CHAPITRE 1
Un nouveau modèle du stress
Avertissement au lecteur : ce chapitre s’égare par moments au cœur des neurosciences. Si vous décrochez, faites un tour par les chapitres 2 et 3 et revenez ensuite, selon votre appétit de compréhension, consommer le reste.
Si certains se plaignent du stress, il est dans le même temps assez répandu, dans les milieux professionnels, artistiques comme sportifs, d’affirmer que le stress est nécessaire à la motivation. Il est même de bon ton d’avoir un certain trac (« ça prouve l’engagement »), par exemple, avant une présentation orale ou une réunion importante, avec un gros enjeu à la clé. Or, le trac n’est qu’un stress d’un genre particulier, l’anxiété, sous-tendu par un état neurophysiologique dit de « fuite instinctive », issu lui-même de structures cérébrales très anciennes.
Bien sûr, le fait de réussir une prestation malgré le trac est courant, mais est-ce que cela prouve que le trac est nécessaire à la motivation ou à l’adaptation ?
Pourtant, dans le monde professionnel ou sportif, celui qui n’a pas le trac est souvent suspecté d’être trop détendu, ce qui dénoterait un certain détachement ou un manque évident de motivation… À moins que – car les avis divergent – il ne s’agisse de l’expression d’un réel charisme, d’un certain talent, d’un véritable don, d’une aisance naturelle ! Alors, comment s’y retrouver ?
Il est un fait aisément observable que de grands orateurs affichent une grande décontraction. Mais sont-ils décontractés parce qu’ils sont « grands orateurs » ou sont-ils « grands orateurs » parce qu’ils sont décontractés ? Et décontraction signifie-t-elle pour autant déconcentration ?
En tout cas, ce qui pousse certains d’entre nous à devoir s’appuyer sur le stress réside en ce qu’ils ressentent parfois, ou sur certains sujets, en l’absence de stress, une sorte de vide intérieur. Cela est particulièrement vrai lorsque nous ne disposons pas d’une vocation suffisante, d’une prédisposition naturelle, que nous avons nommée, dans un écrit précédent, la personnalité primaire, ou tempérament. Le stress serait alors (parfois) rassurant puisqu’il nous permettrait de nous sentir plus vivant, plus concerné, de sentir qu’il se passe quelque chose en nous. Et de le prouver aux autres, pour obtenir de la reconnaissance. Cela peut avoir pour effet de nous motiver quelque peu, car l’attrait du succès, de la reconnaissance, ou la peur de l’échec, de la sanction, peuvent avoir un effet de motivation. Mais cet effet est ordinairement de courte durée.
Que se passe-t-il en fait, plus biologiquement, lorsque nous sommes stressés ? Il est utile de mieux le comprendre afin d’envisager de mieux le gérer.
Mais d’abord…
Entrez dans le jeu : c’est quoi le stress, pour vous ?
Quelle est votre opinion sur le stress ? Que pensez-vous intuitivement du stress ? Comment le vivez-vous ? Prenez quelques minutes pour entrer dans le jeu des six questions qui vont suivre. Cela vous permettra de faire le point de vos idées sur le sujet… Mais aussi de vous mettre dans un état mental propice à l’acquisition des connaissances qui vont suivre. Une façon comme une autre d’expérimenter d’abord ce que vous allez comprendre ensuite !
Prenez le temps de répondre à ces quelques questions avant de passer à la page suivante. Notez vos réponses sur l’espace prévu à cet effet.
Selon vous, spontanément, qu’est-ce que le stress ? Quelle est sa fonction ?
Quand vous êtes stressé, que ressentez-vous ?
Et quand vous êtes calme ?
Dans une situation donnée, si vous êtes stressé et si votre interlocuteur/partenaire, qui est co-impliqué, au même titre que vous, est calme, que pensez-vous de lui ?
Et si c’est vous qui êtes calme et lui stressé, toujours en cas de co-implication, que pensez-vous de lui ?
Votre conclusion :
Prenez le temps de répondre à nouveau aux questions suivantes :
Qu’est-ce que le stress ?
À quoi sert-il ?
Quand survient-il ?
Comment faut-il faire pour passer de l’état de stress à l’état de calme ?
Voici notre synthèse basée sur plus de dix ans de pratique. Elle donne un aperçu du stress et du calme vus par les autres, notamment dans le cadre de formation en entreprise.
Comparez vos réponses aux « standards » qui suivent :
- Une définition spontanée du stress. Le stress est une réponse normale de défense à une agression. Le stressé est victime d’une agression externe (surmenage, maladie, insécurité, précarité, agressivité, voire perversion…). Le stresseur est un « bourreau » (situation, personne, société…). Les causes sont objectives (incompréhension, situation sans issue, frustration, injustice, conséquences matérielles potentiellement préjudiciables, etc.). Le stress est donc une réaction bénéfique de défense, qui permet souvent de faire face à la situation.
- Le stress vu de l’intérieur. Le stress est désagréable, peu contrôlable (épidermique), nous nous sentons d’abord victime, agressé avant d’être agressif, nous attendons de l’autre une écoute, du respect ou même de la compassion, parfois des excuses.
- Le calme vu de l’intérieur (en situation difficile). Le calme en situation difficile (sang-froid) est agréable, donne un sentiment de maîtrise de soi, permet de se sentir acteur et observateur, intelligent, lucide, mature, adulte, capable de gérer au mieux une situation difficile, en nuançant la gravité, hiérarchisant l’urgent et l’important, l’essentiel et l’accessoire, le nouveau et le dérangeant.
- Le calme vu de l’extérieur (en situation difficile). Le calme d’un autre, lorsque nous sommes co-impliqué dans une situation difficile et nous-même stressé, sera perçu, selon les cas et les personnes, comme :
- rassurant, distancé, optimiste, ouvert et solide,
- je-m’en-foutiste, égoïste, désimpliqué et froid.
Un vrai cafouillage émotionnel basé sur le doute qui nous anime quant à l’implication réelle de l’autre. Nous voyons là à quel point le fait d’être ou d’avoir l’air stressé en situation difficile peut être un code social important pour rassurer les autres, quand ce n’est pas pour se rassurer soi-même. Même lorsque nous gardons notre calme, comme on l’a vu dans la rubrique précédente, nous ne sommes pas à l’abri d’être mal jugé par les autres, ce qui ne va pas sans poser de problèmes concrets en situation collective. Il importe donc d’en être conscient, pour rassurer préalablement les autres sur notre implication réelle, notamment au travers de ce l’on appelle la « méta-communication ». Puisqu’elle se voit moins, il faut parfois la commenter !
- Le stress vu de l’extérieur. Lorsque, calme soi-même, nous sommes co-impliqué dans une situation difficile avec un autre qui est stressé, nous percevons alors son stress comme une dramatisation, un affolement, une perte de contrôle, de recul, du sens des priorités, un déficit de maturité, de lucidité. Parallèlement, il suscite chez nous de la compassion, de l’empathie, de la solidarité plus qu’un jugement. Dans tous les cas, nous ressentons pourtant l’autre comme amoindri, parfois inquiétant, voire dangereux : mauvaises décisions, brutalité ou approximation des gestes, agressivité, voire violence…
Un adversaire, alors… ? Il y a une autre façon de comprendre le stress. Mais d’abord un peu d’histoire…
Au commencement était le stress externe ou défensif…
Dans le monde sauvage et animal, le stress est un mécanisme de défense et de survie, certes primitif, mais tout à fait adapté au contexte « originel ». C’est tout d’abord un signal d’alarme qui déclenche un certain nombre de processus physiologiques qui permettent de faire face au danger.
Le stress et l’évolution de l’espèce
Nous l’avons déjà évoqué, c’est Henri Laborit qui a en France développé ou vulgarisé ces concepts, nous montrant par exemple que si notre cœur se met soudain à battre la chamade et notre respiration à s’emballer, c’est pour préparer notre corps à courir pour échapper au pire. Car dans ce monde-là (sauvage et animal), celui dans lequel ces mécanismes primitifs de survie ont été sélectionnés selon les lois de l’évolution des espèces, il suffit ordinairement d’une fois, d’une seule erreur, pour mourir ! Si la vieille partie du cerveau chargée de nous protéger (l’hypothalamus, notamment, situé dans les territoires dits reptiliens, juste au-dessus du tronc cérébral et de la moelle épinière, à la « racine » du cerveau en quelque sorte) détecte une situation de danger ou l’interprète comme telle, elle enclenche tout un processus instinctif, c’est-à-dire génétiquement programmé, de survie : le stress. Le stress animal défensif provient d’un niveau cérébral qui fonctionne de manière essentiellement inconsciente et instinctive, ne nécessitant aucun apprentissage (et n’en permettant aucun, ce qui explique le caractère peu contrôlable, du moins directement, des vécus et impulsions qui en proviennent).
Au fil de l’évolution des espèces, le développement des structures cérébrales a permis un meilleur contrôle du territoire de pâture ou de chasse, le développement de la vie en troupeaux et, plus globalement, des capacités adaptatives, ce qui a réduit, ou du moins modulé, la forme et le rôle de ces mécanismes primitifs du stress.
Pourtant, l’observation quotidienne de nous-mêmes, comme celle de nos concitoyens, montre que nous passons une large partie de notre temps civilisé à nous stresser, alors que l’animal sauvage ne vit le stress, pour l’essentiel, qu’en contexte de danger immédiat. Apparemment, le stress humain se manifeste de la même manière que celui de l’animal, dès que l’individu se sent l’objet d’une menace quelconque, même si, objectivement, sa vie n’est pas ou plus en danger.
Tout semble se passer comme si nous n’étions, nous humains, pas ou plus capables de faire spontanément la distinction entre un danger de mort imminente et un simple désagrément subjectif dû à une contrariété, parfois tout à fait bénigne, un échec scolaire, un conflit quotidien, un jugement négatif porté sur nous-mêmes par notre entourage… Quelle qu’en soit la raison, réelle ou perçue comme telle, reptilienne ou modulée dans des territoires cérébraux plus récents en termes d’origine phylogénétique, nous semblons vivre, pour certains d’entre nous, constamment en état d’alerte biologique. Ainsi en est-il, face à son jury d’examen, de ce pauvre candidat dont la tête, sous l’effet du stress, se vide, plutôt que de chercher les réponses attendues !
Trois réponses pour une même stratégie de survie à court terme
En fait, le stress n’est pas un, mais développe trois programmes, qui se succèdent en fonction des événements, et notamment du succès ou de l’échec du précédent pour éloigner le danger perçu. Ce sont les états dits de Fuite, Lutte et In...