Des vies (presque) ordinaires
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Des vies (presque) ordinaires

Paroles d'aidants

  1. French
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  3. Disponible sur iOS et Android
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Des vies (presque) ordinaires

Paroles d'aidants

À propos de ce livre

Que faire quand un proche ne peut pas ou ne peut plus vivre de façon autonome? Fuir? Demander à d'autres de le prendre en charge? Être avec elle, avec lui? L'aider? La question concerne ou concernera chacun. À quoi ressemble le quotidien de ceux qui vivent avec un parent, un enfant, un conjoint rendu dépendant du fait de sa maladie, de son handicap, de son âge? Blandine Bricka est partie à la rencontre de Clotilde et Victor, Évelyne, Odile, Caroline et Nathalie, Michel, et Marie-Thérèse. Avec l'envie de découvrir comment on bricole sa vie quand on veut à la fois accompagner celui ou celle à qui l'on tient et continuer à être un professionnel, un mari, une femme, le parent d'autres enfants. Comment traverser la révolte contre ce malheur qui surgit sans crier gare? Où puise-t-on la force de tendre la main à l'autre fragilisé?
Des femmes et des hommes presque ordinaires se livrent. Par quel élan leur vie avec celle ou celui qu'ils aident, bien loin de se réduire à un fardeau ou à une terrifiante privation de liberté, est-elle devenue une expérience lumineuse qui relie et fait grandir?

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Informations

Imprimer l'ISBN
9782708244917
ISBN de l'eBook
9782708246539

Chapitre 1.
Clotilde et Victor

« Je pense que j'ai encore plus d'énergie et de combativité qu'avant »
Le 22 novembre 2015 à 13 h 30, Clotilde m'attendait en voiture à la gare de Torcy pour me conduire chez elle. Sur la route, elle m'a montré l'endroit de l'accident où, pendant des mois, elle ne pouvait plus passer. Ce jour-là, Caroline, sa fille accidentée, était chez une amie. Au départ, c'est Clotilde que je venais écouter. Mais Victor, son compagnon et le père de Caroline, était là, d'abord sur le canapé, à quelques pas de la table de la salle à manger où Clotilde et moi étions installées. Assez vite, il nous a rejoints et a pris sa part dans l'échange que nous avons eu. J'ai aimé le contrepoint masculin et paternel qu'il apportait au témoignage de Clotilde. J'ai donc choisi de leur donner la parole à tous les deux.
Clotilde : J'ai 41 ans. Je travaille depuis vingt ans en GSB{1} et depuis quatre ans, je suis responsable d'un service pose et travaux à domicile. J'ai trois enfants : Maxandre, qui va avoir 18 ans et qui vit chez son papa ; et avec Victor, mon compagnon actuel, Caroline qui a 14 ans et Antoine qui va avoir 4 ans. Victor a 46 ans. Il travaille dans la même société que moi au service clients.
Notre fille s'est fait renverser par une voiture le mercredi 28 mai 2014 alors qu'elle rentrait du collège. Le conducteur était en excès de vitesse et sous l'emprise de stupéfiants. Il a percuté Caroline qui a été projetée à 16 mètres. Victor et moi sortions d'un rendez-vous chez l'ostéopathe et, sur la route, j'ai reçu un appel de la police des accidents. Ils ont eu beau me dire de ne pas m'inquiéter, quand ils m'ont annoncé que le Smur{2} avait transporté Caroline à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, j'ai tout de suite su que c'était très grave. Là-bas, nous avons attendu plus de trois heures avant de pouvoir la voir. Elle n'avait pas de blessure apparente ; la colonne était intacte mais elle avait le crâne fracturé en quatre et une exophtalmie{3} de l'œil gauche. Il a d'abord été question de l'opérer, mais cela n'a finalement pas été possible. Le médecin nous a alors dit qu'il n'y avait que 3 % de chances qu'elle survive au-delà de vingt-quatre heures.
Là, tout s'est effondré. Nous avons prévenu la famille et les amis, qui ont défilé à l'hôpital. Nous avons beaucoup pleuré jusqu'au vendredi, où nous avons repris espoir. Le médecin lui avait donné vingt-quatre heures, elle les avait dépassées : chaque heure qui s'écoulait était une petite victoire. C'était étrange pour nos proches, qui étaient atterrés, mais nous nous disions que pour qu'elle puisse se battre, elle avait surtout besoin d'énergies positives. Je n'avais ni le temps ni l'envie de consoler les gens. En revanche, je répondais aux copains et aux copines de Caroline, qui étaient tous très choqués et qui n'arrivaient pas à se figurer ce que sont un coma, des hématomes, un œdème cérébral. Je savais que l'accident avait généré des tensions à l'école. Aux adultes de notre entourage, je donnais des nouvelles de Caroline soit le matin, soit le soir. Facebook aussi m'a bien aidée. Je m'en suis servi comme d'un exutoire, qui me permettait de raconter des histoires à double sens : les enfants lisaient les faits quotidiens de la vie de Caroline et les adultes comprenaient les choses graves, entre les lignes. Victor, lui, s'occupait des relations téléphoniques avec ma mère que je ne supportais plus d'entendre pleurer au téléphone, même si je comprenais son chagrin.
Pendant quinze jours, nous sommes restés nuit et jour à l'hôpital. Notre fils Antoine a été ballotté de bras en bras entre les tantes et les amis. Heureusement, grâce au soutien du maire de Torcy, où nous vivions, nous avons pu obtenir rapidement une place en crèche. Victor l'emmenait le matin et s'en occupait le soir et moi, je restais dormir à l'hôpital sur des chaises.
La question du travail ne s'est pas posée pour moi à ce moment-là car j'avais pris un congé parental après la naissance d'Antoine et je ne devais reprendre mon activité qu'en décembre 2014. Pour Victor non plus, car il était en arrêt pour accident du travail jusqu'en septembre 2014.
Caroline est restée trois semaines dans le coma et deux semaines en service de réanimation neurochirurgicale à l'hôpital Henri-Mondor, où les médecins étaient vraiment exceptionnels. Les aides-soignantes et les infirmières aussi étaient très à l'écoute. Comme je leur avais dit que Caroline adorait se coiffer, dès qu'elles lui lavaient les cheveux, elles lui faisaient toujours de jolies coiffures et la parfumaient.
Victor : C'était joli, parce qu'à chaque fois qu'on entrait dans la chambre, on la voyait avec une coiffure différente.
Clotilde : On avait l'impression qu'elle dormait et qu'elle ne souffrait pas. Mais elle avait tellement perdu de poids et sa peau était tellement diaphane qu'on voyait presque ses organes.
Victor : On ne l'a pas vue se réveiller, mais un jour, on l'a vue bâiller à gorge déployée alors qu'elle ne bougeait pas depuis trois semaines. C'était très impressionnant. Et puis, il y a eu des débuts de sourire. Mais on ne savait pas si elle nous reconnaissait : elle semblait dans le brouillard.
Clotilde : On savait pertinemment que le cerveau pouvait être atteint et qu'il pourrait y avoir des séquelles lourdes voire irréversibles. Allait-elle nous reconnaître, pouvoir parler, marcher ? C'était vraiment l'inconnu. Et peu à peu, les choses se sont éclaircies : elle nous a reconnus, elle a parlé ; elle n'a plus supporté les médecins, ni les piqûres ; elle n'a plus aimé les gels de gavage enrichis hyperprotéinés qu'on lui donnait à manger – elle avait perdu presque neuf kilos. Quand la diététicienne lui a dit qu'il lui fallait des nourritures hyperenrichies, elle n'a pas perdu le nord et elle nous a directement demandé du Coca et du Nutella. On lui a donc donné du Nutella à la petite cuiller, car elle ne pouvait plus utiliser ses membres et en particulier son bras droit, qui ne fonctionnait plus du tout. Alors qu'elle avait toujours été très sportive, elle n'avait plus aucun tonus musculaire. Son cou tombait et elle s'étouffait ; elle était incapable de tenir sur ses jambes et même, pour la faire tenir en position assise, il fallait la sangler sur un fauteuil et lui mettre une minerve. Et puis petit à petit, avec l'aide du kiné, elle a réussi à se mettre debout toute seule et à faire quelques pas...
Victor : ... avec beaucoup de difficultés. Ce n'était pas la démarche d'un enfant ou d'un adulte qui met tranquillement un pied devant l'autre. À chaque pas, il lui fallait faire un effort de volonté énorme pour projeter son pied en avant.
Clotilde : Elle était confuse dans ses souvenirs ; elle n'avait plus ni la notion du temps ni de notions mathématiques. En revanche, elle pouvait lire et n'avait pas perdu le langage, même si parfois, elle ne trouvait plus ses mots. Alors elle s'énervait et nous envoyait balader assez violemment. Au début, ça nous faisait sourire. Je sais que c'était sa façon de nous dire qu'elle n'était pas contente de ce qui lui arrivait. Mais plusieurs fois, j'ai dû la remettre à sa place en lui expliquant qu'on essayait de l'aider.
Victor : À un moment donné aussi, il y a eu une inhibition qui s'est lâchée. Et tout à coup, ça a été un florilège de mots qu'elle n'avait pas le droit de dire avant l'accident et qui, là, allaient très bien ensemble !
Clotilde : Un jour, elle m'a dit qu'elle avait mal au ventre et je lui ai demandé si elle avait faim, ou envie d'aller aux toilettes... Elle ne répondait rien. Je lui ai proposé de lui masser le ventre et là, c'est sorti tout seul : « Mais putain de bordel de merde, tu ne peux pas me laisser chier tranquille ? » Je n'ai pas su si je devais rire, pleurer, sortir de la chambre... mais je me suis dit que si elle était tout le temps comme ça, ça allait être infernal à vivre. Heureusement, je savais que la désinhibition verbale ou sexuelle fait partie des séquelles courantes chez les patients qui ont connu un coma suite à un choc frontal. Et finalement, cela n'a pas duré très longtemps.
Le 16 juillet 2014, Caroline a quitté l'hôpital pour entrer dans un centre de rééducation où sont soignés des enfants et des adolescents accidentés ou qui souffrent de troubles psychologiques, d'anorexie, de boulimie, de tendances suicidaires. Jamais je ne me suis sentie en confiance avec cet établissement et ce, dès le jour où Caroline est arrivée et où aucun médecin ne nous a reçus. Par la suite, quand je posais des questions simples au personnel soignant, je n'avais jamais de réponses précises. Un jour par exemple, je suis entrée dans la chambre et j'ai vu Caroline complètement hagarde. J'ai demandé aux infirmières ce qu'on lui avait donné et elles m'ont répondu qu'elles ne savaient pas. Au poste de soin, on m'a dit qu'ils s'étaient conformés à la prescription du médecin. Quand j'ai voulu savoir ce qui avait motivé cette prescription – Caroline était angoissée ? agitée ? s'était mise à pleurer ? –, la seule explication que l'on m'a donnée, c'était que si le médecin l'avait prescrit, c'est que c'était nécessaire.
Victor : C'était pareil lors des rendez-vous familiaux. À chaque fois, on nous disait « C'est une décision médicale », et il fallait qu'on s'en tienne à ça, comme si on n'avait pas besoin de comprendre ou de discuter leurs décisions. On a vraiment eu le sentiment que notre enfant ne nous appartenait plus, qu'ils étaient maîtres de décider de tout ce qui la concernait, sans qu'on ait notre mot à dire.
Clotilde : Nous avons passé tout l'été au centre, du lundi au dimanche. Nous avions notre place et notre table attitrées dans le parc. Les copains de Caroline venaient la voir et l'entraînaient dans des courses de fauteuil roulant, ce qui la faisait rire. On l'encourageait à marcher le plus possible pour que ses muscles se remettent à fonctionner et qu'elle retrouve de l'endurance. Notre objectif était qu'elle sorte de ce centre le plus vite possible.
Pendant ce temps-là, nous avons dû déménager. Nous habitions un appartement au troisième étage sans ascenseur et il nous a donc fallu chercher une maison qui puisse accueillir un fauteuil au cas où Caroline continue à en avoir besoin. Nous avons trouvé la maison où nous vivons aujourd'hui, où nous savions qu'il était possible de transformer la pièce à vivre en chambre et d'aménager une rampe d'accès. Mais heureusement, cela n'a pas été nécessaire. Grâce à la rééducation et à tous ses efforts, Caroline a lâché le fauteuil mi-août. Elle a alors pu passer en hôpital de jour. Le matin, un taxi l'emmenait au centre où elle poursuivait sa rééducation et reprenait une scolarité adaptée, et le soir, elle rentrait à la maison.
C'est à partir de ce moment-là que je me suis sentie devenir aidante familiale. Pour moi, cela voulait dire à la fois m'occuper des soins quotidiens de Caroline, mais surtout reprendre la main sur les décisions médicales. Je me sentais investie non seulement d'un rôle mais d'une mission : obtenir les réponses que les médecins du centre refusaient de me donner et faire les bons choix pour aider au maximum Caroline dans sa reconstruction tant physique que morale. Ça a été un grand soulagement pour nous de pouvoir enfin choisir ce qu'on voulait médicalement, même si cela a été contraignant pour elle car tous les week-ends, de septembre à mi-octobre, je l'emmenais consulter des médecins. Son attention était toujours limitée et son bras droit fonctionnait très difficilement. Au centre, les médecins prétendaient, sans s'appuyer sur aucun examen, que son bras ne refonctionnerait jamais. J'étais loin d'être convaincue et j'avais donc besoin des avis d'autres spécialistes, qui lui ont prescrit les examens que le centre ne lui avait pas fait passer et qui ont tous affirmé le contraire. Son handicap n'a pas de lien avec l'hématome cérébral : elle souffre d'une amyotrophie musculaire et tendineuse{4} provoquée par le choc de l'accident et qu'on peut partiellement rééduquer. Parallèlement, je lui ai également fait faire un bilan chez une orthophoniste. Au centre, ils estimaient que la mémoire de Caroline n'avait pas été touchée et qu'elle pourrait reprendre une scolarité normale, ce qui n'était pas le cas. Sa mémoire sémantique avait été altérée et elle avait toujours de l'acalculie{5}. Elle avait donc besoin de soins renforcés en orthophonie.
Tous ces éléments ont motivé notre décision de la sortir du centre le plus vite possible. Et puis, Caroline devenait très morose : elle avait le sentiment de régresser. Elle avait besoin de voir autre chose que des enfants de son âge en fauteuil, handicapés ou atteints de maladies dégénératives. La sortir du centre a donc été un choix évident pour nous et qu'on n'a jamais regretté...
Victor :... même si le centre a tout fait pour nous en dissuader.
Clotilde : Les médecins nous ont dit et répété qu'on faisait une grosse bêtise, que ça serait extrêmement dur pour nous, qu'on ne le supporterait pas et que ça serait même préjudiciable pour Caroline...
Victor :... et qu'on n'avait pas la capacité d'organiser les choses pour pouvoir nous occuper d'elle à plein temps.
Clotilde : J'ai vite trouvé une équipe de praticiens doux et pédagogues, avec qui Caroline s'est tout de suite sentie en confiance pour poursuivre sa rééducation. Après les vacances de Noël, elle a également pu reprendre sa scolarité au collège. Malgré ses divers rendez-vous, elle ne manquait que deux heures et demie de cours par semaine.
Moi, je m'occupais de ses soins. Le matin et le soir, il fallait lui masser le dos avec de la crème hydratante, l'aider à faire sa toilette, à se coiffer, à s'habiller, à manger et à prendre ses médicaments... Aucun geste technique, mais je devais faire très attention car elle avait le crâne extrêmement fragile, même s'il était ressoudé. Et comme elle n'avait pas de cicatrice ou de blessure visible, c'était très difficile de matérialiser sa douleur. Même avec le plus grand soin, je lui faisais toujours mal quand je lui lavais les cheveux. Il a fallu que l'on trouve un terrain d'entente : que moi je fasse très attention à mes gestes, et qu'elle mette un peu d'eau dans son vin, car elle pouvait être extrêmement agressive avec moi (pas avec son père ni avec ses amis). Pas forcément dans ses paroles, mais dans sa manière de répondre.
C'était compliqué aussi de devoir la laver : la dernière fois que je l'avais fait, elle avait 6 ans. Là, c'était une adolescente, formée, et jamais je ne me serais imaginé que j'aurais un jour à lui essuyer les fesses. C'était plus compliqué encore pour son père. On avait vraiment la sensation de violer son intimité. Et ce n'était pas simple pour Caroline, qui n'était pas spécialement pudique avant l'accident et qui aujourd'hui se blottit dans la baignoire pour ne pas que je la vois quand je rentre dans la salle de bain parce qu'elle a besoin d'aide. Comme si quelque chose en elle s'était brisé. Ça me touche beaucoup.
Victor : Elle a toujours été boudeuse mais elle n'était pas renfermée. Aujourd'hui, il y a comme une phase d'analyse avant qu'elle n'accepte les choses. Parfois quand on la contrarie ou qu'elle ne veut pas entendre ce qu'on a à lui dire, on a la sensation qu'on la perd.
Clotilde : La relation s'est transformée. Il y a des choses qu'on pouvait lui refuser facilement avant, quand elle voulait aller dormir chez ses copines par exemple, et avec lesquelles, aujourd'hui, nous sommes plus souples.
Victor : Moi, je trouve que tu es plus dure avec elle qu'avant. Plus exigeante.
Clotilde : Oui, peut-être que je suis plus exigeante. En fait, je suis avec elle dans une proximité distante. J'aime bien cet oxymore qui dit ce double rôle que j'ai désormais : je suis à la fois sa maman et celle qui l'aide à avancer. Souvent, j'ai dû prendre du recul, oublier un peu mon rôle de maman et ne pas trop écouter mes sentiments pour pouvoir la pousser à atteindre des objectifs et y trouver une satisfaction qui la valorise.
Je sais que pour pouvoir récupérer au maximum après un coma, beaucoup se joue dans les deux premières années. Même si c'est fatigant pour elle, c'est maintenant qu'il faut qu'elle s'entraîne...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction
  4. Chapitre 1. Clotilde et Victor
  5. Chapitre 2. Caroline et Nathalie
  6. Chapitre 3. Évelyne
  7. Chapitre 4. Odile
  8. Chapitre 5. Michel
  9. Chapitre 6. Marie-Thérèse
  10. Postface