deuxième partie
« Le système universel de retraite par points est la seule solution pour garantir les retraites. »
Sur un système qui serait plus juste et plus lisible
25. « “Un euro cotisé donne les mêmes droits” : une réforme pour plus d’égalité. »
Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites de 2017 à 2019, a porté ce principe en expliquant : « La retraite est le reflet de la carrière ; c’est quelque chose de juste. Si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite ; si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite{23}. » Ainsi, la formule « un euro cotisé donne les mêmes droits » cache une augmentation de la contributivité des retraites par rapport au système actuel.
Plus un système de retraite est contributif, plus le niveau de pension dépend des salaires perçus et de la durée d’assurance. Plus un système de retraite est contributif, plus il reproduit les inégalités subies pendant la vie active. Or tout le monde n’a pas les mêmes chances d’avoir « une belle carrière » en raison notamment des inégalités d’accès aux études et aux diplômes, des contraintes économiques (chômage, précarité, temps partiel imposé, salaires bas...), de la santé et des inégalités salariales entre femmes et hommes.
En quoi cet argument d’égalité apporterait-il plus de justice ? Est-il juste d’avoir des pensions qui reflètent exactement la carrière professionnelle et le niveau de salaire ?
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, des systèmes de retraites existaient, mais pas pour l’ensemble des salarié·es. Offrir à chaque travailleur et travailleuse les moyens de vivre décemment à la retraite était considéré comme une juste et nécessaire reconnaissance du travail accompli pendant la vie active. Dans cet objectif de justice, d’équité, le système de retraite a été pensé pour amortir les aléas de la vie professionnelle (faibles salaires, périodes d’inactivité...).
Cela se traduit dans le calcul de pension par :
– La prise en compte des meilleurs salaires de la vie professionnelle{24}, ce qui permet d’écarter du calcul les plus mauvaises années.
– Les droits solidaires, ou droits non contributifs, qui sont des droits à pension que l’on obtient dans certaines situations sans cotisation en contrepartie. C’est la validation de périodes non travaillées (maladie, chômage, maternité...), la majoration de la durée d’assurance (liée à la naissance et l’éducation des enfants) ou encore le départ anticipé (invalidité, handicap, pénibilité) et le dispositif carrière longue.
Une étude de France Stratégie{25} démontre que le système actuel de retraite français a bien un effet positif sur les inégalités : l’écart entre les pensions les plus faibles et les pensions les plus fortes est moins grand que pour les salaires.
Le principe « un euro cotisé donne les mêmes droits » exclut l’existence de droits non contributifs, mais ce positionnement a été infléchi suite à l’opposition des syndicats. Le système à points prévoit l’attribution de points forfaitaires, sans cotisation en contrepartie, au titre des périodes d’inactivité involontaire, des enfants...
Ce principe devrait garantir qu’à salaire égal on obtienne le même nombre de points, mais ce ne sera pas le cas en raison de différents niveaux de cotisation :
– Pour l’ensemble des salarié·es, le taux de cotisation serait de 28,12 % (cotisations salariales et patronales) jusqu’à environ 120 000 euros de revenu brut par an (soit 10 000 euros par mois).
– Pour les indépendants et les professions libérales, ce taux serait de 28,12 % jusqu’à 40 000 euros de revenu, puis de 12,94 % entre 40 000 euros et 120 000 euros de revenu.
L’argument d’égalité mis en avant par le gouvernement pour vanter les bienfaits du système à points est un leurre et son objectif d’augmenter la contributivité du système de retraite est contraire à l’idéal de justice sociale à l’origine du système actuel.
26. « Un système “universel” est juste. »
Le pouvoir en place et tous ses conseillers ont choisi à dessein cette expression. L’universalité, référence implicite aux droits humains et donc chargée positivement, était aussi portée par les initiateurs de la Sécurité sociale{26}. Revendiqué comme universel, le projet du gouvernement s’oppose à la multiplicité des régimes qui serait génératrice d’inégalités, d’injustices et d’opacité. Il existe effectivement, actuellement, des inégalités face à la retraite. Mais il n’est pas nécessaire de passer au régime universel proposé pour les réduire et les éliminer. D’autant que, depuis sa création, notre système de retraite a déjà évolué vers une plus grande convergence des différents régimes{27}.
Le système actuel est caractérisé par un calcul sur des revenus de référence, par une durée de cotisation pour un taux plein et par des bornes d’âge : 62 ans pour l’ouverture des droits (avec possibilité de partir dès 60 ans en cas de carrière longue) et 67 ans pour partir en retraite sans décote. Des dispositifs permettent de prendre en compte la particularité, la dangerosité ou les contraintes de certaines activités. Les taux de remplacement sont dans les faits similaires entre régime général et fonction publique ; ils sont aussi plus importants pour les bas salaires mais les catégories qui ont les revenus et les pensions les plus élevés sont aussi celles qui ont la plus longue espérance de vie à la retraite. Des dispositifs de solidarité permettent de limiter la pauvreté de ceux qui ont les droits les plus faibles. Et même imparfait, le système actuel est moins inégalitaire que ne le sont les répartitions des revenus d’activité et des patrimoines. Il est possible de le rendre plus juste, mais la justice ne se résume pas à l’universel réduit à un slogan.
Le régime dit « universel » proposé, même si sont promis des dispositifs de solidarité, nous oriente vers un accroissement des injustices. Dans ce projet, les repères collectifs présentés ci-dessus disparaissent. Les points sont comptabilisés (achetés) sur l’ensemble de la carrière, de la même manière pour tout le monde (c’est le côté universel du projet), y compris pendant les périodes d’inactivité, de chômage, de maladie ou de précarité. Ce régime « universel » est aussi défini par un âge « d’équilibre » commun à chaque génération mais évolutif en fonction de l’accroissement de l’espérance de vie et des contraintes financières. Cet âge d’équilibre*, parfois appelé âge pivot, est présenté comme l’âge du taux plein, c’est-à-dire l’âge à partir duquel chaque génération pourra bénéficier de la valeur de service du point sans « malus » ni bonification. Selon l’étude d’impact du gouvernement, l’âge d’équilibre serait à 65 ans (soit déjà un an de plus par rapport au rapport Delevoye !) et l’âge minimal actuel de départ à 62 ans serait maintenu, mais avec un malus ! La borne des 65 ans correspond à une carrière dite complète de 43 annuités pour une personne entrée dans la vie active à 22 ans et n’ayant eu aucune coupure dans sa carrière. La borne à 60 ans pour les carrières longues disparaît.
Le gouvernement prétend que le principe d’égalité des droits liés à des points acquis sur toute la carrière, qui ferait disparaître les avantages tirés dans le système actuel par les personnes qui ont une carrière ascendante et complète, serait plus juste. Au lieu de ne retenir que les 25 meilleures années ou les 6 derniers mois pour la fonction publique, on comptabiliserait toute la carrière, toute la « contribution » individuelle, ce qui serait plus juste par rapport aux personnes qui ont une carrière linéaire. Or la justice sociale qui en découle est très discutable. Une personne commençant sa carrière en bas de l’échelle et terminant à proximité du sommet serait ramenée à une moyenne plus faible qu’une personne finissant aux mêmes échelons mais ayant dès le début accédé aux emplois les mieux rémunérés. Dans son argumentation, le gouvernement compare les carrières ascendantes aux carrières linéaires au niveau du Smic. La justice ici consiste donc à tirer vers le bas une partie importante des pensions, celles de ceux qui n’ont pas la chance de débuter en haut de l’échelle, sans pour autant que le sort des smicards soit assurément amélioré. Car ces derniers sont aussi plus fréquemment touchés par les périodes de précarité et de chômage, qui ne leur permettront pas d’accumuler les points nécessaires. Pour l’instant, ces périodes de vache maigre peuvent être éliminées dans le calcul de la pension par la prise en compte des seules 25 meilleures années de rémunération.
En outre, l’âge d’équilibre à 65 ans, même avec le maintien de l’ouverture des droits à 62 ans, part du principe que tout le monde commence sa vie active à 22 ans, occupe des emplois où il est possible de se maintenir jusqu’à 65 ans et profite de la même espérance de vie. Une personne ayant débuté bien avant 22 ans subira donc systématiquement un malus si elle souhaite partir avant 65 ans. Comme généralement celles et ceux qui ont débuté très tôt dans la vie active ont au mieux une carrière ascendante, sinon une carrière linéaire en bas de l’échelle des rémunérations, on voit vite où nous mène cette conception de la justice sociale : si leur emploi n’est pas pénible, si elles ne sont pas épuisées, usées, rendues invalides ou rejetées par les employeurs, elles seront poussées à prolonger leur activité jusqu’à l’âge d’équilibre.
En prétendant qu’« un euro cotisé donne les mêmes droits », le gouvernement et le Président font comme si nous étions égaux face à l’emploi et au travail. Or la position que chacun occupe durant sa vie active est très fortement déterminée par l’origine sociale mais aussi par l’époque à laquelle on quitte l’école ou les études pour la vie active. Les générations qui arrivent en emploi au moment des récessions ont des carrières plus difficiles que celles qui bénéficient d’un environnement économique favorable. Par la suite, les différences de rémunérations tout comme les conditions d’emploi et l’exposition à la pénibilité et à l’usure professionnelle sont aussi variables.
27. « Un régime universel par points serait plus lisible et plus transparent. »
Substituer un régime universel aux 42 régimes existants peut sembler séduisant, mais la mise en place d’un tel régime nécessite une longue période de transition pour faciliter – arracher – son acceptation sociale. Durant cette période, la réglementation applicable sera particulièrement complexe. Et ce, d’une façon encore plus marquée qu’aujourd’hui, un même statut renvoyant désormais à plusieurs régimes possibles selon l’année de naissance de...