Petite histoire de la mondialisation à l'usage des amateurs de chocolat
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Petite histoire de la mondialisation à l'usage des amateurs de chocolat

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Petite histoire de la mondialisation à l'usage des amateurs de chocolat

À propos de ce livre

Avec une poignée d'autres produits agricoles comme le café, la banane ou le sucre, le cacao est un produit emblématique de la mondialisation, mais aussi d'une évolution culturelle qui a vu naître de nouveaux modèles de consommation: cette denrée « exotique », aux conditions de production des plus exigeantes, est aujourd'hui disponible en tout lieu du globe, et accessible pour tout un chacun, réalisant la promesse d'abondance portée par les sociétés capitalistes...

Dans cet ouvrage, il ne s'agit pas de proposer une histoire technique et exhaustive du cacao-chocolat, mais de raconter une série d'épisodes significatifs et pourtant peu connus: comment le chocolat a contribué à la chute des Bourbons, s'est trouvé au centre d'une utopie ouvrière, a fait l'objet des premières dérives de la « réclame », ou encore a financé la décolonisation...

Présentés de façon chronologique, depuis la conquête des Amériques jusqu'à la période actuelle, les chapitres esquissent une histoire économique et culturelle de la mondialisation, mettant en lumière les interrelations profondes entre les grands maux de notre époque (crise écologique, conflits armés, domination de la finance dématérialisée, persistance de la grande pauvreté).

De la fève de cacao à la barre de chocolat, un éclairage précieux et inédit sur les origines de la mondialisation.

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Informations

Année
2021
Imprimer l'ISBN
9782708253759

Chapitre 1
Xocoatl, la boisson des dieux

« Le jour suivant, sur le tard, deux Indiens vinrent nous voir de la part des caciques et nous apportèrent divers bijoux d’or de peu de valeur, en disant au capitaine qu’ils les lui offraient pour qu’il s’en allât sans leur faire ni mal ni dommage. Le capitaine leur répondit que, quant au mal et au dommage, il ne leur en ferait aucun ; mais que, quant à quitter le pays, ils devraient savoir que, dorénavant, ils auraient à tenir pour maîtres et seigneurs les plus grands princes de la terre, qu’ils en étaient les vassaux et leur devaient obéissance et qu’en le faisant ils obtiendraient de vos majestés mille faveurs et qu’elles les défendraient contre leurs ennemis. »
Extrait de la première lettre d’Hernán Cortés
à la reine Jeanne de Castille
et au roi Charles Quint, datée du 10 juillet 1519
Fin novembre 1519, dans la cité aztèque de Cholula. Hernán Cortés arrive au terme de sa marche sanglante sur Tenochtitlan (Mexico). Six jours plus tôt, il a fait massacrer des milliers d’habitants de la ville par ses troupes et celles de ses alliés, et fait prisonnier la plupart des notables. À l’extérieur, les troupes envoyées par l’empereur Moctezuma pour prévenir l’avancée des Espagnols se replient sur la capitale aztèque, de l’autre côté du volcan Popocatepetl. Dès le lendemain du massacre, Cortés a envoyé un ambassadeur choisi parmi les personnages les plus influents de Cholula porter à Moctezuma les conditions de sa reddition et de sa soumission à l’empereur Charles Quint et au Royaume d’Espagne.
Cortés frissonne sous la lourde cuirasse qui ne le quitte jamais. Le matin froid des hauts plateaux mexicains pénètre dans le fastueux palais transformé en quartier général. Autour de lui, des hommes en armes gagnent quelques heures de sommeil, tandis que les Indiens de sa suite s’affairent à préparer un repas sommaire. Il n’a pas dormi. Une fois de plus. Il y a tant à faire. Il faut inspecter les tours de garde. Vérifier que les soldats sont éveillés, réconforter les plus découragés d’entre eux. Veiller aux approvisionnements de la troupe, envoyer des messagers à Veracruz, la ville qu’il a fondée en arrivant sur les côtes du Mexique, pour s’assurer que d’autres colons espagnols ne tentent pas de le doubler dans son entreprise de conquête. Sans compter les manœuvres de Diego Velázquez, le gouverneur de l’île Fernandina (Cuba) qui l’a envoyé ici en reconnaissance, et à qui il a sciemment désobéi. Et puis autour de lui, il faut maintenir l’équilibre de sa fragile alliance avec les différentes cités mexicaines dont les troupes l’accompagnent, promettre aux uns, mentir aux autres, rassurer tout le monde... et jusque dans son cercle le plus proche : parmi la centaine de conquistadores qui l’accompagnent, il doit composer avec la mauvaise volonté de ceux qui ne voient pas d’un bon œil son entreprise téméraire, surtout les fidèles de Velázquez qui l’accompagnent de mauvais gré. N’a-t-il pas dû, avant son départ de Veracruz, faire jeter à la côte ses propres bateaux pour empêcher une désertion massive au sein de ses maigres troupes ?
Heureusement, il y a les fidèles de la première heure, les vieux conquistadores qui ont participé aux premières expéditions sur la côte du Mexique, et puis ses proches : Bernal Díaz del Castillo, Pedro de Alvarado, Gonzalo de Sandoval... Et puis Gerónimo de Aguilar, rescapé d’une précédente expédition et que Cortés a recueilli au terme de deux ans de captivité. Sur ceux-là, et sur une poignée d’autres, il peut compter. Mais qu’est-ce qu’une poignée d’hommes pour maintenir la discipline parmi presque trois cents hommes d’arme, dans un pays inconnu, en butte au froid, aux maladies, à la faim et à la soif éloignés de leurs foyers, sans réel espoir de retour ? Des hommes qui, pour la plupart, ont payé leur voyage et leur équipement de leurs propres deniers dans l’espoir de rapporter suffisamment d’or pour tirer un bénéfice du voyage. Et voilà que leur chef, leur capitaine, les a convaincus, au lieu de piller la côte et de s’en revenir promptement à Cuba partager le butin, de saborder leurs navires et de partir à la conquête d’un royaume, pis, d’un empire ! Pour tenir ses troupes, Cortés n’a pas trop de ses nuits blanches, il doit également faire appel à toute son astuce, à sa rigueur, à l’application stricte de la coutume en temps de campagne. L’ancien notaire n’entreprend rien sans faire dresser un acte notarié en bonne et due forme. Pour le respect et la justice. Pour rendre compte aussi, auprès du roi d’Espagne, sous l’autorité duquel il s’est placé, de sa conduite irréprochable, et puis, enfin, pour se garantir des appétits de Diego Velázquez qui, depuis Cuba, ne doit désormais plus rien ignorer de la désobéissance de son alcade{1}.
Et il y a sa suite, ses serviteurs et valets, indigènes de Cuba ou du Mexique. Et puis bien sûr Doña Marina. Une femme qu’on lui a « donnée », peu après sa première bataille (et sa première victoire) sur le sol de cette « Nouvelle Espagne ». Elle est devenue son interprète, sa confidente, sa conseillère. Sa maîtresse, aussi. C’est elle qui l’a averti de l’embuscade tendue par les troupes de Moctezuma, dont les femmes Cholula avaient eu l’imprudence de lui faire part, négligeant sa loyauté envers son nouveau maître. Il cherche Marina, appelée aussi « la Malinche », des yeux. Mais dans la pénombre de l’habitation de pierre, dont le soleil timide des hauts plateaux mexicains ne chasse l’ombre que pour la remplacer par une vague brume grisâtre, il ne voit se mouvoir lentement que des corps meurtris par une nouvelle nuit sous les armes. Lui-même glisse une main sous son pourpoint. Les blessures mal guéries l’agacent sous la grossière toile de coton. Il est fatigué. Il doit pourtant prendre de graves décisions, et il repousse le moment de convoquer son conseil de guerre. Tenochtitlan, la capitale de l’empire aztèque, n’est plus qu’à quelques jours de marche, derrière l’épaulement de cette montagne colossale au pied de laquelle se loge la ville de Cholula, cet imposant pic de basalte dont le sommet semble couvert de neige, et qui pourtant rejette quotidiennement des torrents de fumée dense qui s’élèvent vers le ciel sans que le vent même semble pouvoir en infléchir la courbe, comme si la forge des enfers se tenait tapie sous ses pieds, au cœur de la montagne.
Marchera-t-il sur cette ville, comme il l’a toujours prévu ? Ou se laissera-t-il convaincre par les ambassadeurs aztèques qui lui promettent de verser, à son appréciation, tout tribut en or, en hommes et en nourriture qui lui conviendrait pour renoncer à envahir la capitale ? Doit-il forcer le destin jusqu’à rencontrer l’empereur Moctezuma, dont on ne parle que comme s’il s’agissait d’un dieu vivant ? Doit-il tout risquer pour recueillir de la bouche même de ce monarque sa soumission et son serment de vassalité à l’égard de Charles Quint ? Ou doit-il préserver ses hommes et, comme beaucoup le réclament, se replier vers Veracruz en attendant des renforts ? Des hommes, des armes, des chevaux, qui lui permettront de s’avancer plus avant dans le pays sans risquer de voir décimer ses troupes à la première embuscade ? Et puis, ne lui a-t-on pas dit que la ville était bâtie au beau milieu d’un lac ? Comment s’y prendra-t-il si les eaux ne sont pas franchissables à gué ? Enfin, que penser de Moctezuma lui-même ? Ce prince versatile, qui tantôt lui fait des promesses d’amitié, tantôt ordonne à ses troupes de lancer des razzias sur ses arrières ? Qui le lendemain s’excuse platement et lui fait porter de riches présents, pour le soir même masser ses troupes aux portes de la ville ?
Rageusement, Cortés resserre d’un cran les sangles de sa cuirasse. Sa décision est prise. Il ira à Mexico. Il n’a pas le choix, d’ailleurs. Il a envoyé un courrier directement à Charles Quint pour se faire confirmer comme capitaine d’une expédition, non plus partie de Cuba, mais de la « riche cité de Veracruz », comme il a pompeusement baptisé son campement. Il a fait dresser tous les actes légaux qui le libèrent de la tutelle de Cuba, en vertu de l’autonomie juridique de la ville nouvellement fondée, mais la réponse de Charles Quint ne lui est pas encore parvenue. Et avant qu’il soit fixé sur son sort, il n’a plus le droit de reculer : il doit aller de l’avant, pousser au bout l’aventure folle dans laquelle il a lancé ses troupes et remporter une victoire définitive, afin que, capitaine légitime, ou traître déshonoré, lorsqu’il se présentera devant le roi, il ait à lui présenter en tribut, non pas quelques paniers remplis d’un or de médiocre qualité, mais un empire entier, une terre des plus riches et des plus belles qui se soient jamais trouvées, tout entière soumise à l’autorité du roi et à la gloire de l’Église. À cet instant, un mouvement près de la porte attire son attention. La sentinelle laisse passer un messager : on demande Cortés à l’entrée de la ville. En sortant, il distingue le son des tambours et des trompettes de parade. Rapidement, il gagne l’ouverture dans l’enceinte qui donne sur la route de Tenochtitlan. Au loin, on voit poudroyer une vaste procession. En tête s’avance l’ambassadeur qu’il a envoyé à l’empereur, suivi d’une foule, mais qui ne semble pas sous les armes. Elle semble plutôt transporter de lourdes charges.
Quelques instants plus tard, dans une salle de réception, Cortés reçoit les salutations de l’ambassadeur, il est porteur d’un message d’excuses de la part de Moctezuma : celui-ci l’assure de son amitié, et nie toute implication dans l’embuscade dont le secret a été éventé par la Malinche. Il renouvelle ses promesses de paix, et prie Cortés de ne pas poursuivre son chemin vers Tenochtitlan où, dit-il, ses troupes seraient trop mal logées, dépourvues de tout. Il vaut mieux, ajoute-t-il, que les Espagnols et leurs alliés choisissent une résidence de leur choix dans laquelle il leur fera parvenir tout ce dont ils auront besoin. En gage de quoi il lui envoie ces modestes présents. À ces mots, l’ambassadeur s’efface et laisse s’avancer l’un après l’autre les porteurs de sa suite. Ils déposent au pied de Cortés dix grands plats en or finement ouvragés, des centaines de pièces d’étoffe et de tissu, dont certaines richement ornées de plumes multicolores, ainsi que toute une basse-cour d’oiseaux à plumes et de ces gros poulets inconnus en Europe (des dindons). Enfin, avec mille précautions, et un cérémonial tout empreint de dévotion, les derniers porteurs de la colonne disposent devant lui des dizaines de vases en céramique pleins d’une boisson aux violents relents de piment. Des vases déborde une mousse presque solide d’un beige tirant vers le gris, et les porteurs multiplient les précautions pour ne rien renverser de la tremblante écume.
Ce « xocoatl » n’est pas inconnu de Cortés : au cours des semaines qui précèdent, il a déjà rencontré, dans les villes qu’il a traversées, les vases à l’écume grisâtre, mais leur aspect et leur odeur l’ont toujours rebuté. Quand l’un des hommes de sa suite s’empare d’un vase et le lui présente, il l’écarte avec un froncement de nez, et se penche sur les objets dorés qui constituent la partie la plus intéressante du tribut. À ce geste, un mouvement se fait dans l’assistance, la stupéfaction se lit sur les visages de l’ambassade, et un murmure court à travers la pièce. Deux ou trois des Mexicains de sa suite s’adressent à lui de manière empressée, et sans l’aide des interprètes, il comprend qu’ils l’encouragent à goûter la boisson. Doña Marina elle-même s’avance d’un pas en le regardant, et à ce mouvement, il comprend qu’il doit se plier à la coutume : il saisit le vase et le porte à ses lèvres dans un geste plein de componction. Quand le liquide lui effleure la moustache, il ne peut réprimer une grimace, et il entend dans son dos le rire gras de ses compagnons d’armes. Il ferme les yeux, avale une gorgée de la boisson amère et pimentée, et rend le vase à son serviteur. Le soulagement se lit sur les visages, aussi bien que la déception de voir le peu de cas que le chef ennemi fait de ce précieux cadeau.
Hernan Cortés recevant un tribut de la part des Aztèques.
Cette image est extraite du Lienzo de Tlaxcala, un récit illustré (codex) de la conquête du Mexique conservé à la Biblioteca Nacional de Antropología e Historia du Mexique. Il a été réalisé au xvie siècle par les alliés mexicains de Cortés de la civilisation Tlaxcaltec. On peut apercevoir des cabosses de cacao dans les deux grands tonneaux en arrière-plan. À gauche de Cortés se tient Doña Marina, « la Malinche ».
Telle est la première impression que fit le chocolat aux Européens : un breuvage étrange, et plutôt déplaisant. Il faudra une longue accoutumance, l’absence prolongée de vin, puis plus tard l’adjonction de sucre à la boisson et l’habitude prise de la préparer chaude pour que les conquistadores s’habituent à consommer cette boisson de cacao. Pourtant, à l’époque, elle est dans l’empire aztèque un mets hautement prisé, réservé à la noblesse et aux cérémonies religieuses. Les grains de cacao sont si précieux qu’ils servent de monnaie d’échange et constituent un cadeau de prix. Plus tard, dans sa relation, Cortés en donnera la description suivante : « [une] espèce d’amande qu’on met en poudre pour la consommer ; fruit tellement précieux qu’il sert de monnaie dans le pays, et que vous pouvez en échange vous procurer toute chose dans les marchés{2} ». Il comprendra si bien l’intérêt stratégique du cacao, que l’une de ses premières mesures après son arrivée à Mexico sera de se faire donner par l’empereur aztèque une plantation de deux mille pieds de cacaoyers, qui constituera un fonds de réserve, une véritable banque, pour les années de guerre et d’intrigue à venir. En réalité, on pense que d’autres Européens, parmi ceux qui naviguèrent le long de la côte méso-américaine, ont eu connaissance du cacao dans les années qui ont précédé, à commencer par Christophe Colomb qui, lors de son quatrième voyage, fit relâche au large du Honduras en 1502. Son fils Fernand raconte que des indigènes montant à bord transportaient avec eux des fèves de cacao : « Ces graines, rapporte-t-il, semblent avoir une grande valeur à leurs yeux ; car quand on les amena à bord avec leurs denrées, j’ai observé que chaque fois qu’il en tombait une, tous se précipitaient pour la ramasser{3}. »
Le cacao est alors consommé sur le continent américain depuis des millénaires. Les Aztèques le consomment en boisson, réservée aux élites et aux cérémonies religieuses, et il est considéré à la fois comme un aphrodisiaque et un aliment revigorant. Parmi les privilégiés destinataires du précieux cacao se trouvent d’ailleurs les soldats, et Bernal Díaz del Castillo rapporte que plus de deux mille récipients de chocolat étaient servis chaque jour à la garde de Moctezuma. Il explique également dans ses chroniques du voyage que « lorsqu’on a bu ce breuvage, on peut voyager toute une journée sans fatigue et sans avoir besoin de nourriture{4} ». Un autre conquistador anonyme rapporte : « Cette boisson est la plus saine et la plus nourrissante qui soit au monde, et celui qui boit une tasse de ce liquide peut, quelle que soit la distance parcourue, marcher une journée entière sans rien avaler d’autre{5}. »
On cultive le cacao partout sur la péninsule méso-américaine, en tout cas partout où les conditions s’y prêtent puisque le cacaoyer, arbre très sensible, non seulement ne pousse que dans la zone intertropicale, mais à certaines altitudes, et à condition que l’humidité soit suffisante et la température propice. Les Aztèques, dont la domination sur le pays ne date que d’à peine deux cents ans à l’arrivée de Cortés, en ont appris la culture des Mayas, qui la tiennent de la civilisation d’Izapa, qui elle-même est une héritière de la grande civilisation olmèque qui régna sur le Mexique entre 1500 et 400 avant J.-C. C’est probablement de cette civilisation mal connue que nous vient en droite ligne le terme même de cacao, ce qui fait remonter à plusieurs milliers d’années la domestication du cacao et sa consommation par les humains{6}.
Quoi qu’il en soit, malgré le prix apporté au cacao par les populations locales, celui-ci n’attire que modestement l’attention des Espagnols. Tout au plus comprennent-ils l’intérêt qu’il a comme monnaie d’échange et le parti qu’ils peuvent en tirer pour subvenir à leurs besoins de campagne ; le but des conquistadores reste avant tout l’or et, dans une moindre mesure, les terres et leur potentiel agricole pour le sucre, les épices et le coton. Car la réalité de la conquête mexicaine, c’est qu’il s’agit avant tout d’une entreprise mercantile. Il est vrai cependant que les Espagnols se sentent investis d’une mission apostolique en apportant la religion chrétienne sur ces terres. Plus encore quand ils découvrent avec effroi la religion aztèque et son habitude des sacr...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction
  4. Chapitre 1. Xocoatl, la boisson des dieux
  5. Chapitre 2. Un déjeuner de chocolat
  6. Chapitre 3. L’expérience martiniquaise
  7. Chapitre 4. Chocolat et révolution industrielle
  8. Chapitre 5. Le chocolatier de la reine
  9. Chapitre 6. Utopie ouvrière ou paternalisme industriel ?
  10. Chapitre 7. São Tomé, l’île aux esclaves
  11. Chapitre 8. « Buvez du cacao Van Houten ! »
  12. Chapitre 9. Hold-up sur le cacao
  13. Chapitre 10. Cacao des indépendances
  14. Chapitre 11. Et le cacao dévora la forêt...
  15. Chapitre 12. Ajustements : le cacao à l’épreuve du néolibéralisme
  16. Chapitre 13. La labellisation : alternative au marché, ou marché alternatif ?
  17. Chapitre 14. Droits des enfants contre loi du marché
  18. Chapitre 15. Des bulles de chocolat
  19. Chapitre 16. Mettre les voiles
  20. Conclusion
  21. Bibliographie
  22. Crédits
  23. Remerciements