CHAPITRE 1
Pourquoi parler de management bienveillant ?
On parle de plus en plus de bienveillance, et ce nâest pas un hasard. Que ce soit Ă lâĂ©chelle de lâentreprise ou au niveau de la sociĂ©tĂ©, des comportements bienveillants sont de plus en plus perçus comme indispensables. Ne sont-ils pas ceux qui sâexpriment de maniĂšre pratiquement spontanĂ©e Ă travers le rĂ©flexe de solidaritĂ© instinctive â nombre de personnes portent secours Ă celui qui est en dĂ©tresse en cas dâaccident⊠â et le rĂ©flexe dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral â des personnes rĂ©flĂ©chissent Ă lâamĂ©lioration de problĂ©matiques de pans de la sociĂ©tĂ© de maniĂšre fortuite ?
Dans le cadre de lâentreprise, de tels comportements existent et peuvent ĂȘtre cultivĂ©s.
Dans un cas comme dans lâautre, le but est dâaider autrui.
Un concept adaptĂ© au contexteâŠ
Depuis 2008, nous assistons Ă la fois Ă une progression franche du nombre de concitoyens qui ressentent du stress et Ă une forte baisse de la motivation.
Des chiffres édifiants
Ainsi, 60 % des Français se disent aujourdâhui soumis Ă des facteurs de stress, contre 40 % en 20067.
Une Ă©tude de lâINRS (Institut national de recherche et de sĂ©curitĂ©) Ă©value le coĂ»t social du stress dans notre pays entre 2 et 3 milliards dâeuros par an. Le BIT (Bureau international du travail) estime que lâabsentĂ©isme, le turnover et la « perte de qualitĂ© » liĂ©s au stress reprĂ©sentent 3 Ă 4 % du PIB des pays industrialisĂ©s.
Sâagissant de la motivation, on assiste Ă lâinverse Ă une baisse dans les pays europĂ©ens, et plus particuliĂšrement en France.
Le 16e baromĂštre de climat social publiĂ© par la CEGOS faisait apparaĂźtre fin 2015 une chute de la motivation des salariĂ©s (â 12 % en un an, passant de 60 % Ă 48 %) et une perception dâun stress rĂ©gulier pour 53 % des salariĂ©s et 68 % des managers8.
Pour sa part, une enquĂȘte de lâIfop conduite en 2014 sur « les Français et le travail » montre que 56 % des Français â dont 65 % des catĂ©gories dites populaires â considĂšrent que le travail est « une contrainte nĂ©cessaire pour subvenir Ă [leurs] besoins ». Ils Ă©taient 49 % Ă exprimer cette perception en 2006.
Cette mĂȘme enquĂȘte montre que 53 % des Français (et 60 % des catĂ©gories « populaires ») estiment que leur travail nâest pas reconnu Ă sa juste valeur.
Il est en outre frappant de constater que la France occupe lâavant-derniĂšre place (sur 65 pays) dans le baromĂštre mondial WIN/Gallup de la confiance en lâavenir, publiĂ© le 31 dĂ©cembre 2014.
Une enquĂȘte qui a portĂ© sur 12 500 salariĂ©s, rĂ©partis dans 17 pays, publiĂ©e sur le site de France Info le 29 fĂ©vrier 2016, montre que la France se classe derniĂšre sur le plan de la motivation de ses salariĂ©s.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la motivation est plus forte dans les pays Ă©mergents (Inde, Chine, Mexique, Afrique du Sud) que dans les pays dâEurope (Belgique, Espagne, France). Dans les premiers, en effet, le pourcentage de salariĂ©s trĂšs engagĂ©s varie de 10 Ă 28 %, alors quâen Europe, il oscille entre 5 et 7 %. Le pourcentage de salariĂ©s fortement dĂ©sengagĂ©s sây situe entre 4 et 10 % alors quâen Europe, il va de 14 Ă 18 %. Enfin, dans les pays Ă©mergents, le pourcentage de dĂ©motivation se place entre 20 et 31 % alors quâen Europe, il varie de 46 Ă 54 %.
La question de la motivation des salariĂ©s en Europe et plus particuliĂšrement en France sâavĂšre donc plus que jamais dâactualitĂ©.
Deux grandes causes
La nette démotivation que nous constatons a deux causes principales :
- une baisse de la motivation extrinsÚque liée, notamment, à un contexte économique défavorable ;
- une augmentation du niveau de stress.
Dans un article intitulĂ© « Biologie de la motivation », des chercheurs9 ont abordĂ© le rĂŽle jouĂ© par lâacĂ©tylcholine, neuromĂ©diateur typique du systĂšme parasympathique10, dans la motivation. Or, le stress provoque un dĂ©sĂ©quilibre du systĂšme sympathique â parasympathique au bĂ©nĂ©fice du systĂšme sympathique. Le taux dâacĂ©tylcholine diminue donc, rendant la motivation biologiquement difficile.
Si lâon veut avoir des collaborateurs motivĂ©s, il est donc essentiel de faire en sorte que leur niveau de stress soit le plus bas possible et de dĂ©velopper en parallĂšle des leviers de motivation intrinsĂšques. Il est donc indispensable, non seulement de renforcer les facteurs de motivation, mais aussi de faire baisser le niveau de stress.
Un fait illustre ce phénomÚne : lorsque le pourcentage de personnes éprouvant du stress augmente, le niveau de démotivation progresse. En effet, entre 2002 et 2014, la démotivation des salariés est passée chez nos concitoyens de 26 % à 38 %11.
Lâinteraction entre motivation et stress est illustrĂ©e aussi bien par des constats que par de rĂ©centes Ă©tudes.
Ainsi, le risque de burn-out est-il amplifiĂ© par le manque de motivation. Il a en effet Ă©tĂ© constatĂ© que les humanitaires qui faisaient le plus facilement un burn-out Ă©taient ceux qui Ă©taient les moins motivĂ©s par la mission. De la mĂȘme maniĂšre, plus la fonction exercĂ©e paraĂźt mĂ©canique et dĂ©pourvue de sens, voire subalterne, plus le stress ressenti est Ă©levĂ©.
Ce mĂȘme constat a Ă©tĂ© fait chez les avocats. Une enquĂȘte, menĂ©e par des psychologues12 des universitĂ©s dâĂtat de la Floride et du Missouri auprĂšs de 6 200 avocats, prĂ©cise que le bien-ĂȘtre subjectif de la profession serait avant tout liĂ© Ă des facteurs de motivation intrinsĂšque. Il apparaĂźt que des facteurs liĂ©s aux besoins psychologiques de motivation intrinsĂšque au travail Ă©taient en corrĂ©lation trĂšs forte avec le bien-ĂȘtre.
Une Ă©tude menĂ©e par Alana Cunningham13 est trĂšs claire : « Lorsquâun employĂ© se dĂ©tache de sa tĂąche, les niveaux dâengagement diminuent et cela conduit Ă lâĂ©puisement professionnel (âŠ) Il a aussi Ă©tĂ© observĂ© que plus la motivation potentielle est importante, meilleure Ă©tait la qualitĂ© de vie professionnelle. »
Un sujet dâactualitĂ©
Le management bienveillant, qui permet de faire baisser le niveau de stress et de rendre ainsi la motivation possible, est donc parfaitement dâactualitĂ©. Dâautant plus que la motivation, en diminuant les effets du stress, va amorcer une spirale vertueuse.
On a longtemps pensĂ© que lâefficacitĂ© de lâentreprise ne viendrait que des changements rapides de son organisation. Câest une idĂ©e fausse, car ces changements-lĂ sont souvent gĂ©nĂ©rateurs de tensions et vont, au contraire, aggraver la perception, par les salariĂ©s, dâune perte de sens, dâautant plus nette que ces Ă©volutions sont insuffisamment expliquĂ©es par le management. Plus la situation Ă©conomique se tend, plus le rythme des adaptations de lâorganisation des entreprises sâaccĂ©lĂšre, sans tenir compte de la capacitĂ© dâappropriation des salariĂ©s. On occulte ici un facteur pourtant essentiel Ă lâappropriation des organisations de travail : le temps. Si lâon peut rĂ©duire lâespace par les moyens modernes de communication, câest une erreur de penser que lâon peut comprimer le temps. Le temps de la comprĂ©hension, de lâappropriation, de la participation au mouvement nĂ©cessaire de lâentreprise demeure celui de lâhomme et non celui de la technologie. Les changements structurels permanents, par leur caractĂšre quasiment brownien14 souvent prĂ©sentĂ©s comme la consĂ©quence inĂ©vitable du marchĂ© sont subis et non partagĂ©s. On a Ă©rigĂ© en dogme lâ« agilitĂ© », la « disruption », lâ« esprit start-up » plutĂŽt que la nĂ©cessaire association des collaborateurs aux Ă©volutions de lâentreprise qui, seule, permet dâen compenser certains effets dĂ©lĂ©tĂšres.
Pourtant, la clĂ© ne saurait ĂȘtre dans le changement organisationnel systĂ©mique et Ă©rigĂ© en dogme managĂ©rial prĂ©tendument vertueux, mais dans lâĂ©volution des comportements managĂ©riaux qui permet dâagir tant sur le bien-ĂȘtre et la santĂ© des collaborateurs que sur la performance collective, sans oublier la capacitĂ© Ă accepter le changement.
Un problÚme récurrent
Pourquoi le stress est-il problématique depuis des années ?
Définition de la réaction de stress
Hans Selye15, lâhomme qui a dĂ©crit la rĂ©action de stress pour la premiĂšre fois chez lâĂȘtre vivant en 1936, expliquait que « le stress est la rĂ©ponse non spĂ©cifique que donne le corps Ă toute demande qui lui est faite ». ConcrĂštement, chaque fois quâun ĂȘtre humain subit une rĂ©action de stress, quelle que soit lâorigine de celle-ci, il va avoir une rĂ©ponse non spĂ©cifique, câest-Ă -dire libĂ©rer toujours les mĂȘmes hormones : adrĂ©naline, noradrĂ©naline, cortisol, aldostĂ©rone, endorphines, ocytocine, etc.
Ces hormones, lorsquâelles sont prĂ©sentes en quantitĂ© appropriĂ©e, non seulement ne sont pas toxiques, mais sont mĂȘmes indispensables Ă la vie. En revanche, lorsquâelles sont sĂ©crĂ©tĂ©es de maniĂšre trĂšs importante et trop frĂ©quente, elles peuvent produire des effets nocifs.
LâadrĂ©naline augmente la force de contraction du muscle cardiaque, accĂ©lĂšre la frĂ©quence cardiaque et resserre les vaisseaux. Elle dilate les bronches afin dâaugmenter le taux dâoxygĂšne dans le sang et contribue Ă accroĂźtre le taux de sucre dans le sang.
La noradrénaline, elle, agit essentiellement en resserrant les vaisseaux.
Quant au cortisol, câest une hormone puissamment anti-inflammatoire et antiallergique. Elle va retenir du sel et de lâeau dans lâorganisme et faire fuir le potassium. Elle contribue Ă©galement Ă augmenter le taux de sucre.
Pour sa part, lâaldostĂ©rone, hormone impliquĂ©e dans la rĂ©gulation de la pression artĂ©rielle, va notamment retenir du sel et de lâeau dans lâorganisme et chasser le potassium.
Enfin lâocytocine16, qui diminue le niveau de stress, elle agit davantage chez la femme que chez lâhomme.
LâAgence EuropĂ©enne pour la SĂ©curitĂ© et la SantĂ© au Travail propose une dĂ©finition du stress plus inspirĂ©e par la psychologie du travail : « Un Ă©tat de stress survient lorsquâil y a un dĂ©sĂ©quilibre entre la perception quâune personne a des contraintes que lui imposent son environnement et la perception quâelle a de ses propres ressources pour y faire face. »
Avec cette dĂ©finition, on peut esquisser ce que peut ĂȘtre lâinfluence du management bienveillant : il sâagirait Ă la fois dâadapter le niveau des contraintes et dâamĂ©liorer la perception des ressources. Il sâagit aussi de considĂ©rer que la personne humaine doit ĂȘtre au cĆur du fonctionnement de lâentreprise et non pas une sorte de contrainte dont un management dĂ©sincarnĂ© devrait parvenir Ă sâabstraire.
Dans un registre diffĂ©rent, on trouve lâune des premiĂšres dĂ©finitions du burn-out dans les Ă©crits de saint Vincent de Paul qui le prĂ©sente comme « une ruse du diable dont il trompe les bonnes Ăąmes que de les inciter Ă faire plus quâelles ne peuvent afin quâelles ne puissent plus rien faire ». Le stress et ses consĂ©quences graves sont ici prĂ©sentĂ©s comme le produit de lâexcĂšs conduisant Ă lâĂ©puisement et Ă lâimpossibilitĂ© dâagir.
Femmes, hommes et ocytocineâŠ
Inégalité hommes-femmes
Les femmes sont exposées à un plus grand nombre de sources de stress que les hommes⊠De nombreuses études réalisées notamment au Canada le confirment. Parmi celles-ci...