Un métier (presque) ordinaire
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Un métier (presque) ordinaire

Paroles d'aides à domicile

  1. French
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  3. Disponible sur iOS et Android
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Un métier (presque) ordinaire

Paroles d'aides à domicile

À propos de ce livre

Qui sont les aides à domicile? Quelle est la réalité de leur travail? On en sait trop peu sur toutes ces personnes de l'ombre – auxiliaires de vie, aides-soignants, assistants de vie... – qui viennent au domicile des personnes âgées, malades ou handicapées pour les aider dans tous les gestes indispensables du quotidien qu'elles ne peuvent pas ou plus faire seules.


Blandine Bricka est allée interroger sept d'entre elles et les a invitées à raconter le quotidien de leur activité: leur manière d'entrer en relation et de créer la confiance avec le patient, leur rapport à l'intimité et au corps de l'autre, leur façon d'aborder la maladie et la mort... Comment, quand on arrive en étranger chez quelqu'un, parvenir à se faire accepter et à faire accepter les soins? Quel rôle joue-t-on auprès des aidants familiaux? Comment faire son travail avec coeur tout en veillant à ne pas s'épuiser physiquement et psychologiquement dans cette confrontation quotidienne au handicap, au grand âge, à la dépendance, à la fin de vie?


Ces témoignages d'une rare intensité permettent de mettre en lumière un métier (presque) ordinaire, peu connu et pourtant vital pour des centaines de milliers de familles et pour l'ensemble de la société française.

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Chapitre 1.
Amina et Priscilla, aides-soignantes

« Avec le temps, les patients et leur famille nous ouvrent leur porte, leur maison, leur intimité »
Quand je suis arrivée à la gare le lundi 23 janvier 2017, Priscilla, qui avait emprunté sa voiture de service pour venir me chercher, m'a proposé de faire l'entretien à trois avec sa collègue Amina. À quelques kilomètres de là, j'ai été accueillie très vigoureusement et affectueusement par Jackie, « chien d'aidant », m'a dit d'emblée Amina. Celle-ci a préparé le thé à la menthe, les petits gâteaux... Sa maman était présente, ancienne aide-soignante. À la délicatesse des paroles et des gestes qu'elle et Priscilla avaient à son égard, j'ai tout de suite senti que j'étais dans un endroit d'humanité différent.
Amina : J'ai 50 ans. Je suis aide-soignante, diplômée depuis trente ans. Mais ce n'est pas ma faute : je n'étais pas du tout prédestinée à faire ce métier. J'ai écouté ma mère, qui était aide-soignante et qui travaillait à l'hôpital Saint-Camille à Bry-sur-Marne, un établissement tenu par des pères camilliens. Mon truc à moi, c'était le social. Je préparais un bac F8, médico-social. Un jour, je cherchais un stage et ma mère m'a emmenée à Saint-Camille pour me présenter l'assistante sociale. Dans les couloirs, nous avons rencontré Monique Perron, infirmière, directrice de l'école d'aide-soignante, qui s'est adressée à ma mère : « Fatima, ta fille, elle vient lundi pour le concours d'aide-soignante ? » Poliment, j'ai répondu d'accord. Mais je n'étais pas du tout intéressée. Sauf que la formation était payée par le Conseil général pour les dix premières reçues, qui en plus étaient rémunérées. 1 200 francs à l'époque. Pour moi, c'était énorme ! J'ai tenté et j'ai été reçue parmi les dix premières. Mais là, que faire ? Faire plaisir à ma maman ? Poursuivre ce que j'avais choisi ? Finalement, je me suis lancée et j'ai découvert le métier progressivement. À Saint-Camille, les cours étaient extraordinaires : on nous apprenait essentiellement le respect du patient. Par la suite, j'y ai travaillé pendant de nombreuses années et j'ai touché à beaucoup de services (pédiatrie, cardiologie, chirurgie, radiologie) et à beaucoup de pathologies. Puis j'ai été embauchée dans une clinique privée à Montreuil où j'ai travaillé jusqu'à ce que l'établissement ferme et qu'on déménage en Seine-et-Marne. Depuis dix ans, j'exerce mon métier dans un SSIAD{4}.
Là non plus, ce n'était pas mon choix au départ, mais j'y ai trouvé ma place car j'adore les gens, aussi éclectiques soient-ils. Avec le soin à domicile, je suis plus dans le lien social. Toute cette qualité relationnelle, je l'avais moins quand je travaillais à l'hôpital où l'organisation est assez militaire. Il y a les règles à respecter, le travail d'équipe. Là, je suis seule sur le terrain. C'est à moi d'avoir le réflexe de savoir ce qu'il faut faire ou ne pas faire, c'est à moi d'observer, de m'adapter, de sentir que chez les uns, il faut se déchausser, chez les autres, poser mon sac là... J'étais autrefois de nature assez timide et ça m'a beaucoup aidée de rencontrer des personnes différentes, d'être jugée, car quand on arrive, les gens nous observent. Ça m'a appris à analyser, à m'imposer aussi. En douceur bien sûr. Je trouve ça très riche. Et puis j'adore les challenges. Je suis d'origine maghrébine, assez typée. Souvent on me prend pour une Antillaise. Quand je tombe sur des anciens de la guerre d'Algérie, ce n'est pas gagné. Mais j'aime quand j'arrive, que la porte est fermée, que je trouve un petit trou et qu'au final, on me dit : « Vous revenez quand ? »
Priscilla : J'ai 31 ans, je suis aide-soignante diplômée depuis 2005 et j'ai commencé à travailler à 19 ans. Ma maman aussi était aide-soignante. Et moi non plus je n'étais pas prédestinée à le devenir. J'ai d'abord passé le concours de monitrice-éducatrice que j'ai réussi, sauf que j'avais 17 ans à ce moment-là et que pour valider mon diplôme, il aurait fallu que j'aie 18 ans pour pouvoir faire mon stage. Pendant un an, j'ai donc fait des vacations dans des maisons de retraite, où j'ai exercé la fonction d'aide-soignante, que je n'étais pas. Ma mère me poussait à passer le concours et j'ai fini par le présenter. Et puis, dans la dernière ligne droite, j'ai failli tout arrêter car j'ai perdu ma mère dans un accident. Finalement, je me suis battue pour l'avoir pour elle, pour honorer ce métier qui a été le sien. Ensuite, je suis d'abord restée en maison de retraite, où j'ai travaillé de jour, puis de nuit, seule dans un service de quarante patients, ce qui m'a beaucoup appris sur le relationnel avec eux. Après quoi, je me suis lancée dans l'intérim où j'ai découvert les services de cancérologie, de psychiatrie, de pneumologie, de réanimation. J'ai travaillé dans des MAS{5}, des IME{6}. J'ai pu observer le fonctionnement des équipes. Dans le cadre de l'intérim, j'ai rencontré le SSIAD qui m'emploie aujourd'hui. Quand je suis tombée enceinte, j'ai décidé de ne travailler que le matin pour pouvoir allaiter et élever mon bébé, ce que ce SSIAD me permettait de faire. Et puis j'ai commencé à aimer le travail à domicile plus que je ne l'aurais cru au départ. J'apprécie de ne plus être dans toutes ces structures où de toute façon, ça ne va jamais bien, et d'être seule avec mes patients et de pouvoir travailler avec eux comme j'en ai envie. Depuis avril 2016, je suis donc en CDI. On est une trentaine d'aides-soignantes (de statuts différents entre les temps pleins, les temps partiels, les vacataires, les intérimaires) en charge d'environ cent cinquante patients sur différents secteurs de la Seine-et-Marne...
Amina : ... sans compter l'équipe spécialisée Alzheimer (ESA) avec une ergothérapeute et trois aides-soignantes ASG{7}.
Priscilla : Chaque soignant est affecté à un secteur, sauf moi qui travaille sur l'ensemble des secteurs. Je connais donc pratiquement tous les patients. Personne n'a de patient attitré chez qui il irait tous les jours. Mais moi, je suis la volante de l'équipe. Au lieu de voir les patients toutes les semaines ou tous les quinze jours, je les revois, en fonction du planning, tous les deux à trois mois. J'avais ce rythme-là pendant mes six ans d'intérim où je n'avais pas de secteur défini. Et depuis que je suis en CDI, j'ai choisi de continuer à aller partout parce que je voulais garder un lien, même irrégulier, avec certains patients, avoir le plaisir de les entendre dire : « Je suis content de te voir. » J'ai donc à la fois le même rôle que mes collègues et le rôle de celle qui les connaît tous, qui a une intimité différente avec eux, du fait que je ne les voie pas régulièrement, ce qui leur permet parfois de se confier plus facilement.
Amina : À l'inverse, moi, je ne veux pas faire ce que fait Priscilla, tourner de-ci de-là. Je les admire, ces jeunes qui font beaucoup de kilomètres. Moi, je suis aide-soignante, pas chauffeur de taxi ! Le temps que je perds sur les routes, je préfère le passer avec les patients. J'ai besoin d'un secteur régulier même si on les connaît plus ou moins tous puisque l'après-midi, on va partout. Mais le matin, c'est important pour moi de prendre le temps avec les patients, de les voir régulièrement, une fois tous les quinze jours, ou une fois par mois en fonction des plannings.
Priscilla : Le rythme est intensif. On arrive parfois à avoir huit patients dans une matinée à caler entre 7 h 30 et 13 heures. Plus les kilomètres parce que ce ne sont pas huit patients dans une structure, qu'on peut voir les uns après les autres sans sortir de l'étage ou de l'aile. Ce sont huit patients sur une ville, voire plusieurs villes. On peut prendre le temps avec chacun, mais dans ce temps que l'on accorde à l'un, on pense toujours à tous les autres chez qui on ne peut pas arriver à n'importe quelle heure. On est donc pris entre le temps qu'on se donne et le temps réel dont on dispose.
Amina : Moi, je suis un peu la révolutionnaire de l'équipe et je fais de la résistance. Je vois cinq, parfois six patients en une matinée. Le boulot est fait. Il n'y a pas à y revenir. Mais je prends le temps d'observer, de discuter, d'écouter les aidants{8}, de capter toutes les informations qui peuvent être utiles pour le soin, de parler avec le kiné, avec l'auxiliaire de vie, car on est complémentaires. Tous ces échanges sont importants pour établir un lien de confiance et montrer aux patients qu'on forme une équipe. Aux jeunes qui arrivent, je dis toujours que je suis « la tortue ». Mais je sais pourquoi. Quand on prend du temps au début pour observer, on en gagne après. Je ne peux pas suivre cette cadence infernale. Sinon je vais bosser chez William Saurin. Mais est-ce que ça va durer ? Souvent je me dis qu'au moindre faux pas, je vais sauter. J'en discute ouvertement avec mes collègues. Je leur demande comment elles font. Elles me répondent : « Ne parle pas. » Une fois je suis arrivée chez un patient à qui j'ai dit : « Je ne dois pas ouvrir la bouche, sinon je vais me faire virer ! » On a plaisanté et au bout de dix minutes le naturel est revenu au galop. Le patient s'est moqué de moi : « Ça y est, tu es virée ma pauvre cocotte ! » Alors je lui ai dit : « Virée pour virée, on fait un café ? » Je joue beaucoup avec l'humour. Les patients ont besoin de ça. Quand on fait le soin avec humour, ils n'ont pas le temps d'y penser et ça glisse. Tu as connu Madame X, une dame extrêmement forte qui ne se levait plus ? Elle avait une poitrine énorme. On plaisantait beaucoup et je lui disais : « J'aimerais en avoir des lolos comme vous. Vous comprenez, dans les fêtes, chez nous, quand on se lève pour danser, c'est les épaules, la poitrine... Quand elle me voit, ma mère me dit toujours : “Va t'asseoir, l'asticot, tout le monde te regarde.” » Un jour, j'ai dit à cette dame : « Vous avez déjà fait de la danse orientale ? – Non. – Vous devriez essayer. Regardez, là, comme ça, ça bouge tout seul. » Elle était assise au bord du lit et m'a dit : « Eh tiens, regarde ! » Alors j'ai enchéri : « Ma belle-mère, elle fait ça avec le ventre : elle le soulève et elle le descend, comme ça. »
D'un coup, elle s'est levée et elle a essayé. « Et en marchant vous y arrivez ? » Sans réfléchir, elle a avancé et a fait la moitié du chemin vers la salle de bains. Elle ne s'était pas levée depuis deux mois. Son mari m'a dit : « Comment vous avez fait ? » Je l'ai envoyé préparer le couscous : il ne fallait surtout pas qu'il vienne casser ce bel élan par une réflexion. Elle, elle avait oublié qu'elle ne s'était pas levée depuis longtemps et qu'elle ne s'en croyait plus capable. Elle était dans autre chose et elle me défiait : « Moi, j'arrive à le faire, et pas toi ! » Avec l'humour et l'autodérision, tout passe.
Priscilla : C'est vrai qu'on les lave, qu'on est dans leur intimité, mais on n'y fait plus attention. Pour moi, tout le monde est pareil. Je ne vois pas des corps, je vois des personnes. Je ne remarque plus si les patients sont petits, gros, s'ils ont des petits seins, des gros seins. Sauf quand je me dis qu'une personne est ronde et qu'il faut donc faire attention aux rougeurs sous les plis.
Amina : La beauté des magazines, pour moi, ça ne veut rien dire. Ce que je vois, ce n'est pas un corps, qui n'est qu'une enveloppe, c'est une personne, avec une histoire de vie, une personnalité. Mais eux peuvent ressentir nos soins comme une intrusion. On sait à quel point ce n'est pas facile car il se trouve qu'on a aussi été hospitalisées.
Priscilla : C'est bizarre : on est des soignants, mais quand on se retrouve nous-mêmes face à des soignants, c'est horrible. Je me suis fait opérer de la thyroïde il y a dix ans. Je n'étais diplômée que depuis deux, trois ans et à l'hôpital, on m'a dit : « Madame, on vient faire votre toilette. » Tu aurais vu ma tête, Amina ! J'ai dit : « C'est hors de question. » Pourtant, j'avais des fils qui me passaient dans le cou, sur les bras. J'étais incapable de me lever. J'ai tout refusé. « Vous m'apportez la bassine, vous me la posez là. Je ne suis pas sale. » Je me suis lavé le visage. J'ai voulu me lever pour aller aux toilettes, j'ai tout vomi. Ils ont fini par m'apporter le bassin que je me suis mis toute seule. Je me sentais rabaissée. Pourtant, je peux me mettre à la place de ces soignants, je sais ce qu'ils peuvent ressentir auprès du patient mais je n'ai pas accepté. C'est pour ça que quand on est chez les patients et que ça peut être difficile au premier abord, je comprends. Ce n'est pas facile d'entendre : « Déshabille-toi, on va à la douche. » Pour eux, on est un inconnu qui arrive chez eux. Et en plus, on est toute une équipe à entrer et à les voir nus.
Amina : On est chez eux. C'est à nous de nous adapter. Pas d'imposer nos règles. À une patiente qui n'a jamais eu de salle de bains et qui s'est lavée au lavabo ou dans l'évier toute sa vie, c'est violent de dire tous les jours : « On va à la douche. » Il faut savoir argumenter gentiment. « On est vendredi. C'est pas demain qu'ils viennent vos petits-enfants ? Si ? Alors, je vous pose les bigoudis si vous voulez. » Certains, de devoir être lavés tous les jours, ça les agace.
Priscilla : On entend souvent : « Je ne suis pas sale. Je suis à la maison... »
Amina : « ... je n'ai pas transpiré, je n'ai pas travaillé. » Certaines collègues repartent sous prétexte que le patient n'a pas voulu. Mais pourquoi ce refus ? Peut-être que la personne a froid et qu'il faut installer un chauffage dans la salle de bains ? Peut-être qu'elle a mal dormi ? Il faut se poser les bonnes questions. Les gens qui ont une attitude provocatrice, c'est que derrière, il y a une souffrance. Il faut apprendre à la décortiquer et je pense que la nouvelle génération n'est pas assez formée à ça. Je parle beaucoup de la vieille école parce qu'on prenait le temps, on était dans le respect du patient, de sa dignité, de sa pudeur. Moi, je ne vais pas déshabiller quelqu'un pour lui faire sa toilette entièrement nu dans un lit. J'y vais partie par partie. Mes collègues me disent : « Je comprends pourquoi tu y passes autant de temps. » À quoi je leur réponds : « Demain, je te fais la toilette et tu verras... Mets-toi à sa place. »
Priscilla : Je trouve que certains soignants n'ont pas assez d'empathie pour les patients.
Amina : En tout cas, quand il y a des prises en charge difficiles où les gens sont agressifs au départ, je me dis toujours qu'il y a quelque chose derrière. C'est un défi et j'aime ça.
Priscilla : Moi, c'est pareil. Plus une personne est renfermée au début, que ce soit le patient ou l'aidant, et plus j'ai envie de l'aider à sortir de ce mal-être, de cette solitude et d'aller chercher cette chose qu'ils ont au fond et qu'ils n'arrivent pas à extérioriser. La plupart ont des passés très lourds, mais c'est aussi normal vu leur âge. Moi, je suis de la nouvelle génération, je n'ai pas connu la guerre, je n'ai pas connu la faim, je n'ai pas connu le froid. Tout ça, c'est de l'Histoire, ça ne fait pas partie de mon réel d'aujourd'hui. Je n'ai pas vécu leurs voyages, leur expérience, toutes les pertes aussi qu'ils ont traversées, car quand on arrive à 80, 90 ans, on a perdu ses parents, parfois des enfants, des frères, des sœurs. Nous, les jeunes, nous n'avons pas le même courage que ces anciens. Récemment, une patiente à qui je mettais du vernis m'a dit : « Pourquoi tu fais ce travail-là ? C'est trop dur. Va faire esthéticienne. » Et son mari lui a dit : « C'est une vocation, elle aime son travail. » Ce qu'on fait pour eux, ça leur semble difficile. Mais pour moi, ça ne l'est pas car on fait les choses avec amour, on aide les gens parce qu'on en a envie, parce que nous, ça nous fait du bien de les savoir bien, de voir qu'ils continuent à vivre malgré tout ce qu'ils ont traversé. J'aimerais que, si un jour j'arrive à 80, 90 ans, il y ait des vraies personnes autour de moi, ne pas être complètement ignorée ou abandonnée et être aidée comme moi j'ai aidé. La solitude, c'est dur pour tout le monde mais encore plus pour ces gens-là. Du coup, on devient leur famille, leur point de repère, les personnes qu'ils voient tous les jours. Ils attendent le moment où ils vont nous voir et pouvoir échanger avec nous.
Amina : On est parfois la seule visite qu'ils reçoivent dans la journée. Mais ce que je dis aux jeunes, c'est que quand on rentre chez soi, il faut savoir enlever sa blouse de soignant. Quand je suis sur le terrain, je donne, mais une fois que le boulot est fini, c'est fini. J'ai besoin de me régénérer, de passer à autre chose. J'ai quatre filles, beaucoup d'activités associatives, notamment auprès des jeunes en difficultés. Ils connaissent mon travail et ils le respectent. Je leur explique des choses toutes bêtes sur les personnes âgées : pourquoi le bruit des moteurs traficotés, ça dérange, pourquoi sonner aux portes dans les zones pavillonnaires, ça dérange... J'ai même une fois réussi une rencontre surprenante entre des jeunes et une malade d'Alzheimer, qui leur a appris à jouer au bridge et avec qui ils sont allés au cinéma. Les jeunes n'ont jamais su que la dame était malade.
Priscilla : Pour ma part, c'est difficile de mettre des limites, même si on enlève la blouse et que quand on rentre, il y a la vie, les enfants, les animaux de compagnie, la maison. Je sais que tel patient va tel jour chez son médecin. Je me demande comment ça va aller. Ce n'est plus mon côté professionnel qui s'inquiète, c'est mon côté humain. Mais pour eux, c'est pareil. Je vais chez une patiente que je ne vois que tous les deux ou trois mois et à chaque fois, elle me dit : « Je pensais que je ne vous verrais plus. » Et à chaque fois, je lui redis que je lui ai promis de la prévenir si un jour je quittais mon poste.
Amina : C'est pour ça qu'une équipe régulière est importante pour transmettre des petits messages, des petits bonjours quand l'une ou l'autre ne peut pas venir.
Priscilla : Eux aussi pensent à nous quand ça ne va pas. Je suis tombée un dimanche dans les escaliers et les patients ont tous demandé de mes nouvelles. L'échange est dans les deux sens. On n'est pas que dans leur intimité. On leur donne aussi un peu de nous.
Amina : On le voit bien quand on arrive. « Ah ! C'est vous. Attendez, il y a ça pour les enfants. » « Vous voulez un petit chocolat ? » Ils ont toujours une petite gentillesse. Mais parfois, au démarrage, ça peut être rude. Je me souviens d'un monsieur dont j'avais beaucoup entendu mes collègues parler, qui sortaient systématiquement de chez lui en pleurant et sans avoir rien pu faire. Un jour, ma chef m'a dit : « C'est pour toi, ça. » J'arrive chez lui. Le monsieur me regarde de la tête aux pieds. « Vous êtes d'où, vous ? – Je suis de C., pourquoi ? – Ce n'est pas ça ma question. »
Je savais qu'il avait mis toutes mes collègues africaines dehors en refusant de leur serrer la main. D'habitude, quand on me d...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction
  4. Chapitre 1. Amina et Priscilla, aides-soignantes
  5. Chapitre 2. Julien, homme toutes mains
  6. Chapitre 3. Caroline, auxiliaire de vie
  7. Chapitre 4. Aude, assistante de vie et formatrice en emploi direct
  8. Chapitre 5. Christine, auxiliaire de vie
  9. Chapitre 6. Fania, accompagnatrice en répit
  10. Postface
  11. Remerciements