TROISIĂME PARTIE
Bien vivre sa vie dâintroverti
En matiĂšre dâintroversion, comme dans dâautres domaines et lorsque lâon souhaite Ă©voluer, on peut garder deux axes en tĂȘte : sâaccepter tel quâon est ou dĂ©cider de changer. Câest-Ă -dire profiter de ses atouts dâintroverti, et pour ce faire, prendre soin de ses besoins. Ou bien, pour Ă©viter un fonctionnement trop Ă©troit, dĂ©velopper aussi des compĂ©tences dâextraverti. Vous en possĂ©dez certainement dĂ©jĂ quelques-unes, dâailleurs, puisque trĂšs peu de gens sont extrĂȘmement introvertis ou extravertis.
Dans les chapitres suivants, nous nous proposons de dĂ©terminer lâĂ©quilibre Ă observer dans diffĂ©rents moments de la vie entre acceptation et tentatives de changement. Chacun aura Ă conduire son juste dosage :
- en fonction de son degrĂ© dâintroversion et de ses autres traits de personnalitĂ© ;
- selon la pĂ©riode de la vie â car nous changeons avec le temps, et nos besoins changent ;
- selon les domaines : une mĂȘme personne peut avoir besoin de se prĂ©server dans le domaine professionnel et ĂȘtre plus robuste dans le domaine personnel, ou vice versa. Une autre rencontrera des problĂšmes avec un certain type de personnes, ou avec la famille dâorigine, etc.
Histoire de vous convaincre, commençons par les écueils à éviter...
| Comment faire son propre malheur1 | Chapitre 8 |
Nombre de circonstances banales nous poussent Ă nous comporter en extravertis. Heureusement, nous sommes gĂ©nĂ©ralement capables de nous adapter, dâassumer au moins partiellement les comportements exigĂ©s. Mais pour mĂ©nager notre Ă©quilibre, il faudrait contrebalancer les pĂ©riodes fatigantes, oĂč lâon force sa nature, par des moments tranquilles oĂč lâon Ă©coute sa tendance naturelle. Si lâon nĂ©glige totalement cette partie de nous, on peut arriver Ă des situations cauchemardesques. Imaginons une personne qui :
- choisirait un travail de contact constant avec le public, sans temps seul, sans rĂ©flexion tranquille. Un travail de commercial, par exemple, qui va de client en client, et doit encore tĂ©lĂ©phoner pour rĂ©gler dâautres problĂšmes entre deux rendez-vous, impose une pression permanente.
- vivrait avec un extraverti forcenĂ©, qui souhaite voir sans cesse du monde, sortir tous les soirs ou bien inviter rĂ©guliĂšrement sa bande de copains. Notre hypothĂ©tique sujet se forcerait Ă suivre, alors quâen rentrant de sa journĂ©e de travail pleine de sollicitations, il ne rĂȘve que de sâinstaller devant la cheminĂ©e, avec un bon livre et une boisson rĂ©confortante...
- aurait adoptĂ© surtout des amis extravertis, qui organisent des soirĂ©es exubĂ©rantes, qui aiment assister Ă tous les matchs de leur Ă©quipe prĂ©fĂ©rĂ©e en hurlant dans les gradins, et rester des heures dans un bar Ă vocifĂ©rer devant des biĂšres. Le week-end, le groupe sâorganiserait souvent pour partir, par exemple en randonnĂ©e, ferait des repas bruyants dans de bons restaurants, parlerait sans cesse, de tout et de rien. Pour Ă©viter de dĂ©tonner notre personnage ne sâautoriserait jamais Ă rester un moment en arriĂšre, tout seul, Ă mĂ©diter.
- vivrait tout prĂšs de ses amis ou des membres de sa famille qui entreraient chez lui comme dans un moulin, comme dans la sĂ©rie Friends. Aucune frontiĂšre ne serait respectĂ©e, pas moyen dâavoir du temps seul, en privĂ©.
- se reprocherait souvent de ne pas prendre lâinitiative, de se contenter de suivre, de ne pas suffisamment participer, de ne pas ĂȘtre expansif â « Tu nâes pas normal, tu devrais avoir envie de ça comme les autres, etc. »
- se considĂ©rerait comme anormal, voire malade et entreprendrait finalement une thĂ©rapie visant Ă devenir extraverti â « il faut que vous mâaidiez Ă ĂȘtre comme mes copains ! ». Ăvidemment la thĂ©rapie Ă©chouerait, puisquâon ne change pas de nature. MĂȘme si notre sujet apprenait Ă mieux feindre lâextraversion, cela continuerait de le stresser et de lâĂ©puiser...
Un exemple de la vie rĂ©elle, qui ne cumule pas tous ces stress, mais beaucoup dâentre eux, montre comment nombre dâintrovertis forcent leur nature. Les femmes notamment se sentent souvent obligĂ©es de prendre soin des autres mĂȘme quand elles nâen peuvent plus.
Trop dévouée
Bien quâelle adore sa solitude, Caroline ne sâen accorde guĂšre. Dâune part elle exerce un mĂ©tier de commerciale lâappelant Ă ĂȘtre en contact quasi permanent avec ses clients, mĂȘme le soir et les week-ends, au tĂ©lĂ©phone ou par e-mail. Dâautre part, il suffit quâon ait besoin dâelle pour quâelle renonce Ă son trop maigre temps de rĂ©cupĂ©ration et se dĂ©voue pour autrui. Une amie part en vacances et son vol Ă bas prix dĂ©colle Ă 4 heures du matin ? Caroline se propose pour la conduire en pleine nuit. Une autre dĂ©mĂ©nage ? Caroline offre son aide, quitte Ă y passer son week-end. Son mari aime recevoir, alors Caroline, perfectionniste, met les petits plats dans les grands, ce qui lui prend parfois une partie de la nuit prĂ©cĂ©dente. Et lorsque sa nombreuse famille a besoin dâun endroit oĂč se rĂ©unir, non seulement elle les accueille systĂ©matiquement dans sa grande maison, mais elle et son mari laissent leur chambre Ă ses parents. Elle se retrouve cuisiniĂšre en chef pendant des jours, sans aucun moment tranquille. Ă la fin de la visite, tout le monde est trĂšs heureux et comblĂ© â sauf elle, qui se sent au bord de la dĂ©pression, Ă©puisĂ©e, stressĂ©e, vidĂ©e.
Caroline nâest pas condamnĂ©e Ă lâisolement pour pouvoir prendre soin dâelle ! Mais elle devrait mieux tenir compte de ses besoins. Elle peut par exemple suggĂ©rer que les rĂ©unions familiales soient organisĂ©es chez dâautres membres de la famille, et se contenter dây participer en apportant un gĂąteau ; et mĂȘme si câest elle qui reçoit, elle devrait garder sa chambre pour pouvoir sây rĂ©fugier, et dĂ©lĂ©guer les soins de la cuisine Ă ses frĂšres et sĆurs une partie du temps.
Il nâest gĂ©nĂ©ralement pas trop difficile de supporter une ou deux de ces situations qui forcent notre nature. Non seulement on y est souvent contraint, mais cela nous procure aussi du plaisir. Plaisir dâavoir vu du monde, plaisir de voir les autres heureux autour de nous, plaisir de sortir de nos habitudes... Pour les introvertis, ce plaisir est souvent maximal aprĂšs lâĂ©vĂ©nement plutĂŽt que pendant. Lâimportant est de ne pas cumuler trop de stress qui finirait par nous Ă©puiser. MĂȘme les extravertis supportent mal de vivre constamment en groupe, mĂȘme eux, pour la plupart, ont besoin tĂŽt ou tard de temps de rĂ©cupĂ©ration en solitaire, pour prendre soin de leur part introvertie !
Voyons, pour commencer, comment les innovations du monde moderne peuvent nous aider à ménager nos forces pour mieux profiter de nos relations importantes.
| Le monde moderne a du bon ! | Chapitre 9 |
Lâexpansion du modĂšle nord-amĂ©ricain, exubĂ©rant et extraverti, ajoute certes aux difficultĂ©s des introvertis, qui ne sây retrouvent pas bien, comme nous lâavons vu au chapitre 5. Mais dâautres Ă©volutions rĂ©centes peuvent nous ĂȘtre favorables. Dâune part, un mouvement de dĂ©fense des introvertis aux Ătats-Unis donne lieu Ă une profusion de publications. Et comme les tendances de lĂ -bas nous parviennent gĂ©nĂ©ralement quelque temps aprĂšs, gageons que le mouvement prointroverti prendra de lâampleur en Europe. Dâautre part, la sociĂ©tĂ© « branchĂ©e » prĂ©sente de multiples avantages pour les personnes Ă lâaise dans la solitude.
Lâordinateur, lâe-mail et lâInternet
Ce trio constitue une vĂ©ritable bĂ©nĂ©diction pour les introvertis. Ne plus avoir Ă tĂ©lĂ©phoner pour se procurer des renseignements, quel bonheur ! Pouvoir communiquer avec ses amis aussi instantanĂ©ment que par tĂ©lĂ©phone, mais le faire par Ă©crit, en Ă©tant certain de ne pas dĂ©ranger, en pouvant rĂ©flĂ©chir Ă ce que lâon veut dire et modifier une phrase qui nous semble maladroite. Un introverti a dĂ» inventer ce mode dâĂ©change ! En un sens, les recherches sur Internet sont lâĂ©quivalent moderne dâune recherche en bibliothĂšque, plus rapide, plus vaste, permettant lâaccĂšs Ă davantage dâinformations. Or, qui est Ă lâaise pour chercher dans les livres ? Les introvertis, pardi ! Les extravertis, eux, prĂ©fĂšrent gĂ©nĂ©ralement demander Ă quelquâun. Le face-Ă -face avec une machine les dĂ©prime, Ă la longue, tandis quâun introverti peut se satisfaire parfaitement de ce « partenaire » prĂ©visible et non envahissant.
Un précurseur
Dans les annĂ©es 1990, alors que la plupart de ses voisins connaissaient Ă peine le B.A. BA de lâInternet, Jacques sâĂ©tait vite emparĂ© de cet outil de communication compatible avec sa nature introvertie. Cela lui semblait Ă la fois pratique et efficace ! Comme les membres de sa famille habitaient aux quatre coins du globe, il les a incitĂ©s dĂšs les dĂ©buts du courriel Ă sâhabituer Ă ce mode dâĂ©change. De sorte que lorsque sa seconde fille sâest mariĂ©e, il a trouvĂ© facile dâorganiser la noce et lâhĂ©bergement dâune cinquantaine de visiteurs lointains par ce moyen. Les amis furent Ă©patĂ©s et certains se convertirent sans doute plus tĂŽt au courriel quâils nâauraient fait sans son exemple !
Nombre dâinformaticiens sont plus ou moins introvertis, dâailleurs. Travailler toute la journĂ©e dans le calme leur permet dâavoir de lâĂ©nergie pour leur vie personnelle, le soir. LâInternet permet aussi aux introvertis dâexplorer de nombreuses possibilitĂ©s avant de sâengager dans quelque chose.
« Je veux aider1 » mais pas nâimporte comment !
Quand Janine a pu prendre sa retraite, elle se demandait ce quâelle allait faire de tout ce temps. Ne plus travailler, se plier Ă des horaires exigeants et Ă un chef dĂ©sagrĂ©able : câĂ©tait dĂ©licieux. Mais elle avait envie de conserver un rĂŽle actif dans la sociĂ©tĂ©. Quel rĂŽle ? se demandait-elle. Comment trouver une place qui ne serait pas dictĂ©e par les contraintes extĂ©rieures ? AprĂšs un temps de rĂ©flexion, et sur les conseils dâamis, elle a commencĂ© des recherches sur Internet. Cela lui a permis dâĂ©tudier les diffĂ©rents domaines dâaide possible et de trouver la modalitĂ© qui lui convenait le mieux, au lieu dâavoir Ă tĂ©...