Le Réveil de l'utopie
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Le Réveil de l'utopie

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À propos de ce livre

Algérie, Soudan, Irak, Chili, Iran, Colombie, Liban, Hong Kong, France... Sous le ciel menaçant du dérèglement climatique, un vent de protestation s'est levé en divers endroits de la planète. Il a soulevé, sans parvenir à le déchirer, le voile de l'illusion du meilleur des mondes régi par le marché et habillé par une démocratie vidée de son sens. Une partie des habitants du globe s'est dressée contre la violence des pouvoirs et l'omnipotence de l'argent.

L'aspiration à l'émancipation renaît. Plutôt que d'apparaître comme un ailleurs inaccessible retiré dans le jardin des rêves, l'utopie a retrouvé la vigueur qui avait conduit les insurgé.es du XIX e siècle à s'en emparer pour se libérer de leurs chaînes.

Ce livre plaide pour que chacun.e d'entre nous se mette à l'écoute des pratiques émancipatrices qui, du Chiapas à Notre-Dame-des-Landes, des collectifs de Gilets jaunes aux places d'Alger et de Santiago, en passant par les associations et les lieux du travail, dessinent, dès aujourd'hui, le visage d'une démocratie réelle et toujours inachevée.

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Informations

Chapitre 1
Un nouveau monde en gestation

Devant les dévastations de la nature, le monde entier assiste à l’élargissement des protestations pacifiques qui se dressent contre l’incurie des États. Au vu de la modernité destructrice par le retournement du progrès en son contraire, les populations sont désormais conscientes du point de non-retour de l’emprise humaine sur la nature à l’origine de la raréfaction des ressources comme de la disparition des espèces. Or aucune mesure à la hauteur des problèmes n’est sérieusement prise, dans aucun pays. Le sentiment d’impuissance saisit les plus conscients, comme l’ont souligné très justement Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz : « Loin de l’avènement glorieux d’un “âge de l’homme”, l’Anthropocène témoigne donc plutôt de notre impuissante puissance{6}. »
De ce brouhaha complexe, salutaire et bon enfant, par-delà les cris des manifestants, de Londres à Berlin, en passant par Sydney où la jeunesse se mobilise, émerge une autre voix, de loin, de très loin croirait-on, un autre cri, différent celui-ci, venu d’au-delà de la Méditerranée
Il nous parvient d’Alger la rebelle, d’Alger la résistante, par les réseaux sociaux très inégalement accessibles, pour cause de censure mais aussi de défaillance technique. Pendant toute l’année 2019, un nouveau chant, repris à tue-tête par les manifestants du vendredi, redonne sens au soulèvement du peuple algérien, encore debout. Toute une population retrouve sa fierté en reconquérant sa liberté perdue. Elle proclame inlassablement qu’elle ne cédera rien. En rimes, le mouvement de rue reprend vie. Il clame : « Il faudra nous arrêter tous [et de nos prisons] nous continuerons à réclamer la liberté. » Les emprisonnements se sont en effet multipliés, les jeunes des quartiers défavorisés sont particulièrement visés. Le pouvoir décrié, toujours en place, malgré le simulacre d’élections, cherche à imposer silence à tous ceux qui osent, également par écrit, l’affronter. Les journalistes les plus hostiles au pouvoir de l’armée le savent.
Partout s’étend un mouvement de balancier, entre rébellion et répression. Le découragement succède à l’enthousiasme à peine retombé. Au cours des deux premières décennies du xxie siècle, ces oscillations inédites et terrifiantes paralysent les plus optimistes. Dans différents pays du monde, les manifestations, plus ou moins pacifiques, l’insurrection, à peine advenue, alternent avec les assauts des forces de l’ordre. Partout, des bruits de bottes se mêlent aux cris des victimes bientôt supplantés par le silence des réfugiés, avec son lot de cadavres perdus en mer ou échoués sur les plages. Les populations encore extérieures aux conflits assistent impuissantes à ce déferlement de violences, tandis que la planète brûle et que les espèces peu à peu s’éteignent.
Et pourtant, malgré la menace, malgré les risques de tout perdre, y compris la vie, des populations relèvent la tête. Ainsi, la documentariste Waad al-Kateab a filmé jour après jour la résistance d’une ville, d’une portion de ville, celle de l’hôpital d’Alep avant que l’agglomération ne tombe aux mains du dictateur Bachar el-Assad, en décembre 2016{7}. On y distingue des infirmiers et des médecins se préparer à accueillir les blessés en installant eux-mêmes un hôpital de fortune et se peindre sur le front ce mot si fragile et si fort : « liberté ». Immédiatement resurgissent des images d’Occupy Wall Street dans le lieu symbolique de la Bourse de New York, qui aujourd’hui a repris ses droits, puis les bruissements des Indignés, en Espagne en 2011.
L’insurrection des places était pourtant née joyeuse, houleuse, chacun y débattait en public. Ce fut tout d’abord le sit-in en Algérie en 2010. L’année suivante, à Sidi Bouzid en Tunisie, la population sidérée assiste à l’immolation de Tarek Bouazizi, immédiatement suivie du déferlement des foules en Syrie et en Égypte. Sur la place Tahrir au Caire, un moment, la joie des manifestants éclairait les visages d’une même lumière. Le mouvement était surprenant, inespéré, il s’ouvrait sur les rues adjacentes et entraînait le pays tout entier. Ces États qu’on croyait immobiles s’ouvraient à la démocratie. Bientôt l’avenue Bourguiba à Tunis se transformait en voie ouverte à la liberté ; la population y savoura sa victoire, unique victoire d’un printemps qui s’achève par l’enfer des prisons égyptiennes et par la guerre en Syrie. Après la destruction d’Alep et d’autres villes du pays, l’attaque de l’armée turque, aux côtés de la Russie, à l’encontre des Kurdes, en est la démonstration la plus affligeante.
Aucun d’entre nous n’a oublié qu’en ce temps déjà si éloigné des mots disparus, cachés dans le souterrain des mémoires, avaient resurgi ailleurs. D’abord chuchotés, ils sont bientôt lancés, à voix haute, à l’unisson des foules chantantes. Le printemps arabe ravivait alors la mémoire du printemps des peuples, en 1848.
Il nous revient en cet instant le poème de Baudelaire, présent cette année-là, en février, sur les barricades à Paris :
Depuis trois jours, la population de Paris est admirable de beauté physique. Les veilles et la fatigue affaissent les corps ; mais le sentiment des droits reconquis les redresse et fait porter haut toutes les têtes. Les physionomies sont illuminées d’enthousiasme et de fierté républicaine [...]. Qui veut voir des hommes beaux, des hommes de six pieds, qu’il vienne en France. Un homme libre quel qu’il soit est plus beau que le marbre, et il n’y a de nain qui ne vaille un géant quand il porte le front haut et qu’il a le sentiment de ses droits de citoyens dans le cœur{8}.
Ce sont à peu près ces paroles que les infirmiers et médecins de Syrie, dont certains ne sortiront pas vivants de cet enfer, énoncent en riant dans le documentaire de Waad al-Kateab. Les mêmes visages apparaissent, lors d’une manifestation à Alger en avril dernier. Le peuple algérien retrouve le goût de vivre et de penser, le goût de parler en regagnant sa place dans le concert des insurrections. Animé par une force, étouffée jusqu’alors, maître chez lui, il vit un court moment de libération collective, chaque mardi pour les étudiantċes et chaque vendredi ; parfaitement conscient des risques encourus, sous la surveillance constante de la police comme de l’armée, il ranime ce qu’il avait perdu, ce qui lui avait été confisqué en 1962. La joie tranquille se lit dans le regard des filles comme dans celui des garçons, si nombreux dans les rues. Le Hirak se poursuit malgré les menaces. Deux auteurs, Mohammed Harbi et Nedjib Sidi Moussa – l’un combattant de la guerre d’indépendance, critique de sa confiscation, l’autre opposant plus jeune –, tous deux historiens, se retrouvent dans l’analyse des événements d’Algérie qui aujourd’hui se poursuivent : « Le chemin qui mène à l’émancipation sociale est long mais il n’est pas d’autre voie pour réaliser l’épanouissement de chacun et de tous{9}. »
Les Algériens, dans la rue ces derniers mois, rendaient hommage à la population soudanaise, elle aussi consciente d’avoir osé soulever la montagne de la dictature militaire. Les autorités occidentales qui longtemps dénièrent la moindre histoire au « continent noir » en affirmant les dictatures rivées aux peuples africains, en ont été médusées. Les populations africaines ont osé se révolter. Tout comme la population de Hong Kong s’insurge, contre toute attente, faisant fi, dit-on, de l’élémentaire rationalité stratégique ; elle a su défier le géant économique qu’est la Chine. Ce pays, en alliant la dictature politique avec l’économie capitaliste, réalise ce qui était jugé impensable au temps où sévissaient les idéologies mensongères. Il enferme ses opposants et surveille sa population sous la férule du président à vie. Une forme de refus se maintient malgré tout, ses artistes en témoignent comme bien d’autres souvent clandestinement. Les caméras partout répandues ne peuvent empêcher les désobéissances civiles de grossir et les grèves de se glisser dans les interstices d’un régime d’une puissance inégalée qui se maintient grâce à l’armée.
Pendant ce temps, les Indiens d’Amazonie tentent de contrarier les mesures gouvernementales et s’organisent contre les prédateurs de tous ordres, à l’origine de la mise en feu de l’Amazonie, où survivent encore des peuples sans État dont l’existence reste impensable pour les « civilisés », comme aurait dit Charles Fourier. Au Brésil, Jaïr Bolsonaro attise les incendies de forêts, comme Donald Trump ou Vladimir Poutine soutiennent les mafias financières qui sévissent partout sur la planète. Celle-ci s’embrase et pourtant les populations s’insurgent. Le Mouvement des sans-terre (MST) au Brésil n’est plus isolé et le modèle désormais légendaire du Chiapas se diffuse y compris en Europe. Tarnac en France n’est plus ce petit groupe plus ou moins clandestin d’où émergerait « l’insurrection qui vient{10} » ; l’épicerie, la ferme, les habitants aux alentours réunissent ponctuellement des collectifs constitués sous des formes les plus diverses, renouvelant leurs modes d’action. Le mouvement des Lip, considéré extraordinaire dans les années 1970, a suscité des vocations : coopératives et associations se répandent sur les différents territoires des pays européens et américains, au Nord et au Sud. Le plus souvent à la marge des espaces de travail dans les entreprises. La rébellion pacifique est engagée à l’écart de la tradition ouvrière qui a fait les beaux jours des Internationales du xxe siècle.
Les pouvoirs menacent et emprisonnent. Toujours les collectifs alternatifs renaissent et inventent ; que ce soit dans les plus petits groupes locaux ou dans les grands rassemblements internationaux ; à peine l’un est réduit au silence qu’un autre se manifeste. Après le Liban, la population du Chili reprend vie. Les traces d’Occupy Wall Street ont été méticuleusement effacées et pourtant les Indignés sont apparus, suivis de Nuit Debout. Aujourd’hui, la ténacité des Gilets jaunes en France déconcerte et trouble les observateurs les plus avertis. Tout a été tenté ou presque par les organisations traditionnelles : le rejet d’abord, la curiosité ensuite. « La convergence des luttes », davantage scandée qu’organisée concrètement, longtemps horizon d’attente pour les anciens idéologues, commence à prendre une forme inattendue au niveau local, des secteurs d’entreprises ou des quartiers. L’engagement de certains syndicalistes fut exemplaire au cours des assemblées et coordinations du mouvement contre la réforme des retraites. Néanmoins, les responsables politiques comme nombre de représentants souhaiteraient faire revenir au cœur du combat institutionnalisé cette population rétive à toute directive centrale. Les « institués » permanents restent sceptiques. Ils hésitent à se déplacer afin d’écouter ce qui se dit ailleurs, dans ces zones à défendre (ZAD), sur ces ronds-points discutables, ces cabanes bancales, redressées, reconstruites, ces lieux mal identifiés, dispersés sur le territoire. Il n’en demeure pas moins que ces endroits incertains, ces maisons du peuple improvisées savent accueillir, ou ont su recevoir, sur leur terre occupée, des représentants d’autres lieux, d’autres mondes, au point que l’expérience du Chiapas est devenue familière aux petits collectifs, en Ardèche par exemple. Installés depuis plusieurs années, ces derniers expérimentent de nouvelles graines venues d’autres terres, étrangères elles aussi... Ils savent, ont appris à réinventer la tradition tout en s’adaptant à la modernité à condition que celle-ci ne soit pas destructrice. Ils respectent l’humain et les différentes espèces qui composent les lieux de vie. Comme le constate très justement Jérôme Baschet, en bon historien qui a choisi de suivre la trace d’une tradition « moderne », conscient de la fragilité du devenir humain :
Il est maintenant indispensable d’analyser avec toute l’attention requise ce qui, depuis une quinzaine d’années au moins, est devenu la dimension fondamentale de l’expérience zapatiste : la construction de l’autonomie dans les territoires rebelles du Chiapas. Sous ce nom d’autonomie – par lequel les zapatistes eux-mêmes synthétisent leur pratique – on doit entendre à la fois la mise en œuvre de modalités d’autogouvernement entièrement dissociées des institutions de l’État mexicain et la réinvention de formes de vie ancrées dans la tradition indienne et néanmoins inédites, qui échappent autant qu’il est possible aux déterminations capitalistes{11}.
Ailleurs, en France, on découvre ici et là les écrits du penseur américain Murray Bookchin{12}. Comment est-il arrivé là ? Nul ne le sait, mais l’expérience locale des Gilets jaunes, rebelles à toute représentation, hostiles à toute récupération, méfiants à l’égard des maîtres à penser, les aide à construire leur propre sociabilité en retrouvant la fraternité d’antan et d’une certaine manière les pratiques décrites par l’anarchiste américain ; avec leur histoire individuelle et bientôt collective, ils suivent chez cet auteur l’ébauche du chemin qu’ils sont en train de parcourir. Le municipalisme leur parle, avec ou sans la collaboration des élus en place. Dans un bourg, on se connaît, on imagine ensemble les possibles ouverts par cet illustre inconnu en France. Il y a du « livre en acte », qu’appelait de ses vœux un autre anarchiste, Ernest Cœurderoy, prêchant dans un presque désert en 1861. La répression s’était abattue sur les insurgés de 1848 et il ne restait plus rien ou presque des écrits utopiques tant décriés d’hier. « Que les hommes ne fassent plus de révolutions tant qu’ils n’auront pas appris à se passer du pouvoir, qu’ils n’écrivent plus tant qu’ils ne seront pas décidés à braver l’opinion{13} », écrivait-il alors. L’esprit utopique n’était pourtant pas mort, il subsistait simplement dans l’ombre d’une histoire dont on ne cessait de reconstituer les étapes en inventant un passé acceptable, conforme aux événements advenus dans l’actualité du moment.
L’événement le plus spectaculaire, le plus médiatisé, ces dernières années, en France, a été sans doute la résistance des « irréductibles » de Notre-Dame-des-Landes, opposés à la construction d’un nouvel aéroport. Cette brèche était d’autant plus attendue que les échecs successifs des mouvements sociaux, malgré les durcissements des conflits, avaient démobilisé les militants les plus aguerris. Sur un autre front, autrement, elles et ils ont gagné. Le succès lui-même fut à l’origine d’autres affrontements, à propos de la perpétuation de l’occupation des terres ; la question conflictuelle demeure. Il n’empêche, la ZAD, tout près de l’agglomération de Nantes, haut lieu de la résistance ouvrière dont les traces des grandes grèves de 1953 subsistent dans les esprits, a fait face à l’adversité, à toutes les adversités. D’autres ZAD émergent ici et là. Après cette issue inespérée de Notre-Dame-des-Landes, le lieu devient la référence d’un vivre-ensemble entre gens différents. Un lieu expérimental, en débat permanent, qui fait figure de fondement d’une alternative théorique et pratique. Un texte émanant d’un des groupes qui occupent encore le territoire l’exprime d’une façon magistrale :
Se départir de l’idéologie pour apprendre de l’expérience. Opposer à la rassurante clarté des modèles (qu’ils soient politiques, économiques, scientifiques, moraux) l’opacité d’expériences singulières et imprédictibles. Refuser de réduire l’inconnaissable à un système de transparences apaisantes. Consentir à se jeter à corps perdu dans l’inconnu. Pour tous les doctes – épris de formes idéales – l’expérience politique est toujours jugée à l’aune de ses imperfections, de ses écarts vis-à-vis des absolus, plutôt que d’être pleinement vécue dans toutes ses potentialités{14}.
En effet, se départir des idéologies, jusqu’alors omniprésentes, est l’exigence du moment pour la grande majorité à qui, depuis plus de deux siècles, les autorités dites « représentatives » ont retiré le pouvoir d’agir en son nom propre. À condition de réhabiliter le politique, les collectifs, devenus citoyens, à l’écart du gouvernement des hommes, retrouveront un domaine de débat et d’existence collective, dans le mouvement même de l’histoire dont ils sont les sujets, ils se projetteront dans un futur dont ils construiront les bases en rompant avec des millénaires de séparation entre ceux qui font l’histoire et ceux qui l’écrivent et lui attribuent un sens.
Tous ces collectifs représentent des réalités qui pourraient préfigurer le monde à venir si les soutiens étaient beaucoup plus nombreux, si les intellectuels, au sens large du terme, décidaient de prendre connaissance des changements, même partiels, qui interviennent dans nos sociétés, si toutes ces catégories sociales, nombreuses, plus ou moins savantes, plus ou moins engagées dans l’espace public, se mettaient en disposition d’écouter ces bruissements, d’e...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction
  4. Chapitre 1 Un nouveau monde en gestation
  5. Chapitre 2 L’emprise néolibérale et ses limites
  6. Chapitre 3 Deux siècles de mensonges
  7. Chapitre 4 Le retour de l’émancipation
  8. Remerciements