L'empire du cash
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Comment les fonds d'investissement rachètent le monde

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L'empire du cash

Comment les fonds d'investissement rachètent le monde

À propos de ce livre

Depuis trente ans, les fonds d'investissement tissent leur toile au cœur de l'économie mondiale. Ils règnent en maîtres dans les entreprises qu'ils contrôlent, s'emparent des cliniques comme des clubs de foot, font grimper le prix de l'immobilier et financent des campagnes électorales. Mais ils restent inconnus du grand public.

Ces monstres financiers, qui ont pour nom KKR, Blackstone ou Apollo, géraient plus de 4 400 milliards de dollars d'actifs en 2020.

Même s'ils font rarement la une, les fonds d'investissement sont au cœur de l'actualité sociale: derrière le démantèlement tragique de Vivarte, ancien fleuron du textile qui vient d'annoncer la vente de sa dernière enseigne, derrière la faillite des restaurants Courtepaille ou les déboires d'Office Dépôt, ils sont à la manœuvre.

Cette industrie lucrative a créé une nouvelle élite financière, riche à milliards, qui prospère grâce à un lobbying efficace et de nombreux appuis politiques, et contre laquelle il est extrêmement difficile de lutter.

Une enquête inédite sur le pouvoir énorme de ces parasites financiers et les menaces qu'ils font peser sur l'économie mondiale

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Informations

Année
2022
Imprimer l'ISBN
9782708253865
ISBN de l'eBook
9782708254800

Chapitre 1
Aux origines du capital-investissement

C’est une histoire qui n’est pas enseignée dans les manuels scolaires. Qui sait, aujourd’hui, que le pionnier du capital-investissement* était un Français à la mine soignée, soupçonné d’avoir travaillé avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale ? Et que le leveraged buy-out moderne (LBO*, ou rachat avec effet de levier) a été inventé aux États-Unis, dans les années 1950, pour racheter une compagnie maritime ? L’origine des fonds d’investissement est peu étudiée, de même que la manière dont ils ont conquis une partie de l’économie. Pourtant, ces géants financiers ne sont pas des créations spontanées du capitalisme, et leurs pratiques n’ont rien de « naturel » : elles ont été forgées par des individus – hommes d’affaires, avocats, anciens banquiers –, et se sont épanouies dans un contexte idéologique particulier, celui du néolibéralisme débridé des années 1980. Voici comment.

Georges Doriot, naissance d’un mythe moderne

La presse américaine le classe régulièrement parmi les personnalités les plus influentes de l’histoire des entreprises, au même titre que l’industriel Henry Ford ou le géant du divertissement Walt Disney{13}. Théoricien du management, cofondateur de l’Insead (Institut européen d’administration des affaires), ancien officier de l’armée américaine, Georges F. Doriot est célébré comme l’un des pères du capital-investissement* ou private equity. Pourtant il fait figure d’inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique.
Doriot voit le jour à Paris le 24 septembre 1899. Son père, ancien mécanicien chez Peugeot, est un pionnier de l’automobile hexagonale : il pilote les premières voitures à moteur, à l’époque où faire un Paris-Brest par la route relève encore de l’épopée. Au contact de son glorieux aîné, le jeune homme ne tarde pas à se passionner pour les théories de l’organisation du travail. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, son père lui conseille de traverser l’Atlantique pour poursuivre ses études aux États-Unis, laboratoire du management moderne, où Henry Ford a introduit dans ses usines la douloureuse « révolution » du taylorisme.
Georges Doriot débarque au pays de l’Oncle Sam en 1921, bien décidé à entrer au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). Un ami de son père a glissé dans sa valise une lettre de recommandation auprès d’Abbott Lawrence Lowell : ce dernier n’a pas grand-chose à voir avec le MIT, mais il possède une place enviée au sein de l’élite de la côte Est, puisqu’il dirige l’université d’Harvard depuis 1909. Lowell conseille au nouvel arrivant d’intégrer son université ; Doriot en ressort un an plus tard nanti d’un MBA{14} en management et comptabilité industriels.
Après un passage dans le privé, le jeune homme est rappelé par un de ses anciens professeurs qui recherche des enseignants capables de mêler théorie et pratique dans leurs cours. Doriot commence alors une longue carrière à Harvard (1929-1966), en tant que professeur de management industriel, qui lui vaudra la reconnaissance de ses pairs. En quelques années, sa dégaine de gentleman à la française – costume soigneusement taillé, pipe au bec et accent parisien – devient presque aussi célèbre que le contenu de ses cours.
Pour juger de l’empreinte laissée par Doriot dans l’université, il suffit de lire la biographie dithyrambique que lui consacre Harvard :
En tant que professeur à Harvard Business School pendant quarante ans, Georges Frédéric Doriot a inspiré et formé plus de dirigeants d’entreprises américaines que n’importe qui d’autre. Au total, 7 000 étudiants en MBA ont suivi ses cours. Nombre d’entre eux, qui ont résisté aux rigueurs de son enseignement, lui ont su gré par la suite. Certains se sont retrouvés à la tête d’entreprises telles qu’American Express [moyens de paiement], Cummins Engine [fabrication de moteurs], Ford Motor Company [automobile] et Levi Strauss [vêtements]{15}.
Les biographies de Doriot citent des témoignages d’anciens élèves, qui ne lésinent pas sur l’hyperbole. « C’était presque comme connaître quelqu’un de la trempe de Beethoven ou Einstein », résume l’un d’entre eux, encore sous le charme{16}.
Le contenu théorique de ses cours, caractérisé par un goût prononcé pour l’enquête de terrain et l’étude de cas concrets, ne suffit pas à expliquer l’aura émanant de l’enseignement de Doriot. C’est probablement autant sa force de persuasion que sa foi inébranlable dans l’esprit d’entreprise qui participent à la construction du mythe.
Les archives de Harvard regorgent de citations de Doriot, qui appartiennent au répertoire typique du « self-made-man » à l’américaine, entre lieux communs et glorification de l’esprit entrepreneurial. En voici un petit florilège : « Un homme courageux est un homme qui fait quelque chose de courageux quand personne ne le regarde. » « Vous n’irez nulle part si vous n’inspirez personne. » « Souvenez-vous toujours que quelqu’un, quelque part, est en train de fabriquer un produit qui rendra le vôtre obsolète{17}. »
Mais Doriot n’est pas qu’un théoricien. S’il fait figure aujourd’hui de pionnier, c’est avant tout pour le rôle qu’il a joué dans le développement du capital-risque, ou venture-capital en anglais. Cette activité consiste à entrer au capital de jeunes entreprises prometteuses afin de fournir les liquidités nécessaires à leur démarrage, dans l’espoir de revendre ensuite ses parts lorsqu’elles seront devenues profitables. Dans les années 1940, aux États-Unis, les opérations de ce type restaient marginales, pratiquées majoritairement par quelques richissimes familles de la côte Est, comme les Rockefeller.
Fort de ses contacts dans les milieux d’affaires et universitaires, Georges Doriot crée en 1946 l’American Research and Developement Corporation (ARD), l’une des toutes premières sociétés de venture-capital privées modernes. Le Français s’entoure de Ralph Flanders (président de la Réserve fédérale bancaire de Boston et sénateur républicain), Karl Compton (scientifique et président du MIT) et Merrill Griswold (financier de Boston).
Dès le départ, l’ambition des fondateurs est de cibler des entreprises innovantes, une manière pour eux de se démarquer des sociétés d’investissement classiques. Leur philosophie est résumée en 1951 dans un de leurs rapports annuels, avec un mélange d’emphase et de pragmatisme : « Notre entreprise n’investit pas au sens ordinaire du terme. Elle crée. Elle prend des risques. Les résultats prennent plus de temps à arriver, ses opérations sont plus coûteuses mais les profits potentiels sont bien plus importants{18}. »
Il suffit de quelques mois à ARD pour lever 3,6 millions de dollars entre 1946 et 1947, en faisant notamment appel à des compagnies d’assurance, à des universités ou à de riches particuliers. La machine est lancée : entre 1946 et 1973, l’ARD va financer quelque cent vingt entreprises triées sur le volet, opérant notamment dans les technologies, la chimie ou les équipements industriels. Une prise de participation*, notamment, va assurer sa gloire.
L’histoire ressemble à l’une de ces sagas qui font fantasmer dans les écoles de commerce. En janvier 1957, ARD reçoit un document de quatre pages tapées à la machine émanant de Ken Olsen, vétéran de l’US Navy et ingénieur formé au MIT, et de Harlan Anderson, lui aussi ingénieur. Les deux compères tiennent une idée potentiellement géniale, mais ils ont toutes les peines du monde à la financer. Il s’agit de lancer un tout nouveau modèle d’ordinateurs, à la fois compacts et performants, capables de concurrencer les machines géantes commercialisées par IBM, alors leader incontesté du secteur. Flairant le caractère novateur du projet, les patrons d’ARD investissent 70 000 dollars dans l’entreprise des deux ingénieurs, la Digital Equipment Corporation (DEC), raflant ainsi 70 % du capital, et y ajoutent un prêt de 30 000 dollars{19}. Il ne reste plus à Olsen et Anderson qu’à trouver un lieu pour démarrer l’aventure : ce sera une vieille usine désaffectée du Massachusetts, datant de la Guerre de Sécession, dans laquelle ils installeront leurs équipements, fin 1957.
ARD a eu le nez creux. Révolutionnaires, les mini-ordinateurs fabriqués par DEC partent à l’assaut du marché, jusqu’à concurrencer l’intouchable IBM. Un peu moins de dix ans plus tard, en 1966, lorsque l’entreprise est introduite en Bourse, la valeur des actions achetées par Doriot et ses amis de l’ARD a été multipliée par 500. Cet investissement, probablement l’un des plus rentables de la décennie, achève de hisser le Français sur un piédestal.

Les fantômes de la Seconde Guerre mondiale

Si l’on en croit l’historiographie libérale, Doriot appartient au panthéon du capital-investissement*, dont il incarne la face la plus souriante. Il est le visionnaire bienveillant qui prend le risque d’investir dans de « jeunes pousses » prometteuses, l’homme providentiel qui aide les chefs d’entreprise à donner corps à leurs rêves. « Doriot était le prophète avant l’heure de la Start-up Nation, le leader d’une croisade sociale et économique qui a démocratisé le monde très fermé de la finance », s’enflamme son biographe officiel, Spencer E. Ante{20}.
En 2006, des révélations fracassantes auraient pu ternir la légende. Elles sont l’œuvre d’un journaliste d’investigation français, Fabrizio Calvi, et d’un historien américain spécialiste des crimes nazis, Marc Masurovsky. Les deux hommes publient une enquête basée sur leur visite aux Archives nationales américaines (NARA), qui contiennent, selon eux, une dizaine de cartons concernant Doriot{21}. Ils expliquent comment les services de renseignement ont fini par découvrir le double jeu du fondateur du capital-risque durant la Seconde Guerre mondiale. Et ils campent Doriot en antisémite notoire, ardent défenseur du régime nazi. En 1941, grâce à l’un de ses anciens élèves d’Harvard membre de l’état-major de l’US Army, Doriot avait été désigné responsable de l’intendance dans l’armée américaine – un poste vital en temps de guerre –, avec le grade de colonel. Doriot avait alors mis ses talents d’organisateur au service de l’effort de guerre américain, contribuant à plusieurs innovations logistiques (rationalisation des procédures de ravitaillement, création de matières plastiques résistantes à l’eau, etc.). Tout cela est connu au moment où Calvi et Masurovsky publient leur enquête. La suite l’est beaucoup moins. Voici le résumé qu’en fait Fabrizio Calvi :
Le FBI découvre que Doriot est au centre d’un réseau de sociétés offshores monté avec la banque Worms & Cie afin de dissimuler, entre autres, l’argent de Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy [depuis le 18 avril 1942]. Le général William Donovan, directeur de l’OSS [Office of Strategic Services, ancêtre de la CIA], note en 1942 : « Dans le cadre d’une possible localisation des fonds de Pierre Laval et de son groupe aux États-Unis, nous avons lancé une enquête, il y a quelques mois, sur les activités de Georges F. Doriot et des sociétés d’investissement qu’il contrôle. Voici un bref résumé de cette enquête : Doriot est un citoyen français naturalisé, il réside aux États-Unis depuis vingt ans. Depuis près de dix ans, il agit dans ce pays et au Canada comme représentant de la firme Worms & Cie de Paris [...], la principale agence financière du gouvernement allemand en France. Depuis plus de cinq ans, les principaux dirigeants de la firme et leurs associés se présentent comme proches des intérêts bancaires et industriels allemands. Plusieurs mois avant l’effondrement de la France, ils s’employaient activement à prendre le contrôle de firmes industrielles françaises au nom des Allemands. » Le rapport souligne qu’aucun résident français aux États-Unis ne tient à fréquenter Doriot en raison de ses « tendances fascistes »{22}.
Le FBI évoque à plusieurs reprises des « fonds appartenant à Pierre Laval », sans donner plus de détails. Des historiens spécialistes de la période mentionnent bien l’existence d’un trésor de guerre constitué par le dignitaire vichyste, composé notamment de 20 millions de francs en billets{23}. Est-ce de ces fonds dont il est question ? Possible. En attendant, le major général George Veazey Strong, qui commande le renseignement militaire américain, enquête sur Doriot. Le 23 octobre 1942, il adresse ses recommandations à son supérieur :
Doriot est extrêmement intelligent. D’une certaine manière, il est brillant, mais il a la réputation d’être rusé, peu fiable et définitivement déloyal envers ses employeurs dès lors que ses propres intérêts sont en cause. Des preuves montrent qu’il est irréductiblement pronazi par son attitude, et certaines de ses déclarations dans le cadre de diverses enquêtes se sont révélées absolument mensongères. [...] Dans ces conditions, nous estimons que cette commission doit mettre fin sans délai à ses activités{24}.
L’état-major approuve, écrit Calvi, mais rien ne se passe. Le 5 juillet 1943, le général Strong rencontre deux agents du FBI, à qui il confie son dépit, dénonçant un « sabotage » de l’enquête sur Doriot. Un an plus tard, il affirme avoir la preuve de l’implication de celui-ci dans un réseau nazi implanté aux États-Unis. Il mentionne l’existence d’un trésor de guerre géré par le fondateur du capital-risque et « destiné à financer des agents allemands et des activités subversives ». Pourtant, écrit Calvi, le 24 mars 1943, le secrétaire d’État à la guerre juge qu’il n’est « pas opportun, pour l’heure d’adopter des mesures drastiques », et l’enquête est définitivement close quelques mois plus tard. Dans leur livre, Calvi et Masurovsky émettent l’hypothèse que sa position centrale au sein du dispositif militaire américain rendait Doriot intouchable : le scandale de son éventuelle collaboration aurait ...

Table des matières

  1. Page de titre
  2. Sommaire
  3. Introduction. L’art de faire fortune avec l’argent des autres
  4. Chapitre 1 Aux origines du capital-investissement
  5. Chapitre 2 Pillages en bande organisée
  6. Chapitre 3 À l’intérieur de la machine
  7. Chapitre 4 Entre les fonds et le monde politique, des relations incestueuses
  8. Chapitre 5 Les nouvelles frontières de l’empire
  9. Chapitre 6 Une pieuvre au cœur de l’économie mondiale
  10. Conclusion. Libérer les entreprises de l’influence des fonds
  11. Glossaire