La Bible dit-elle vrai ?

François Brossier

• Éditeur: Éditions de l'Atelier
• Année: 2017
• Imprimer l'ISBN: 9782708245235
• ISBN de l'eBook: 9782708250901
• Sujet: Theology & Religion
• Sujet: Christianity

D'où viennent les textes qui composent la Bible? Qui les a choisis? Quelles sont les conditions nécessaires pour affirmer que la Bible dit vrai? Pour répondre à ces questions, François Brossier démystifie le sens du mot histoire et montre comment la Bible n'est pas une énumération d'actes fondés sur des éléments historiques, mais une interprétation des événements avec une vision croyante qui laisse place à la révélation de Dieu.
Cependant, cette affirmation ne gomme pas toutes les interrogations: si la Bible est d'abord faite de paroles humaines, qu'est-ce qui permet de dire qu'elle est inspirée par Dieu? L'auteur analyse successivement les grands récits bibliques en proposant d'y découvrir des modes de rapport à l'histoire très divers: la Genèse, les histoires des patriarches, notamment Abraham, les récits de l'Exode pour l'Ancien Testament, les quatre Évangiles, l'enfance de Jésus, les témoignages sur sa résurrection, les Actes des apôtres pour le Nouveau Testament.
François Brossier est prêtre du diocèse de Blois et docteur en science théologique. Il est professeur honoraire de l'Institut catholique de Paris, membre du comité éditorial du Monde de la Bible. Il a publié Comment lire les Évangiles? (DDB, 1994).

Chapitre 1
L'origine de la Bible

Dans la conception juive et chrétienne, la Bible est désignée comme Parole de Dieu. Est-ce à dire que le texte lui-même vient de Dieu directement ? ou que les auteurs étaient de simples scribes recopiant ce qui leur était dicté du Ciel ? Telle n'est pas la tradition juive et chrétienne qui ne parle pas de Bible révélée mais inspirée. Autrement dit, la Bible n'est pas tombée du ciel. Elle est l'œuvre d'écrivains avec leur contexte historique et culturel et leur génie littéraire propre. Affirmer que la Bible dit vrai suppose que soit reconnue et respectée la dimension humaine de l'Écriture. Par ailleurs la Bible ne s'est pas créée toute seule. Elle est due à des communautés croyantes qui ont reconnu dans ces textes des témoignages authentiques de la Parole de Dieu.

La Bible, parole humaine

La lecture des Psaumes réserve quelques surprises. Qui pourrait aujourd'hui, avec le Psaume 108, verset 14, rendre grâce à Dieu « qui piétinera nos adversaires » ? Où est l'amour de Dieu dans le Psaume 136, verset 10 : « Il tua les premiers-nés des Égyptiens, car éternel est son amour » ? Mais d'où vient notre gêne ? Ne serait-ce pas parce que, inconsciemment, nous considérons la Bible comme une collection de paroles venant directement de Dieu ? Dans ces conditions, nous pouvons difficilement admettre que la Parole de Dieu nous invite à un tel esprit de vengeance et de sang. Cela pose en fait la question : qu'est-ce que la Révélation ? N'y a-t-il pas chez beaucoup de chrétiens une équivalence immédiate : Bible égale Parole de Dieu ? Il est vrai que la formule est utilisée dans la liturgie mais elle demande à être précisée. Et, dans un premier temps, nous pouvons tout autant affirmer : Bible égale parole humaine. Par là, nous mettons en relief le fait que les écrits bibliques sont dépendants de la personnalité des écrivains, du contexte historique, culturel, politique et religieux de l'époque de leur écriture.

L'inspiration

La conviction de toutes les confessions chrétiennes est que l'ensemble des textes qui forment la Bible sont inspirés de Dieu. Une telle affirmation est de l'ordre de la foi et non de l'évidence. Le Concile Vatican II définit ainsi l'inspiration des Écritures : « En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement{3}. » Il est possible d'élargir cette définition en reconnaissant que l'action de l'Esprit ne concerne pas seulement l'écrivain premier mais également la chaîne qui va du premier émetteur à la communauté réceptrice en passant par ceux qui ont inséré ce texte dans la Bible et ceux qui l'ont lu, vécu et transmis de génération en génération. On cherchera toujours à éviter de faire rentrer en concurrence l'auteur divin et les auteurs humains. La Bible est de l'homme et de Dieu parce qu'elle est le résultat de leur rencontre et de leur communion, en particulier en Jésus-Christ, Parole incarnée.

L'unité de la Bible ne vient pas de ce qu'elle serait tombée du ciel ; l'unité de la Bible chrétienne vient de ce qu'elle nous dévoile progressivement le dessein de Dieu porté à son achèvement en Jésus-Christ. L'unité de la Bible vient donc de cette lecture chrétienne ; elle n'est pas directement inscrite dans le détail de chaque texte qui la compose. Ce que croient les chrétiens, c'est que la Parole éternelle de Dieu se dit à travers des paroles humaines contingentes. C'est là une des différences essentielles avec le Coran. Pour les musulmans, le texte arabe du Coran a été dicté directement par l'ange Gabriel à Mahomet ; dès lors, il s'agit pour les musulmans d'un texte révélé et seule la version d'origine en arabe peut faire référence. La théologie chrétienne parle, elle, de la Bible comme étant inspirée et non pas directement révélée. Au travers de paroles s'exprimant dans une culture donnée, avec ses particularités et sa précarité, nous croyons que Dieu révèle son dessein. Comme le disait le bibliste Étienne Charpentier, en Jésus Dieu s'est fait non pas homme en général mais Galiléen. Jésus, parole de Dieu incarnée, est l'homme d'une culture particulière. Et pourtant son message a vocation universelle. Là est le paradoxe de la Bible : il n'y a de révélation universelle qu'au travers de paroles humaines contingentes.

La parole de Dieu n'est pas magique

Prendre la Bible comme un texte directement révélé conduit à « sacraliser » la lettre du texte qui devient une parole magique à appliquer telle quelle. Toute parole de Dieu d'où serait exclue la médiation de la parole humaine conduirait à refuser toute idée d'interprétation. Humoristiquement, on raconte l'histoire suivante pour dénoncer toute utilisation magique de la Bible :

Un homme, se demandant ce que Dieu souhaitait pour lui, ouvrit sa Bible au hasard et tomba sur cette parole de l'Évangile : « Judas alla se pendre. » Surpris par une telle demande de la part de Dieu, il ouvrit à nouveau sa Bible au hasard et tomba sur cette autre parole de Jésus : « Allez et faites de même ! » Obéissant, il installa un nœud coulant et se pendit. Or la corde cassa ! Ouvrant à nouveau sa Bible au hasard pour une dernière vérification, il tomba sur cet ordre donné par Pierre au magicien Simon (Ac 8, 22) : « Repens-toi !... »

Cette petite histoire est certes caricaturale, mais elle dénonce bien les dangers d'une lecture magique de la Bible.

Toute recherche sur l'historicité des récits bibliques a pour préalable cette compréhension de la Bible comme inspirée et non directement révélée. La Parole de Dieu passe toujours par la médiation de paroles humaines contingentes. Ces paroles humaines représentent autant de tâtonnements, sans doute inspirés, mais qui n'ont valeur de Parole de Dieu que replacés dans la globalité de l'Écriture. Aucun texte ne peut être détaché du Livre dans son entier ni de la Communauté qui le transmet (nous reviendrons sur ce point à propos du Canon de l'Écriture). Il n'y a pas non plus de critères d'analyse du langage qui permettraient de sélectionner des passages qui seraient plus Parole de Dieu que d'autres.

Dieu invisible se révèle

Il a plu à Dieu dans sa bonté et sa sagesse de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1, 9), par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, Verbe fait chair, dans l'Esprit saint, et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2, 18 ; 2 P 1, 4). Ainsi, par cette révélation, Dieu, invisible (cf. Col 1, 15 ; 1 Tm 1, 17), à cause de son immense amour s'adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15, 14-15) et converse avec eux (cf. Ba 3, 38), pour les inviter à la communion avec lui et les recevoir. Cette économie de la Révélation s'effectue par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, de sorte que les œuvres accomplies par Dieu dans l'histoire du salut manifestent et confirment la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, tandis que les paroles proclament les œuvres et éclairent le mystère qu'elles contiennent. Par cette Révélation, la vérité la plus profonde aussi bien sur Dieu que sur le salut de l'homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation.

Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation divine, § 2.

Alors que les religions voisines d'Israël découvraient des dieux immanents aux forces de la nature, Israël, lui, proclamait un Dieu qui parle par des témoins privilégiés au cœur de son histoire. Le Dieu d'Israël ouvre un avenir à l'histoire en contraste avec les dieux païens qui enfermaient les hommes dans un univers cyclique basé sur les saisons et les cycles de fécondité. La révélation de Dieu dont témoigne la Bible est avant tout promesse de Dieu qui oriente l'histoire des hommes. La Constitution dogmatique sur la Révélation divine du Concile Vatican II a bien présenté la Révélation comme l'automanifestation de Dieu ; celle-ci s'est réalisée dans une histoire dont l'accomplissement est l'événement Jésus-Christ, Parole de Dieu incarnée. Parler d'incarnation implique donc la dimension historique de la Révélation. Mais Jésus-Christ lui-même n'est connaissable que par le témoignage. La Bible est témoignage. L'Écriture n'est donc pas un donné, au sens de contenu objectif de vérité, qu'il suffirait de connaître pour entendre la Parole de Dieu. C'est un témoignage qui renvoie à des événements interprétés dans la foi.

La vérité de la Bible

La Bible, témoignant de la Parole de Dieu, est reconnue par les croyants comme disant la vérité. Dieu ne peut pas tromper les hommes. Mais en même temps, nous l'avons dit, cette Parole de Dieu ne nous est communiquée qu'à travers des paroles humaines situées historiquement et culturellement. Toute parole humaine étant dépendante des connaissances humaines, toujours limitées, elle a un aspect fragile de par sa contingence même. Comment concilier ces deux affirmations contradictoires ? Doit-on limiter la vérité à ce qui concerne la foi et les mœurs ? Y a-t-il des critères de discernement ?

Dans les théologies anciennes, on parlait plutôt d'inerrance. Ce terme voulait dire qu'il n'y avait aucune erreur enseignée dans la Bible. Ce terme a été abandonné parce qu'il enfermait dans une problématique étroite et négative et parce qu'il prêtait trop à confusion. On lui a préféré le terme de vérité. Mais comment peut-on dire que la Bible dit vrai ?

Un peu d'histoire

Est-ce que tout est vrai dans la Bible ? La question ne date pas d'aujourd'hui. En fonction des connaissances nouvelles acquises de siècle en siècle, elle est sans cesse à reprendre. C'est pourquoi il est très utile de resituer notre réflexion actuelle par rapport aux grands débats des siècles passés. Ceux-ci, comme l'affaire Galilée, continuent à marquer les esprits.

Dans les premiers siècles

Le problème a surgi très tôt puisque, dès le IIe siècle, saint Justin dans son Dialogue avec Tryphon s'attache à répondre à un auteur juif qui affirmait que les Écritures se contredisent, en particulier les quatre Évangiles. Après lui, Origène, saint Jérôme et saint Augustin se contenteront de répondre en distinguant les erreurs proprement dites des inexactitudes de pure forme. Ils ouvraient ainsi la porte au travail de l'interprétation : le devoir de tout lecteur est de se servir de sa raison pour apprécier de façon critique les diverses affirmations de l'Écriture.

L'affaire Galilée

La véritable contestation éclata au XVIIe siècle avec le progrès des sciences de la nature. L'affaire Galilée est bien connue : ce scientifique affirmait que, contrairement aux affirmations de la Bible, c'est la Terre qui tourne autour du Soleil et non le contraire. Galilée montrait donc que la Bible contenait une erreur grossière. L'affaire prit rapidement des proportions du fait que les adversaires du christianisme, s'appuyant sur Galilée, disaient : s'il y a des erreurs dans la Bible, c'est qu'elle n'est pas inspirée. Les défenseurs du christianisme ne savaient répondre que par l'affirmation contraire : puisque la Bible est inspirée, il n'y a pas d'erreurs en son sein. Il s'agissait là d'un dialogue de sourds. Des deux côtés, le raisonnement était faussé par les présupposés : d'un côté, la découverte d'erreurs dans la Bible servait de preuve pour montrer que celle-ci n'est pas inspirée ; de l'autre, la conviction que la Bible est inspirée conduisait au refus de toute remise en cause des affirmations bibliques quelles qu'elles soient.

Le concordisme

Pendant longtemps, à ceux qui dénonçaient les données bibliques contredites par la science, les théologiens ont répondu par la théorie du concordisme. Ils s'efforçaient de faire concorder à tout prix les affirmations bibliques avec les connaissances de leur temps ; par exemple, les sept jours de la Création correspondent en fait, disaient-ils, aux sept grandes périodes de l'histoire du globe terrestre. Le concordisme n'a jamais convaincu que leurs tenants !

À l'époque moderne

D'autres théologiens ont cherché à se tirer de la difficulté en restreignant l'inspiration à la foi et aux mœurs. Mais là encore, c'était l'impasse. Si Dieu s'est révélé au c...

Table des matières

• Page de titre
• Sommaire
• Avertissement
• Liste des livres de la Bible et leur abréviation
• Introduction
• Chapitre 1 L'origine de la Bible
• Chapitre 2 Les récits de type mythique
• Chapitre 3 Les histoires d'Abraham
• Chapitre 4 Les récits de l'Exode
• Chapitre 5 Le témoignage des Évangiles
• Chapitre 6 La résurrection de Jésus
• Chapitre 7 Les Évangiles de l'enfance
• Chapitre 8 L'envol de la parole
• Conclusion