négociation est plus ancienne. Elle est d'autant plus vivante que les directions en voient l'utilité et que les syndicalistes sont à l'écoute de leurs collègues de travail.
Les négociations peuvent aussi bien porter sur des sujets obligatoires du fait de diverses lois (salaires, égalité femme-homme, etc.) que sur des sujets portés par les partenaires sociaux au sein de l'établissement ou de l'entreprise. Dans tous les cas, la gestion d'un calendrier réaliste (ni trop court ni trop long) est une condition de la réussite de la négociation.
Les statistiques font ressortir que la négociation d'entreprise – dans laquelle les acteurs traitent de problèmes très concrets et visibles comme les salaires ou les conditions de travail – est aujourd'hui plus productive que celles des branches ou du niveau national qui abordent des sujets plus complexes comme la protection sociale ou l'assurance chômage.
Établir un dialogue social réel et responsable n'est donc pas un trompe-l'œil. Au contraire, ce dialogue s'avère un outil indispensable au service des entreprises et des salariés.
33. « Les organisations syndicales et patronales sont trop nombreuses et dispersées »
→ C'est globalement vrai.
La diversité des opinions des salariés se traduit en France par le pluralisme syndical quand elle est plus souvent assumée au sein d'une organisation unique en Europe. En France, le nombre d'organisations est plus important qu'ailleurs et la coopération entre elles plus faible.
Dans les entreprises, la dispersion des syndicats de salariés est relativement limitée : on y dénombre en moyenne entre deux et trois organisations. On note cependant des exceptions, notamment dans les quelques entreprises où les différents corps de métiers sont organisés dans des syndicats spécifiques. Le transport aérien en est un exemple.
Au niveau des branches, dans la plupart des cas, le nombre de syndicats de salariés est compris entre trois et cinq, parfois moins. Au niveau interprofessionnel, dans le secteur privé, cinq confédérations sont reconnues comme représentatives : la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGT, et FO.
Ces cinq organisations, ainsi que la FA-FP, la FSU, Solidaires et l'UNSA, siègent{26} au Conseil commun de la fonction publique sur la base des résultats des élections de décembre 2014.
Côté employeurs, la situation est plus hétérogène. Au niveau professionnel, certains secteurs ne comptent qu'une seule organisation professionnelle (chimie, métallurgie, etc.), d'autres plusieurs organisations concurrentes (hôtellerie-restauration) ou se divisent en de multiples sous-secteurs (commerce par exemple). C'est une des raisons qui expliquent la profusion des branches professionnelles (plus de 700 à ce jour). La loi de 2014 incite à des regroupements.
Au niveau interprofessionnel, trois organisations d'employeurs sont reconnues représentatives (la CGPME, le Medef, et l'UPA). D'autres organisations nationales couvrent l'agriculture, les professions libérales ou le secteur de l'économie sociale et sont reconnues comme « multiprofessionnelles ». De nouvelles règles en cours de finalisation préciseront la représentativité de chacune d'elles en 2017.
Si certains ministères comptent également des syndicats catégoriels, conduisant à un nombre élevé d'organisations, dans la fonction publique hospitalière comme dans la territoriale, la situation ressemble davantage à celle du privé.
D'une manière générale, plus il y a d'organisations (de salariés ou d'employeurs) qui participent à une négociation, et plus sa conclusion est complexe, du fait de la multitude des points de vue, ou de la surenchère liée à la concurrence entre organisations.
Les lois relatives à la représentativité des salariés tant dans le privé que dans le public, les règles de validité des accords, la loi récente sur la représentativité patronale, la volonté des pouvoirs publics de réduire le nombre de branches visent à dépasser les inconvénients de l'émiettement et à favoriser un dialogue social responsable.
34. « Pour peser davantage dans la situation économique actuelle, les organisations syndicales devraient se réunir dans une même structure »
→ Cela ne va pas de soi.
En théorie, un syndicalisme moins dispersé serait plus efficace pour parler d'une même voix face aux pouvoirs publics et tenir des positions communes vis-à-vis de la délégation patronale lors des négociations. Cela se fait dans certaines négociations mais pas toujours. Cependant, les règles de conclusion d'un accord collectif obligent des syndicats à travailler ensemble. Souvent, dans l'entreprise, et plus encore au niveau national, un syndicat n'a pas le poids suffisant pour signer seul un accord.
La crise économique et sociale qui secoue l'Europe depuis 2008 a initié un début de travail commun mais les points de vue trop éloignés sur les causes de la crise ou sur les solutions pour en sortir y ont mis un terme.
On ne peut ignorer que cette diversité des syndicats traduit les différences de conception de l'action syndicale, de ses finalités et de ses moyens d'intervention.
La question principale ne se situe pas au niveau de l'intérêt qu'auraient les syndicats à travailler ensemble mais sur les conditions à réunir pour parvenir à un travail efficace. C'est une question débattue assez régulièrement et depuis longtemps dans les organisations syndicales. On observe que ce travail en commun est à géométrie variable, plus constant et coopératif au plan européen ou sur des sujets comme l'égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations ou encore sur la défense de droits fondamentaux. Selon les sujets et les moments, ce ne sont pas les mêmes qui travaillent ou agissent ensemble. Tant que les approches demeurent trop différentes, le travail en commun ne se décide qu'au coup par coup.
35. « Les organisations syndicales privilégient la hausse du smic à l'emploi »
→ La fixation du smic n'est pas du ressort des organisations syndicales.
Si des syndicats revendiquent régulièrement la nécessité d'une hausse du smic, les partenaires sociaux n'ont aucun pouvoir sur son montant.
La loi fixe les modalités d'évolution du smic{27}. Cette évolution annuelle prend en compte l'augmentation des prix à la consommation à laquelle s'ajoutent 50 % de la hausse du pouvoir d'achat du salaire horaire ouvrier et employé moyen. Chaque année, un groupe d'experts remet un rapport au gouvernement qui décide du taux soit en se limitant à l'augmentation légale, soit en allant au-delà. C'est ce que l'on appelle le « coup de pouce ». Les organisations syndicales et patronales sont consultées dans ce processus. Cette mécanique permet de revaloriser régulièrement ...