Catholiques, rouvrez la fenêtre !
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Catholiques, rouvrez la fenêtre !

Mémoires de prêtres qui ont vécu Vatican II

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Catholiques, rouvrez la fenêtre !

Mémoires de prêtres qui ont vécu Vatican II

À propos de ce livre

« Allez aux périphéries! » dit, en substance, le pape François aux catholiques en les pressant de sortir de leur zone de confort.

Cette démarche était déjà au cœur de la pratique de nombreux prêtres qui exerçaient leur ministère au moment du concile Vatican II. Souvent discrets sur eux-mêmes, ils ont vécu la convocation du Concile en 1960 comme une libération du carcan qui les enfermait dans une Église catholique figée dans ses certitudes.

Ils racontent au fil des chapitres de ce livre ce qui a motivé leur vocation, leur passage au séminaire, leurs doutes et leurs passions pour un Évangile vécu en résonance avec la vie des femmes et des hommes qu'ils côtoient.

Cette plongée au cœur d'un moment décisif de la vie de l'Église catholique est particulièrement éclairante au moment même où elle traverse une grave crise de crédibilité. « Il faut ouvrir les fenêtres de l'Église », disait Jean XXIII en convoquant le Concile. Soixante ans plus tard, ne faut-il pas renouveler ce geste?

Ouvrage réalisé en coopération avec la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (CCBF). Préface d'Anne Soupa, cofondatrice.

Foire aux questions

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Informations

Chapitre 1
Naissance d’une vocation

Devenir prêtre est un choix personnel, c’est ce qu’on appelle communément « avoir la vocation ». Lorsqu’il faut entrer dans le contenu de cette vocation, les uns mentionnent un désir, d’autres une figure de réalisation de soi positive à partir de rencontres concrètes de prêtres qui en donnent l’envie. Un l’exprime par une intervention divine : « J’ai voulu également, comme pour tous les autres, me marier, donc j’ai fait un projet de mariage mais Dieu l’a empêché à vingt jours de mon mariage ! J’ai été soutenu... C’est pas moi, c’est Dieu ! » (Louis [27]). Pour d’autres, moins nombreux, c’est une parole adressée par un « prêtre recruteur » (il faut bien les appeler comme cela !) circulant dans les écoles ou paroisses : « – Votre vocation se situe à quel moment ? – Jeune... et puis on avait des vicaires qui nous interpellaient sur la vocation. Quelquefois on nous embêtait [rires]. – Comment cela ? – Eh ben oui ! “Tu veux pas être prêtre ?” On demandait souvent. On était presque vingt séminaristes à Binic. – Est-ce que tout le monde était aussi libre pour répondre à sa vocation ? – Pas forcément, pas forcément » (Michel [10]). Dans notre corpus, aucun, cependant, ne mentionne une quelconque « vision » ou « apparition » qui serait un appel direct d’une personne divine.

À chacun son histoire

On identifie ce désir à l’enfance : vingt-quatre (sur cinquante-neuf témoins) l’ancrent avant 10 ans, mais il peut s’évanouir avant de resurgir ultérieurement : « Pour moi, ça date de très loin. L’idée d’être prêtre remonte à l’âge de 6 ou 7 ans, à la manière d’un enfant, mais c’était tranquillement là. Mais j’aurais pu être, comme mon père, officier de Marine. Il y avait un environnement familial où beaucoup étaient pratiquants. Il n’y avait pas d’obstacle réel. Vers 10 ans, au moment de la communion solennelle et de la confirmation, ce désir est revenu avec force. Un désir grand pour l’âge qui était le mien » (Charles-Henri [59]). Pour quatorze prêtres, c’est au collège/lycée (ou au petit séminaire) que les choses se sont décidées, tandis que dix l’ont découvert après 18 ans. Cela peut sembler tôt selon les critères contemporains, mais il faut se souvenir que la vie professionnelle commençait pour beaucoup dès la fin du primaire, à l’obtention du Certificat{14}, et que l’école obligatoire jusqu’à 14 ans est la règle de 1936 à 1959{15}. On peut considérer que cette précoce insertion professionnelle, si elle n’a pas touché les hommes qui nous ont parlé, faisait partie de leur environnement immédiat. Avoir une vocation à 8 ans, c’est l’envisager environ trois ans avant l’entrée potentielle en vie professionnelle – donc, un quasi-âge adulte. « Je n’ai donc pas terminé l’année scolaire. J’ai été embauché le 6 juin 1953 [à 15 ans] à Ford SAF à Poissy pour être “garçon de courses” au magasin d’exposition de l’avenue des Champs-Élysées, où je suis resté deux ans, jusqu’en 1955, quand l’usine de Poissy est devenue Simca » (Joseph [25]). Quand c’était en début de secondaire (après 10 ans), c’était le même contexte : « [Mon père] était le deuxième de dix enfants et il y avait quatre garçons : tous à 14 ans, à dégager. À 14 ans, il est parti aux mousses à Brest. Son père était marin, mes oncles étaient marins. Il n’y avait pas d’autre sortie. C’était comme ça : pas d’autre possibilité, chez nous, c’était la Marine » (Michel [10]). Pour les familles pauvres ou très modestes, il fallait être poussé par l’environnement pour consentir à envoyer l’enfant au-delà du primaire : des encouragements, notamment financiers (bourses par exemple) : « Et donc, je pense que dans l’idée de mes parents, lorsque le curé du village est venu leur demander : “Est-ce que vous accepteriez que votre fils rentre au séminaire ?”, ils y ont vu une opportunité pour moi de sortir de leur situation de pauvreté » (Paul [39]). Lorsqu’on est dans une famille modeste, on s’efforce de concilier vocation et prise en charge financière : « À 12 ans, je rentre pensionnaire à Valence à l’Institution Notre-Dame en vue d’être prêtre. [...] Pour ne pas être à charge de mes parents (il y avait trois enfants à la maison), je suis rentré en formation de menuisier à Lyon chez B., un prêtre directeur qui formait des hommes d’établi » (Michel [58]).
Peu importe qu’on soit de milieu rural (Paul [12], Louis [27]) ou de milieu urbain (Patrice [16]), la vocation surgit. En revanche, le contexte joue sans nul doute un rôle. Sur l’ensemble des entretiens, seuls trois mentionnent des parents peu ou pas pratiquants (ce qui ne veut pas dire hostiles), et l’écrasante majorité est scolarisée dans un établissement catholique (29 récits le disent explicitement ; un mentionne l’école laïque). S’ajoutent les engagements dans des mouvements de jeunesse divers : scoutisme (8), Action catholique (Jeunesse agricole catholique [JAC], Jeunesse étudiante chrétienne [JEC], Jeunesse ouvrière chrétienne [JOC] : 6), patronages (5){16}. Les vocations de prêtre, pour ce que nous en constatons, ont émergé dans un milieu fortement catholique, avec une intense circulation de prêtres en activité : « En plus de ça, de l’autre côté de la rue, à même pas cent mètres de chez moi, il y avait un couvent de capucins, capucins qui n’existent même plus maintenant, où il y avait la messe tous les jours. [...] On y allait de temps en temps en semaine, allant plutôt à la paroisse le dimanche. La famille a eu un contact d’amitié avec les frères, les pères capucins » (Patrice [16]). « J’avais envie de faire comme mon curé, homme de vraie proximité et d’innovations. Il avait demandé à ma mère de faire le catéchisme, à ma sœur aînée, 25 ans, d’être le chauffeur de sa voiture ; le dimanche après les vêpres, il projetait les films de Chaplin et, plus tard, il implanta le cinéma parlant dans l’école libre, le dimanche... Il me fit jouer de l’harmonium à l’église alors que j’avais moins de 15 ans, me confiant la responsabilité du patronage, etc. » (Jean-Charles [40]). Et encore : « Ce qui explique, pour une part, ma vocation, c’est le climat familial et la profondeur de foi de mes parents, extraordinaire, avec un aspect important : leur respect et leur amitié vis-à-vis des prêtres. Véritable amitié avec les prêtres. Et aussi leur présence active dans la vie de l’Église. Ils étaient très engagés » (Edmond* [11]){17}.
Bien évidemment, le prêtre « recruteur » pouvait susciter des sentiments mêlés : « Mais à Agneaux, il n’y avait rien eu de particulier pour les [petits] séminaristes sinon qu’il passait, tous les ans, un prêtre. Quand on se retrouvait seul avec lui, c’était du genre : “Est-ce que tu aimes le petit Jésus ?”, ça ne passionnait pas forcément ! » (Fernand [35]).
Les parents jouent certainement un rôle dans la vocation, ne serait-ce qu’en montrant leur désir à l’enfant : « Mon père, prisonnier en Allemagne, de 1939 à 1945, m’a posé la question, à son retour : “Veux-tu être prêtre ?” Je suis parti, tout fier, au petit séminaire de Saint-Laurent-sur-Sèvre » – (Laurent* [06]). Mais pas dans la majorité des cas. Du reste, Laurent* [06] y avait pensé bien avant, comme un secret intime, qui sortira peut-être devant les parents ou un prêtre familier, et qui dénote une vraie liberté : « J’ai dit, dès l’âge de 4 ans, que je voulais être prêtre, et ce n’est pas mes parents qui m’ont influencé, ni un prêtre qui passait à cette époque dans les écoles pour recruter de futurs séminaristes ». On peut citer aussi : « L’Eucharistie m’attirait et mon désir d’être prêtre est venu de l’autel. Je gardais ce secret qui me rendait heureux » (Jacques [37]) ; « En 1947 toujours [j’avais 6 ans], le curé meurt. Nous sommes en famille à la messe au premier rang. Je regarde autour de moi et je vois le confessionnal. Il y a une étole croisée devant. Je demande ce que c’est. On me dit : “Le curé est mort et on attend un autre curé.” Je réponds dans ma tête : “Ce sera moi” » (Karel* [04]). Tout cela doit bien évidemment être apprécié à l’aune des témoins qui en parlent : ils sont devenus prêtres, et relisent leur vie de loin, aussi pourrait-on peut-être un jour confronter ces récits à ceux de séminaristes et de prêtres d’âge moyen.

Importance de la messe

Pourquoi le désir d’être prêtre naît-il chez un garçon{18} ? Les confidences nous permettent de dessiner quelques éléments de réponse, bien partiels et malgré tout intéressants. Commençons par ceux chez qui la vocation est apparue à l’enfance.
La messe, et plus généralement l’activité liturgique, est un lieu essentiel. Quelques exemples : « À 10 ans, je fais ma communion et me dis que j’aimerais être prêtre, très attiré par la liturgie » (Jean [03]) ; « J’avais une sorte d’admiration pour le “sacré”. Avec les autres enfants, on jouait à la Messe, on se déguisait avec des rideaux, et je faisais le prêtre » (Laurent* [06]) ; « Dès l’âge de 7 ou 8 ans, quand on me demandait : “Qu’est-ce que tu feras plus tard ?” – “Je veux être prêtre.” – “Pourquoi ?” – “Pour dire la messe !” Je ne sais pas pourquoi, la messe m’attirait. Pourtant c’était la messe en latin. Je ne comprenais rien. Le prêtre tournait le dos aux fidèles. Mais j’avais l’impression qu’il se passait quelque chose de mystérieux qui m’attirait » (Michel [07]).
On joue à dire la messe (6 mentions), on refait les rites à la maison, seul ou entre frères et sœurs : « Tout gamin, je faisais la messe à la maison devant ma petite sœur, qui est devenue religieuse par la suite d’ailleurs, et on s’entendait bien là-dessus » (Guy [08]) ; « J’étais enfant de chœur et je jouais à la messe dans le jardin et donnais des bonbons comme hostie » (Louis* [20]). Être enfant de chœur, servir la messe quand on est enfant peut faire partie du cursus (12 mentions){19}, bien qu’il soit difficile de dire si cette activité contribue à l’éveil de la vocation, ou à l’inverse si la vocation mène à se rapprocher de la messe par ce moyen.
Comment qualifier l’attrait pour la liturgie ? « Ce qui m’a marqué surtout, ce sont les célébrations liturgiques chez les Sœurs de l’Adoration qui chantaient le grégorien devant le Saint-Sacrement exposé, au milieu des fleurs et des bougies. J’allais servir la messe au monastère, j’étais tout jeune et très sensible à la beauté liturgique. Quand j’étais dans le chœur avec le prêtre célébrant, je me sentais attiré à devenir un jour comme lui... Prêtre, l’Eucharistie, c’est toujours resté en moi » (Jacques [37]). La liturgie est ce déroulement cérémoniel qui semble piloté par une personne centrale, le prêtre, qui a autorité auprès des fidèles. Le célébrant est environné d’une aura de mystère qui lui vient de ces rites cachés (personne ne voit ce qu’il fait, ni n’entend ce qu’il dit{20}) dont il assure l’efficacité. Les soins apportés autour de cette célébration – orgue, chants, habits du dimanche et habits liturgiques – contribuaient certainement à la fascination : « Dans cette Église préconciliaire, le prêtre était “quelqu’un”, avec une position sociale, doté du pouvoir de toucher le divin. Et je puis témoigner – des correspondances en font foi – que j’ai été perçu comme cela par mon entourage proche ou lointain » (Francis [47], ordonné en 1959). Nous verrons au chapitre 3 comment cette fascination va être prise en charge par l’adulte prêtre.
Facteur initial d’éveil, l’attrait pour l’activité liturgique disparaît ensuite lorsqu’il s’agit de transformer l’essai (le désir d’être prêtre) en véritable projet. Le prêtre est un homme plongé dans le concret : « En terminale, sont arrivés deux prêtres, précurseurs de Mai 68. L’un d’eux venait de Rome, avec un doctorat en théologie et des idées qui nous paraissaient révolutionnaires. (Il s’est marié après les événements !) Il décida de nous faire confiance et de nous laisser sans “surveillant” pendant les études. On était éblouis par sa joie, son humanité, son souci d’annoncer l’Évangile dans la vraie vie des gens, et déjà on sentait les tensions entre lui et les prêtres professeurs » (Laurent* [06]) ; « Qu’est-ce qui a fait que j’ai continué ma formation au séminaire ? Plusieurs événements ont joué. C’est le camp-mission qui m’a retourné ; là, j’ai découvert un aspect du sacerdoce, un rôle de présence aux gens, une façon d’être en dialogue avec eux dans un milieu qui s’annonçait déchristianisé » (Robert [18]) ; « La décision finale de ma vocation vient de l’expérience des camps-mission : nous partions passer trois semaines, l’été, dans une commune de Charente ou autre ; on vivait une vie de jeunes, on chantait, on visitait les gens, on les contactait, ils venaient nous retrouver ; je me suis dit : “Si c’est cela être prêtre, être proche des gens, alors je fais ce choix-là !” » (Olivier [24]).
Le contexte social joue donc à plein, d’abord comme lieu de vérification : être prêtre est crédible quand on expérimente l’attrait de la religion chez les gens : « Le Christ, pour moi, c’est d’abord un comportement humain, une proximité avec les personnes, une parole d’homme capable de nourrir la vie. C’est à ce moment aussi que j’ai lu Au cœur des masses du père Voillaume{21}. Tout ceci m’a révélé la nécessité de la présence dans l’humanité, en ayant foi, foi en soi et foi en les autres. C’est à la suite de cela que j’ai décidé de faire ma théologie au grand séminaire de Coutances, et donc d’être prêtre » (Roger [28]) ; « Mon ambition n’était pas du tout d’accéder au statut de clerc, mais bien de vivre le sacerdoce comme un service des hommes tels qu’ils sont et de rendre un sens à des mots aujourd’hui appauvris : amour, amitié, partage et compréhension » (Mikel [29]). Le contexte influe aussi parce que l’écart entre une société familiale bien chrétienne et une réalité sociopolitique très éloignée de la pratique religieuse bouscule les jeunes hommes. Attardons-nous sur un récit :
J’ai été ordonné prêtre à 30 ans en 1951 et j’ai été amené à cet engagement pendant quinze ans de préparation lointaine. Durant ces quinze années, dans ma relecture actuelle, je relève trois éléments marquants.
D’abord, l’esprit scout, la perspective ultime de donner sa vie, une vie qui est belle, la générosité, le risque. À ce moment des années 1930, mon milieu était sous l’influence du père de Foucauld{22}, avec sa note de don et de proximité humaine qui vous marque : avant de penser à la vie professionnelle, on pensait à la vie tout court. Plusieurs de mes jeunes amis se sont fait trappistes à cette époque. Puis, une autre influence plus intime : le choc de l’athéisme à Belfort, une ville aux marches de France avec sa garnison et l’Alsthom ; un milieu fortement ouvrier. En contact avec le scoutisme communiste, au cours d’interminables discussions avec un ami « faucon rouge », j’étais confronté à l’athéisme pur et simple. Cela m’a poussé à la philosophie. Depuis mes 15 ans et à partir de là, j’ai beaucoup creusé ce domaine [...]. Enfin, j’ai reçu le choc de la déchristianisation. Ce n’est pas la même chose que l’athéisme qui est la non-crédibilité de Dieu. La déchristianisation, ce n’est pas la négation de la foi, mais son insignifiance sociétale. L’Église apparaissait comme une coquille presque vide. Une coquille sociologique et presque rien dedans (Paul-Maurice [57]).
Ces extraits pourraient être accompagnés de quelques autres. Ils décrivent ce qu’on appelait autrefois (appliqué au Christ) une humanation, c’est-à-dire la déclinaison dans des comportements concrets du précepte de l’amour du prochain{23}.
Tout ceci nous amène à prendre conscience que les personnages divins tiennent bien sûr une place dans les récits, mais de façon relativement réduite. Le mot « Dieu » se retrouve 17 fois, Jésus 5 fois, et Jésus-Christ 4 fois. Le détail en révèle plus. Dieu est-il lié à la vocation ? Il est « actif » dans 6 cas, et Jésus-Christ dans 4 cas : « Le dimanche suivant, j’ai été à l’église prier, et j’ai dit à Jésus-Christ : “Écoute, ou il faut que tu me fasses syndicaliste, ou il faut que tu me fasses prêtre.” Pour défendre les travailleurs : c’était ça l’idée. C’est drôle, parce que je n’avais aucune idée de ce qu’était un syndicaliste, ni un prêtre » (Robert [30]) ; « Au fond de moi-même, je pensais : “Si Dieu veut que je sois prêtre, Il me fera bien revenir vivant” » (Joseph [25]). On mentionne les « hommes de Dieu » pour parler des prêtres, avec les expressions connexes « vie consacrée à Dieu » et « me donner à Dieu », « l’amour de Dieu », la « parole de Dieu », mais ces prêtres sont peu prolixes des deux vocables « Dieu » et « Jésus » pour évoquer leur désir d’être prêtre.
La situation n’est pas la même avec le mot « Église », avec la majuscule pour le distinguer du bâtiment – église. Avant de commenter, il faut préciser que la question posée dans l’entretien contenait l’expression : « votre engagement dans l’Église » pour parler de la vocation. Un examen minutieux montre que seuls quatre entretiens reprennent cette formule textuellement ([09] 2 fois, [45] et [51] 2 fois et [57]), ce qui révèle que la formule n’est pas adaptée à la manière dont les interviewés ...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Préface
  4. Introduction
  5. Chapitre 1 Naissance d’une vocation
  6. Chapitre 2 Formation ou mise en forme ?
  7. Chapitre 3 Qu’est-ce qu’être prêtre ?
  8. Chapitre 4 Vatican II, ouverture ou accomplissement ?
  9. Chapitre 5 Prêtre au long cours
  10. Chapitre 6 L’Église institutionnelle
  11. Chapitre 7 Le prêtre au travail
  12. Chapitre 8 L’avenir de l’Église
  13. Conclusion
  14. Annexes Annexe 1. Enjeux et méthode
  15. Annexe 2 Table des entretiens
  16. Table des sigles