Partie 1
Savoir vendre est un super-pouvoir
CHAPITRE 1
Comment convaincre des inconnus de vous envoyer de lâargent
La rĂ©ussite entrepreneuriale la plus improbable du monde commence dans les annĂ©es 1960 dans lâOhio, en plein Midwest amĂ©ricain, avec un jeune homme qui a un rĂȘve Ă©trange : convaincre de parfaits inconnus de lui envoyer de lâargent par la poste.
Le jeune homme a entendu parler dans un livre dâun business model fascinant : le « direct mail », qui consiste Ă envoyer une lettre de vente tellement persuasive que le lecteur vous renverra en Ă©change un bon de commande â accompagnĂ© dâun chĂšque dĂ»ment signĂ©. De nos jours, on connaĂźt bien ce business model : il est Ă lâorigine des courriers publicitaires qui encombrent votre boĂźte aux lettres et remplissent votre corbeille Ă papier. Mais du point de vue de ce jeune homme, la promesse est irrĂ©sistible : voici un moyen de toucher des clients Ă travers les Ătats-Unis et de faire fortune â avec pour seuls atouts son cerveau, sa machine Ă Ă©crire et sa force de persuasion. Sans patron, sans employĂ©s et sans mĂȘme sortir de chez lui !
Chaque lettre envoyĂ©e Ă un client potentiel coĂ»te de lâargent pour lâimpression, lâenveloppe et le timbre. Supposons, pour notre calcul, que le coĂ»t soit de 0,5 $ par lettre expĂ©diĂ©e : une campagne de 1 000 lettres revient donc Ă 500 $ â et il faut recevoir au moins 500 $ en retour pour couvrir les coĂ»ts. Bien sĂ»r, le produit que le client a commandĂ© coĂ»te aussi de lâargent Ă expĂ©dier, mais supposons pour le moment que cette dĂ©pense soit nĂ©gligeable.
Le problĂšme, câest que câest sacrĂ©ment difficile de convaincre un parfait inconnu de vous envoyer un chĂšque sur la base dâune simple lettre.
Câest ce dĂ©fi qui rend lâidĂ©e aussi excitante aux yeux du jeune homme : sera-t-il assez persuasif pour convaincre ces 1 000 inconnus de lui envoyer 500 $ ou plus ? En cas dâĂ©chec, il aura perdu de lâargent sur chaque courrier expĂ©diĂ©. Mais en cas de succĂšs, sâil reçoit en retour 700 ou 1 000 ou mĂȘme 3 000 $, il pourra poster 2 000 nouvelles lettres dĂšs le lendemain. La semaine suivante ça sera 10 000 â et ainsi de suite⊠Une lettre de vente qui gĂ©nĂšre plus dâargent quâelle nâen coĂ»te Ă expĂ©dier est une machine Ă imprimer de lâargent, oĂč chaque dollar investi en rapporte deux. Si le jeune homme est ambitieux (et il lâest !), il rĂ©investira ses bĂ©nĂ©fices dans dâautres produits et dâautres campagnes â et en seulement quelques annĂ©es il aura construit un empire commercial depuis la table de sa cuisine.
Cette idĂ©e lâobsĂšde. Il dĂ©vore tous les livres quâil peut trouver sur lâart de la vente, et si un ouvrage est introuvable en librairie, il est prĂȘt Ă conduire des centaines de kilomĂštres pour se le procurer. Il prend lâavion pour se rendre Ă Washington et consulter la collection inĂ©galable de la bibliothĂšque du CongrĂšs. Il met en application tout ce quâil apprend, et essaie de vendre toutes sortes de produits : livres, gadgets, guides, « rapports spĂ©ciaux »⊠Il rĂ©dige des lettres de vente Ă la chaĂźne. DĂšs quâil peut rassembler assez dâargent pour payer lâimprimeur et la poste, il envoie une nouvelle fournĂ©e. Puis il retient son souffle en attendant que le facteur lui apporte une pile de chĂšques.
Malheureusement, les commandes nâarrivent pas. Ou du moins, pas assez pour couvrir les coĂ»ts. Les pertes sâaccumulent, mais le jeune homme ne se dĂ©courage pas. Ă plusieurs reprises, il nĂ©glige de payer ses factures pour investir ses derniers dollars dans sa toute nouvelle idĂ©e. Peut-ĂȘtre est-ce finalement cette campagne qui le rendra riche ? Mais non. Les clients ne mordent pas Ă lâhameçon et on lui coupe lâĂ©lectricitĂ©.
Les Ă©checs sâenchaĂźnent ainsi pendant trois ans.
Jusquâau jour oĂč il tombe sur une idĂ©e tellement simple et farfelue que personne nây aurait pensĂ© sans ĂȘtre complĂštement dĂ©sespĂ©rĂ©. Cette idĂ©e le rendra multimillionnaire.
Il Ă©crit une lettre dâune seule page, qui commence ainsi :
« Cher Mr McDonald,
Saviez-vous que votre nom de famille est associĂ© Ă un blason dans des archives hĂ©raldiques datant dâil y a plus de sept siĂšcles ?
Mon mari et moi-mĂȘme lâavons dĂ©couvert alors que nous faisions des recherches pour des amis partageant votre nom de famille. »
La lettre continue en proposant au lecteur de commander une copie du blason familial, accompagnĂ©e dâun rapport sur les origines du nom, pour la modique somme de 2 $ (ce qui correspond aujourdâhui Ă 12 $ ou 11 âŹ). « Nancy » (le jeune homme a signĂ© la lettre du nom de sa femme) explique que la reproduction fait une splendide dĂ©coration murale et un cadeau parfait pour un membre de la famille.
Pour la premiĂšre fois, il a atteint son objectif : chaque courrier rapporte plus dâargent quâil nâen coĂ»te. Il a enfin construit sa machine Ă imprimer de lâargent â et cette machine a continuĂ© Ă fonctionner pendant plus de trente ans, au cours desquels ce simple courrier a gĂ©nĂ©rĂ© plus de 7 300 000 commandes.
Le premier entrepreneur du web
Le jeune homme sâappelait Gary Halbert. Son succĂšs initial avec les blasons familiaux a donnĂ© naissance Ă un empire qui le rendra multimillionnaire. Si un produit peut ĂȘtre envoyĂ© par la poste, Gary lâa probablement vendu dans les annĂ©es 1970 et 1980. Son empire employait plus de 700 personnes. La lĂ©gende veut quâĂ un moment donnĂ©, il avait 40 employĂ©s dont la seule tĂąche Ă©tait dâouvrir des enveloppes et de porter les chĂšques quâelles contenaient Ă la banque.
Gary Halbert est depuis devenu une figure mythique parmi les copywriters (cet anglicisme dĂ©signe un rĂ©dacteur spĂ©cialisĂ© dans la vente â lâexpression française Ă©quivalente est « concepteur-rĂ©dacteur »). Dans les annĂ©es 1980, il a Ă©crit une sĂ©rie de lettres Ă son fils pour lui expliquer lâessence de son mĂ©tier â ce corpus est aujourdâhui traitĂ© comme un texte sacrĂ©, mĂȘme par des entrepreneurs (dont je fais partie) qui se sont lancĂ©s sur Internet des annĂ©es aprĂšs la mort de Gary en 2007. Un bel accomplissement, surtout quand on sait que la durĂ©e de vie moyenne dâune tactique marketing Ă lâheure du web est proche de celle de la carriĂšre musicale dâune star de la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ©.
Mais pourquoi est-ce quâun entrepreneur comme moi â qui a construit sa carriĂšre sur YouTube, les podcasts et le marketing par e-mail â est fascinĂ© par un ancĂȘtre qui aurait cru quâInstagram est une unitĂ© de mesure ? Pourquoi ressasser cette vieille histoire dans un livre dont le but est de monter un business en ligne ?
La raison est simple : Gary Halbert nous montre que certaines choses ne changent pas.
Le progrĂšs technologique ne fait que sâaccĂ©lĂ©rer. Google modifie son algorithme 500 Ă 600 fois par an. Facebook change rĂ©guliĂšrement les rĂšgles du jeu sans prĂ©venir personne (pas mĂȘme les entrepreneurs qui dĂ©pendent de la plateforme pour gagner leur vie). Les tactiques qui marchaient il y a deux ans sont dĂ©jĂ obsolĂštes. MĂȘme si vous ĂȘtes en avance et trouvez une technique qui marche aujourdâhui, vos concurrents sont sur vos talons. Lâentrepreneur qui essaie de tenir le rythme du changement technologique est comme un cowboy de rodĂ©o montĂ© sur un taureau enragĂ© â lâanimal se cabre dans tous les sens, de plus en plus fĂ©roce, et le cavalier ne peut quâespĂ©rer quâil tiendra juste un peu plus longtemps.
Dans cet ouragan technologique, il nây a quâun point fixe. Un maillon essentiel qui nâest pas mis Ă jour 500 fois par an â ni mĂȘme une fois tous les 500 ans. Câest le seul Ă©lĂ©ment qui nâa pas changĂ© depuis la lettre miraculeuse de Gary en 1971. Quelle est cette constante ?
Le cerveau humain.
Notre cerveau nâa pas changĂ© (malgrĂ© lâavancement de la technologie)
Steve Jobs comparait lâordinateur à « un vĂ©lo pour notre esprit » : le vĂ©lo amplifie votre effort musculaire et vous permet dâaller plus loin, plus vite et en dĂ©pensant moins dâĂ©nergie ; lâordinateur amplifie votre effort intellectuel de la mĂȘme maniĂšre. La technologie ne nous transforme pas vraiment, elle amplifie nos tendances naturelles. Nous ne sommes que des primates qui ont dĂ©veloppĂ© de trĂšs, trĂšs bons outils.
Notre ADN Ă©volue au ralenti par rapport Ă nos technologies. Et câest le cas mĂȘme pour nos technologies les plus anciennes, comme lâagriculture. Dix mille ans aprĂšs lâinvention de lâagriculture, nos gĂšnes ne sont pas encore tout Ă fait adaptĂ©s Ă notre nouvelle alimentation. Certains dâentre nous sont encore intolĂ©rants au lait de vache, ou au gluten trouvĂ© dans le blĂ© ! Ironiquement, les derniers rĂ©gimes Ă la mode annoncent que la solution est de revenir Ă lâalimentation simple de nos ancĂȘtres prĂ©historiques.
Nous avons eu encore moins de temps pour nous adapter au smartphone et aux rĂ©seaux sociaux. Pour prendre un seul exemple (nous reviendrons en dĂ©tail sur le sujet dans la deuxiĂšme partie de cet ouvrage), Twitter est excessivement nĂ©gatif â mais pas par la faute des dĂ©veloppeurs. Twitter amplifie et facile notre obsession naturelle pour les mauvaises nouvelles. En tant que chasseur-cueilleur, la meilleure nouvelle que votre ami Grok puisse vous communiquer est quâil a trouvĂ© un nouveau buisson de myrtilles. Et la pire nouvelle possible est quâun ours rĂŽde dans les parages et risque de dĂ©vorer toute votre famille. Naturellement, votre attention se tournera vers la menace et non pas vers lâopportunitĂ©. Cet instinct est toujours codĂ© dans notre ADN.
Pour vous le prouver, il suffit dâouvrir le site dâactualitĂ© de votre choix : quel est le pourcentage de nouvelles positives ? Ă chaque fois que je fais le test, je compte au moins 80 % dâarticles nĂ©gatifs : catastrophes, crimes, condamnations, polĂ©miques, scandales, manifestations, guerres, attentats et accidents⊠Il y a cent mille ans, cette maniĂšre de penser avait de bonnes chances de vous sauver la vie. Et surtout, vous ne receviez que des informations vous concernant directement : vous nâaviez aucun moyen de savoir que deux tribus venaient de rentrer en guerre Ă lâautre bout du monde. Aujourdâhui, Internet vous sert sur un plateau les pires nouvelles du monde entier. Câest pour ça que nous avons constamment lâimpression que le monde va mal et que la sociĂ©tĂ© est sur le point dâimploser. Pourtant, en moyenne, le monde fonctionne plutĂŽt bien : le soleil se lĂšve, les arbres poussent, le taux dâhumains sous le seuil de pauvretĂ© nâa jamais Ă©tĂ© aussi bas et les conflits jamais aussi rares. Câest notre biais de nĂ©gativitĂ© qui dĂ©forme nos perceptions. Essayons de quantifier cet effet : plus de 35 millions dâavions atterrissent sans problĂšme chaque annĂ©e, contre une vingtaine de crashs avec victimes. Pourtant, quand avez-vous lu pour la derniĂšre fois un article intitulĂ© « Lâavion Paris-Barcelone arrive Ă lâheure et sans incident » ?
La diffusion de ces technologies nâa pas rendu notre monde moins humain. Au contraire, lâenvironnement numĂ©rique est devenu ultra-humain et amplifie nos biais psychologiques (positifs ou nĂ©gatifs) : la crĂ©ativitĂ©, le tribalisme, lâindignation face Ă lâinjustice, la quĂȘte de statut, le court-termisme, lâĂ©gocentrisme, les valeurs partagĂ©es, les hallucinations collectivesâŠ
Le secret de la lettre qui valait des millions
En tant quâentrepreneur, votre rĂŽle nâest donc pas dâobĂ©ir aux algorithmes de YouTube ou de Facebook â mais de plaire aux ĂȘtres humains, qui vivent, dansent et pleurent de lâautre cĂŽtĂ© de lâĂ©cran. AprĂšs tout, les algorithmes tentent (avec plus ou moins de succĂšs) de donner aux humains ce quâils veulent.
En 1971 comme aujourdâhui, lâobjectif du copywriter reste le mĂȘme : pour Ă©crire une lettre de vente efficace, vous devez comprendre en profondeur le client que vous cherchez Ă convaincre. Le secret de la lettre qui a fait la fortune de Gary vient dâun exercice dâempathie.
Avant de dĂ©couvrir ce secret, Gary a Ă©tudiĂ© tout ce qui avait Ă©tĂ© Ă©crit sur lâart de crĂ©er des lettres de vente persuasives. Les sources sont alors unanimes sur la maniĂšre de crĂ©er une campagne gagnante : il faut Ă©conomiser de lâargent sur lâexpĂ©dition en prenant avantage des remises sur le volume, attiser la curiositĂ© en imprimant directement une phrase dâaccroche sur lâenveloppe et attirer lâattention avec une brochure multicolore.
Pendant des annĂ©es, Gary Halbert suit ces conseils et il enchaĂźne les flops. Mais au moment de rĂ©diger sa fameuse lettre, il a un instant dâhĂ©sitation : tous ces conseils « prouvĂ©s » sont-ils vraiment la meilleure maniĂšre de toucher son client ? Il rumine alors sur une question : « Gary, que ferais-tu si tu devais absolument faire marcher ta prochaine campagne ? Que ferais-tu si tu ne pouvais envoyer quâune seule lettre et si, en cas de non-rĂ©ponse, tu te faisais littĂ©ralement dĂ©capiter ? »
Cette question dĂ©clenche lâĂ©piphanie de toute une carriĂšre. Sâil nâavait quâune seule lettre pour sauver sa vie, sa premiĂšre prioritĂ© serait⊠que cette lettre soit lue. Mais que font la plupart des gens quand ils reçoivent une brochure multicolore dans une enveloppe bariolĂ©e, comme le conseillaient les gourous de lâĂ©poque ? Ils la mettent directement Ă la poubelle !
Tant que sa vie est en jeu, Gary ne peut pas prendre ce risque. En revanche, il sait que nous ouvrons toujours une lettre personnelle. Il dĂ©cide donc dâenvoyer une lettre toute simple, dans une enveloppe que vous auriez pu trouver Ă la papeterie du coin, qui ressemble en tout point Ă une correspondance personnelle. Il pousse mĂȘme le vice jusquâĂ coller dessus un vrai timbre, ce qui coĂ»te un peu plus cher que lâenvoi de masse, mais le diffĂ©rencie immĂ©diatement de tous les autres publicitaires.
Ă ce stade, lâindustrie du marketing direct a passĂ© plusieurs dĂ©cennies dans une course aux armemen...