L'urgence, c'est de vivre
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L'urgence, c'est de vivre

Au cœur d'un service de cancérologie

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
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L'urgence, c'est de vivre

Au cœur d'un service de cancérologie

À propos de ce livre

Pendant près de trois années, l'auteur de cet ouvrage a accompagné son épouse atteinte d'un cancer. Au pôle d'oncologie de la clinique de Saint-Nazaire, ils ont, ensemble, arpenté les couloirs, attendu dans les salles d'attente, connu les salles de soin: radiothérapie, hôpital de jour, hospitalisation complète... Ils ont fréquenté les bureaux des médecins, les comptoirs des secrétaires.

C'est pour témoigner de cela que cet ouvrage donne la parole aux membres de l'équipe d'oncologie de Saint-Nazaire pour qu'ils racontent, de l'intérieur même des lieux et des services de soin, ce combat pour la vie dans des circonstances où, pourtant, la perspective d'une issue fatale est souvent plus qu'une menace.

Oncologue, dosimétriste, secrétaire médicale, kinésithérapeute, aide-soignante, infirmière, agente de service hospitalier, assistante sociale... chacune et chacun raconte la réalité de son travail au quotidien, auprès des malades: les gestes techniques, les relations avec les autres intervenants, l'accompagnement des familles... La succession de ces récits, reliés par le regard porté par l'auteur sur sa propre expérience d'accompagnant, donne à voir de l'intérieur un service où les malades ne se battent pas seuls: ils ont à leur côté des hommes et des femmes qui ont choisi leur métier pour ce qu'il a de profondément humain. Un métier qu'ils ont choisi d'exercer en se tournant résolument vers la vie, ici et maintenant.

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Informations

Année
2021
Imprimer l'ISBN
9782708253711
ISBN de l'eBook
9782708254718
Sujet
Nursing

Partie II

La vie jusqu’au bout

À l’étage de l’hospitalisation complète

« Il se joue ici quelque chose d’essentiel »

Isabelle, secrétaire médicale dans les unités d’oncologie et d’hospitalisation complète
Quand les gens entrent dans le service d’hospitalisation complète, il leur est difficile d’éviter le comptoir du secrétariat de l’étage. Les visiteurs s’arrêtent pour me demander s’ils peuvent voir tel patient. Ils vérifient le numéro de sa chambre. Parfois, je les vois passer plusieurs fois, ils hésitent, comme s’ils ne savaient pas par où commencer. Plus les malades sont hospitalisés longtemps, plus les familles sont présentes, avec des visites de plus en plus longues. Ils ont besoin d’aller prendre l’air, ils passent une première fois, une deuxième fois. Certains baissent la tête, ils savent que le secrétariat est là mais ne veulent parler à personne, ou bien ils prennent un air affairé, comme s’ils cherchaient quelque chose. Alors je leur indique l’emplacement du salon des familles, au cas où ils voudraient se poser un peu.
Un jour, une dame demande à voir un patient : « Je suis une voisine. On s’inquiète un peu. Il a été hospitalisé, son courrier commence à s’entasser. Ça déborde. Je ne sais plus trop quoi faire. » Or ce monsieur venait de décéder. Il n’avait pas de famille. C’étaient ses voisins qui lui tenaient lieu d’entourage.
Chaque décès est un événement, et je ne m’y habitue pas. Parfois, la famille arrive alors en masse. Ce sont plutôt les soignants qui accompagnent les proches à ce moment-là. Ils viendront plus tard au secrétariat pour régler tout ce qui est administratif et pour récupérer les affaires du patient. Lorsque la famille n’est pas présente au moment du décès, par exemple la nuit, les soignants doivent la rappeler pour lui annoncer que le patient est au service mortuaire. Mon comptoir étant placé juste devant les ascenseurs, je suis en première ligne lorsqu’on transfère les personnes décédées. Je ne détourne pas toujours le regard assez vite. Je les vois passer. Cette confrontation a été dure pour moi au début. Mais je sais que c’est l’une des issues possibles de la maladie. J’ai cette réalité devant moi. Lorsqu’il y a un décès, on est tous mis au courant. Chacun fait attention à ce qu’il n’y ait personne dans les couloirs au moment du transfert. Les soignants demandent aux visiteurs soit de se rendre dans la chambre de la personne qu’ils viennent voir, soit de rester dans le salon des familles, dont on ferme la porte. Mais la configuration des lieux fait que des gens peuvent sortir de l’ascenseur, pourtant réservé au service, et se retrouver face au brancard sur lequel le patient décédé est recouvert d’un drap...
Malgré ces moments durs, j’ai été volontaire pour être secrétaire dans le service d’hospitalisation complète, parce qu’il y a ici un enjeu qui apparaît sans doute moins ailleurs. Pour y faire face, j’apprécie d’être incluse dans l’équipe pluridisciplinaire. Ainsi, je suis en permanence en relation avec les agentes des services hospitaliers, les aides-soignantes, les infirmières et les médecins. Je suis extérieure aux soins mais, quand ma charge de travail le permet, j’essaie de participer aux synthèses où l’équipe paramédicale – l’assistante sociale, les psychologues et les diététiciens – se joint à l’équipe médicale. Cela me permet d’en savoir un peu plus sur les patients afin de mieux répondre aux familles quand elles me posent des questions.
J’ai l’exemple d’une patiente que j’avais déjà vue en consultation, au rez-de-chaussée, et qui avait dû être hospitalisée. Et voilà qu’en synthèse, on nous apprend qu’il faut passer aux soins palliatifs. Donc on arrête tous les traitements. Le lendemain, la famille se présente au secrétariat : « On ne comprend pas, il y a arrêt des traitements. On n’arrive pas à croiser quelqu’un qui pourrait nous expliquer. » En fait, la patiente était au courant de son état et tout à fait au clair. Ce sont les membres de la famille qui étaient dans le déni. La patiente leur avait pourtant tout expliqué. Mais venir au secrétariat leur a permis de verbaliser leur angoisse une première fois. J’ai donc pris rendez-vous avec le médecin de l’étage pour qu’il s’entretienne avec les proches de la dame. Si je n’avais pas eu toutes les infos, je n’aurais pas su s’il fallait les aiguiller vers le médecin d’étage ou vers l’oncologue. Une réponse claire de ma part et la prise de rendez-vous ont contribué à ce qu’ils commencent à intégrer la réalité. Dans d’autres cas, il faut simplement qu’on sache si le patient peut ou non recevoir des visites. Certains sont fatigués ou bien en examen. Quand on en discute entre nous, on se dit que si on ne répond pas aux patients et à leurs familles de manière adaptée, ils vont rester avec leurs questions. Et ce sont des questions graves, impérieuses. Il se joue ici quelque chose d’essentiel. Il y a de la gravité et donc une plus grande attention. On parle souvent en équipe de cette nécessité d’être à l’écoute et d’avoir de la cohésion. On ne veut pas diminuer cette exigence.
C’est pour faire face à des situations de ce genre que nous avions demandé que des groupes de parole soient mis en place pour pouvoir discuter, en présence d’une psychologue, des cas qui nous posaient problème. Ces groupes se sont réunis de façon formelle pendant un moment. Et puis on s’est aperçu qu’il est difficile d’échanger sur commande. On préfère pouvoir rencontrer personnellement la psychologue, ou nous exprimer à chaud entre nous au moment des transmissions ou de manière informelle au moment du repas de midi. Si un cas nous préoccupe, on en parle spontanément aux collègues : « Il m’est arrivé telle chose avec tel patient... Là, il faut que ça sorte ! Comment est-ce que vous auriez fait ? » Et puis les médecins de l’étage et les oncologues sont aussi à l’écoute. On peut leur parler librement.
Ce poste, que je partage avec deux autres secrétaires, me plaît. Nous nous relayons par roulement au secrétariat de la consultation et au secrétariat de l’hospitalisation complète. Je l’ai dit à mon cadre : « Si on me laisse la consultation et l’hospitalisation, je reste. » Combiner ces deux activités me permet de souffler un petit peu. Quand la tension est trop forte dans le service d’hospitalisation complète, au troisième étage, parce que j’y rencontre jour après jour les familles dans la peine, auxquelles je finis par m’attacher, je sais que je vais bientôt descendre un peu à l’étage des consultations et de l’hôpital de jour. Je compte sur cette soupape pour me préserver. Mais j’ai besoin des deux pour trouver un équilibre.
*
Au petit matin, mon épouse semble dormir paisiblement. Trop paisiblement. En réalité, un léger râle m’alerte à la fin de chaque expiration.
Je sais ce que cela signifie. C’est déjà arrivé au même stade d’une chimio précédente : je n’avais pas réussi à la sortir de son sommeil. Au téléphone, l’infirmière coordinatrice avait été nette et précise : « Il faut appeler le 15. » Cette fois, je ne perds pas une seconde. L’ambulance arrive sans tarder avec un médecin. C’est un samedi, les gens affluent aux urgences sans discontinuer : des grippés, des blessés, des enfants, des anciens... On prend mon épouse en charge immédiatement. Naloxone. Elle se réveille un peu. Cela ressemble à une surdose de morphine...
Du côté de l’entrée du service, le hall d’accueil se remplit. Bientôt, les brancards, côte à côte, en occupent tout l’espace disponible. Infirmiers et aides-soignants se démènent comme si chaque malade était seul au monde. Puis on demande aux familles et aux proches de se replier dans un bungalow installé sur le parking. La salle d’attente des visiteurs est en effet réquisitionnée pour y placer les patients qui, après les premiers soins, attendent la suite des événements.
C’est là que mon épouse est ramenée sur un lit-brancard que l’on case entre un distributeur d’eau fraîche et je ne sais quel matériel de réserve, derrière un paravent sommairement déployé. Rapidement, les premiers signes d’une nouvelle perte de conscience se manifestent. Le médecin est alerté, un nouveau protocole est aussitôt déclenché. Transfert au service de soins continus.
Au bout de plusieurs jours de soins intensifs, c’est l’admission au troisième étage du service d’oncologie, en hospitalisation complète.
Pierre, accompagnant

« Dans sa bulle, elle était bien »

Flavie, aide-soignante en hospitalisation complète
Il y avait la petite musique, une lumière un peu tamisée, quelques décorations... La dame à qui j’ai donné une balnéothérapie s’est détendue. Le contact avec l’eau lui permettait de renouer avec des sensations oubliées. Dans sa bulle, elle était bien. Quand je l’ai ramenée dans sa chambre, elle m’a dit : « Ah... pendant ce moment-là, j’ai oublié que j’étais malade ! » Deux fois par mois, je prodigue des soins de bien-être dans le service d’oncologie, en hospitalisation complète : massages, maquillage, soins de visage, balnéothérapie, pose de vernis à ongles. Le but est d’essayer de raccrocher les patients à eux-mêmes, de leur donner l’occasion de se retrouver malgré la maladie, les traitements, l’environnement hospitalier.
Il y a des patients qui refusent ces soins-là. Il ne faut pas insister. Quand ils acceptent, c’est qu’ils sont prêts à se laisser dorloter. De mon côté, je me sens plus disponible, plus à l’écoute que lorsque je dois enchaîner des toilettes ou des soins de médecine. Je peux prendre mon temps et, surtout, les circonstances des soins de bien-être invitent à vivre pleinement l’instant, à éprouver des sensations de vie. Alors, les patients se livrent plus facilement. Ils me racontent leur parcours depuis la découverte de la maladie jusqu’au jour de l’hospitalisation. Ils me disent l’impression que ça n’a pas été assez vite au moment des premiers examens. Ils me parlent de la famille, des visites qui, parfois, les fatiguent, si elles sont trop longues. Bien sûr, ils sont contents de voir leurs proches, mais soutenir une conversation, maintenir leur attention les épuise. Ils n’osent pas le dire... Du coup, c’est à moi qu’ils en parlent.
Le plus difficile, c’est de donner des soins de bien-être à des patients en fin de vie. Quand je leur en propose, certains me disent : « Ça ne sert à rien. Je n’en ai pas besoin. » D’autres, au contraire, sont contents de pouvoir encore en profiter. Je me souviens par exemple d’une patiente parvenue au bout de tous les traitements et qui avait été contaminée par une bactérie. Elle était en isolement protégé. Pour pénétrer dans sa chambre, il fallait être équipé d’une tenue spéciale. Vêtue de cet équipement, j’avais pris le temps, ce jour-là, de me rendre auprès d’elle et j’avais apporté mon matériel pour lui mettre du vernis à ongles. C’était quelqu’un qui s’était toujours peint les ongles. Que je vienne lui poser du vernis lui avait fait du bien. C’était, pour elle, dans le moment présent, une façon de retrouver un peu ce qu’elle avait été. Comme si, alors que ses forces déclinaient rapidement, il fallait que ce détail lui redonne d’elle-même une image un peu valorisante.
Il y a eu aussi cette dame très faible et très douloureuse que j’ai emmenée à la balnéo. Son mari était présent. Il m’a demandé s’il pouvait entrer. Sa femme était bien, détendue, dans la baignoire... Elle avait le sourire. Le monsieur est ressorti en larmes, ému et heureux d’avoir vu sa femme aussi apaisée. Je pense aussi à ce monsieur souffrant et angoissé devenu totalement insomniaque. À sa demande, je lui avais fait un massage du cuir chevelu. J’avais continué par un massage des mains, des jambes, des pieds. Son fils, présent dans la chambre, l’avait vu se détendre au fur et à mesure que je le massais. Ce monsieur avait fini par s’endormir...
C’est dans ces moments que je mesure l’importance extraordinaire de ce genre de contact et d’attention. Ils contribuent à ce que les gens s’acceptent malades, et ils sont si réconfortants pour les familles.
J’interviens aussi dans des ateliers de soins du visage destinés aux patientes atteintes d’un cancer du sein et qui suivent un traitement par hormonothérapie. Les femmes viennent en groupe dans un local qu’on a décoré. C’est l’occasion pour elles de discuter, de tout se dire de leur traitement. La dernière fois, une des femmes est venue avec sa perruque. Quand elle l’a retirée pour les soins du visage, on a vu que ses cheveux repoussaient un peu. Ce n’était pas très épais, mais tout le monde trouvait qu’elle était bien comme ça. Pourtant, elle tenait à remettre sa perruque : « Ça me protège. J’ai l’impression que les gens ne voient pas que je suis malade. » Ses copines ont insisté : « Attends un peu, l’aide-soignante va d’abord te maquiller. » Je me suis exécutée. En définitive, la dame est repartie avec son postiche, mais elle l’avait mis dans un sac... « Finalement, je me trouve belle comme ça. » J’ai trouvé magnifique d’obtenir ce résultat. C’est pour ça que je fais ce travail. Ça me fait du bien à moi aussi...
Pour en arriver là, il est important que l’équipe soit soudée, complice, que son envie de travailler ensemble se voie, qu’on entre dans les chambres avec le sourire, qu’on y apporte de la vie. On en parle souvent entre nous pour évoquer les situations difficiles aussi bien que les réussites. On essaie de prendre un peu de temps autour d’un café, après le repas du midi ou, parfois, en dehors de la clinique. On a aussi les réunions mensuelles avec la psychologue, les synthèses hebdomadaires avec tous les soignants du service qui permettent de renforcer la cohésion, l’écoute réciproque, le sentiment d’équipe.
Enfin, on a l’Association des soignants du service d’oncologie de l’Estuaire (ASSOE). L’idée de cette association est née le jour où une collègue de boulot qui venait de se marier s’est trouvée dans la situation de changer de ville pour suivre son mari. Avant de partir, elle nous a rendu l’argent de la cagnotte que nous avions créée pour son mariage. Elle voulait qu’avec ces sous-là, on fasse quelque chose de bien pour le service. Ça a été le point de départ d’une réflexion qui a abouti, en 2011, à la création de l’association.
Il me semble que cela illustre à quel point notre travail en oncologie est pour nous plus qu’un gagne-pain, c’est un investissement. L’objectif de l’association est d’apporter du bien-être et du confort aux patients et à leurs familles. Nous avons commencé par aménager les deux salons d’accueil. Et, plus les années passent, plus l’association se renforce parce que les gens donnent énormément. Cette année, le conjoint d’un patient a fait une cagnotte sur Internet pour l’association. On a renouvelé la machine à café, les journaux sont distribués tous les jours, ici et à l’hôpital de jour, en chimio. Lorsqu’une dame hospitalisée a perdu son mari, on a payé l’ambulance pour qu’elle puisse se rendre aux funérailles parce que ce n’était pas pris en charge. Il arrive aussi qu’on règle la note de télévision pour les gens qui n’en ont pas les moyens. On paye des compositions florales qu’on distribue à tous les patients à la fête des mères et à la fête des pères. À Noël, on installe un sapin, on met des décorations sur les portes, on apporte des fleurs aux malades. Noël... c’est une date emblématique. Le fêter dans un service comme le nôtre est particulier parce que, plus que toute autre fête, Noël est plein de promesses. Les patients pourraient en être plus tristement ramenés à leur maladie mais, en fait, ils sont contents. Ils sont souvent très déçus quand on retire les décorations : « Vous les enlevez déjà... C’était joli. »
Une des dernières actions de l’association a été de financer les fresques peintes sur les murs des couloirs. On s’est rendu compte, en effet, que les couloirs ne sont pas un endroit neutre. Il s’y passe beaucoup de choses. C’est là que se croisent les visiteurs, les patients et les soignants. Lorsqu’un patient est au plus mal, il arrive que sa famille venue en nombre occupe le couloir. Un jour, alors qu’une jeune patiente venait d’être sédatée, vingt personnes au moins sont arrivées, elles étaient massées devant la porte, dans les salons. On s’est occupés de la maman qui a fait plusieurs malaises dans le couloir. On a dû l’allonger dans un lit, faire venir la psychologue en urgence pour s’occuper d’elle. Puis c’est une des sœurs de la patiente qui s’est trouvée mal entre deux portes. Ce jour-là, on a pris en charge la jeune fille en fin de vie, mais on s’est aussi beaucoup occupés de sa famille. Il faut encaisser tout ça.
Quand j’ai passé une journée difficile, mon mari le sent bien. J’ai la chance d’avoir un mari qui comprend. Il a été pompier. Il connaît ces situations-là. Il sait que la lutte contre la maladie fait partie de la vie.
*
L’infirmière est entrée pour faire une série de prises de sang. Il lui suffit de brancher sa seringue sur le dispositif implantable, mais il y a un nombre impressionnant de tubes à remplir. Elle préfère que je quitte la chambre : elle se méfie des réactions des proches à la vue du sang. Je ne crains rien de ce côté-là, mais je comprends qu’elle a besoin de faire son travail hors de ma présence. Je sors et me retrouve dans un long couloir éclairé par un mur de baies vitrées dont l’appui intérieur forme une sorte de banc. Je peux m’asseoir là en attendant. L’architecture du bâtiment a permis de donner à ce lieu de passage des allures de coursive incurvée et lumineuse. La courbe qu’il épouse nous épargne la perspective désolante des enfilades rectilignes dont le point de fuite semble irrémédiablement condamné à se perdre dans des lointains indéchiffrables.
Là se croisent des visiteurs isolés, d’autres en grappes silencieuses, des soignants en blanc qui poussent leur chariot médical surchargé de matériel et d’écrans d’ordinateur, les agents de service qui roulent la cantine du repas ou des chariots de linge. Ce n’est pas un mouvement continu, plutôt des allers et retours, des piétinements, des conversations feutrées devant des portes qui s’ouvrent sur d’autres patients, d’autres familles, et qui se referment. C’est une animation à la fois paisible et inquiète....

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Avant-propos
  4. Partie I « Je ne veux que des bonnes nouvelles, docteur »
  5. Partie II La vie jusqu'au bout
  6. Postface « Ces moments n'ont laissé personne intact »
  7. Remerciements