Des liens (presque) ordinaires
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Des liens (presque) ordinaires

Être accompagné au quotidien

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  3. Disponible sur iOS et Android
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Des liens (presque) ordinaires

Être accompagné au quotidien

À propos de ce livre

Vivre en toute autonomie quand on est handicapé, quand on perd la mémoire, quand l'âge affaiblit, sans empêcher ses proches de mener leur vie, est-ce possible, aujourd'hui, dans notre société?

Nul ne peut mieux répondre à cette question que les personnes concernées. Cet ouvrage leur donne la parole. Six personnes qui ont besoin d'un accompagnement quotidien nous racontent comment, jour après jour, elles inventent des solutions pour que leur vie soit à la hauteur de leurs désirs, et pour que l'aide reçue ne soit pas synonyme de dépendance. Elles disent les difficultés et les obstacles rencontrés, mais aussi la richesse de ces liens tissés avec les aidants familiaux et professionnels qui les entourent. Des liens presque ordinaires...

En 2016 et 2017, Blandine Bricka était allée à la rencontre d'aidants familiaux, puis d'aidants professionnels. Ces témoignages avaient donné lieu à deux premiers livres sur la question de l'aide, Des vies (presque) ordinaires (L'Atelier, 2016) et Un métier (presque) ordinaire (L'Atelier, 2017). Elle est également l'auteure de L'Art d'être différent. Histoires de handicaps (Érès, 2015, prix Handi-Livres).

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Informations

Année
2018
Imprimer l'ISBN
9782708245693

Chapitre 1.
Monique

« Désormais, c’est elle le chef de famille »
Je suis allée rencontrer Monique dans l’appartement de sa fille où elle vit depuis neuf mois. Celle-ci m’a accueillie, nous a installées pour l’entretien, puis est partie pour sa journée de travail, après avoir indiqué où trouver le jus de fruits, le repas du midi et rappelé que Sabrina, une des dames de compagnie, viendrait à 14 heures. Le téléphone était posé à côté de Monique, qui attendait que sa fille l’appelle pour lui dire qu’elle était bien arrivée au bureau.
J’ai 85 ans. Je suis née à Gentilly, comme mon père, qui travaillait dans les télécoms. Ma mère, elle, était catalane, originaire de Perpignan. Elle était couturière-tailleur. Avant moi, mes parents avaient eu une première fille, qui est décédée à vingt et un mois. Ceci explique que mes parents m’ont beaucoup gâtée. Enfin j’exagère peut-être un peu. Ce qui est sûr, c’est que mes parents étaient très ambitieux pour moi. Il fallait que je réussisse, que j’aie une vie autre que celle qu’ils avaient eue. Les conséquences ont été positives puisque j’ai été très ambitieuse et que j’ai réussi à avoir une situation professionnelle confortable après mes études de droit. J’ai rencontré le père de ma fille, que j’ai beaucoup aimé. Je suis tombée enceinte, on s’est séparés et j’ai élevé ma fille seule, avec l’aide de ma mère.
J’ai fait une grande partie de ma carrière à l’Institut des jeunes aveugles, boulevard des Invalides, où nous étions logées ma fille et moi. J’ai commencé comme intendante, puis j’ai été chef des services administratifs. Ensuite, j’ai passé le concours des instituts nationaux de bienfaisance, et j’ai été nommée directrice de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris. Mais je ne supportais pas l’hôpital et ses services de réanimation. J’ai donc demandé à revenir à l’Institut des jeunes aveugles, comme directrice cette fois. Je préférais de loin travailler avec ces jeunes déficients visuels, qui étaient autonomes et avaient une scolarité normale. J’étais à l’aise avec eux. Pour moi, ils ne sont pas handicapés. Ma fille était un peu la fille de la maison. Elle faisait du patin à roulettes dans la cour en se bandant les yeux pour être à égalité avec eux. J’ai toujours cherché à mener une politique d’intégration pour eux. Aujourd’hui, on arrive de plus en plus à compenser leur handicap. Je me souviens d’être allée en voyage en Russie et d’avoir croisé un des professeurs d’anglais, déficient visuel, de l’Institut. Je me suis approchée de lui, l’ai interpellé et il m’a répondu : « Bonjour Madame P., ça va ? » Récemment, je suis retournée à l’Institut pour un départ à la retraite et d’anciens élèves m’ont reconnue. Moi, j’ai eu du mal. J’ai mis cela sur le compte de mon âge, et non d’une maladie dont j’oublie souvent le nom...
Quand j’ai pris ma retraite, je suis allée vivre à Perpignan dans la maison de ma mère. Je n’ai pas vu arriver la maladie d’Alzheimer. J’ai toujours été très nerveuse, j’avais quelques pertes de mémoire, j’oubliais des noms. Ça a commencé comme ça. Le médecin de famille, qui est un ami, s’est rendu compte qu’il y avait un problème lorsqu’à plusieurs reprises, la nuit, je sonnais à sa porte parce que je cherchais ma fille, qui était à Paris. Il m’a envoyée voir le neurologue, qui m’a fait faire des tests et qui m’a dit : « Vous avez tous les symptômes de la maladie. Se réveillera-t-elle ? Je ne peux pas vous le dire. » Sur le coup, ça ne m’a pas inquiétée. La gravité de la situation m’échappait, d’autant plus que j’avais eu auparavant une maladie grave, dont je m’étais sortie. Je me souviens, je partais en Grèce. Le médecin a dit à ma fille que je pouvais partir si je me faisais les piqûres tous les jours. Ce que j’ai fait. Depuis, je suis guérie et je sais faire les piqûres. Avouez que je n’ai pas de chance. Cette maladie, que j’avais domptée, et maintenant Alzheimer.
Depuis ce moment, je ne peux plus rester seule. J’ai donc quitté Perpignan pour venir vivre chez ma fille qui habite Paris. Pourquoi je ne peux pas rester seule ? Je ne sais pas très bien. Là, j’ai l’air en forme, mais je risque d’avoir un malaise si je me lève. Je crois aussi que je pourrais me perdre, d’ailleurs je me suis « égarée » une fois en revenant de chez le kiné, car j’étais impatiente et je n’avais pas attendu l’amie qui devait venir me chercher. J’ai eu très peur. Depuis, je ne pars plus seule et les personnes qui s’occupent de moi ne sont jamais en retard. Ma fille fait en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un avec moi. Quand elle doit rentrer plus tard du travail, elle demande à la dame de compagnie de rester plus longtemps. À part ça, je me sens autonome. Je peux m’habiller et faire ma toilette toute seule. Mais ma fille ne part que lorsque je suis prête et me prépare mes affaires pour m’habiller : il faut que je reste élégante. Parfois elle s’énerve car je ne vais pas vite, j’ai l’impression qu’elle ne veut pas se rendre compte de mon état. Parfois j’ai l’impression qu’elle pense que je le fais exprès, ce qui n’est pas le cas. Elle me donne mes comprimés : deux le matin et deux le soir. Dans la maison, c’est elle qui fait tout. Pour les repas, je n’ai pas d’idées. Et puis maintenant, j’ai pris l’habitude de ne pas les préparer. Peut-être que parce que je suis aidée, je suis moins attentive à ce que je fais. Ma fille me précise, avant de partir, ce que je dois manger le midi, mais de toute façon, je ne mange pas quand je suis toute seule. Hier, ma fille travaillait. La dame de compagnie est arrivée : « Tu as mangé ? » J’ai dit non. Elle m’a dit : « Tu manges avec moi ? » Parce qu’elle sait que si personne ne m’accompagne, je n’ai pas d’appétit.
J’ai une vie agréable, mais je trouve pénible que l’aidante soit ma fille car j’ai peur de lui gâcher la vie. On est très fusionnelles. Presque trop. Je n’ai pas l’impression d’être compliquée, mais j’embête tout le monde parce que je ne peux pas rester seule à la maison. De ce fait, ma fille ne part pas souvent de son côté, et de toute façon elle ne me laisse pas la nuit, car j’aurais peur si elle n’était pas là. Moi, ça me soulagerait de savoir qu’elle fait des choses pour elle, mais elle ne veut pas me laisser seule. Quand elle veut sortir, il faut qu’elle s’organise pour qu’il y ait toujours quelqu’un avec moi. Quand elle invite des amis, je me fais discrète. Les amis arrivent, je les accueille avec elle et quand tout le monde est assis, je leur dis : « Je me retire dans ma chambre. Si vous me voyez dans le couloir, ne vous inquiétez pas. » Généralement, ils me disent : « Mais restez avec nous, Madame. » Je suis contente de passer un moment avec eux mais je comprends quand même qu’il faut les laisser.
Ma fille n’est pas tranquille et moi, de mon côté, je ne vis pas, parce que j’ai peur qu’il lui arrive quelque chose, d’autant plus que j’ai été agressée dans la rue. Peut-être même que cette agression a accéléré le processus de ma maladie. Quand elle part travailler, j’attends qu’elle m’appelle pour me dire qu’elle est bien arrivée. J’ai besoin de savoir où elle est. Non que je veuille lui interdire quelque chose. Mais je ne suis pas sereine si je ne sais pas où elle est. Avec la quantité de choses qui peuvent se passer, les attentats... Je sais que cette attitude n’est pas bonne, parce que je l’empêche de vivre. Elle, elle me dit que je suis bête de penser ça. Il semblerait que quelqu’un qui a la maladie d’Alzheimer, à un moment donné, puisse devenir impossible. Parfois je me dis que c’est la maladie qui explique pourquoi je suis ainsi. Ma fille me dit parfois que je suis exigeante et impatiente. L’exigence que j’avais envers moi-même est retombée sur elle. Peut-être que je lui en demande trop ? Mais même quand je ne lui demande rien, elle fait les choses. Même lorsque je lui dis que ce n’est pas la peine de faire, elle fait quand même. Elle veut toujours agir pour le mieux. Je suis inquiète parce que je la trouve fatiguée. Je n’arrête pas de lui dire de prendre rendez-vous chez le médecin, mais elle ne le fait pas. Elle me dit qu’elle n’a pas le temps. Aujourd’hui, mon gros problème, c’est de savoir que le jour où je partirai, ma fille, qui n’a pas d’enfant, sera toute seule.
Dans notre relation, rien n’a changé depuis que j’habite chez elle. Enfin, si, désormais, c’est elle le chef de famille. C’est drôle parce que pour ma mère, qui nous a beaucoup aidées, ma fille était ma petite sœur. Et ma fille me prenait pour sa grande sœur. Elle n’était pas très respectueuse avec moi, mais elle m’a aimée. Maintenant, c’est moi le bébé. Je me sens aimée, mais je ne conseille pas que l’aidant soit l’enfant parce que c’est compliqué. En même temps, je ne sais pas ce qui serait mieux pour moi que vivre avec ma fille. On partage des choses. Sur la religion, l’histoire, l’art, la littérature. La politique, je trouve qu’on ne peut pas s’y intéresser. Elle sollicite beaucoup ma mémoire, et veut toujours me faire découvrir des choses. Quand je suis « bloquée », car les idées, les mots ne me viennent pas, elle essaie de trouver un élément qui générera un déclic dans ma mémoire... parfois avec succès. D’autres fois, on passe à autre chose, pour éviter de s’énerver.
Comme ma fille travaille, j’ai la visite l’après-midi à 14 heures de Viviane ou de Sabrina, mes dames de compagnie. Je précise 14 heures car je surveille la pendule. Parfois je m’impatiente et je sors de l’appartement. Dans le couloir, je rencontre souvent les autres résidents qui me connaissent bien et s’assurent toujours que je regagne bien mon domicile. C’est important de garder une vie sociale et de parler, même si parfois j’ai peur de ne pas trouver mes mots en plein milieu d’une conversation. Viviane et Sabrina ont toutes les deux des compétences dans le service d’aide à la personne. Viviane est d’origine arménienne et elle a été dans l’armée. Moi, elle m’appelle chérie, elle me tutoie et me fait marcher à la baguette. Je rigole et je lui réponds : « Bien, chef ! » Sabrina, elle, me vouvoie, pour moi c’est « la petite »... En somme, je dépends d’elles. On se met d’accord pour savoir ce qu’on va faire et on fait des activités, plutôt manuelles avec Viviane, et des jeux pour la mémoire avec Sabrina. Et nous sortons. Nous participons à des cycles de conférences sur l’histoire, ce qui me fait travailler ma mémoire et me permet d’échanger. Fondamentalement, je ne suis pas très musées. Je vais au Louvre, parce que c’est pédagogique. J’aime surtout les impressionnistes. Je peux rester un bon moment devant Les Nymphéas de Monet. Et puis y retourner pour les revoir. Mais là, je commence à me lasser des Nymphéas et des musées. Quand ma fille vient avec moi, on met les écouteurs, mais j’en ai assez au bout de la moitié du temps parce que c’est fatigant d’écouter. Avant, c’était différent. En ce moment, je suis intéressée par l’histoire des Templiers. Quelque part, je suis un peu romanesque. J’étais une grande lectrice. J’ai beaucoup lu Les Trois Mousquetaires. Athos, Portos, Aramis. Je lisais très vite, je voulais connaître la suite. Pour les Templiers, peut-être que je pourrai convaincre Viviane et Sabrina de m’aider à trouver des informations. Par exemple, aller à la bibliothèque pour chercher des documents et préparer un exposé, comme quand on était à l’école.
Avec Viviane, je passe de bons moments. Parfois, elle est un peu difficile, mais je l’aime bien. Ma fille et moi, nous avons été reçues chez elle avec beaucoup de plaisir. Nous aimons découvrir ou redécouvrir des sites que j’ai oubliés. Viviane vient parfois avec nous et cela me sécurise car ma fille partage alors un peu la responsabilité qui pèse au quotidien sur ses épaules et est plus sereine et moins inquiète. Nous lui avons demandé aussi de venir avec nous à Perpignan pendant les vacances. Nous avons gardé une maison là-bas et nous y retrouvons les amis, la famille. Nous faisons des grillades. Viviane est d’accord, « la petite » aussi. Elles font désormais partie de la famille. Être entourée par des personnes qui vous apportent tendresse, amour et affection est primordial. Elles comprennent la situation, en souffrent et font tout pour que je reste le plus autonome possible.
Mon cerveau tient encore la route. Je parle beaucoup mais avant, c’était autre chose. Je comprenais vite, tandis que maintenant, à la limite, il faut m’expliquer. J’en souffre. En réalité, je ne sais pas bien ce qu’il y a à l’intérieur de cette maladie. Je crois que je risque de devenir méchante. Pour l’instant, ça ne m’est jamais arrivé. Si, une fois, tout à fait au début, quand je n’avais pas du tout compris ce qui se passait. J’attendais ma fille, il y avait une histoire de train. Pour moi, il fallait qu’elle arrive absolument « tout de suite » et je me suis fâchée. Ma fille me disait au téléphone : « Mais Maman, je ne peux pas aller plus vite. » C’était une histoire comme ça. Depuis, il ne s’est plus rien passé, mais je me méfie de moi-même et de mes crises d’angoisse subites. Un jour, dans un forum, j’ai entendu une phrase : « Vous savez, cette maladie est sous-estimée, et il faut prendre des mesures pour la soigner à temps. » Qu’est-ce que cela veut dire ? On parle beaucoup de cette maladie et du fait qu’elle se répand chez les personnes âgées. Aujourd’hui, pour moi, c’est surtout les pertes de mémoire. Le cerveau serait fatigué. Mais j’ai des restes et au bout d’un moment, je finis par trouver ce que je cherche. N’est-ce pas l’essentiel ? Non, le plus important, c’est d’entendre ma fille me dire : « Maman, je t’aime. »

Chapitre 2.
Marie-Pierre

« Rien n’est fait au hasard, rien n’est fait à mon insu »
Marie-Pierre avait prévu que notre entretien serait long : avant mon arrivée, elle était allée au marché et avait préparé un délicieux poulet qui dorait dans le four pendant que nous discutions. Ses assistantes de vie se sont relayées tout au long de la journée pour me répéter ses mots que je ne comprenais pas toujours au début. Mais sa volonté de communiquer était si intense qu’assez vite, j’ai presque pu me passer de leur intermédiaire. De temps en temps, elle a interrompu la conversation pour me donner à lire des textes qu’elle avait écrits sur certaines de ses expériences ou me montrer de petites vidéos où elle se met en scène pour raconter des morceaux de son quotidien.
J’ai 44 ans. Je suis la dernière de onze enfants. À ma naissance, j’ai manqué d’oxygène. J’ai dû être réanimée pendant de longues minutes, ce qui a provoqué des lésions neurologiques irréversibles, d’où mon infirmité motrice cérébrale (IMC). Mes facultés intellectuelles sont intactes, mais mon corps ne fait pas toujours ce que je veux. Mon cerveau va plus vite que ma parole et mes gestes. Dans ma tête, il y a beaucoup de tiroirs ouverts, tous bien ordonnés. Mes mouvements, eux, sont désordonnés et souvent incontrôlables. Cette spasticité des membres inférieurs et supérieurs me rend dépendante physiquement. J’ai également des difficultés d’élocution très importantes. Si mon interlocuteur est attentif à ce que je dis, il arrive à me comprendre. Je préfère répéter plutôt qu’il fasse semblant d’avoir compris.
Dans ma famille, il me semble que le handicap a été accepté tout de suite. Mes parents, qui tenaient une boucherie dans un petit village près de Bourg-en-Bresse, n’ont fait aucune différence entre mes frères et sœurs et moi. Ils m’ont élevée comme eux, sauf que mon handicap nécessitait plus d’attention pour les actes vitaux tels que me nourrir, me laver, etc. Mes frères et sœurs s’occupaient beaucoup de moi et ils me faisaient participer à la vie de la famille. J’étais une petite fille comme les autres. Avec ma différence. Je ne parlais pas, mais je communiquais avec les yeux. Mon regard est très expressif. C’est comme ça que ma mère a vu que je comprenais tout. J’ai eu une enfance très heureuse. À partir de l’âge de cinq ans et demi, je passais mes semaines en institution spécialisée. C’était très dur de quitter ma famille, mais j’ai eu la chance d’avoir affaire à de bons professionnels qui ont vu mes capacités, qui m’ont écoutée et m’ont permis de progresser. J’ai écrit un livre qui raconte cette période, un petit roman léger et drôle, qui s’appelle Intrépide Marie Chaussette{2}. C’est dans l’enfance que j’ai forgé ma force de caractère. Pour mes parents, c’était clair dès le départ qu’il fallait accompagner ma différence pour que je mène ma vie comme les autres. Ils m’ont fait confiance. C’est rare pour des parents de faire confiance à un enfant avec un handicap. Ils me laissaient aller avec les autres enfants. Adolescente aussi, ils me laissaient sortir avec mes copains.
En institution, à Lyon, j’ai été au collège puis au lycée et j’ai eu mon bac à vingt ans. Vu mon handicap, ce n’est pas mal ! D’autant plus qu’à l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur. Je dictais tous mes devoirs. J’étais motivée : je voulais avoir mon bac pour prouver que j’étais capable. Mes parents ont été très fiers et ils m’ont payé le restaurant. Ensuite, il a fallu trouver un foyer pour que je puisse continuer mes études. J’ai atterri à Montpellier, un peu par dépit. J’ai commencé la fac en sociologie, mais ça ne m’a pas plu. J’ai alors commencé un BTS comptabilité par correspondance. Et puis j’ai perdu un de mes frères. Ça a été une période difficile. J’ai arrêté le BTS, je n’avais plus le goût d’étudier. À la rentrée suivante, je ne savais pas quoi faire. J’étais mal. C’est à cette période que j’ai commencé à écrire. Un jour, j’ai téléphoné à ma mère et je lui ai dit que je n’étais pas bien. Elle m’a répondu : « Il faut que t...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Préface
  4. Introduction
  5. Chapitre 1. Monique
  6. Chapitre 2. Marie-Pierre
  7. Chapitre 3. Marcelle
  8. Chapitre 4. Charlotte
  9. Chapitre 5. Simon
  10. Chapitre 6. Murièle
  11. Postface
  12. Remerciements