CHAPITRE 5
Comme nous lâavons vu, un mouvement planĂ©taire tend Ă nous ouvrir une nouvelle voie. Une voie qui mĂšne au sentiment dâunitĂ©. Une dualitĂ© qui complĂšte plutĂŽt que divise.
Jâai longtemps cru que lâunitĂ© signifiait lâamour, le bien et la puretĂ©. Et que je devais, pour faire lâexpĂ©rience de cet Ă©tat, me laver de mon impuretĂ©, ne jamais haĂŻr, et Ă©radiquer ce que je pouvais qualifier de « mal » en moi.
Aujourdâhui, je comprends que se sentir uni, se sentir liĂ© aux autres, Ă ce qui vit et Ă ce qui est, ne peut pas passer par lâexclusion.
Ce sentiment dâunitĂ© ne peut surgir quâen englobant et en rĂ©unissant les polaritĂ©s.
Cette nouvelle voie est la voie du et, qui réunit les deux anciennes voies : celle du bien et celle du mal.
Avant, je ne pouvais ĂȘtre quâun homme ou une femme. Aujourdâhui, une troisiĂšme voie sâoffre Ă nous : ĂȘtre un mĂ©lange des deux, sans avoir besoin dâentrer absolument dans une des deux cases proposĂ©es.
La frontiĂšre entre ce qui est vrai et ce qui est faux sâestompe pour faire face Ă cette nouvelle rĂ©alitĂ© : les choses semblent vraies et fausses Ă la fois. Les expertises se contredisent, les infos nâont plus de sources, la vĂ©ritĂ© dâun jour est immĂ©diatement remplacĂ©e par la suivante.
Nous ne pouvons plus absolument dĂ©crire ce qui est bien et ce qui ne lâest pas. Dans ce mouvement gĂ©nĂ©ralisĂ©, nous sommes tenus dâassumer nos points de vue et dâaccepter celui de lâautre.
Lâabandon progressif dâun monde binaire, qui nous propose constamment de choisir notre camp, signifie plusieurs choses pour les humains que nous sommes.
Cet Ă©tat dâesprit oĂč tout est classable en deux catĂ©gories opposĂ©es nous amĂšne Ă constamment devoir nous dĂ©finir. Jâentends par « nous dĂ©finir » lâĂ©nergie que nous mettons Ă proposer aux autres notre version de qui nous sommes. De peur quâils se mĂ©prennent, quâils ne voient pas les bonnes personnes que nous sommes. Peut-ĂȘtre que la peur quâils nous voient vraiment nous oblige Ă anticiper⊠Alors on leur dit oĂč et quoi regarder.
La plupart de nos phrases se destinent Ă montrer qui nous sommes.
Nous semblons perpétuellement devoir dire qui nous sommes.
Il ne semble exister que deux catĂ©gories, prĂ©sentes bien que sous-jacentes. Les gens bien et les autres. Et ces deux catĂ©gories nâont absolument rien Ă voir avec les complexitĂ©s et les nuances dâun ĂȘtre humain. Nous devons sans cesse rĂ©arranger, justifier et clarifier nos attitudes afin dâen camoufler lâhumanitĂ©. Car lâhumanitĂ© est la marque de la nuance, de la spontanĂ©itĂ©, du mĂ©lange.
Je veux dire par lĂ que, en Ă©change de reconnaissance, nous proposons Ă la vente une version de nous-mĂȘmes simplifiĂ©e et privĂ©e des nuances caractĂ©ristiques de lâhumain.
Je crois quâil est inutile de rĂ©expliquer les causes de ce jeu de cache-cache. Dissimuler les parties qualifiĂ©es de « sombres », ou « nĂ©gatives », nous rend dignes dâĂȘtre aimĂ©s. Nous le savons, depuis le dĂ©but, certaines attitudes nous valent de lâamour et de la reconnaissance. Dâautres, du dĂ©dain, voire de la haine. Nous avons donc appris, et câest bien naturel, Ă prĂ©fĂ©rer nous sentir dans le camp de ceux quâon aime.
Ăvidemment, un humain nâa rien Ă voir avec cette version simpliste. Les frontiĂšres entre le yin et le yang ne sont pas si faciles Ă discerner. Cette vision puĂ©rile de la vie oublie complĂštement que lâun ne va pas sans lâautre.
Je comprends que nous ayons Ă©laborĂ© des stratĂ©gies pour ne montrer que la partie acceptable de nous-mĂȘmes.
Je comprends notre rĂ©ticence Ă assumer le possible rejet que lâon pourrait subir. Celui que nous imaginons nous clouer au pilori si, dâaventure, les autres dĂ©couvraient que nous sommes humains.
Je comprends que notre imagination nous fasse croire que nous devons avancer masqués, car ce que nous sommes réellement sera tellement insupportable que le monde tentera de nous détruire.
Que nous ayons donc Ă©laborĂ© toutes ces stratĂ©gies pour tromper notre monde sur la marchandise nâest pas un problĂšme.
Si nous croyons devoir ĂȘtre vrais et authentiques en toutes circonstances, et quâen plus nous devons vendre notre version amĂ©liorĂ©e de nous-mĂȘmes au monde, nous sommes face Ă une Ă©quation insoluble.
En dâautres mots, nous ne sommes pas le bien. Nous ne sommes pas le mal. Nous avons des attitudes, des paroles et des pensĂ©es que lâon ne pourrait pas qualifier de « bien » si lâon appliquait les chartes du « bon comportement » que nous vendent les livres dits sacrĂ©s. Donc, nous devons rĂ©arranger la vĂ©ritĂ©. La vĂ©ritĂ© de nos intentions, de nos motivations. La vĂ©ritĂ© de nos pulsions, de nos dĂ©sirs. La vĂ©ritĂ© sur notre Ă©tat dâĂ©garement, de doute. La vĂ©ritĂ© sur nos Ă©tats de dĂ©pression, de solitude et dâanxiĂ©tĂ©.
Tout doit ĂȘtre rĂ©arrangĂ©. Tout doit ĂȘtre acceptable aux yeux du monde. Il faut montrer quâon est stables. Quâon sait oĂč on va. Quâon sait qui on est. Montrer que nous sommes vrais, authentiques et honnĂȘtes.
Nous devons nous faire tout seuls. Nous devons tenir le coup. Nous devons avoir fait ce quâil fallait.
Et, en tout cas, si on est loin dâĂȘtre tout ça, le monde, lui, ne doit y voir que du feu.
Je comprends notre désir de mentir au monde. Ne serait-ce que pour avoir la paix. Je ne vois aucun problÚme là -dedans.
Cependant, lorsque je mens, mĂȘme si personne ne doit le dĂ©couvrir, moi, je dois le savoir !
Je veux savoir oĂč jâen suis. Je veux savoir comment jâagis. Je veux connaĂźtre mes pensĂ©es. Prendre conscience de mes paroles.
Je veux bien mentir au monde entier, mais je dois le savoir.
Si, dans une posture dâauthenticitĂ©, je dis au monde « Je suis vrai », je dis au monde « Quand jâai quelque chose Ă dire, je nâhĂ©site pas Ă le dire », je dis au monde « Je mâen fiche de ce quâon pense de moi », alors je vais devoir me mentir. Il va falloir faire un dĂ©ni. DorĂ©navant, je continuerai de jouer du violon pour attirer lâattention, mais je ne saurai mĂȘme pas que je fais mon cinĂ©ma.
Je vais devoir me cacher qui je suis vraiment.
Chaque attitude sera justifiĂ©e, regardĂ©e de maniĂšre Ă tirer la conclusion que nous nâavions pas le choix, que ça nâĂ©tait pas notre faute, quâon nây pouvait rien. Il faudra que lâon rĂ©arrange nos paroles, pour ne pas assumer lâagressivitĂ© quâelles contiennent. Nos petites mĂ©chancetĂ©s jouissives. Nos grands jugements Ă lâemporte-piĂšce.
« Tout ceci nâexiste pas. » « Pas chez nous ! » « SĂ»rement pas. » « Je ne suis pas comme ça ! »
Pour que lâon ne se rende pas compte du rĂ©arrangement permanent de notre image, afin de la rendre acceptable Ă nos propres yeux, nous devons ajouter aux mensonges, qui Ă©taient pour le monde, un dĂ©ni qui, lui, est pour soi.
Il est hors de question pour nous de nous connaĂźtre.
Il semble quâon ne veuille pas savoir quel est cet ĂȘtre avec qui nous faisons ce voyage quâest une vie sur la planĂšte Terre. On ne veut rien savoir de lui. On ne veut que rĂ©ussir.
Nous voudrions ĂȘtre aimĂ©s tels que nous sommes. Nous sommes incapables de nous montrer tels que nous sommes.
Nous voudrions ĂȘtre aimĂ©s tels que nous sommes. Nous sommes incapables de nous prendre tels que nous sommes.
RĂ©unir lâĂ©tat prĂ©sent et lâĂ©tat dĂ©sirĂ©, pour se retrouver Ă lâendroit oĂč « ça pousse pour nous », est, dans ce cas, impossible.
Que je mente au monde entier, dâaccord. Mais pas Ă moi. Je veux savoir ce que jâai Ă aimer. Ce que jâai Ă chĂ©rir.
Je veux savoir mon ombre, mes manquements, ce quâils appellent le « mal ».
Nous disposons tous dâune boussole. Dâun guide infaillible nous permettant dâopĂ©rer nos choix. Pas forcĂ©ment dans lâidĂ©e de trouver la bonne voie. Mais dâobĂ©ir simplement Ă ce que nous aimons.
Nous devons nous cacher nos propres mensonges. Ce refus inconscient de nous connaĂźtre nâaboutit quâĂ la perte de cette boussole. Puisque nous devons nous cacher Ă nos propres yeux, nous devenons Ă©trangers Ă nous-mĂȘmes.
Ce qui nous a amenés là est assez simple. Nous avons menti au monde par réarrangement, par omission. Puis nous avons dit que nous étions authentiques, que nous étions sincÚres.
Il a donc fallu que nos mensonges deviennent sincĂšres.
Nous avons donc dû acheter nos propres mensonges. Nous nous mettons donc inconsciemment à sélectionner dans le réel tout ce qui peut nous servir à consolider notre version des faits. De cette maniÚre, nous sommes sûrs de notre position, de notre bon comportement.
Nous avons perdu notre boussole, soit. Nous ne nous connaissons plus, soit. Mais, Dieu que câest bon, nous avons raison !
Jâai peur, finalement, que nous tournions toute notre Ă©nergie Ă nous dĂ©finir, Ă devoir montrer qui nous sommes, Ă devoir prouver que nous ne sommes pas mauvais. Ă soi et au reste du monde.
Comme dâhabitude, toute dĂ©monstration cache lâinverse.
Vous aurez notĂ© quâune dĂ©monstration dâhumilitĂ© nâest destinĂ©e quâĂ camoufler lâorgueil, qui en est lâautre face. La dĂ©monstration de gĂ©nĂ©rositĂ© ne cache que la radinerie, etc.
Que dit de nous cette démonstration de bonté ?
Nous savons lâhumain capable du pire et du meilleur. Nous avons longtemps cru que certains naissaient bons et dâautres naissaient mauvais. Laissons ces enfantillages.
Chaque humain contient en lui la potentialitĂ© du pire et du meilleur. Tout est dĂ©jĂ contenu dans lâoffre de naissance.
Nous comprenons ici que lâunitĂ© est lâacceptation de la dualitĂ©. Que les humains sont le rĂ©sultat de cette magnifique polaritĂ©. Nous pouvons alors arrĂȘter de croire que lâon peut ĂȘtre rĂ©ellement la moitiĂ© de nous-mĂȘmes, entrer dans un camp et y vivre.
Dans cette nouvelle version de lâhumain bon et mauvais, je ne peux plus me massacrer ou me glorifier.
Mes dĂ©fauts et mes qualitĂ©s sont indissociables et entremĂȘlĂ©s. Je ne peux plus mâutiliser pour obtenir des likes.
Tout ce que je fais de bien est soutenu par son inverse. Tout ce que je qualifie de « mal » nâexiste que par le bien qui le sous-tend et le fait exister.
Si jâinsiste autant sur cette notion, câest parce quâil nous est demandĂ© de renoncer Ă faire partie du bien ou Ă se revendiquer du mal pour sortir de lâadolescence de lâhumanitĂ©.
Nous nâallons pas passer toutes nos vies Ă Ă©crire et rĂ©Ă©crire nos cartes de visite, jusquâĂ la derniĂšre, gravĂ©e sur notre tombe, ultime mensonge posthume.
Il ne sert plus à rien de se définir, nous sommes potentiellement tout et son contraire.
Un nouveau jeu sâoffre Ă nous dĂ©sormais.
Lâun de ces jeux qui se proposent, lorsque nous sommes prĂȘts Ă cesser de nous dĂ©finir aux yeux du monde, est de voir la vie comme un processus de rencontre avec soi.
LâidĂ©e est la suivante. Si ma conscience ne reprĂ©sente quâune petite part de ce que je suis, comment puis-je connaĂźtre ces parts inconnues ? Devront-elles me rester Ă jamais mystĂ©rieuses ? Comment connaĂźtre ce qui se passe au niveau de ce quâon pourrait appeler mes parts « non conscientes » ?
Je parlerai ici de « conscient » dâun cĂŽtĂ© et de « non conscient » de lâautre, ces deux niveaux permettant lâexplication.
Il est trĂšs difficile de savoir ce que lâon croit...